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Chapitre 3 : L’intervention auprès des jeunes

1) Quelques exemples d’intervention par les arts

1.1) Des exemples collectifs : L’art, un « moyen » de l’intervention

Dans les recherches que nous avons lues sur les arts et l’intervention, nous avons remarqué que peu d’entre elles s’attardaient à définir rigoureusement leurs concepts, leur méthode ou encore la population étudiée. Par exemple, le « Projet de recherche pour le Nord présentant les talents du hip-hop au Canada » présenté au Conseil des Arts du Canada par Motion Live

29 « La désignation de « jeunes de banlieues » elle-même ne correspond pas à un groupe parfaitement

déterminé. Si on veut tenter de dépasser les clichés qui constituent la conception ordinaire du jeune banlieusard, la diversité des situations est si grande que toute tentative de catégorisation échoue à saisir la spécificité d’un tel objet (…). La « jeunesse » de banlieue est une catégorie aux contours flous et mal définis ». Aquatias, S. (1997:50).

et Saada Stylo en 2006, dresse un bilan de tous les projets « artistiques » qui ont un lien avec le hip-hop pour « accroître la reconnaissance et le soutien de la culture et des arts urbains au sein du Conseil des Arts du Canada». (2006: 3)30 Dans ce document, les termes « jeune », «jeunesse», youth sont présents, mais le document ne spécifie pas de quel type de jeunes il s’agit vraiment. Dans certains cas, le niveau scolaire sert d’indicateur dans la description: « Dj DTS enseigne l’art du DJing à des étudiants dans un cours appelé «Hip-

hop 101» à l’Université de Ryerson au centre-ville de Toronto » (2006: 19). Une autre

intervention torontoise «The Boom Box @ Humber Summit Middle School» s’intéresse à «rediriger l’énergie de ses étudiants en difficulté» par la mise en place d’un studio d’enregistrement (2006: 21). Le niveau scolaire sert d’indicateur, mais le profil socio- économique des sujets est oblitéré.31 Du côté des interventions réalisées en Australie, « Hip

Hopera » (1995) est une activité artistique communautaire destiné aux jeunes de 15 à 25

ans, non-anglophones qui habitent l’ouest de Sidney. De même, l’intervention artistique « Yap Yap Yap Yap » (1994) du Carclew Youth Arts Centre à Adélaïde avait comme groupe cible les jeunes de 13 à 25 ans. Les balises en termes d’âge sont larges, mais rejoignent celles des pratiques culturelles des jeunes du Ministère de la Culture et des Communications du Québec en 1999.32

Cette classification reprend l’idée des cultures juvéniles, qui les identifie comme un groupe à part, mais comporte des inconvénients en ce qu’elle nivelle des différences réelles à l’intérieur du groupe d’âge. Un autre cas de figure, est le programme Youth in Motion à

30 Les objectifs généraux du projet de recherche comportent trois volets : «1- Définir et décrire les arts hip-

hop au Canada; 2- Élaborer un profil concret des arts hip-hop en identifiant les principaux artistes, organismes et modèles d’action du hip-hop canadien et en décrivant leurs pratiques; 3- Évaluer la facilité d’accès des artistes hip-hop au financement et aux services du Conseil.» (2006: 5)

31 Aussi, faut-il être familier avec les niveaux éducatifs et y porter une attention particulière : Faure et Garcia

(2003) parlent d’intervention dans les collèges de quartiers populaires en France. Cela peut porter à confusion avec l’usage qui en est fait en Amérique du Nord.

