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Quelle efficacité pour les entreprises quant aux instruments

Dans le document POLITIQUE DE CHANGE DE L EURO (Page 89-95)

3.1. Les limites à la couverture du risque de change par les entreprises

Nous nous intéressons dans cette partie aux moyens dont les entreprises industrielles, commerciales et de services disposent afin de gérer les consé-quences des fluctuations des marchés des changes. Elles sont fondamenta-lement différentes selon l’horizon choisi :

• à court terme, les variations de taux de change ont un impact direct sur le compte de résultat des sociétés ouvertes au commerce international, en affectant la conversion en euros des encaissements et décaissements en devises. C’est le risque commercial ou transactionnel ;

• à moyen terme, horizon que nous pouvons qualifier d’année compta-ble, la plupart des sociétés définissent des « cours budget » à défendre par monnaies, et les écarts de change entre ce cours budget et les cours effecti-vement obtenus seront ventilés entre le compte d’exploitation et le compte de résultats financiers en fonction des méthodes comptables retenues. Par ailleurs, au cas où des filiales sont possédées hors zone euro, des écarts de conversion apparaissent en fonction de la valorisation des actifs et des ré-sultats étrangers, affectant à la fois les comptes de résultat consolidés et la taille des actifs nets. Ce sont les risques budgétaires et de consolidation ;

• à long terme, la situation est plus complexe car les effets de change affectent les coûts relatifs de production et se répercutent non pas dans les résultats financiers mais dans les comptes courants. En effet, ce sont les marges commerciales et les parts de marché qui sont finalement affectées.

À ce titre, les entreprises facturant ou étant facturées en euro sont tout autant exposées. Enfin, des effets indirects peuvent exposer une société à des monnaies qui ne sont pas présentes dans ses comptes, à travers le position-nement géographique de sa compétition. Ce sont les risques de compétiti-vité et de parts de marché, ou encore stratégiques. Des marges de manœu-vre peuvent exister en fonction de la sensibilité des clients finaux aux prix, et les effets de change être éventuellement atténués par les différentiels d’inflation. Mais, dans les cas de fortes surévaluations ou sous-évaluations, ces marges de manœuvre peuvent se révéler inopérantes. Il existe en effet des effets de seuil : les entreprises sont capables de gérer la contraction de leurs marges jusqu’à un certain point, au-delà duquel elles délocalisent ou disparaissent. Enfin, lorsque le ralentissement induit devient global, même les entreprises qui ne sont pas ouvertes à l’extérieur sont affectées.

Clarifions un dernier élément à ce stade : les risques commerciaux, que nous avons qualifiés de court terme, sont définis par rapport aux échéances des cycles de production et d’encaissements de chaque industrie. Ainsi, le risque de change de la société EADS, bien que pluriannuel, n’est pas en soi un risque stratégique. C’est seulement un risque commercial à échéances longues. Une couverture stratégique pour EADS consisterait à prendre des mesures par rapport à son activité anticipée.

Le marché des changes offre une gamme large de produits adaptés à ces différentes catégories de risque, change à terme, options et polices de la Coface, qui se répartissent en fonction des échéances de risque et de leur certitude d’occurrence :

• le change à terme consiste à fixer de manière définitive le cours d’en-caissement ou de déd’en-caissement d’une quantité de monnaies à une échéance donnée ; c’est l’instrument idéal de couverture du risque commercial ;

• sur un horizon budgétaire annuel, la seule utilisation du change à terme possède quelques inconvénients. La fixation sur une durée plus longue de tous les niveaux de change peut à la fois nuire à la compétitivité en entraî-nant des pertes d’opportunité, et se transformer en position spéculative pour le cas où les réalisations d’activité sont inférieures aux prévisions. Acheter des options de change, ou souscrire à des polices émises par la Coface, ce qui revient dans les deux cas à s’acheter une police d’assurance, améliore le profil de gestion, en contrepartie des primes investies, et complète les opérations à terme ;

• sur le front stratégique, l’allongement des échéances et des incertitu-des n’est pas favorable à l’utilisation du change à terme. Les options de change sont de loin préférables.

