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I – Procèdes de la dénonciation :

4- Quatrième condition :

Le Passé décomposé est un récit qui se prête à une lecture plurielle, l’auteur met à la disposition de son lecteur plusieurs « choix » de lecture,rester au niveau de l’histoire et suivre le cours des évènements qui se succèdent dans la vie de Zoheir (personnage principal qui ouvre le récit par le biais de son journal intime) ou aller, au-delà de l’histoire, au-delà des mots pour y découvrir tout un édifice de matériaux ou de processus qui a généré la possibilité d’une lecture diverse, cet édifice pour lequel a opté l’auteur du Passé décomposé se justifie dans une « succession de choix », de stratégies discursives et scripturaires qui dessinent un « plan d’ensemble » pour le lecteur, ce dernier n’étant pas forcément conscient puisqu’il s’agit de dénoncer dans l’ombre (l’auteur peut feindre le lecteur, toutefois son inconscient est capable de lui jouer des tours), comme dans cet exemple ou l’auteur prend distance aux faits racontés et emprunte une méthode cinématographique en faisant découvrir en même temps au lecteur la suite des évènements en lui faisant croire qu’il ignore complètement le futur des personnages,cette stratégie va trahir la volonté de l’auteur de dénoncer dans l’anonymat puisqu’elle met le personnage de Najet au cœur de l’énonciation en lui conférant un rôle plus important, ce n’est plus de Zoheir dont il est question mais plutôt de Najet « Etait-elle prête à en payer le prix ?... C’est ce que je verrai dans

quelques heures, puisque je me rends de ce pas chez elle ! ». (1)

Mettre Najet en exergue ne signifie-t-il pas une volonté inconsciente de l’auteur de faire savoir au lecteur que c’est le récit de Najet qui importe le plus et ce n’est qu’en déchiffrant ses multiples (parti -pris) pour ce personnage et tout le mystère qu’il met autour d’elle (« est-elle prête à en payer le prix ?) que nous verrons que dénoncer par l’implicite est un mot qui reste relatif au niveau du Passé

décomposé, désormais tout est envisageable, (toutes ces tentatives qui visent de

faire paraître le faux comme vrai. Exp. le récit (1) de Zoheir) et le vrai comme faux, ce que nous appelons « camouflage » sont autant d’artifices qui servent à faire

Montpellier III langues et Sciences Humaines Tome II 1987 P.233

manifester la dénonciation qu’elles ne la cachent ; toutefois « Ces opérations

contraires peuvent mettre en œuvre des stratégies diverses ». (1)

b / L’intertexte : La citation comme stratégie de dénonciation :

Il convient aussi de remarquer les procédés narratifs par lesquels l’auteur introduit toute une variante de citations pour faire valoir les propos des personnages qu’il anime dès lors, nous constatons une sorte d’intrusion de discours « extra- textuels » qui n’est guère fortuite, la stratégie visée à ce niveau, est d’amener le lecteur à effectuer une analyse « individuelle » en suivant les traces qui orientent son investigation de « l’écriture » vers ce qui est « le contexte de l’écriture », en effet, ce dernier est susceptible de lui révéler comment s’opèrent et fonctionnent les procédés de l’écriture de la dénonciation à l’intérieur du Passé décomposé

 Exp.1 : « D’après Auguste Babel, dans « La femme et le socialisme » Je

cite* : « La femme et le travailleur ont ceci en commun : ils sont tous les deux des opprimés, mais la femme est inférieure au travailleur aussi bien par les mœurs et l’éducation que par la liberté qui lui est donnée ». (2)

 Exp.2 : « C’est d’après Jean Rostand qui cite* : Aristote : « La femme

dépourvue de semence n’est qu’un mâle imparfait, le mâle de par sa nature, est supérieur à elle, meilleur qu’elle, plus « divin ». (3) « Le garçon prit parti de rigoler : »

