Source : Mission
3.3.2. Se doter d’outils permettant de conforter le marché dans son rôle de révélateur des prix
On rejoint dans ce domaine le débat ouvert largement aux États‐Unis sur le rôle des limites de positions et celui des appels de marges, que ce soit sur les dérivés traités sur les marchés réglementés ou sur les marchés de gré à gré. Il semble à cet égard au groupe de travail que ces instruments ne peuvent être vus sous les seuls angles de la prévention des abus de
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marché ou de la prévention contre les risques de con e, systémiques ou non.
La philosophie qui anime les autorités américaines (cf. supra, partie 2.2.2) depuis l’origine est que dans le cas particulier des dérivés de matières premières et compte tenu de l’importance qu’elles revêtent pour l’économie réelle, les limites de positions sont également destinées à lutter contre une « spéculation excessive », entendue aujourd’hui comme génératrice de fluctuations de prix de grande ampleur qui peuvent éloigner le marché de ses fondamentaux. On dépasse là la conception traditionnelle d’un régulateur de marché dont le rôle se limite à ce que celui‐ci fonctionne de manière fair and orderly. Dès lors, les limites de positions absolues98 ont leur justification, sans qu’il soit besoin pour autant de démontrer explicitement que telle ou telle catégorie d’acteurs de marché est susceptible d’avoir fait dévier les cours de leurs fondamentaux. On notera à cet égard que pour les marchés actions la question des limites ne se pose pas, puisqu’elle est en réalité traitée par les divers seuils (déclarations de franchissement, déclarations d’intention, offres obligatoires). Le niveau et la mise en œuvre de ces limites de positions est alors plus affaire d’expérience que de science exacte, mais le principe doit demeurer, ne serait‐ce que pour deux raisons : pouvoir jouer un rôle potentiellement dissuasif à l’égard d’investisseurs longs qui ne se s préoccuperaient nullement du niveau des prix dans leur tratégie d’investissement, ou pour lutter contre des comportements de herding ;
avoir une réglementation qui soit cohérente avec celle développée outre‐Atlantique, sauf à voir développer par les autorités américaines des stratégies d’interventions extraterritoriales destinées pour une part à enrayer des délocalisations d’activités sur d’autres places financières.
Proposition n° 11 : Tirant les conséquences de la nature mixte du marché pétrolier, généraliser le principe des limites de positions sur les marchés de commodities financiarisés, dont le pétrole, comme instrument permettant, audelà de leur rôle de prévention des manipulations de marché, de réduire également les risques macroéconomiques (mauvaise allocation du capital génératrice de volatilité excessive), voire systémiques (risque de faillite d’un acteur majeur surexposé).
S’agissant des appels de marge et obligations en capital qui pourraient être imposées aux investisseurs en dérivés de matières premières, notamment le pétrole, un raisonnement proche, quoiqu’indirect, peut être tenu :
un des enseignements des évènements de 2008‐2009 est que face au désir d’investisseurs institutionnels de prendre des positions spéculatives sur les prix du pétrole à long terme, la liquidité sur les échéances les plus éloignées de la courbe des futures n’était pas suffisante pour satisfaire la demande ; en conséquence, ces derniers ont pris des positions là où était la liquidité, sur les maturités les plus courtes, qui induisent pour partie les prix du pétrole physique99 ; 98 Et non uniquement les position accountability levels qui ne sont que des seuils d’alerte. 99 Il convient cependant d’observer que pour les ETF qui tirent l‘essentiel de leur rendement du renouvellement des positions lorsque le marché est en situation de déport (soit 70 % du temps), l’investissement sur les échéances courtes semble davantage être un choix qu’une contrainte. Ceci explique a contrario que lorsque le marché est en report (comme en 2009), les performances de ces fonds soient médiocres.
