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QUAND L’ÉGALITÉ SALARIALE L’EMPORTE SUR LA LIBERTÉ ÉCONOMIQUE

Section 1 : La définition du salaire en question

B. QUAND L’ÉGALITÉ SALARIALE L’EMPORTE SUR LA LIBERTÉ ÉCONOMIQUE

La détermination du salaire est cruciale car c’est sur ce point que se focalise le plus souvent la lutte contre la concurrence sociale déloyale.

Dans un récent arrêt de la CJUE de février 2015133, la Cour tranche entre la protection des travailleurs et la libre prestation de services134.

Dans cette affaire, la société polonaise ESA a détaché 186 travailleurs, sous contrats de travail régis par le droit polonais, auprès de sa succursale finlandaise en vue d’une prestation de travail relevant du secteur de la construction.

Les travailleurs détachés, constatant que la rémunération minimale prévue par les conventions collectives finlandaises de leurs branches (électrification et installations techniques du bâtiment)

133 CJUE, C-396/13, 12 février 2015, Sähköalojen ammattiliitto

134 La Cour de justice européenne se prononce pour l’égalité des salaires entre nationaux et détachés, 16 février 2015, Institut de la Protection Sociale Européenne.

ne leur avait pas été accordé, ont sollicité un syndicat finlandais auquel ils ont cédé individuellement leurs créances, afin qu’il en assure le recouvrement.

Devant le tribunal de première instance finlandais, le syndicat soutient que lesdites conventions collectives prévoient un calcul de la rémunération minimale des travailleurs fondé sur des critères plus favorables que ceux appliqués par ESA, tels que le classement des travailleurs par groupes de rémunération, l’octroi de pécules de vacances, d’indemnité journalière, d’indemnité de trajet, la prise en charge de l’hébergement. Quant à la société ESA, elle fait valoir que le syndicat finlandais ne dispose pas de la qualité à agir au nom des travailleurs détachés, au motif que le droit polonais interdit la cession de créances découlant d’une relation de travail.

Ayant quelques doutes sur l’interprétation du droit de l’UE, la juridiction finlandaise décide de surseoir à statuer, afin d’interroger la CJUE notamment sur la capacité à agir du syndicat finlandais et le taux de salaire minimal applicable aux salariés détachés.

Outre la question relative à la capacité d’agir de l’organisation syndicale, cette affaire concernait la détermination des éléments de rémunération participant ou non de la notion de salaire minimal135. La Cour indique que le salaire minimal garanti peut reposer sur un calcul à l’heure ou à la tâche, fondé sur un classement des travailleurs en groupes de rémunération de l’Etat d’accueil, dès lors que ce mode de calcul est prévu par les conventions collectives pertinentes au sein de l’Etat membre de détachement. Elle précise toutefois que les règles de calcul doivent être contraignantes et répondre « aux conditions de transparence, ce qui implique, notamment,

qu’elles soient accessibles et claires »136.

La Cour ajoute à cela que les règles de classement en vigueur dans l’Etat membre d’accueil ne doivent s’appliquer aux travailleurs détachés que pour autant qu’elles leur sont plus favorables. Dans ses conclusions, la Cour admet qu’une « indemnité journalière, doit être considérée comme

faisant partie du salaire minimal dans des conditions identiques à celles auxquelles est soumise l’inclusion de cette indemnité dans le salaire minimal versé aux travailleurs locaux à l’occasion d’un détachement de ceux-ci à l’intérieur de l’État membre concerné ».

135 DRIGUEZ L., « Salaire minimal des travailleurs détachés », Europe n°4, avril 2015, comm. 160 136 Ibid. note 132, Point 45

La Cour considère que cette indemnité journalière, qu’elle qualifie « d’allocation propre au

détachement »137 est destinée à compenser forfaitairement les inconvénients dus au détachement,

consistant dans l’éloignement du travailleur de son environnement habituel.

Dès lors que l’indemnité n’a pas pour objet la compensation de dépenses effectivement encourues en raison du détachement mais qu’elle présente ainsi que l’on pourrait le résumer, un caractère automatique, en quelque sorte forfaitaire, en lien avec l’exécution du travail, l’indemnité constitue une allocation propre au détachement, et fait partie du salaire minimal.

La décision de la Cour, tout en rendant plus lisible la détermination du salaire, pose également le choix entre égalité salariale et liberté économique. La Cour rappelle que la directive vise un double objectif : assurer une concurrence loyale entre les entreprises nationales et celles effectuant une prestation de services transationale et protéger les travailleurs détachés en leur appliquant un noyau dur de règles impératives de protection minimal de l’Etat membre d’accueil. La Cour relève que la « définition des éléments constitutifs de la notion de salaire minimal est de

la compétence de l’Etat membre d’accueil, dès lors qu’elle n’a pas pour effet d’entraver la libre prestation de services entre les Etats membres ».

Cette décision, plutôt contraire à l’arrêt Laval, a été salué par les défenseurs de l’égalité salariale et notamment par Véronica Nilsson138. Selon cette dernière « cet arrêt marque un début de

rupture par rapport à la jurisprudence du cas Laval de 2007. Se basant sur la jurisprudence Laval, l’opinion de l’avocat général considérait le principe d’égalité salariale entre tous les travailleurs comme un obstacle à la libre prestation de sergices et une protection injustifiée du travail national. (…) La Cour s’est largement démarquée de cette opinion, et a considéré que le travailleur détaché doit être rémunéré au moins au même niveau qu’un travailleur national pour les mêmes tâches. C’est donc le principe de l’égalité salariale qui l’a emporté sur le dumping

137 Au sens de l’article 3, paragraphe 7, second alinéa de la directive 96/71/CE 138 Secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats (CES)

social et la compétition à tout prix »139.