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Les marchés ignorent-ils les fondamentaux ?

Dans le document POLITIQUE DE CHANGE DE L EURO (Page 84-89)

2.1. Comment expliquer les déviations fortes par rapport aux fondamentaux ?

Il est courant de considérer tout mouvement de grande amplitude du marché comme un éloignement de supposées valeurs fondamentales. Pour-tant, à la différence des marchés action ou obligataires, le concept de valeur fondamentale est plus difficile à saisir en ce qui concerne les monnaies. En effet, la simple comparaison de données financières – inflation, taux d’inté-rêt, agrégats monétaires – ne suffit pas. Les déficits et excédents

commer-Source : Auteur.

Fonds souverains placement des excédents des pays émergents correspondant aux déséquilibres des balances courantes

Sociétés commerciales couverture des flux de commerce

et d’investissement

Fonds de pensions et gérants d’actifs acquisition des monnaies

d’investissement Banques centrales

gestion des réserves de change et interventions

Banques couverture des opérations de clientèle et spéculation limite Hedge funds

spéculation et arbitrage Influence

sur la tendance

Volumes traités

ciaux et les mouvements de la balance des capitaux exercent une profonde influence sur les cours de change et leurs déterminants ne sont pas aisément quantifiables. Ainsi, le niveau traditionnellement élevé du franc suisse n’em-pêche pas ce pays d’accumuler régulièrement des excédents commerciaux.

Ce qui pousse de nombreux consommateurs à acquérir une montre fabri-quée à Genève a peu de rapports avec les parités de change, alors même que ce flux d’achat soutient la monnaie. De la même manière, il est classique de comparer l’automobile italienne ou française, sensible à ses prix de vente, à ses concurrentes allemandes plus immunes.

Dans d’autres cas, des primes de risque spécifiques doivent être envisa-gées : une crise militaire à généralement tendance à soutenir le dollar et le franc suisse, valeurs refuges par excellence, et il est clair que l’euro, durant sa phase initiale, souffrait d’un déficit de crédibilité « existentiel » dans la mesure où cette monnaie hybride paraissait rapidement vouée à l’échec pour certains observateurs situés en dehors de la zone euro.

L’importance des facteurs qualitatifs et leur caractère nécessairement relatif et multipolaire rendent le concept de valeur fondamentale très déli-cat à appréhender, au-delà des constatations simples issues des parités de pouvoir d’achat.

La large dispersion autour des valeurs présentes des prévisions de change des instituts économiques et des banques incite ainsi les opérateurs de mar-ché à un minimum de méfiance par rapport au concept de valeur d’équili-bre. Une approche extrême consiste pour certains analystes à poser que la valeur fondamentale est celle sur laquelle le marché s’est fixé le jour même.

Nous n’irons pas jusque-là, dans la mesure où les grandes zones d’équilibre que constituent les parités de pouvoir d’achat et de taux d’intérêt, modèles connus des marchés, exercent une force de rappel claire lorsque des dévia-tions majeures se creusent. Néanmoins, le marché démontre souvent une capacité à s’éloigner durablement de ces valeurs d’équilibre.

2.2. Le traitement de l’information et son rôle dans la formation des anticipations

Si les opérateurs du marché sont généralement conscients de ce que les économistes considèrent comme les niveaux fondamentaux des parités de change, ils peuvent générer des comportements propres à s’en éloigner du-rablement.

Il existe au fond trois scénarios possibles, qui ne s’excluent pas mutuel-lement :

• la valeur fondamentale n’est pas considérée crédible par les marchés, notamment du fait de leur lecture des politiques monétaires ;

• des facteurs extérieurs à la sphère économique influent sur la forma-tion de leurs anticipaforma-tions ;

• un comportement mimétique cumulatif se met en place et s’auto-en-tretient.

Le premier cas se situe à l’intérieur de la frontière de la rationalité éco-nomique. En effet, les valeurs d’équilibres peuvent ne pas tenir compte de facteurs qualitatifs déterminants. Cela fait maintenant plusieurs années que les acteurs du marché des changes sont persuadés que les autorités moné-taires et politiques américaines font et feront tout leur possible pour entre-tenir un dollar faible. Dans ce cas de figure, la propension des acteurs à acheter du dollar, alors que sa sous-évaluation est un consensus bien établi, reste faible. Un autre facteur jouant contre le dollar est la crainte d’une dislocation de l’ensemble du système financier international pour le cas où les États-Unis ne parviendraient plus à financer le déficit de leur balance des paiements. La crise sur les marchés du crédit a renforcé cette anticipa-tion. Les baisses de taux de la Réserve fédérale depuis l’automne 2007 sont lues à travers ce prisme, renforcées par la chute récente des bourses.

Un phénomène similaire avait joué en défaveur de l’euro dans les an-nées 2000, puisque de nombreux gérants, notamment américains et issus des régions du Golfe, ont nourri des doutes significatifs quant à la durée de vie de l’euro, monnaie expérimentale. La faiblesse de la monnaie unique ne résultait pas seulement d’une analyse des inflations, taux d’intérêt ou ba-lances commerciales comparées.

Enfin, le marché des changes subit les conséquences de facteurs écono-miques parfois extérieurs à sa sphère d’analyse habituelle. Le dollar fut soutenu dans les années 1998-2000 par le gonflement de la bulle Internet et par les investissements directs ainsi générés. Depuis le début de la crise récente des marchés du crédit, un risque supplémentaire porte sur les mar-chés les plus périphériques. Si la théorie du découplage a pour l’instant protégé les pays émergents, il reste à démontrer qu’un approfondissement de la crise américaine – et sa contagion en Europe – ne va pas les affecter au point d’entraîner un recentrage simultané sur l’euro et le dollar.