Dans la réalité, la situation est infiniment moins optimale que cette des-cription des produits disponibles ne le laisse suggérer. En effet, les entre-prises, préoccupées par l’affichage comptable de leurs risques, ne couvrent en général que les échéances commerciales. Cela entraîne une situation réelle équivalente sur le long terme à une absence totale de couverture : en effet, traiter sur des horizons glissant de trois à six mois les flux en devises revient à simplement décaler dans le temps toutes les courbes de fluctua-tion. Ainsi, en cas de tendance marquée sur plusieurs années, ce qui est fréquent pour les grandes monnaies, l’immunisation du seul risque compta-ble est parfaitement inopérant en vue de protéger l’activité de l’entreprise.

Depuis 1973, le dollar a connu deux grandes périodes de baisse face au franc : 1985-1991, où il perd la moitié de sa valeur, et 2001-2008, avec 45 % de dépréciation. Il est bien clair dans ces situations que la couverture récurrente au fil de l’eau des factures établies, méthode la plus pratiquée, est impuissante à protéger marges et parts de marché.

Cela signifie que la plupart des sociétés exposées au change ne sont pas couvertes face aux mouvements les plus amples des monnaies. Les sociétés européennes exportatrices ont laissé passer l’opportunité historique de l’euro faible dans les années 2000-2002, alors que des positions optionnelles sur des durées longues auraient pu fonctionner comme une police d’assurance et jouer à plein maintenant que le dollar a perdu à peu près la moitié de sa valeur d’alors. Les entreprises cotées qui, comme Porsche, mettent en place des couvertures longues basées sur des projections de leur activité future face au dollar, extrêmement payantes ces dernières années, sont des excep-tions. À l’opposé, l’application rigoureuse et présentée comme

conserva-trice d’une politique de couverture au fur et à mesure de la confirmation des engagements est pratiquée par une grande majorité des entreprises. Cela revient à vendre sur des cours subis et non pas choisis. Dans le cas d’EADS, l’absence de politique de change stratégique, malgré une visibilité relative-ment bonne des commandes futures et des monnaies de facturation, en-traîne aujourd’hui un manque à gagner d’un ordre de grandeur de 6 mil-liards d’euros annuels par rapport aux niveaux du dollar en 2000-2002.

Les raisons de cette passivité dans le domaine de la couverture des ris-ques sont en réalité de plusieurs ordres :

• le manque d’incitation dans les départements financiers des plus grands groupes à la mise en place de politiques de couverture financière plurian-nuelles, autant du fait d’horizons individuels fixés sur le court terme, des lourdeurs des processus de décisions internes que des risques asymétriques encourus à titre personnel à modifier des procédures traditionnelles de ges-tion ;

• les dirigeants, par manque de culture financière, ne conçoivent pas qu’un risque lié à un marché financier puisse s’assimiler à un sinistre in-dustriel majeur ;

• les actionnaires ne sont pas en mesure d’imposer une politique ration-nelle. Cela ne provient pas seulement de la dilution de l’actionnariat ainsi que des relations croisées entre dirigeants de sociétés cotées et conseils

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1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2004 2007 3. Taux de change dollar/franc

Source : Réserve fédérale.

d’administrations, mais aussi du caractère très médiocre de l’information financière disponible au niveau des détenteurs individuels de titres ;

• les marchés, à travers le prisme des analystes du secteur bancaire, soumettent les sociétés cotées à la dictature des chiffres publiés trimestriel-lement, ce qui créé une pression au niveau des dirigeants contradictoire avec la poursuite des intérêts de long terme ;

• les normes comptables classiques dissimulent au sein des comptes d’exploitation l’impact du change sur les marges et parts de marché ;

• la mise en place des nouvelles normes IFRS, traitant de manière spé-cifique les réévaluations des produits financiers sans imposer le même trai-tement aux risques sous-jacents, constitue une incitation forte à l’inaction ;

• les PME souffrent spécifiquement d’un déficit de moyens humains.