la valeur « intrinsèque » du prix spot qui devrait résulter d’un équilibre offre‐demande (aux effets de stocks près) pourrait donc avoir été affectée par l’anticipation de situations fondamentales ne devant se développer que dans plusieurs années ;
on peut dans ces conditions s’interroger sur le rôle que peuvent jouer les appels de marge et obligations en capital pour permettre une réorientation de la liquidité tout au long de la courbe des maturités ouvertes à la négociation, en modulant leur niveau de manière progressive plus on se rapproche de l’échéance de livraison afin d’assurer in fine la convergence physique‐terme. La mise en œuvre d’un mécanisme de ce type n’est pas simple100, sachant qu’il convient de tenir compte dans la détermination des appels de marge initiaux et des exigences en capital de la volatilité des prix à court et à long terme. Le groupe de travail est néanmoins d’avis que des travaux complémentaires soient lancés sur ce point.
Proposition n° 12 : Lancer une étude approfondie sur l’utilisation des mécanismes d’appels de marges et d’exigences en capital en tant qu’instruments incitatifs au développement de la liquidité sur les échéances les plus longues de la courbe des
futures. Vérifier notamment que dans le secteur du pétrole la compensation par des
CCP permettra d’imposer des contraintes de capital et de liquidité reflétant – ni plus, ni moins – le vrai risque. 3.3.3. Prendre en compte le degré de concentration des acteurs de marché L’un des enjeux majeurs de la réflexion sur les nouvelles régulations des marchés financiers porte sur les moyens de circonscrire le risque systémique. En effet, à l’occasion de la faillite de l’assureur américain AIG, le système financier international a probablement flirté avec ce risque ultime comme rarement dans son histoire récente. Il est inquiétant d’avoir à reconnaître que la faillite d’un seul acteur a pu faire courir un risque systémique à l’ensemble du système financier simplement en raison de son poids dans le marché des Credit Swap Derivatives (CDS), c’est‐à‐dire des dérivés de crédit servant à couvrir les risques de défaut des entreprises sur leurs dettes. En réalité, les CDS sont utilisés tant par les banques que par les entreprises pour couvrir des risques globaux de contrepartie bien au‐delà d’un strict risque de défaut de remboursement de la dette.
D’évidence, dans une optique de risque systémique, la nature même de ces instruments et par suite de leur utilisation les rend sans doute différents de n’importe quel autre type de produits dérivés. On peut s’interroger sur le fait que tel ou tel marché de matières premières soit ou non susceptible de faire courir au système financier international le même type de risque (d’où les propositions avancées supra sur l’identification des marchés les plus financiarisés). Pourtant, il est essentiel de reconnaître que le risque systémique sur les CDS est né plus d’un effet de surconcentration des expositions à ces instruments sur un nombre trop restreint d’acteurs de marché que d’un dysfonctionnement du marché des CDS eux‐ mêmes. Et dans cette optique, il devient alors légitime de s’interroger sur les phénomènes de surconcentration sur les marchés de dérivés des matières premières. 100 D’un point de vue opérationnel, l’existence de contreparties centrales pourrait faciliter la mise en œuvre de mesures incitatives de ce type portant sur les appels de marges. Les CCP centralisant les appels de marge, il serait donc plus aisé de leur imposer ce type de pratiques. D’un point de vue financier, il faudrait toutefois bien mesurer les impacts de ces incitations sur le profil de risque global de la chambre.
