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Philippe Schulz, expert leader Environnement, énergie et matières premières

Dans le document ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT (Page 30-35)

cela concerne 4 millions de tonnes de matières premières, qui sont achetées directement ou indirectement chaque année, et que ces matières premières contiennent également environ soixante éléments de la table périodique. Donc, évidemment les risques pour l’industrie automobile sont multiples. Pour nous, le premier enjeu, c’était de développer des outils nous permettant d’identifier ces risques de manière à ne pas gérer une crise à chaud sans avoir un plan de sécurisation.

Dès 2009, Renault a mis en place une méthodologie permettant d’appréhender ces risques pour l’ensemble des métaux qui sont concernés, sachant que les risques identifiés portent non seulement sur l’approvisionnement en matière primaire, mais aussi bien sûr, sur les composants intermédiaires et les matières transformées. C’est bien là que se situent, dans la plupart des cas, les risques. Nous avons traversé plusieurs crises depuis 2011, tout le monde se souvient de la crise des terres rares, nous en avons parlé, mais nous avons aussi traversé d’autres crises comme le tsunami au Japon, les inondations en Thaïlande, qui ont fortement bouleversé nos chaînes globales d’approvisionnement.

Ces plans de sécurisation, quels sont-ils ? Sur le cas spécifique des terres rares, nous avons publié cette démarche qui visait à réduire de 65 % notre demande en terres rares entre 2011 et 2016. Ce plan est global au niveau de l’Alliance Renault-Nissan. Concrètement nous avons opté, dès 2008, pour un moteur électrique sans terres rares, ce qui est une spécificité dans l’industrie automobile. Nous avons des technologies de moteur à rotor bobiné, dont la toute dernière génération, d’ailleurs 100 % française, et localisée à Cléon, nous prémunit contre tout risque lié à cette technologie d’aimant permanent.

Le point essentiel pour sécuriser nos approvisionnements, c’est aussi de partager les expériences au sein de la filière automobile puisque, pour nous, la chaîne d’approvisionnement passe souvent à travers six ou sept fournisseurs. C’est une mission que nous ne pouvons pas avoir seuls, mais à travers l’ensemble de la filière et entre secteurs industriels. Nous soutenons, en particulier, les efforts entrepris par le COMES, notamment, car la mutualisation des risques passe par une intelligence sur les matières premières qui ne peut pas être le fait, simplement, d’initiatives industrielles isolées. Il est absolument essentiel de partager toutes les informations disponibles entre industriels, de manière à mieux nous protéger contre les risques futurs.

Ces risques futurs sont pour nous, liés à l’évolution du marché automobile. Nous allons passer d’un marché mondial qui était de 50 millions de véhicules par an en 2000 à un marché de 100 millions de véhicules par an en 2018, avec des technologies qui sont de plus en plus sophistiquées. Nous devons nous préparer, après la révolution du « zéro émission », à la révolution du véhicule connecté, du véhicule autonome, qui nécessiteront également d’autres métaux stratégiques.

Mme Delphine Bataille. Après cette approche globale et compte tenu des réflexions des utilisateurs que nous venons d’entendre, nous allons aborder la question plus spécifique des besoins stratégiques et des risques de pénuries. M. Patrice Christmann va nous dire quelle leçon peut être tirée de l’évolution de la demande et de l’évolution des technologies.

II. QUELS SONT LES BESOINS STRATÉGIQUES ET LES RISQUES DE PÉNURIE ?

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Depuis le début du XXe siècle, le profil de notre demande a littéralement explosé, tant en diversité de matières premières, dont l’économie a besoin, qu’en quantité. Les moteurs de cette explosion sont l’évolution démographique qui est loin d’être terminée puisque nous attendons encore 3 milliards d’humains en plus sur cette planète d’ici 2050. L’autre élément du moteur c’est l’élévation du niveau de vie et les mutations technologiques dont nous avons abordé un certain nombre d’exemples ici.

Au début du XXe siècle, nous utilisions en gros une dizaine de métaux de façon courante. Aujourd’hui, nous utilisons l’intégralité du tableau de Mendeleïev, moins quelques éléments qui existent en quantités extrêmement faibles et qui n’ont pas véritablement d’usage.

Les métaux, aujourd’hui, jouent des rôles de plus en plus diversifiés, parfois surprenants. J’entends beaucoup d’opposants à l’industrie métallurgique et à l’industrie minière. Mais ces opposants ignorent parfois que les métaux jouent un rôle majeur en matière de protection de l’environnement et en matière de gain d’efficience énergétique. Les métaux sont au cœur de la transition énergétique, par exemple, et au cœur d’une évolution vers une économie plus circulaire.

Les problèmes majeurs d’aujourd’hui sont la vitesse d’évolution des technologies, le volume et la composition des déchets à traiter d’ici cinq ans, dix ans, vingt ans. La recherche a pour objectif non pas de trouver une solution à un problème immédiat, mais d’anticiper le futur. Or cela devient extrêmement difficile. M. Alain Rollat a cité l’exemple tout à fait révélateur des ampoules fluorescentes compactes et de l’europium. Nous avons tous écrit, il y a trois, quatre ans que l’europium était un métal critique. Or sa criticité est en train de disparaître simplement parce que la technologie LED évolue beaucoup plus rapidement. Nous sommes en train d’être débordés par nos propres innovations. C’est une question importante qui va conditionner des investissements et entraîne le développement d’une filière de recyclage avec la collecte, la déconstruction, les installations de traitement métallurgique. Ce sont souvent des investissements qui se chiffrent en centaines de millions d’euros.