Les événements étrangers à l’analyse économique propres à influencer le marché de l’extérieur sont généralement issus de la sphère politique au sens large. Le déclenchement des guerres du Golfe en 1991 et 2003, le putsch d’août 1991 en URSS, les attentats du 11 septembre 2001, ou plus récem-ment les estimations quant à la probabilité d’une crise majeure entre les États-Unis, l’Iran ou la Corée du nord en constituent des exemples. Classi-quement, le dollar sert de valeur refuge.

Les comportements mimétiques sont plus complexes à saisir, surtout dans la mesure où ils ne se manifestent pas systématiquement de manière visible.

Il existe tout d’abord d’indéniables tropismes de groupe, par nature d’ac-tivités et par localisations géographiques. Ainsi, les gérants de hedge funds communiquent énormément, à travers la distance qui les séparent, et tendent à développer des comportements moutonniers (jusqu’à un certain point) ; pire, les modèles de gestion eux-mêmes sont souvent conçus à partir de concepts voisins et tendent à générer des réponses qui se ressemblent, accroissant les

risques d’instabilité. Généralement la plupart d’entre eux ont le même sen-timent sur les principales monnaies, ce qui permet aux banquiers traitant leurs volumes d’estimer l’existence d’une macro-position courte ou longue en fonction des périodes.

Des places majeures comme Londres ou New York développent une psychologie collective qui leur est propre, lisant l’actualité à travers un prisme qui peut ne pas être compréhensible à partir d’un autre point d’ob-servation. Ainsi, la volonté affichée de la BCE de ne pas baisser ses taux suscite outre-Manche le sentiment que la zone euro sera moins à même de sortir de la crise actuelle que les États-Unis. Ceci pourrait paradoxalement affaiblir à terme l’euro, alors même que cette analyse est peu présente sur les places continentales.

Certaines régions du monde se signalent aussi par des tropismes spécifi-ques : pendant longtemps le dollar était la monnaie non officielle de tran-saction dans de nombreux pays, ainsi dans la zone du Golfe, en Russie ou en Amérique latine. Les opérateurs de ces zones ont longtemps tendu à acheter le dollar quelles qu’en soient les circonstances. Parfois des analy-ses contraires s’imposent en Asie, en Europe ou aux États-Unis et nous voyons clairement durant parfois plusieurs semaines les grandes monnaies suivre des tendances opposées au sein même d’une journée en fonction de la tranche horaire.

Enfin les véritables ruptures de marché sont représentées par les rares moments où l’ensemble des opérateurs non souverains, toutes catégories et localisations confondues, vient à partager la même anticipation.

Dans certains cas, ces mouvements ramènent à l’équilibre des marchés qui ont fortement divergé. Ainsi la crise récente, amenant le débouclage des positions de portage entre monnaies à taux élevés et celles à taux faible (carry trade), a permis une forte réappréciation du yen en ligne avec sa valeur fondamentale. Par contre, le mouvement a été rapide, ce que souhai-tent éviter d’ordinaire les autorités monétaires. Entre juin et novembre 2007, le yen a gagné 14 % contre dollar.

2.3. Les bulles spéculatives

Les cas les plus visibles de mouvements mimétiques de panique sont les bulles spéculatives : identifiées comme des divergences marquées, rapides et violentes par rapport aux valeurs fondamentales, la plus célèbre d’entre elles reste certainement la forte hausse du dollar à la fin de 1984, culminant le 25 février 1985 après un mouvement rapide de quelque 25 %.

Si le dollar était certainement déjà surévalué en 1984, soutenu par la politique monétaire agressive menée par Paul Volcker depuis 1979, cette accélération est typique d’une bulle. Outre les aspects psychologiques, s’ajoutent dans ces configurations les conséquences des appels de marge cumulés. Tout opérateur vendeur de dollar doit en effet ajouter à ses dépôts

chez les courtiers, du fait de la dégradation de la valeur de ses positions.

Ainsi, au fur et à mesure, les opérateurs placés dans le mauvais sens doi-vent liquider leurs positions de plus en plus rapidement, sous la pression cumulée des pertes grandissantes et de la diminution de leurs liquidités.

Vitesse, volumes et volatilités se conjuguent pour culminer au sommet de la bulle. À ce moment, toutes les anticipations sont généralement dans le même sens, les voix contraires ayant été étouffées par la violence même du mouvement.

Cette bulle se dégonflera d’elle-même, sans que les accords du Plazza, en septembre de la même année, aient pu exercer une influence puisqu’ils auront suivi de plusieurs mois le retour à la normale. Au contraire, ils con-tribueront à créer la bulle suivante qui mènera au krach de 1987, sur un fond de crise de confiance dans la monnaie américaine désormais au plus bas.

2. Taux de change dollar/deutschemark

Source : Réserve fédérale.

De manière très claire, nous n’avions pas ce type de phénomène en place pour la parité euro/dollar jusqu’en février 2008 : volumes et volatilités étaient tout à fait dans leurs moyennes historiques, alors même que les anticipa-tions des opérateurs étaient équilibrées. Mi-2008, l’accélération de la hausse de l’euro contre dollar vers des zones proches de 1,60 semble recréer le contexte d’une nouvelle bulle spéculative, liée désormais à une crise de crédibilité du système financier dans son ensemble.

1,5 1,7 1,9 2,1 2,3 2,5 2,7 2,9 3,1 3,3 3,5

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3. Quelle efficacité pour les entreprises quant aux

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