• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5. Conclusion et perspectives

5.3 Que révèlent les projections futures d'OSMOSE-MED ?

Les précédents travaux de modélisation conduits en Méditerranée ont projeté des changements biogéographiques de la biodiversité marine (des poissons côtiers plus précisément) face au changement climatique (Albouy et al., 2012, 2013; Ben Rais Lasram et al., 2010). Ces travaux alors pionniers, basés principalement sur des approches corrélatives via la modélisation d'enveloppes climatiques, ont toutefois

négligé un certain nombre de processus écologiques structurants et ne permettaient pas d'inférer les changements d'abondance des espèces et les flux trophiques qui les relient (Pellissier et al., 2013; Urban et al., 2016). Dès lors, OSMOSE-MED constitue une approche complémentaire à l'étude des réponses écosystémiques de la Méditerranée face aux changements globaux.

Les projections effectuées avec le modèle end-to-end OSMOSE-MED mettent en évidence les changements de biodiversité marine induits par l'évolution du climat au cours du 21ème siècle (Chapitre 3).

Au niveau de l'ensemble de la Méditerranée, la biomasse et les captures totales des organismes de hauts niveaux trophiques (poissons et macro-invertébrés) pourraient augmenter respectivement de 22% et 7% d'ici la fin du siècle mais cette tendance est très hétérogène et s'accompagnera d'une réorganisation du réseau trophique, des assemblages d'espèces et des communautés. Des espèces gagnantes, principalement pélagiques, de plus petites tailles, situées dans les étages inférieurs du réseau trophique, thermophiles et/ou exotiques, se démarqueront des espèces perdantes, situées plus haut dans la pyramide trophique, subissant un décalage avec des proies potentielles suite à des contractions et/ou des déplacements de leurs aires de distribution géographique. En outre, l'évolution globale de la biomasse ou des captures en Méditerranée masquent des contrastes spatiaux marqués, le bassin occidental se distinguant du bassin oriental par une réduction importante, jusqu'à 23 %, des captures d'ici la fin du 21ème siècle. Selon la

stratégie de pêche actuelle, la composition spécifique des captures évoluera également. Dans l'ensemble, les changements de biogéographie des espèces, associés aux changements de production planctonique projetés, suggèrent des modifications de la structure et du fonctionnement trophique de l'écosystème méditerranéen. Ces changements auraient la capacité d'accentuer la sensibilité des ressources halieutiques, des écosystèmes et des activités humaines qui en dépendent à la variabilité environnementale d'une part, aux invasions d'espèces non indigènes d'autre part. Ces résultats appellent à une gestion plus efficace de l'activité de pêche, plus restrictive, intégrative et transnationale à l'échelle du bassin méditerranéen, une gestion écosystémique visant à atténuer les effets du changement climatique sur les écosystèmes et les ressources.

La situation des ressources halieutiques méditerranéennes a atteint un stade critique (Cardinale and Scarcella, 2017; Colloca et al., 2017). L'intensité de pêche actuelle est en moyenne 2 à 3 fois supérieure à celle produisant le Rendement Maximum Durable (RMD). Bien que des efforts aient été entrepris ces dernières années, à l'instar du projet MedFish4Ever ou du plan pluriannuel pour l'exploitation des démersaux en Méditerranée occidental (European Commission, 2018; STECF, 2016), pour réduire la pression de pêche, la situation ne semble guère s'améliorer et certaines espèces affichent des records de mortalités par pêche (FAO, 2018b). Une telle intensité de pêche n'est pas sans affecter la structure du

réseau trophique et le fonctionnement de l'écosystème méditerranéen et sans menacer la durabilité de l'activité de pêche (Coll et al., 2010; Hidalgo et al., 2011; Lotze et al., 2011; Micheli et al., 2013a). Les résultats de travaux menés à l'échelle globale sont clairs ; d'une part la perturbation de pêche pourrait agir en synergie avec le changement climatique exacerbant et accélérant les impacts négatifs (Brander, 2010; Hsieh et al., 2006; Perry et al., 2010; Planque et al., 2010), d'autre part, une amélioration globale de la situation des stocks et de l'état de santé des écosystèmes permettraient une plus grande résilience et productivité de ces derniers (Burgess et al., 2018; Carozza et al., 2019; Gaines et al., 2018; Galbraith et al., 2017; Worm et al., 2009). Dans ce cadre, nous avons montré qu'une diminution de la pression de pêche à l'échelle du bassin méditerranéen, par l'intermédiaire d'une réduction de la mortalité par pêche ou d'une amélioration de la sélectivité (i.e. une plus grande taille à première capture) aurait le potentiel pour reconstituer les biomasses des espèces démersales, pélagiques (autres que les petits pélagiques) et benthiques, sous influence du changement climatique (Chapitre 4). Le panel d'indicateurs écologiques évalué pour chaque scénario de pêche met en avant les effets bénéfiques d'une réduction de la pression de pêche, pour la biodiversité, pour préserver les hauts niveaux trophiques et les individus et/ou espèces de grandes tailles et pour inverser les tendances négatives des captures projetées en Méditerranée occidentale d'ici la fin du siècle. Nos résultats, cohérents avec la situation actuelle des pêches en Méditerranée, alertent également sur les effets néfastes d'une possible augmentation de la mortalité par pêche dans le bassin. Cette augmentation ne ferait qu'exacerber les effets induits par le climat sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes, en particulier dans l'ouest du bassin méditerranéen. Par le jeu des interactions trophiques, une augmentation de la mortalité par pêche pourrait conduire à une augmentation d'abondance des espèces de petits pélagiques, bénéficiant d'un relâchement de prédation des prédateurs supérieurs, et d'une diminution des biomasses des espèces démersales et des grands pélagiques. La prise en compte des interactions trophiques et les réponses non-linéaires des espèces, des groupes ou des indicateurs utilisés face à différents scénarios de pêche éclairent sur la notion de compromis inhérente à la gestion écosystémique des ressources halieutiques. Toutes les espèces, tous les niveaux trophiques ne pourront être "gagnants" au même niveau face à une réduction globale de la pression de pêche. En outre nos résultats établissent un constat : les scénarios de gestion des pêches implémentés ne permettront pas de compenser totalement les effets induits par le changement climatique dans le cas d'émissions fortes de gaz à effet de serre (RCP8.5), seulement les atténuer si la pression de pêche diminue. Dès lors, limiter le réchauffement à 1.5-2°C comme signifié par les Accords de Paris apparaît comme une urgente nécessité.