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QUELLE ÉVOLUTION DE LA CHINE PEUT-ON PRÉVOIR ?

Dans le document ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT (Page 75-79)

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de

III. QUELLE ÉVOLUTION DE LA CHINE PEUT-ON PRÉVOIR ?

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links. De fait, oui, il peut y avoir d’autres partenaires parce qu’il y a trente-cinq pays dans le monde qui ont annoncé avoir des réserves de terres rares.

Ce qui fait évoluer l’offre de la Chine, c’est aussi sa demande intérieure.

Aujourd’hui, la Chine réorganise son business model, avec moins d’exportations, moins d’appels à des investissements directs étrangers, en recentrant de son économie sur sa consommation intérieure. Et c’est forcément un facteur d’évolution très fort de l’offre de terres rares.

La question n’est pas de savoir si nous aurons accès à des terres rares, à des oxydes ou à des minerais. Nous aurons toujours accès à des terres rares, mais sous quelle forme ? Nous aurons accès à des terres rares mais sous des formes plus ou moins évoluées, sous forme d’aimants ou sous forme de produits finis.

Et pour ce qui est de l’accès à d’autres ressources chinoises, je constate en réalité que pas grand-chose ne change, qu’il soit question de mettre en place des quotas ou pas. La Chine continue de rester, et probablement a envie de rester, maîtresse de l’offre en nous rendant plus difficile l’accès, viable économiquement, à des ressources hors de Chine.

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Monsieur Éric Noyrez, vous connaissez bien les relations avec la Chine, mais aussi les positions respectives du Japon, de l’Allemagne et des États-Unis. En raison des éminentes fonctions que vous avez pu exercer, cela nous intéresse d’avoir votre regard.

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas. Si je prends simplement le cas de la Chine, ses objectifs sont de soutenir sa croissance. Je pense que je n’apprends rien à personne mais il faut quand même se rendre compte que ce sont quinze ou seize millions de voitures qui ont été produites l’année dernière pour son propre marché intérieur – et je ne parle pas des téléphones, des énergies renouvelables et autres. Soutenir sa croissance reste la ligne directrice de la Chine.

La Chine est confrontée, comme tous les autres pays, aux fameuses analyses de risques, qu’ils soient politiques, économiques, technologiques, sociétaux, légaux, environnementaux, avec éventuellement des échelles de temps qui sont bien plus rapides que tout ce que l’on a pu faire jusqu’à présent.

Elle veut donc rendre sa production durable. Lorsque la Chine, du point de vue du gouvernement, décide de créer six acteurs (« un plus cinq ») pour concentrer sa production, pour la rendre plus propre, elle est très sérieuse. Elle ne va peut-être pas assez vite, mais elle va certainement beaucoup plus vite que tout ce qu’on a pu faire dans l’histoire d’extraction minière dans nos pays.

En 2004, je recensais dans une société bien française que nous avions une short list, une liste courte, de fournisseurs qui présentait six-cents noms. Trois ans après, il y en avait cent-cinquante et deux ans plus tard, il n’y en avait plus que cinquante. La concentration a démarré il y a déjà fort longtemps. La volonté d’apurer, de nettoyer cette chaîne, bien entendu, est réelle, même si elle n’est pas assez rapide.

La Chine veut clairement s’intégrer sur toute la chaîne. Elle a besoin de technologies. Je ne vois pas très bien comment nous pourrions contester son souhait de développer sa propre technologie. On peut éventuellement ne pas aller assez vite soi-même, mais c’est autre chose. Elle veut s’intégrer sur toute la chaîne et, donc, absolument investir sur l’extraction des terres rares et sur tout ce qui va se développer à partir de l’extraction, c’est-à-dire tout ce qui est avant le produit fini : toute la chaîne de production des métaux, des alliages, des sous-ensembles qui vont ensuite se transformer en écrans, en voitures et autres.

Je parlais de compétence. Il y a 4 000 à 5 000 doctorats qui sont labellisés « terres rares » par an. On peut discuter si ce sont 3 000 ou 6 000, ce n’est vraiment pas très important, mais c’est quand même une volonté de développer de la compétence dans un domaine où la Chine est déjà compétente. Je ne suis pas sûr que nous ayons ce même effort dans nos propres pays pour pouvoir tenir cette connaissance, voire la retrouver.