 Exp.3 : Attendez , ce n’est pas fini !( il lit ) : « La production du sexe

féminin est une manière d’échec ;mais échec indispensable à la nature, puisque sous peine de disparaître, l’espèce doit continuer à se diviser en femelles et en mâles. Aristote voit en sommes dans la féminité une sorte de mal nécessaire « .Fin de citation ! ». (4)

De ce qui précède, nous dénotons une sorte d’irruption de certains facteurs contextuels qui guident notre lecture vers la dénonciation, ils se résument dans ces différentes citations empruntées à Auguste Babel et Aristote qui expriment à la fois

1- J.Calloud- Véridiction, vérification et vérité in : Stratégies discursives. op cité p.209

2Hafsa Zinai Koudil : Le passé décomposé .op.cité.p.p.13-14

3

Ibid.p.16

la thèse et l’anti-thèse de l’écriture « dénonciatrice » ( femme opprimée ≠ femme inférieure par nature), nous sommes plutôt tentés de voir dans ce procédé une tentative d’attirer l’attention du lecteur vers la condition féminine et en débattre avec lui, même si ce dernier ( le débat) demeure unilatéral, n’est ce pas là une stratégie d’écriture de dénonciation qui se veut implicite voire qui exige l’anonymat tout en procédant par transition :

Contexte facteur dénonciation procédés stratégies

contextuels de ce contexte d’écriture d’écritures

le Passé décomposé Najet professeur intervention argumentation dénonciation ( la leçon en classe) + élève des élèves et par citation implicite

(citations de Babel débat sur le sujet ( le pour / le contre) (animer le

et Aristote) ( thèse antithèse) débat chez

le lecteur

Le Passé décomposé fait parti de ces nombreux texte « ou une

écriture « change de direction » à un moment donné de son histoire ». (1) ; certes

le récit s’ouvre sur une existence qui souffre de solitude et de désarroi, sans identité et sans avenir (Zoheir) néanmoins, dès l’avènement de Najet dans le récit à la p.13, nous assistons à un changement de narration et donc à un changement de procédés d’écriture ;désormais, nous n’avons plus affaire à un seul narrateur (Zoheir qui monologuait en rédigeant son journal intime) mais à deux narrateurs, le deuxième est extradiégétique et c’est à lui que l’auteur confie le privilège d’introduire Najet dans le récit, de définir ses sentiments et de lui donner un soupçon de parole dans les quelques rares dialogues qu’elles aura avec les différents personnages du roman (Nous verrons dans le prochain chapitre que Najet est privée de la parole où nous pourrons mieux étoffer et cerner son personnage)

L’auteur du Passé décomposé, œuvre dans une optique spécifique, celle de pouvoir amener le lecteur à adhérer à sa vision sans que ce dernier ne s’en rend compte « L’écriture est là pour fournir toute une gamme de techniques qu’on peut

employer pour créer, précisément, de nouvelles formes d’actes performatifs ». (2)

1

Harris :La sémiotique de l’écriture .op cité p.159

L’auteur par conséquent use d’un artifice on ne peut mieux capable d’influencer le lecteur sans passer par le rituel de persuasion et d’argumentation car l’influence dans ce cas s’opère d’une manière « inconsciente » puisque l’auteur veut que sa dénonciation reste dans l’ombre (cachée) : « L’écriture se propose,

précisément comme un moyen de limiter le comportement de l’auteur, mais en même temps de le fixer». (1)

Le Passé décomposé, nous l’avons vu, se propose de relater quelques existences dramatiques de ces personnages, toutefois, il ne faut pas se laisser duper par son écriture qui simplifie sa narration (mais qui ne se simplifie guère sa tâche de dénonciation cachée) en restant linéaire et en usant dans le dialogue et la citation ;se faisant, l’auteur tente de rester objectif mais son but le contraint à se trahir,puisque la dénonciation cachée nécessite le jeu de la stratégie, et si le dialogue affirme la subjectivité, la citation elle, crée « l’intertexte qui sert de caution aux

affirmations. » (2) L’auteur tente de faire fonctionner son écriture de dénonciation

en s’appuyant sur le pouvoir qu’a la citation de référer au réel, en produisant un effet de « fiabilité », ce dernier (l’auteur) arrive à faire valider sa « pseudo » dénonciation « Le langage cité a ainsi pour rôle d’accréditer le discours : comme

référentiel, il y introduit un effet de réel ». (3)