Je reviens à la question de l’intelligence minérale qu’a évoquée M. Philippe Schulz.

Nous sommes aujourd’hui encore, en France, très faibles dans ce domaine pourtant majeur, notamment si je compare ce que fait l’Allemagne, où je note qu’une unité du service géologique fédéral allemand, la DERA (Deutsche Rohstoffagentur) emploie une dizaine de personnes qui fournissent de l’intelligence économique à l’ensemble de l’industrie allemande. Nous sommes loin d’être dans cette situation en France et je le regrette infiniment.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Monsieur Didier Julienne, pouvez-vous nous faire partager votre expérience sur les crises de métaux stratégiques du passé et sur le trading ?

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles.

Il y a environ une vingtaine d’années, je travaillais dans l’unique entreprise française de métaux stratégiques qui s’appelait à l’époque le Comptoir Lyon Alemand Louyot et qui était l’un des leaders mondiaux dans les platinoïdes, dans certaines terres rares et d’autres métaux.

Elle a, hélas, disparu suite à une décision actionnariale.

À cette époque, il y a donc une vingtaine d’années, imaginer d’augmenter la production de platinoïdes de plus de quatre fois en vingt ans, c’était beaucoup en peu de temps, car il faut vingt ans pour développer une mine. À cette époque, il fallait développer l’industrie minière des platinoïdes pour pouvoir répondre à la dépollution automobile. Mais cette expansion fut faite parce que l’industrie minière avait des mines de platine déjà en production, il n’y avait pas de nouvelles découvertes à faire en urgence et, si j’ose dire, il n’y avait qu’à prolonger des galeries existantes.

Et pourtant, cela se finança mal. Les premiers objectifs de production de l’époque ont été réalisés à environ 70 %, tandis que le prix du platine a été multiplié par cinq. Les taux d’intérêt sur les marchés, qui nous ont permis de gagner beaucoup d’argent, ont bondi d’environ 1,5 % à plus de 300 % pour le palladium – à 300 %, le taux d’intérêt paye donc trois fois le capital – entre 1996 et 1997. Ils bondirent à environ 100 % en 1996 pour le platine, avant de se stabiliser entre 40 et 60 % pendant près d’un an entre 1999 et 2000. Ceci est à comparer avec les taux d’intérêt dont a souffert la Grèce, il y a environ deux ans, et qui étaient, à ma connaissance, au maximum, de 20 à 30 %.

Fort heureusement, le marché fut sauvé par le trading. Les sociétés de négoce offrent les bénéfices d’une invasion sans la guerre militaire. Elles connaissent leur marché, font de l’intelligence économique et elles ont des stocks. Ce sont donc deux armes, intelligence économique et stock, que nous avions à l’époque en France. Cette société, située dans le Marais, employait à l’époque, en Europe et dans le monde, environ 5 000 personnes et sa première usine était à Noisy-le-Sec.

Ce n’est qu’après cette longue période de près de dix ans que le recyclage de l’automobile se généralisa parce que récupérer 3 à 5 grammes de platinoïdes par voiture était possible, notamment dans les fours des mineurs en Afrique du Sud. Nous avons donc, à cette époque, récupéré des pots catalytiques en Europe et dans le reste du monde, qui furent traités en France, en Europe, aux États-Unis et expédiés jusqu’à Johannesburg.

Malgré cette antériorité, à ce jour, à ma connaissance, le taux de récupération du platine dans les pots catalytiques n’est que d’environ 40 % dans le monde, et de 60 % pour le palladium. La différence s’explique par l’utilisation du platine dans les diesels en Europe et du palladium dans les moteurs à essence dans le reste du monde.

L’industrie minière des platinoïdes est à présent stabilisée tandis que celle des terres rares est en effervescence ou peut-être pourrions-nous dire, en « deffervescence » si ce mot a un sens. L’industrie des platinoïdes a été sauvée parce qu’il y a eu des partenariats interentreprises. Ce n’est pas encore le cas dans les terres rares. Le négoce a sauvé les platinoïdes parce qu’il existait des stocks, mais ceux-ci sont inexistants dans les terres rares.

Je parle de terres rares, parce que c’est le thème d’aujourd’hui, mais tous les autres métaux stratégiques qui ont déjà été nommés sont dans le même cas. Le recyclage est en vitesse de croisière, mais faire exploser un disque dur pour en récupérer les aimants permanents, c’est compliqué.

La semaine dernière, j’ai participé au dialogue stratégique informel entre la France et la Chine, avec les officiels chinois qui accompagnaient le Premier ministre chinois. J’ai posé la question suivante : « Pourquoi une société chinoise, que je ne nommerai pas ici, qui dispose déjà à profusion de gisements de terres rares en Chine, souhaite-t-elle absolument

s’approprier la production du futur gisement de terres rares du Groenland ? Ne serait-il pas plus approprié de les exploiter ici en Europe ? ».

Mme Delphine Bataille. Monsieur Maurice Leroy, vous êtes à l’École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, et vous allez nous parler des risques de pénurie en matières premières.

M. Maurice Leroy, professeur émérite à l'École européenne de chimie,

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