La régulation des marchés physiques du pétrole 1
6 Quand il ne s’est pas agi de tirer profit d’arbitrages réglementaires, comme en Mer du Nord britannique dans le milieu des années quatre‐vingt
Forts de la culture américaine séculaire en matière de marchés à terme, les professionnels des marchés US ont très vite adopté l'usage de contrats de futures à résolution physique potentielle, en lieu et place de contrats physiques forward, pour leurs activités de gestion de flux. Ces contrats, devenus déterminant dans la formation des prix des transactions de pétroles bruts domestiques nord américains, voient leur fonctionnement ‐ et celui de leur marché physique sous jacent ‐ relever de la tutelle de régulateurs nationaux ad hoc.
L'apport en 1986‐87 au marché européen du pétrole brut, de ceux que l'on a appelé les « Wall Street Refiners », a consisté a permettre aux professionnels des marchés pétroliers de s'affranchir de la contrainte que représentait la taille unitaire – 500 000 ou 600 000 barils ‐ des cargaisons négociables à prix fixe pour livraison différée. Développant une activité de market making reposant sur un arbitrage permanent entre les valeurs du Brent (négociable par cargaison) et du WTI (négociable par contrat de 1 000 barils seulement), ils surent offrir un service permettant à leurs contreparties d'ajuster le volume dont elles souhaitaient fixer le prix à leurs besoins effectifs. Jusqu'à ce que les pétroliers européens, lassés d'être captifs de leurs market makers, encouragent la mise en pool de leurs besoins de « liquidité en prix du Brent », via la création du contrat de future sur le Brent lancé en 1987 par l'IPE (racheté depuis par ICE), qui prévoit une résolution financière des transactions.
Pour des raisons logistiques (déplétion des champs de Brent), le contrat de brut européen a dû évoluer. Le contrat sur le Brent de ICE, fait aujourd'hui référence à un panier de qualités ‐ Brent, Forties, Oseberg, Ekofisk – ou BFOE dont le marché physique sous jacent traite aussi bien de façon spot (i.e. avec des dates de disponibilité F.O.B. spécifiques, au terminal de chargement ad hoc, pour chaque cargaison programmée à l’export un mois donné, d'une des quatre qualités de référence) que de façon forward (i.e. pour un panier de quatre qualités possibles disponibles au chargement dans une période de trois jours encore inconnue mais nécessairement comprise dans le mois calendaire convenu contractuellement). Les termes contractuels de ce marché physique sont très standardisés, de façon à assurer aux différents acteurs de ce marché la meilleure fongibilité opérationnelle possible de leurs transactions d'achat et de vente
e. forward, en cas de résolution par livraison physiqu
Les transactions réalisées sur le marché du BFOE forward, via leur résolution physique, sont donc susceptibles d'alimenter le marché des cargaisons « datées » (dites « Dated Brent »), spot, et, par tant, de déterminer l'assiette fiscale des pays producteurs concernés : le Royaume‐Uni ‐ qui impose aux producteurs des contraintes déclaratives strictes des transactions qu'ils réalisent pour commercialiser leurs productions britanniques ‐ et la Norvège, qui prend en compte au moins de façon partielle dans la définition de ses « Norm prices » l'évolution de la cotation du Dated Brent ‐ publiée quotidiennement par Platt's Crude Oil Marketwire, de McGraw & Hill.
Quant au brut de Dubaï, il a fait l’objet également d’un trading forward « cargo size » puis par lots de plus petites quantités, dès le milieu des années quatre‐vingt. Le niveau limité de sa production a conduit les opérateurs du marché des bruts physique du golfe arabo‐ persique à toujours vouloir lui associer le marché du brut d’Oman (non membre de l’OPEP), en définissant comme benchmark pour la valorisation de leurs exportations vers l’Asie une moyenne mensuelle des valeurs estimées pour ces deux bruts par les différentes publications, et en particulier par Platt’s Crude Oil Market Wire. Anticipant sur la déplétion finale des champs de Dubaï, ce n’est que depuis peu qu’est apparu le contrat à terme d’Oman négociable sur le Dubaï Mercantile Exchange, un joint‐venture entre la place financière de Dubaï et CME‐NYMEX. Ce contrat a pour sous‐jacent le marché des cargaisons de brut physique d’Oman, livrables FOB à Mina al Fahal, dans le sultanat d’Oman. On notera avec intérêt que les autorités d’Oman ont choisi de prendre en compte les cours de clôture de ce contrat de futures dans le processus de détermination du prix de référence fiscal des cargaisons exportées par les sociétés pétrolières produisant en Oman.
On retiendra donc de ce qui précède, que les marchés de brut faisant l’objet de négociation pour livraison physique forward se présentent à chaque fois comme des marchés nationaux, de par les clauses contractuelles régissant leurs modalités de livraison – et en particulier le lieu de livraison.
Dès lors il devient extrêmement sensible avant de proposer de mettre en œuvre un quelconque cadre « régulateur » transnational de ces marchés – nationaux – physiques forward, d’avoir au préalable procédé à un échange de vues très poussé avec l’ensemble des autorités ad hoc exerçant déjà un contrôle sur ces marchés aux États‐Unis, au Royaume Uni, en Norvège, à Dubaï (et aux UAE…) et en Oman.