Enfin, pour terminer sur les besoins, finalement sur les actions concrètes de la Chine : ce pays investit et veut sécuriser ses besoins sur son propre terrain et, évidemment, à l’étranger. Sa tentative de reprise de Lynas en 2009, ainsi que ses 46 % de la société Northern Minerals le montre. Elle investit sur des gisements terres rares lourdes. On vient de parler du Groenland. Il y a d’autres projets en Afrique du Sud où la Chine investit pour sécuriser ses besoins futurs, dans des mines et des gisements de terres rares.

Le moyen pour y parvenir, ce sont bien sûr les acteurs, mais aussi le gouvernement lui-même. Le gouvernement est actif. Tous les six mois, il y a un ajustement, une modification des règles qui régissent ces terres rares pour essayer de s’adapter à la situation.

Le Gouvernement est souvent réactif. Tous les six mois, cela permet de bien corriger, d’un point de vue fiscal, d’un point de vue des regroupements, le comportement des acteurs et d’empêcher certains acteurs de bouger dans une zone ou dans la technologie. Les laboratoires de développement des terres rares en Chine sont souvent des laboratoires d’État, indépendants des fournisseurs.

En réaction, le Japon a investi, soutenu, pris des contrats d’enlèvement, voire subventionné de la recherche y compris en amont. L’Allemagne, avec des acteurs comme BASF ou Siemens, crée des relations contractuelles. La France, en 2004, s’est rendu compte, mais pour d’autres raisons, que la qualité du sourcing des terres rares de Chine était un vrai problème. Et c’est en mai 2005 que les premiers accords d’intention – et en 2007, les accords finaux – se sont faits entre une société qui s’appelait à l’époque Rhodia et une nouvelle société qui s’appelait Lynas.

Donc, la France aussi a été capable, en son temps, à travers ses acteurs de dire : « Je vais avoir besoin de sécuriser mes besoins futurs, et pas les moindres, hors de Chine puisque j’ai des activités aussi hors de Chine ». Ces accords ont été publiés, donc ils sont connus.

Mais il y a eu quand même des réactions qui ont été faites par un certain nombre d’acteurs.

M. Patrick Hetzel. Monsieur Christmann, comment voyez-vous l’approche globale industrielle de la filière en Chine ?

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Je pense que les choses ont déjà été dites et très bien dites par M. Noyrez. Je rajouterai simplement que je vois dans l’évolution de la Chine une intégration verticale.

De plus, la Chine est confrontée à une problématique majeure qui est celle des limites que lui impose son environnement naturel : ses problèmes de pollution, son problèmes de ressources en eau, ses problèmes de terres fertiles. Cela amène la Chine à

devenir un acteur majeur des marchés internationaux. L’avenir minier de la Chine ne sera probablement pas tellement en Chine qu’à l’étranger. On voit que la Chine cherche à investir dans un certain nombre de projets potentiels pour terres rares à l’étranger. Ce sera de plus en plus le cas dans beaucoup de projets de matières premières minérales. Elle sera un acteur absolument majeur et incontournable de l’industrie minière métallurgique mondiale des années à venir.

Notre positionnement en tant qu’Européens dans ce contexte reste pour moi une grande question et un grand mystère. Je serais bref pour une fois.

M. Patrick Hetzel. Monsieur Christian Hocquard, pourriez-vous commenter l’évolution de la position chinoise ?

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. Ce qui est intéressant, c’est de voir la vitesse de réaction de la Chine lorsqu’il y a des évolutions sur les marchés, en particulier dans le cas des terres rares.

Il faut étudier sa réaction à sa condamnation par l’OMC, sa réaction à toute cette production artisanale et ces exportations illégales qui sont absolument considérables puisqu’elles dépassent même les quotas totaux d’exportation de la Chine. Et puis sa réaction à l’ouverture de nouvelles exploitations de terres rares hors de Chine.

La condamnation par l’OMC était une condamnation des taxes chinoises à l’exportation qui introduisaient une distorsion discriminatoire en donnant un avantage déloyal aux consommateurs locaux de terres rares. La Chine a supprimé ses quotas d’exportation, le 1er janvier, et ses taxes à l’exportation le 2 mai. Mais aussitôt, elle a remplacé ces quotas et taxes à l’exportation par de nouveaux quotas et de nouvelles taxes, mais cette fois sur la production.

