• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE IV. LES ARTEFACTS ROBOTIQUES

3. Quelle appropriation des artefacts robotiques ?

Dans ce paragraphe nous nous intéressons aux schèmes d’instrumentation et d’instrumentalisa- tion des artefacts robotiques.

La construction de l’instrument robotique se fait par tâtonnement, selon un processus d’instru- mentation et d’instrumentalisation que nous présentons dans les paragraphes qui suivent.

3.1. Le cas de Bee-Bot

a) Schème d’instrumentation, attaché à l’interactivité (la saisie et la rétroactivité)

Bee-Bot est un robot qui se programme par appui de ses touches et qui communique avec le monde extérieur en émettant un signal lumineux ou sonore.

L’appui sur une touche est souvent confirmé par un hochement de tête de l’élève qui programme. Au fil du scénario, l’appui se fait selon une représentation mentale de la disposition des touches, sans lecture de la sérigraphie des touches, avec le risque de confusion des touches de couleur identique comme la touche pause et la touche effacer.

Schème n°3 - Bee-Bot tenu tête bêche

Le placement tête-bêche du robot, qui n’est pas systématiquement repéré par les élèves, est source d’une grande confusion. En plaçant le robot ainsi, la touche ↓ est alors orientée vers l’avant ; l’appui sur cette touche correspond à un pas de programme entrainant un déplacement du robot dans le sens de sa nouvelle direction. L’erreur de sens est donc compensée par une in- version du sens de déplacement. Il n’en est pas de même pour le pivotement. En effet l’appui sur la touche ← correspond, cette fois-ci, à un pas de programme entrainant un pivotement dans le sens inverse du sens désiré, c’est-à-dire vers la droite du robot.

Bee-Bot est aussi un objet qui communique, « elle fait des petits bruits ». Lorsque la saisie n’est pas confirmée par l’émission d’un signal, les élèves retournent l’abeille et constatent que l’inter- rupteur de son est positionné sur OFF, « ah, quand j’appuie, elle fait pas de bruit. Ah non, celui-là, il est en OFF ».

Page 102

La confirmation de la saisie et le signalement de la fin d’exécution ne sont pas toujours observés par les élèves. Cela se constate par la répétition d’appuis sur la touche d’effacement, alors qu’un seul aurait suffi.

Le signalement d’exécution de pas n’est pas non plus toujours repéré par les élèves, alors que cette information prend toute son importance avec la saisie du pas correspondant à la pause (instruction NOP) et qui se traduit par une absence de déplacement. C’est l’enseignante qui aide les élèves à prendre conscience de cette confirmation sonore :

« Est-ce que vous avez remarqué quelque chose quand elle est en pause ? - Bip, un peu comme quand elle avance ou tourne. »

C’est cette information qui permet, par la suite, aux élèves d’optimiser leur programme en cons- tatant que trois instructions NOP avaient été insérées, alors qu’une ou deux instructions NOP au- raient été suffisantes, « mais, t’as mis trois fois pause ! »

La fin de l’exécution du programme est aussi signalée par le robot. En achevant son déplacement, l’abeille, « à la fin, elle dit j’ai fini ». Pour l’enseignante, l’abeille attend que de nouveaux ordres lui soient donnés, « ses yeux brillent. Peut-être qu’elle est là en train de dire : Et bien alors, qu’est-ce

que vous attendez pour me dire quelque chose ? »

b) Schème d’instrumentalisation, par utilisation du robot comme un jeton de dépla-

cement et/ou d’orientation (abeille-jeton)

Ce schème convoque l’artefact robotique qui est utilisé comme un jeton circulant le long du trajet prévu, comme médiateur de la programmation. Le robot est alors soit poussé sur le plateau, soit déplacé en étant porté légèrement au-dessus de sa surface.

Schème n°4 – Bee-Bot utilisé en jeton

Tenu en main, Bee-Bot est déplacé de cases en cases ; son déplacement est ainsi simulé. Cette simulation peut s’opérer avec un seul robot ou avec deux robots et dans ce dernier cas, elle permet aux élèves de s’assurer que la collision entre les robots est bien évitée.

