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Quelques considérations sur l’archéologie

Avant d’émettre des considérations sur la méthode archéologique, récapitulons rapidement les concepts discutés jusqu’à maintenant. L’énoncé s’avère la notion la plus complexe et la plus laborieuse à assimiler. Il est une fonction traversant les unités du langage qui, en aucun cas, ne peut être réduit à une phrase même s’il peut très bien en arborer la forme. Le signe constitue l’unité de base de l’énoncé et répétons-le, « une série de signes deviendra énoncé à condition qu’elle ait à “autre chose” un rapport spécifique qui la concerne elle-même, – et non point sa cause, non point ses éléments » (1969 : 122). Autrement dit, il est toujours lié à un référentiel qui « exerce des lois de possibilité, des règles d’existence pour des objets » (1969 : 126). Dans la recherche d’un énoncé, il faut, autant que faire se peut, exclure l’aspect du sujet émetteur de la signification ou de la connotation à lui attribuer. De plus, l’énoncé engendre des espaces de signification selon une topographie du langage, d’une certaine manière on pourrait dire qu’il positionne les typographies dans le champ de la connaissance. Et pour exister, un énoncé doit s’inscrire matériellement dans la réalité. L’énoncé répond aussi à des règles de rareté, d’extériorité et de

cumul qui, respectivement, correspondent à une règle qui ne recherche pas la pluralité des interprétations, mais se fonde sur la pauvreté énonciative de la langue; à une règle qui le compose dans la « modestie empirique » par laquelle il se présente et qui s’oppose à la recherche de la composition de sa loi intérieure; et finalement à une règle de cumul qui elle-même obéit à des principes de rémanence (reproduction matérielle de l’énoncé), d’additivité (soit la spécificité d’un énoncé qui s’établit dans le temps) et de récurrence (soit le rapport qu’il entretient avec les éléments antécédents du champ auquel il appartient). La formation discursive, pour sa part, se définit comme le « principe de dispersion et de répartition » des énoncés (1969 : 148). Nous ne sommes pas habitués à réfléchir avec ce terme, mais l’on pourrait dire que la formation discursive se rapproche de ce qui est communément compris comme une discipline ou une matière, telle que la biologie, la mathématique ou la philosophie. Souvenons-nous que cette comparaison n’agit qu’à titre indicatif et que la formation discursive est irréductible à une discipline ou une matière. La positivité s’inscrit dans la méthode archéologique en tant qu’elle marque les conditions de réalités des

énoncés : elle est un a priori historique. Elle permet de délimiter un espace de communication qui

inclut un ensemble d’énoncés et qui chevauche possiblement plusieurs formations discursives.

L’archive, quant à elle, constitue le système de formation et de transformation des énoncés : elle est

la loi de ce qui peut être dit. Finalement, l’épistémè réside dans « l’ensemble des relations qu’on peut découvrir, pour une époque donnée, entre les sciences quand on les analyse au niveau des régularités discursives » (1969 : 259). Ainsi, le rapport qu’entretiennent ces notions en est un de dépendance fonctionnant de manière télescopique : l’archive est tributaire de l’épistémè dans laquelle elle se situe, la positivité dépend de l’être de l’archive (sa nature, son identité) et les formations

discursives se définissent à l’aune de la positivité qui les imprègne d’une historicité. Le seul élément

indépendant dans l’archéologie, celui qui se dénote comme l’unité de base de la méthode, c’est

l’énoncé. Toutes les autres notions de l’archéologie deviennent possibles du fait qu’elles s’appuient

sur la notion centrale de l’énoncé. Mais en contrepartie, les énoncés seront aussi tributaires de

l’épistémè dans laquelle ils se trouvent, ce qui engendre une sorte de circularité à l’extrémité de la

télescopie des notions, une sorte de surgissement.