Une telle tâche de collecte d’informations et d’analyse pourrait par contre incomber à l’entité « Pétrole » d’une instance de régulation des marchés de matières premières de l’Union européenne.
1.3. Du rôle des fondamentaux dans l’autorégulation des valeurs de
es b
»
marché des pétrol
ruts « markers
Les marchés du WTI/LLS/Mars, du BFOE et du Dubai/Oman ne fonctionnent toutefois pas « en silos ». L’observation empirique de l’évolution de leurs prix spot, conduit à mettre en évidence une hiérarchie de valeurs relativement stable sur la longue durée : malgré quelques épisodes contraires plutôt récents, en règle générale le prix du WTI/LLS/Mars est plus élevé que celui du BFOE, qui est lui‐même plus élevé que celui du Dubai/Oman. L’explication de ce phénomène tient pour l’essentiel à ce que les écarts de valeur entre ces différents « markers » géographiques jouent un rôle déterminant dans la répartition des flux de ventes spot d’autres qualités physiques vers une zone géographique, plutôt que vers une autre.
Un raffineur du Golfe du Mexique sera, par exemple, intéressé d’acheter du brut importé, plutôt que du brut domestique dès lors que le prix indexé sur le Brent proposé pour le brut d’importation sera relativement plus avantageux que le prix indexé sur le WTI proposé pour le brut domestique américain. Autrement dit, plus le Brent sera décoté en valeur relative par rapport au WTI, plus les bruts internationaux seront intéressants pour les importateurs américains. Et vice versa, plus le Brent sera apprécié par rapport au WTI, moins l’importation de brut spot sera attractive.
Mais plus le Brent sera décoté par rapport au Dubai/Oman, plus il sera facile pour une cargaison de pétrole brut d’Afrique de l’Ouest dont le prix est indexé sur le Brent, de trouver un marché à l’est de Suez en y faisant concurrence à des qualités originaires du golfe arabo‐persique indexées sur le Dubai/Oman.
Le déroutement de cargaisons de ce type vers l’Asie peut alors induire une perception de risque de pénurie relative de ces qualités dans le bassin atlantique. A minima une réévaluation des différentiels de qualité de ces bruts par rapport au Brent est requise pour conserver ces cargaisons sur le marché de l’ouest de Suez. Elle se propage alors le plus souvent vers la Mer du Nord, provoquant in fine une revalorisation du Brent lui‐ même par rapport au Dubai/Oman. Cependant cette revalorisation ne peut se poursuivre sans limite, puisqu’à un certain niveau de valeur relative par rapport au WTI, la demande nord‐américaine pour des bruts d’importation va s’essouffler, forçant le marché à un réajustement baissier de ses valeurs relatives … jusqu’à ce que les demandes asiatique ou atlantique retrouvent dans ces cargaisons liées au Brent un avantage concurrentiel par rapport à leurs flux de ressources régionales, liées au Dubai/Oman ou au WTI.
A cette première force de rappel entre pétroles brut « markers » des différentes zones géographiques de consommation – mécanisme dans lesquels la valeur du fret pétrolier tient un rôle non négligeable – s’ajoute, pour chacun des markers, une deuxième : lorsque la courbe des valeurs à terme d’un marker se déforme suffisamment, se présente pour les acteurs du marché physique la possibilité de constituer ou de restituer des stocks – arbitrés à terme – de qualités de pétroles bruts physiques indexées sur ce marker. Ainsi la structure des prix à terme va‐t‐elle être arbitrée de mois en mois, en fonction des possibilités s’offrant à chacun des acteurs des marchés physiques du brut, de tirer parti soit d’une situation de « contango7 » en constituant un stock
supplémentaire, soit d’une structure en « backwardation8 », en remettant sur le marché
un stock précédemment constitué dont il n’a pas l’usage immédiat.
On notera donc que les variations de fondamentaux – demande qualitative, demande géographique, valeurs du fret, possibilités de stocker, stocks potentiellement disponibles à la revente, etc. ‐ sont devenues les principaux déterminants des interventions des professionnels des marchés de pétrole brut physique, dans le processus continu de formation :
des différentiels de valeurs entre un brut donné et son « marker » physique, des différentiels de valeurs entre le différentes s maturi sté d’un même brut
« marker », et
des différentiels de valeurs entre les différents « markers » géographiques, qui caractérisent ce marché aujourd’hui. À aucun moment, dans ces processus d’ajustement, le niveau absolu du prix du pétrole n’apparait comme un déterminant des stratégies des acteurs (sous réserve de lignes de crédit adaptées). 7 On dit d’un marché de matière première qu’il est en contango lorsque le prix de la marchandise négociée est moins cher pour une livraison immédiate que pour une livraison différée ; une telle configuration traduit en règle générale un excédent de disponibilité de cette marchandise, à court terme.
8 Inversement, lorsque le marché spot d’une matière première est tendu, une demande de marchandise