Le « jeu » de user dans la citation, s’avère de loin le plus stratégique car il opère dans le texte du Passé décomposé un « glissement de sens », qui sert à faire allusion au vrai récit qui nous occupe (Récit 2) de Najet (développé dans le 1er chapitre), toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il existe parallèlement un certain nombre de stratégie très intéressant :

c- Stratégies discursives :

c/1- « insistance ou retrait du sujet de l’énonciation » : le fait de mettre en

avance Najet (par le narrateur anonyme) ou parfois la rendre absente (réduite à un

1Ibid.p.180

2A.Grange. La dialectique récit/discours dans la stratégie de la persuasion in .Stratégie discursives. acte du colloque de centre de recherches linguistiques et sémiotique.op.cité.p.252

3

« tu » dans une situation de dialogue) peut « masquer »ou « camoufler » le vrai discours (le vrai récit), à ce niveau, nous parlons de la dénonciation par « la tromperie »

c/2- La stratégie de la fréquence (la probabilité) : elle fait partie des

stratégies les plus concrètes (explicites), elle se résume dans cette abondance au niveau du Passé décomposé des différentes locutions telles que : « Bien sûr, à la cité plus d’une fois je me vis remettre à ma place (…) » P. décomposé p.7

- « Il n’a peut-être pas tort, finalement » P. décomposé p.23

- « (…) je m’étais toujours imaginé ma mère chaleureuse et aimante »(…)P.

décomposé p.29

- « Mais par opposition, mon esprit fébrile demeurait en éveil,me poussant

sans cesse à la réflexion » P. décomposé p.30

Les différentes locutions prélevées ci-dessus expriment la « répétitivité » facile à repérer puisque c’est une « constante thématique » en vue d’une argumentation, celle là même qui justifie la dénonciation ;néanmoins, pour que cette démarche de validation de la dénonciation puisse aboutir, elle a incontestablement besoin d’une articulation non négligeable que seul « les procédés d’embrayage énonciatifs »,et « les indices de l’énonciation » peuvent lui procurer, ( par l’absence ou au contraire l’abondance des modalités du discours) :

 Exp.1 : « C’est gens-là que nous dérangeons par notre seule présence et qui préfèrent nous ignorer ;faire en sorte que nous n’existions pas que nous n’existerons jamais » P. décomposé p.5

Commentaire :

a) – « Ces gens-là »: Cette distance que prend le narrateur peut signifier le

mépris, le rejet tout autant que l’exclusion et la dévalorisation de soi-même puisque Zoheir (l’auteur de cette phrase) a en effet une piètre opinion de lui-même

b)- Embrayeurs : « Nous » :concernant cette abondance de « Nous », nous remarquons une sorte d’insistance qui signifie la différence qui instaure dans la phrase deux catégories de personnages (1) « Ces gens là » conformes à la norme et (2) « Nous », non-conformes. Zoheir en fait dénonce le rejet de la 1ère catégorie, et le « Nous » qui revient plusieurs fois n’est qu’une stratégie pour contester cette forme de « ségrégation » créée par « Ces gens-là » ; « L’essentiel n’est pas donc le

nous, mais les stratégies discursives dans lesquelles il est engagé ». (1)

 Exp.2 : « On a beaucoup de peine à lui démontrer que sa situation est indigne d’elle et qu’elle doit chercher à devenir dans la société un membre possédant les mêmes droits que l’homme et son égale sur tous les rapports ».