FIGURE 17-BEE-BOT UTILISE EN JETON

Schème n°5 - Bee-Bot tenu par l’arrière

La tenue du robot par l’arrière pose problème, lors d’un pivotement. La Figure 18 illustre le cas d’un élève rencontrant des difficultés kinesthésiques à faire pivoter le robot.

Page 103

FIGURE 18-PIVOTEMENT DE BEE-BOT TENU PAR L'ARRIERE

Schème n°6 - Programmation de Bee-Bot utilisé comme abeille jeton

Le déplacement simulé peut s’accompagner d’appui sur les touches, assurant du même coup la programmation de ce robot. À chaque changement de case ou d’orientation, la touche correspon- dante est pressée. Le déplacement est ainsi traité, de case en case et de commande de déplace- ment en commande de déplacement.

Ce schème est fréquemment convoqué pour justifier un propos, en particulier dans les activités de programmation synchronisée.

Ce mode opératoire de programmation semble tellement efficace que certains élèves ne compren- nent pas qu’il puisse ne pas être systématiquement retenu. Les élèves signalent le risque pris par un élève à utiliser un autre mode opératoire, alors que cet élève fait le choix de programmer le robot sans le déplacer, « avance [l’abeille], c’est plus facile. Après on sait si on s’est trompé ou pas. Essaye. Mais, il va encore se tromper ! »

La médiation de programmation peut aussi ne concerner que l’orientation. Dans ce cas, Bee-Bot est positionné sur la case de départ d’où il ne peut que pivoter sur lui-même. Le trajet est parcouru en pensée et accompagné du regard par l’élève qui programme. À chaque changement d’orienta- tion, le robot est pivoté sur lui-même, prenant la direction du trajet et la touche de pivotement est pressée. En cas de changement de case, la touche de déplacement est pressée, mais cette fois- ci, sans déplacement du robot.

Schème n°7 - Programmation de Bee-Bot en pensée

Bee-Bot est aussi utilisé dans une activité de simulation de programmation proche de celles venant d’être décrite. Cette activité consiste à élaborer en pensée le trajet, à le suivre des yeux et à simuler une pression sur la touche correspondant aux changements de case ou de direction, en confirmant l’appui « tac, tac, tac ». Les élèves sont interpellés par l’enseignante, « vous allez vous en souvenir ?

Parce qu’avec tac-tac-tac, [rire de l’enseignante] ».

c) Difficultés d’appropriation des artefacts robotiques

Positionnement tête-bêche du robot

Bien que les grands yeux placés à l’avant donnent une orientation au robot, celle-ci n’est pas tou- jours repérée par les élèves. Lorsque le robot est placé tête-bêche, la saisie est latéralement inver- sée, mais reste autorisée par le robot. Le déplacement du robot est alors correct sur l’axe avant/ar- rière, mais incorrect sur l’axe gauche/droite.

Page 104

Bee-Bot impose la saisie des commandes de déplacement avant l’appui de la touche GO. En début de scénario, l’appui sur la touche GO a souvent précédé l’appui sur la touche de déplacement. Confusion opératoire entre touches

Les touches de saisie du robot Bee-Bot sont catégorisées selon trois couleurs, semblant signifier l’existence de trois classes de touches, les touches de translation/pivotement de couleur orange, la touche d’exécution de couleur verte et enfin les touches pause et effacement de la mémoire de couleur bleue.

Ces deux dernières touches, de même couleur, ne relèvent pourtant pas de la même catégorie fonctionnelle. La touche pause relève de la catégorie des commandes d’écriture, au même titre que les commandes de translation/pivotement alors que la touche d’effacement relève des touches de manipulation du programme.

Le fait que ces touches aient la même couleur et qu’elles soient disposées symétriquement l’une par rapport à l’autre, est à l’origine de confusions de saisie.

Mémoire occupée

La gestion de la mémoire a posé problème aux élèves en début de scénario. La saisie des com- mandes étant cumulative, le nouveau programme saisi vient s’ajouter au programme déjà exis- tant, sans possibilité de savoir si effectivement la mémoire est vide ou non. Pour éviter ce pro- blème, les élèves développent un schème d’effacement systématique de la mémoire, en faisant précéder toute programmation d’un appui sur la touche effacer.