32 « On peut déjà la scinder en deux groupes : les 15 à 24 ans d’abord et les 25 à 35 ans ensuite. Pour le

premier groupe, majoritairement étudiant (60%) et résidant au domicile familial, il en ressort un portrait culturel fortement diversifié et éclaté, ce qu’on peut expliquer par une certaine recherche d’identité et par l’influence d’acteurs intermédiaires, comme l’école, la famille et les groupes de pairs. » (Ministère de la Culture et des Communications, 2000: 14)

Montréal, un incontournable dans la collectivité de la Petite Bourgogne depuis 1990. Youth

in Motion a obtenu le soutien du Conseil des Arts du Canada pour une intervention qui

visait à « produire une compilation sur CD mettant en vedette des jeunes MC, chanteurs et producteurs.» (1999: 58) Le programme « Better choice- Better life » à Edmonton, lequel comprend des activités d’art mural et de DJing est « (…) rempli de jeunes qui viennent pratiquer le breakdance le dimanche. » (1993: 98). Le groupe d’âge n’est pas clairement identifié, mais rappelle l’univers culturel des jeunes selon la perspective de Galland (1996)33 et laisse croire qu’il s’agit de la tranche d’âge de 13 à 25 ans à travers l’horaire des activités offertes (« le dimanche », « pendant les vacances »).

Les projets de recherche les plus publicisés sont subventionnés par l’État ou une instance gouvernementale reliée aux champs de la culture. Sans constituer un problème en soi, nous constatons tout de même qu' elles revendiquent une forme de reconnaissance et de soutien de l’État, qu’il s’agisse de la France, du Canada ou de l’Australie. Deux points se dégagent de ces études : premièrement, la volonté d’obtenir la reconnaissance de différentes formes d’art qui ne s’inscrivent pas dans la culture « légitime » par les institutions étatiques. Ils s’appellent « urbains » en France et au Canada, et « communautaire » en Australie. Deuxièmement, l’obtention ou l’augmentation de l’accès au financement pour les artistes. Si la question du financement de la danse n’a pas été traitée dans la revue de littérature, on remarque que la question épineuse de la reconnaissance des danses « qui ne sont pas dédiées à la scène » refait surface.

1.2) Des exemples individuels : l'art, une intervention en soi?

Dans un autre ordre d’idées, nous avons croisé des interventions, comprises comme arts plastiques, dans les champs de l’art et de l’éducation des jeunes enfants ou adolescents à

33 L’univers culturel des jeunes se caractérise notamment par une sur-pratique de certaines formes de loisirs,

telles les sorties, le sport, la lecture, la télévision et la vidéo, l’écoute de la musique et les activités littéraires et artistiques en amateurs. (Galland, 1996).

« problèmes » (Clover: 2006). Comme vu précédemment, les concepts et méthodes ne sont pas toujours définis rigoureusement. À titre d’exemple, le terme « créativité » dans les recherches n’est pas clairement défini alors que selon Sudres et Fourasté (1994), il est un véritable mot « baluchon » qui souffre d’un syndrome de polysémie soulevant des confusions avec nombre de termes comme création, imagination, ou expression, considérés à tort comme des synonymes.3435 Aussi, la dimension de groupe et d’action collective n’est pas centrale dans ces interventions. Relevant de champs disciplinaires qui s’apparentent à la psychologie et à l’éducation, les écrits sur ces interventions insistent avec un peu trop de rigueur sur la compréhension de l’art en tant qu'outil d’intervention en soi - pour une ou plusieurs personnes - dans des parcours individuels. Plus flexibles quant à leur direction et objectifs, les écrits induisent qu’à l’intérieur des arts se trouve un espace réservé à la créativité, qui constituerait en soi une forme d’intervention. Par souci de rester près de nos intérêts de recherche, nous avons choisi d’écarter de l’analyse les formes d'intervention qui ne faisaient pas référence à une certaine de prise de position collective.