L’absence de politique stratégique peut avoir des conséquences drama-tiques. Nous avons évoqué le cas d’EADS. Il n’est pas isolé. En 2001, Ahold et France Telecom par exemple, bien qu’alertées, restèrent parfaitement passives face à l’imminence d’une dévaluation générale en Argentine. Après la chute de 70 % du peso en 2002, accompagné d’un effondrement du mar-ché boursier local, le résultat est que Ahold en perdit presque son indépen-dance en tant que groupe. France Télécom, de son côté, lors de son dégage-ment à contretemps de Telecom Argentina au plus bas en septembre 2003, cristallisa une perte en capital de 1,5 milliard de dollars par rapport aux cours de fin 1999. Dans un tout autre domaine, la France possédait tradi-tionnellement deux entreprises dominantes dans l’industrie du ski : Rossi-gnol et Salomon. La première produit encore en France mais est passée sous le giron d’un groupe américain ; quant à la seconde, achetée et vendue deux fois, elle a fermé ses sites français. Ajoutés à d’autres facteurs, les coûts de production élevés du fait de la sous-évaluation du dollar depuis la fin des années quatre-vingt ont joué un rôle clef dans ces développements, et la chute à peu près simultanée de ces deux groupes procède de la même cause essentielle.

3.2. Les normes comptables, anciennes et nouvelles, ou l’incitation à ignorer les risques

Au sein d’un exercice comptable, les entreprises ont le choix entre utili-ser comme cours de change de référence soit les cours de facturation ou d’encaissements, soit les cours budget qui ont été définis pour l’exercice.

La différence entre les cours effectivement obtenus et ces cours représen-tent le résultat de change, qui apparaît au niveau des produits et charges financières.

En fin d’exercice, les sociétés définiront un nouveau cours cible valable pour l’année à venir, ou continueront de comptabiliser au fil de l’eau. Alors que peu d’analystes semblent s’être penchés sur la question, il est pourtant bien clair que la variation des cours de change se transmettant aux cours de

référence comptables, les tendances du marché des changes n’affectent pas tant les résultats financiers que les résultats d’exploitation. Le tableau sim-plifié d’une entreprise produisant en euros et vendant en dollars permet d’en comprendre le mécanisme.

L’année N 1, l’entreprise parvient à vendre en moyenne ses dollars 0,8 % au-dessus de son cours budget. Mais le dollar étant plus faible en fin d’année, elle fixe un nouveau cours cible 4 % plus bas. C’est à ce cours que sont valorisées ses exportations. La direction financière perd cette année 0,8 % en plus de ces 4 %. Les 0,8 % passent en charge financière alors que les 4 % sont agrégés au sein du chiffre d’affaires général de la société, ce qui ne permet pas d’identifier l’effet change. L’année N + 1 est encore plus caractéristique : le dollar ayant baissé davantage, le nouveau cours budget reflète une dégradation supplémentaire de 4,5 %. Les opérations de cou-verture génèrent alors un profit de 1,5 %. L’impact net du dollar sur notre société est donc négatif de 3 % et à toutes les chances d’être ignoré puisque le résultat de change apparaît positif.

Le simple mécanisme de l’affichage comptable opacifie l’effet change.

À partir d’une certaine ampleur, les sociétés et les analystes finissent bien par évoquer à la manière d’un alibi l’impact du change sur la baisse de leur activité, mais un peu comme à la manière d’une fatalité non gérable. Lors-que les variations de change sont défavorables mais les résultats bons, il est inversement courant d’afficher des résultats hors effet change. Ainsi, lors-que Lafarge annonce ses comptes le 14 février 2008, les chaînes de radio retiennent une hausse de 7 % du chiffre d’affaires. hors effet de change ; la hausse est en réalité de 4 %. La différence n’est certes pas dramatique pour un groupe aux sources de production très diversifiées et qui affiche une excellente santé. Mais cela est significatif d’une pratique visant à traiter le change comme une perturbation marginale.

Enfin, la mise en place récente et progressive des nouvelles normes comp-tables IFRS dérivées des pratiques en vigueur aux États-Unis (IAS39) im-pose désormais la réévaluation au prix de marché de tous les instruments

Année

Euro/dollar N 1 N N + 1

Cours budget

(fixé en fin d’année précédente, donc N – 2 pour N – 1, etc.)