Il y a donc maintenant des quotas sur la production, qui vont évoluer tous les six mois. Ils sont à 50 000 tonnes pour les six premiers mois de l’année. Et puis il y a de nouvelles taxes sur la production qui concernent, cette fois-ci, les concentrés miniers, avec une forte disparité entre les terres rares légères et les terres rares lourdes. Les concentrés miniers en terres rares légères contenus vont être imposés à 11,5 % et les concentrés en terres rares lourdes à 27 %. Il va falloir attendre pour en connaître les conséquences. Le prix des terres rares devrait augmenter quand même dans un relatif court terme à la suite de l’augmentation des coûts de production locaux.

Si l’on examine la consolidation de la production, on constate qu’il y a deux grands pôles avec six producteurs. Vers le Nord, pour les terres rares légères, c’est autour de Baotou et c’est ficelé. Mais en revanche, pour le Sud, il reste encore cinq grands producteurs avec des grands noms comme Minmetals, Chinalco ou Wuyuan Runze Rare Earth et, à mon avis, la consolidation est encore loin d’être faite. Pour les petites mines artisanales qui alimentent le marché illégal, aux alentours de 40 000 tonnes par an quand même, ce qui est énorme, il y a encore 1 500 petites exploitations à éradiquer.

Il y a encore beaucoup de travail à faire. On parle depuis longtemps de la consolidation. Cela fait à peu près quinze ans et c’est récurrent. Mais cette fois-ci, il semble que les choses soient beaucoup plus avancées. Et puis, ce qui est intéressant, c’est la volonté chinoise de mettre la main sur des gisements hors de Chine. Nous avons eu le cas avec Lynas, avec le blocage en 2009. Et puis il y a la participation dans le grand gisement de Kvanefjeld, au Groenland. C’est un gisement assez considérable, à la fois en uranium et en terres rares, qui nécessiterait un investissement qui dépasserait 1,3 milliard de dollars. C’est vraiment un projet pharaonique. Aura-t-il lieu ? Nous n’en savons rien.

Ce qui est assez intéressant, c’est que normalement, les concentrés, dans une première étude, devaient être envoyés en Chine pour être traités en Chine. Mais aujourd’hui, la société chinoise concernée envisage de construire l’usine de séparation et de purification au Groenland même, à proximité de l’exploitation minière. La situation évolue donc.

Nous avons aussi l’exemple intéressant d’une société chinoise qui a pris une participation dans le projet Tantalus, à Madagascar, où Thyssenkrupp est également partenaire avec Anotech. Nous voyons que malgré sa condamnation par l’OMC, la Chine a réussi donc à conserver le contrôle de sa chaîne d’approvisionnement des terres rares, tout en cherchant à l’étendre et à la consolider beaucoup plus loin au niveau mondial.

On a vécu, il y a longtemps, des situations similaires sur le contrôle complet de la Chine sur le tungstène, dans les années 1980. Cela avait « coulé » complètement toutes les exploitations de tungstène mondiales malgré des mines tout à fait intéressantes et relativement riches, en mettant sur le marché des produits de tungstène de plus en plus évolués et de moins en moins chers. On arrivait presque à un paradoxe que le produit évolué valait presque moins cher que le concentré minier.

Ce qui est aussi intéressant, c’est que la Chine consomme de plus en plus de terres rares. Ainsi, si elle limite maintenant sa production de terres rares sur son territoire – il ne faut pas oublier qu’elle en consomme déjà 70 %, avec une croissance de 6 % par an –, elle n’aura normalement plus de terres rares à exporter d’ici 2025-2030.

C’est en cela qu’il est absolument fondamental de s’intéresser à l’ouverture de gisements et de suivre de près ce qui se passe autour de Molycorp actuellement et de Lynas.

M. Patrick Hetzel. Merci beaucoup pour cet éclairage. Vous avez pu le noter, la matinée a été dense. Vu l’heure avancée, puisqu’il est déjà 13h15, je vous propose de clore cette matinée d’échange. Nous aurons l’occasion de poursuivre les débats à partir de 15 heures puisqu’il y a encore deux autres tables rondes. L’une porte sur la question du cycle de vie et l’autre sur la question des rôles respectifs possibles de la puissance publique et des industriels.

TROISIÈME TABLE RONDE :

L’INTÉRÊT D’UNE APPROCHE BASÉE SUR LE CYCLE DE VIE Présidence de Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur de l’OPECST

I. QUEL EST L’INTÉRÊT DE PRENDRE EN COMPTE LE CYCLE DE VIE DES

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