Le manque de données détaillées sur les expositions, les volumes traités en OTC, et les risques de contreparties sur matières premières rend toute estimation de la notion de concentration trop discutable pour porter un jugement définitif. Toutefois, les acteurs du marché semblent s’accorder sur le fait que les 3 ou 4 plus grandes banques d’investissement actives sur ce marché concentreraient peut‐être les deux tiers voire les trois quarts des parts de marché sur certains segments (indices matières premières, hedging pour les entreprises, exposition sur les hedge funds de matières premières, etc.). Plus globalement, toutes les études de consultants tendent à confirmer le caractère très pyramidal du marché et surtout que l’écart entre les banques les plus importantes et leurs challengers s’accroît au fil du
’il ne se réduit. temps plutôt qu
La création de trade repositories dans lesquelles seront enregistrées toutes les transactions OTC, y compris celles qui ne feront pas l’objet d’une compensation par contrepartie centrale, constitue donc un préalable indispensable à toute formulation de critères pertinents pour évaluer le risque de concentration. D’évidence, ces critères devront prendre en compte les expositions liées aux transactions OTC compensées et non compensées, mais également les expositions aux marchés de futures et surtout aux marchés physiques. En effet, les mêmes banques qui concentrent aujourd’hui les expositions les plus importantes sur les marchés dérivés ont également développé des activités de négoce sur le marché physique du pétrole,
ices. faisant d’elles parfois les principaux fournisseurs de certaines entreprises consommatr
Finalement, il apparaît que si l’imposition de limites de positions sur les marchés de futures ou l’obligation de compenser les transactions OTC les plus standardisables sont bien des mesures qui réduisent le risque de contrepartie, elles ne suffisent pas à couvrir le champ complet du risque de concentration. Le suivi de critères mesurant le risque de concentration est la seule forme de contrôle permettant de garantir que les marchés dérivés des matières premières ne sont pas porteurs d’un risque systémique de type macro‐financier, ou que des acteurs n’y faussent pas le jeu de la concurrence. Ceci suppose vraisemblablement une réflexion spécifique sur le périmètre et l’application de la directive sur les abus de marchés (Market Abuse Directive – MAD) au secteur pétrolier. Proposition n° 13 : Adapter la directive MAD au cas particulier des marchés pétroliers. Examiner, au vu des informations recueillies tant auprès des trade repositories sur les dérivés qu’en provenance des marchés physiques, la possibilité d’un renforcement des règles relatives à la lutte contre les abus de marché et les abus de positions dominantes, en associant régulateur financier, régulateur sectoriel (lorsqu’il existe) et autorité de la concurrence.
Dans l’immédiat, une réforme parfaitement envisageable et signalée à de nombreuses reprises à la mission serait la mise en place de « chinese walls » entre analystes et traders/sellers sur les marchés de matières premières, afin notamment d’éviter des situations de conflits d’intérêts pour les grandes institutions, financières ou non, qui pratiquent également à une large échelle des opérations pour compte propre (proprietary trading) et qui, sans qu’une telle pratique ne soit juridiquement répréhensible sur les marchés de matières premières, se livrent à du front running101.
101 Cette pratique consiste pour un trader à prendre une position sur le marché sur la base d’informations figurant dans une note d’analyse destinée aux investisseurs, avant que celle‐ci ne soit diffusée, ou à passer un ordre pour compte propre avant celui du client externe pour en tirer avantage. Quand l’établissement concerné est un des principaux intervenants du marché, le front running peut être critiqué à tout le moins au titre de l’éthique. Cette pratique est prohibée sur les marchés actions.
Une réforme plus ambitieuse serait la séparation totale, qui existe déjà dans certaines banques, entre les activités sur matières premières (et notamment le pétrole) exécutées pour compte propre et celles réalisées au bénéfice de clients externes, comme l’a très récemment proposé le président de la CFTC102.
Le groupe de travail considère que ces mesures, qui lui semblent indispensables dès lors que les institutions concernées commercialiseraient des produits auprès du grand public (cf. supra, partie 3.3.1), gagneraient à être étendues à l’ensemble des acteurs des marchés pétroliers.
Proposition n° 14 : Mettre en place une séparation (« chinese wall ») entre analystes et
traders/sellers de dérivés sur matières premières dès lors que ces
analyses/recommandations sont destinées à la clientèle.
Proposition n° 15 : Imposer de façon plus générale une séparation des activités pour
d
compte propre es activités pour le compte des clients.
A cet égard, on ne peut que noter que ces propositions, adaptées au marché financier du pétrole, sont dans la droite ligne de celles avancées par le président américain le 21 janvier dernier pour l’ensemble du système bancaire.