Par ailleurs, l’archéologie du savoir s’oppose à la conception traditionnelle de l’histoire des idées. Elle est le « refus systématique de ses postulats et de ses procédures, tentative pour faire une tout autre histoire de ce que les hommes ont dit » (1969 : 187). En un certain sens, l’archéologie opère un renversement par rapport à l’histoire des idées. Foucault identifie quatre principes qui marquent la distance entre elles. Premièrement, l’archéologie n’est pas une discipline interprétative : « elle ne traite pas le discours comme un document » en cherchant en lui ce qui

serait caché, mais dans le volume qui lui est propre, comme un « monument » (1969 : 188). Deuxièmement, à la recherche de la continuité des discours dans l’histoire, comme une sorte de polissage des transitions entre ce qu’ils sont et ce qu’ils ont été, l’archéologie oppose la définition des discours dans leur spécificité (1969 : 189). Elle n’est pas une doxologie qui va de « l’opinion à la singularité des systèmes », « mais une analyse différentielle des modalités de discours » (1969 : 189). Troisièmement, l’archéologie s’inscrit dans l’indifférence des individualités des individus qui créent des œuvres et émettent des discours. Si l’émission ou la création de telle ou telle œuvre, ou de telle ou telle théorie, s’effectue à un moment particulier de l’histoire, c’est que les conditions de possibilités du discours qui en régissent l’apparition englobent, comme une sorte de nécessité, les sujets qui les postulent. L’archéologie « définit des types et des règles de pratiques discursives qui traversent des œuvres individuelles, qui parfois les commandent entièrement et les dominent sans que rien ne leur échappe; mais qui parfois aussi n’en régissent qu’une partie » (1969 : 189). Dernier principe, mais non le moindre, l’archéologie ce n’est pas la géologie du discours, ce n’est pas la recherche de l’intention dans la transmission du discours, le moment où se recueille et s’échange l’identité de l’auteur et de l’œuvre (1969 : 189), mais bien « la description systématique d’un discours-objet » dans l’indétermination de l’origine (1969 : 190).

Encore deux autres considérations concernant l’archéologie : elle n’est ni la totalisation de la pensée à une époque donnée, ni l’ordre déductif à partir duquel les éléments de cette totalité pourraient être inférés. Comme l’écrit si bien Foucault, « il est important […] de ne pas demander à la dérivation archéologique de reproduire l’ordre du temps ou de mettre au jour un schéma déductif » (1969 : 201). Dans son entreprise d’élucidation de l’épistémè d’une époque, non seulement l’archéologie ne prétend pas couvrir exhaustivement les discours de l’ensemble des

formations discursives, mais elle cherche plutôt à remonter la piste de leur singularité, et donc, loin

de marquer l’unité processuelle qui unit les discours les uns aux autres, elle est marquée dans son être même par une pluralité qui s’institue dans la multiplicité du discours. Finalement, l’archéologie décrit dans le champ de l’histoire « les différents espaces de dissension » (1969 : 208); contrairement à l’histoire des idées « qui voudrait fondre les contradictions » dans une figure globale (1969 : 208). Mieux encore, vers la fin de L’archéologie du savoir, Foucault prend la peine de revenir sur le travail accompli dans Les mots et les choses pour affirmer que le réseau des relations découvert entre les trois formations discursives qui y sont analysées (grammaire, histoire naturelle, économie politique), ne peut s’étendre nulle part ailleurs que dans les limites qui leur sont propres. De son aveu même, l’affirmation contraire aurait été incorrecte : « Ce serait en effet

la preuve que je n’aurais pas décrit, comme j’ai prétendu le faire, une région d’interpositivité; j’aurais caractérisé l’esprit ou la science d’une époque – ce contre quoi toute mon entreprise est tournée » (1969 : 216). Foucault décrit bel et bien des espaces de dissensions et des discontinuités. Certes, il découvre des unités principielles associées aux différentes épistémès, mais peut-on qualifier sa méthode d’inductive ou d’historico-empirique comme cela est communément admis ?