Pivotement autour de l’axe

La commande à gauche ou à droite est interprétée par le robot comme un pivotement d’un quart de tour autour de son axe central. La représentation de cette commande sur les touches de pivo- tement, mais aussi sur la carte du jeu de cartes, est fréquemment interprétée par les élèves comme une combinaison de deux commandes, une commande de pivotement et une commande de translation.

3.2. Le cas de THYMIO

a) Schème d’instrumentation

L’instrumentation du robot Thymio est analysée selon les quatre unités élémentaires constituant la boîte noire qui le représente (Figure 53).

• L’unité des capteurs

Les capteurs de proximité arrière et avant sont identifiés, « quand les radars sont rouges, ça veut dire qu’il détecte quelque chose ». Ils sont désignés par de nombreux mots, caméra, radar, cap- teur. Ils sont localisés, « il a des radars à l’arrière, à l’avant et en dessous, qui lui servent à détecter les obstacles pour les éviter ».

Des capteurs de sol sont présents à l’avant du robot et lui permettent de détecter le vide, « c’est parce qu’il n’en a pas qu’il ne peut pas détecter la présence du vide en marche arrière », « il a des radars en dessous. À l’arrière il n’a pas de détecteur, du coup il tombe dans le vide ».

Page 105

Il réagit aussi au bruit, « il réagit un petit peu aux claquements de doigt ».

Le robot a la capacité à détecter la présence d’objets divers. L’information de présence peut alors être transformée en savoir, « il détecte les trous et les murs. Grace aux radars, il sait qu’il y a un obstacle ».

Les encouragements ou les commandes à destination du robot sont divers et montrent que la frontière entre entendre et comprendre n’est pas toujours simple à identifier. Quand le robot heurte la tour, il est réprimandé « espèce de vaurien ». Quand, au contraire il parvient à en faire le tour, il est félicité, « eh, Thymio il est doué ! ». Il est considéré comme un robot un peu récalci- trant, « ah ben voilà ! ». Il est sensible aux ordres, « arrête Thymio, tu vas être grondé. Roule Thy- mio. Roule mon petit Thymio ».

La distinction entre l’obéissance et la capacité à réagir est parfois hésitante, « ici Thymio ! », « il obéit à la voix. Oui, il réagit à la voix, hein ».

• L’unité de traitement

Le robot est doté d’une autonomie qui lui permet d’entreprendre des actions de manière sponta- née, « oh ! Il a dessiné. Sauf que je ne sais pas ce qu’il a dessiné. On le laisse apprendre », « on a fait un circuit et il s’est garé », « démarre. Allez ! Il veut plus. Eh ! Mais il s’arrête ». Dans certains modes, il pousse les obstacles sans pouvoir être contrôlé, « quand il est jaune, il n’en fait qu’à sa tête » ou alors il les évite « dès qu’il est attaqué, il recule ».

Thymio est en mesure d’éprouver des sentiments qui le font réagir, « après, du coup comme il avait peur, il restait. Il s’arrêtait et il ne bougeait plus ».

Une fois l’objet détecté, il décide de sa réaction en fonction de la nature de l’objet ou de la con- naissance qu’il en a, « il connait les Kaplas », « après, le Thymio va contourner la tour parce qu’il voit que c’est un obstacle ».

Il est en mesure d’anticiper son action en fonction de l’analyse qu’il se fait de l’objet, « les capteurs remarquent qu’il y a un objet devant, quelque chose qui va bouger, il va essayer de le rattraper », « ah, il y a un objet devant moi », « donc après il va voir ».

Il s’arrête au bord de la table, car il a la capacité à remarquer la présence du rebord et à constater le risque de tomber. S’il s’arrête, « c’est parce qu’il y a le rebord ».

• L’unité des actionneurs

Le robot cherche à communiquer ou à signaler ses intentions, « quand il y a une couleur, il nous dit des choses. Il nous dit où il va ». Les actionneurs lui permettent de se déplacer, « il peut rouler, avancer, s’arrêter, se retourner, reculer, s’arrêter », « en violet, il peut accélérer ». Mais quand il est bloqué, « quand il ne peut plus aller nulle part, il y a une alarme ».