1,21 1,26 1,32 Cours obtenu

(cours effectif de conversion des monnaies au cours de l’année) 1.20 1,27 1,30

Impact (en %)

compte de résultat financier (visible) + 0,8 – 0,8 + 1,5

compte d’exploitation (masqué) – 4,0 – 4,5 Impact du taux de change sur le compte de résultat financier

et le compte d’exploitation

Source : Auteur.

dérivés. Ce qui semble partir d’un louable sentiment visant à faire sortir des bilans les risques cachés a, en réalité, rendu impossible la couverture straté-gique voire budgétaire. En effet, ces normes ne s’appliquent qu’aux instru-ments de couverture et non pas aux sous-jacents : les factures futures pro-bables ne sont pas réévaluées à mesure que les parités de change s’ajustent à des niveaux différents. De ce fait, une société qui mettrait en place des couvertures de change à horizon de deux ou trois exercices face à une acti-vité probable mais non encore facturée devrait afficher les gains et pertes subis sur les produits de change, sans avoir la possibilité de les compenser au moyen des différences provenant de son activité réelle projetée.

Les analystes détestant la volatilité qui pourrait apparaître dans les comp-tes de produits financiers, ce phénomène constitue une incitation supplé-mentaire à ne rien faire.

C’est ainsi que la quasi-totalité des sociétés affirme couvrir les risques de change alors même qu’elles ne font qu’en subir les conséquences.

3.3. La formation des dirigeants

À ces phénomènes s’ajoute un déficit de formation au niveau des direc-tions générales d’entreprise. La complexité croissante des produits et pro-cédures financières a fini par masquer la simplicité des enjeux sous-jacents.

Le manque de compréhension manifesté au sommet de la hiérarchie para-lyse le circuit de décision, les échelons spécialisés ne se sentant pas proté-gés en cas d’initiative malheureuse, et surtout pas récompensés en cas de gestion efficace. À ce jeu, dont ils ne sortent que perdants, les cadres des directions financières optent généralement pour une gestion aussi discrète que possible. Or discrétion ne rime pas forcément avec efficacité.

3.4. Le cas des PME

A priori, les PME sont plus exposés que les grandes sociétés à l’ensem-ble de ces inconvénients. Leurs moyens humains sont moindres, leurs diri-geants moins généralistes, et leur accès aux marchés financiers plus problé-matiques.

Pourtant, l’expérience prouve que c’est dans ce segment que les politi-ques de change les plus stratégipoliti-ques sont réellement mises en place. À cela plusieurs explications :

• les dirigeants sont souvent partiellement propriétaires ou proches de ceux-ci, ce qui les rend plus sensibles aux intérêts capitalistiques de l’entreprise ;

• les circuits de décision sont plus courts ;

• les PME sont à l’abri de la pression que représentent les fluctuations de leurs propres titres sur les marchés d’actions ainsi que des opinions des analystes bancaires ;

• enfin elles ont peu accès à la solution la plus commune : délocaliser.

3.5. La solution classique : délocaliser

En effet, l’arme absolue face aux incertitudes des parités monétaires consiste à produire dans la monnaie de son client. Certes, il serait réducteur de ne pas tenir compte d’autres facteurs possibles – réduction des frais de transport, meilleure compréhension des clients finaux, possibilité d’accès à de la main d’œuvre qualifiée, travailleuse et peu coûteuse, contournement d’obstacles tarifaires et réglementaires divers. Mais il est clair que les ac-quisitions d’implantations à l’étranger se réalisent souvent lorsque les écarts des cours de change par rapport aux valeurs fondamentales deviennent très forts et donc insupportables. À cet égard les efforts récents d’EADS en vue d’acquérir une base de production en zone dollar sont symptomatiques d’un mouvement de fond qui concerne et concernera de nombreuses autres entités.

L’absence de gestion des risques de change stratégiques par les entrepri-ses constitue ainsi un des facteurs explicatifs des investissements réalisés en vue de déplacer les unités de productions dans des zones liées au dollar.

De 2002 à 2008, l’impact de la dépréciation du dollar par rapport à l’euro revient à apprécier relativement de 80 % environ par rapport à la zone dol-lar le coût unitaire d’un sadol-larié de la zone euro, toutes choses égales par ailleurs. Certes l’euro partait d’une position de sous-évaluation et un diffé-rentiel d’inflation favorable cumulatif de l’ordre de 5 % a exercé un effet compensatoire. Mais il serait illusoire de ne pas penser qu’un transfert d’ac-tivité significatif n’a pas résulté d’un tel glissement.

4. Quelles marges de manœuvre pour les banques

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