Des exemples d'intervention cités précédemment, on remarque que la danse ne devient importante qu’en prenant référence à ce qu’elle est capable de produire et que ce type d’analyse s’inscrit dans une perspective fonctionnaliste de la danse, pointée du doigt par le sociologue Ward plus tôt. Ici encore, nous avons choisi de les mettre de côté, parce qu’ils dressent, soit un portrait général de l’intervention par les arts qui revendique une reconnaissance et un soutien de l’État, soit un portrait individuel où l’action de faire de « l’art » constitue une intervention en soi et insinue, en quelque sorte, une forme d’approche thérapeutique. Pour notre part, nous sommes à la recherche d’études de terrain

34 À titre d’exemple, Shaw note une augmentation de la créativité des participants, « Developed creative

abilities and skills », mais n’en dit pas davantage (2003:9)

35 Une étude de la littérature internationale permet de cerner une définition à cinq niveaux indépendants mais

possiblement cumulatifs chez une seule et même personne. Ainsi, la créativité s’entend à la fois comme : (1) Une caractéristique personnelle potentielle existant chez chacun de nous à la base, avec des différences et des degrés. (2) Une production, quelle qu’elle soit (matérielle ou non, verbale ou non-verbale, observable ou non, comportementale et/ou affective, reconnue socio culturellement ou non). (3) Un processus spécifique et singulier. (4) Un type de personnalité (5) Un ensemble de méthodes et de techniques à même de lui donner naissance, de la stimuler et de la développer. ((Sudres et Fourasté, 1994 : 4)

approfondies, « palpables », qui sans nier les effets qu’engendre la danse ou les arts, s’intéressent à la prise de position collective dans l’intention de collecter des exemples près de notre terrain de recherche.

Toujours appuyées sur l’enquête, les études de terrain que nous avons retenues ne revendiquent pas de projet de théorie générale : elles s'inscrivent dans un espace qui a abandonné le réductionnisme scientifique, sans perdre espoir qu’il soit possible de s’entendre sur des procédures de validation des savoirs. Aussi, elles permettent de cerner le paradoxe, souvent rencontré au sujet des arts, à savoir si l’art est un « moyen » de l’intervention ou si le simple fait de faire de l'art constitue une intervention en soi. Autrement dit, dans le premier cas, l’intervention se fait via les arts, ramenant la danse au même titre que le sport ou tout autre activité qui requiert la présence d’un groupe dans un même espace physique et social partagé, et dans le deuxième, le simple fait de faire de l’art - donc appel à la créativité - constituerait une intervention en soi. Ces deux façons d'envisager l'intervention artistique, nous poussent à élargir le questionnement pour ce troisième chapitre et à se demander si l’intervention par les arts est double par le fait qu’elle englobe ces deux visages simultanément, soit ouvrir la porte de la créativité individuelle dans un espace qui requiert la présence de la collectivité pour exister?

En 1979, Hebdige écrit : « les points de repère territoriaux n’ont pas seulement un caractère géographique, mais aussi biographique et personnel » lorsqu’il parle des sous-cultures juvéniles en Angleterre (1979: 78). Dans cet élan, nous remarquons que selon l’endroit où l’intervention a lieu, la participation se présente sous différentes formes : elle est parfois imposée par le « haut » ou selon un modèle « descendant » dans les interventions (Fensham: 1996), par rapport aux jeunes (Faure et Garcia: 2003) et dans les corps (Faure: 2004). Par contre, elle s’impose parfois aussi par le « bas » ou selon un modèle « ascendant » (Bordes: 2005, George: 2000). Des projets collectifs, des projets individuels, des façons de bouger naissent d’une volonté de s’approprier l’espace pour négocier une identité alternative (Hebdige: 1979, Banes: 1994). C’est principalement pour cette raison

que nous proposons de passer en revue les différentes études de terrain sous l’angle d’analyse de « l’espace » où elles s’opèrent pour mieux cerner les tensions qui se manifestent et leur façon de dialoguer. Toutefois, avant d’y arriver, nous poserons un regard critique sur l’intervention. Certains auteurs, dont Bourgeault (2003) au Québec, font voir que lorsque inscrite dans une relation de pouvoir, l’intervention peut constituer un facteur de normalisation et de moralisation.