Il est capable d’exprimer des sentiments. Il pleure quand on lui crie dessus. Le terme émotion est souvent utilisé pour qualifier le comportement du Thymio, « la couleur rouge est la seule émo- tion ». Le terme émotion est remis en question : « Je ne dirais pas que c’est ses émotions. Il change tout le temps de couleur. Il ne peut pas changer d’émotion à chaque fois. »

Page 106

• L’unité d’interface

Les élèves constatent que le bouton central permet de changer la couleur du Thymio, et que cela a un impact sur le comportement du robot.

Dans le mode associé à la couleur violette, Thymio peut être commandé et guidé par appui sur ses touches capacitives, « les flèches quand tu appuies dessus, il comprend, « tourne à gauche ou tourne à droite. C’est ça son langage ». Dans les autres modes, ces touches sont sans effet, « je touche la flèche droite, il ne va pas tourner ».

b) Schèmes d’instrumentalisation de THYMIO

Les élèves réinvestissent des objets usuels de la classe (trousse, bâton de colle, stylo) pour mettre en scène le robot, tendant à confirmer une appropriation du robot dans le cadre des activités. Le robot Thymio subit des transformations de son fonctionnement rendant inopérant un des cons- tituants du robot comme un actionneur ou un capteur. La Figure 19 donne un exemple d’utilisation de ce robot dans un mode non prévu, dans lequel ses capteurs avant et arrière sont recouverts de papier noir. Un test semblable avait été effectué en tout début de scénario lorsque Thymio était recouvert de sa boîte de rangement (Figure 20).

FIGURE 19-CAPTEURS DU THYMIO RECOUVERTS DE PAPIER NOIR

FIGURE 20-THYMIO PLACE SOUS SA BOITE

En recouvrant Thymio de papier noir, les élèves rendent ses capteurs, totalement ou partielle- ment, inactifs, « on bouche les radars ». Ils constatent alors que, posé sur le sol, le robot heurte les obstacles qu’il ne détecte plus. Cela permet aux élèves d’étudier le fonctionnement de capteurs de sol en ayant isolant d’autres capteurs, de proximité.

Thymio est utilisé comme un outil de médiation de l’activité. Pris en main, soulevé du sol, approché ou éloigné de différents objets, ses réactions sont observées par les élèves (Figure 21). Son dépla- cement est maitrisé par l’élève qui l’a en main. Les actionneurs moteur sont alors isolés.

Page 107

FIGURE 21-THYMIO, INSTRUMENT D’ANALYSE DE L’ENVIRONNEMENT

3.3. Quelle portée des schèmes ?

Le contexte pédagogique de travail en groupe, favorise l’émergence de schèmes sociaux d’utilisa- tion. Ces schèmes peuvent avoir trois portées différentes : une portée heuristique (tournée vers la compréhension des situations), pragmatique (tournée vers la transformation de la situation et l’obtention de résultats) ou épistémique (orientant et contrôlant l’activité) (Rabardel, 1995).

a) Portée heuristique

Les robots Thymio et Bee-Bot permettent d’inventer. Les élèves imaginent des situations dans les- quelles, ces robots sont manipulés de façon inattendue. Bee-Bot est ainsi fréquemment utilisé comme abeille-jeton dans les activités de programmation par déplacement ou dans des activités de simulation de déplacement. De son côté, Thymio est utilisé comme un instrument en étant pris en main et soulevé du sol afin de tester son environnement (Figure 21).

b) Portée pragmatique

Les robots permettent aux élèves de faire. Les robots exécutent le programme qu’ils contiennent. Ils réalisent le déplacement programmé et peuvent le refaire. Ils permettent aux élèves de vérifier leurs hypothèses.

c) Portée épistémique

Les robots permettent de comprendre aux élèves ce qu’ils font. Bee-Bot confirme la justesse du programme en réalisant un déplacement correct ou signale une erreur en réalisant un déplace- ment non attendu, invitant les élèves à se lancer dans une activité de débogage. La rétroactivité et l’interactivité de Thymio permettent aux élèves de comprendre le fonctionnement du robot Thymio. Le robot est le médiateur d’une connaissance qui s’élabore.