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Chapitre I. Fondements conceptuels et principes directeurs

4. Principaux résultats

4.2. Qualité de vie

28. Il existe pléthore d’indicateurs sur la société qui, pris individuel-lement, présentent, pour la plupart d’entre eux, des avantages. En France et en Allemagne, les instituts statistiques publient régulièrement un nombre considérable de données concernant la santé, l’éducation, la sécurité et d’autres aspects du bien-être non matériel. En outre, plusieurs programmes de recherche en sciences sociales ont proposé un large éventail d’indicateurs du bien-être subjectif. En Allemagne, la recherche sur la mesure du bien-être social par des indicateurs, tant subjectifs qu’objectifs, est une tradition de lon-gue date, comme le montrent les publications du GESIS-ZUMA et du Wissen-schaftszentrum Berlin für Sozialforschung (WZB) (Statistisches Bundesamt et al., 2008 et GESIS-ZUMA, 2007). En France, depuis les années soixante-dix, un rapport « Données sociales : la société française » est publié régulièrement par l’INSEE. Il est donc un peu surprenant de constater que le rapport de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi omet de mentionner ces réalisations.

En conséquence, les possibles réserves quant à l’utilité d’indicateurs sur la société ne peuvent provenir d’un manque d’information. La diffi-culté tient plutôt à la manière d’utiliser la pléthore d’informations disponi-bles de façon appropriée et à la façon d’améliorer la comparabilité interna-tionale des indicateurs de qualité de vie. Ces problèmes méthodologiques sont discutés en détail par Fleurbaey (2009). Deux difficultés majeures se posent. Premièrement, les préférences des individus à l’intérieur d’un même pays diffèrent entre elles. Il est donc difficile de savoir ce que les compar-aisons entre les évaluations subjectives du bien-être – et a fortiori du bon-heur, par les individus eux-mêmes, signifient vraiment. De telles compa-raisons sont encore plus hasardeuses lorsque les individus se comparent aux autres et se préoccupent de leur position relative dans la société.

2 Taux d’absence de risque de pauvreté(4)

Conditions environnementales Exposition de la population urbaine à la pollution atmosphérique par particule(6)

Liens et rapports sociaux

Temps passé avec d’autres personnes lors d’activités sportives, culturelles et communautaires(8)

Participation à la vie politique et gouvernance Être à l’écoute et rendre compte

Activités personnelles Salariés en travail posté(7)

Éducation Étudiants (CITE 1-6)

15-24 ans(5) Santé

Années potentielles de vie perdues (APVP)(3) Premières données indiquées(1) 2000 Dernières données disponibles(2)

a. France

Insécurité physique et économique Taux d’absence de risque de pauvreté(4)

Conditions environnementales Exposition de la population urbaine à la pollution atmosphérique par particule(6)

Liens et rapports sociaux

Temps passé avec d’autres personnes lors d’activités sportives, culturelles et communautaires(8)

Santé

Années potentielles de vie perdues (APVP)(3) Éducation

Étudiants (CITE 1-6) 15-24 ans(5)

Activités personnelles Salariés en travail posté(7)

Participation à la vie politique et gouvernance Être à l’écoute et rendre compte

3. Indicateurs de la qualité de la vie non matérielle

Lecture : Valeurs non comparables entre pays. Moyenne = 0 ; une valeur supérieure à 0 impli-que de meilleures conditions et vice-versa.

Notes : (1) Santé : 1991 ; Activités personnelles : 1992 ; Participation à la vie politique et gouvernance : 1996 ; Éducation : Allemagne : 1992, France : 1993 ; Conditions environne-mentales : Allemagne : 1999, France : 2001 ; Insécurité physique et économique : Allemagne : 1992, France : 1995 ; (2) Santé : 2006 ; Éducation et activités personnelles : 2009 ; Participa-tion à la vie politique et gouvernance et condiParticipa-tions environnementales : 2008 ; Insécurité phy-sique et économique : Allemagne : 2009, France : 2008 ; (3) Les APVP sont un indicateur synthétique de mortalité prématurée qui fournit une méthode explicite de pondération des dé-cès prématurés, lesquels sont a priori évitables. Les APVP pour 100 000 habitants sont calcu-lées par le Secrétariat de l’OCDE à partir des statistiques de décès par âge fournies par l’Organisation mondiale de la santé ; (4) Par rapport à la population du même groupe d’âge ; (5) 100 % moins la part des individus percevant un revenu disponible équivalent inférieur au seuil de risque de pauvreté, lui-même fixé à 60 % du revenu disponible national médian équi-valent après transferts sociaux ; (6) Cet indicateur montre la concentration moyenne annuelle en particules, pondérée en fonction de la population, observée à des stations urbaines situées dans des agglomérations ; (7) En pourcentage du nombre total de salariés (pour 2000 : données 2001) ; (8) Seules données disponibles : 1999.

Sources : Calculs des auteurs d’après UE, OCDE, SOEP, Banque mondiale, World Values Survey.

Ces difficultés constituent un défi pour la recherche sur le bonheur, malgré des progrès méthodologiques considérables dans ce domaine de recherche (Frey, 2008 et Layard, 2005). Les travaux récents cherchent à savoir si des individus sont plus ou moins satisfaits, c’est-à-dire s’il existe des signes de changement de leur bien-être. Ces avertissements s’appliquent aux indica-teurs sociaux synthétiques comme l’indice de développement humain (IDH).

De plus, les pondérations des différents indicateurs restent ouvertes à la discus-sion : comment arbitrer entre différents indicateurs tels que, par exemple, le taux de suicide ou le taux d’alphabétisation (Fleurbaey, 2009, p. 1055) ? Par conséquent, il paraît sensé d’opter pour une présentation des comple-xités de la vie telles qu’elles sont, plutôt que de chercher en priorité l’éco-nomie d’indicateurs.

29.Le troisième chapitre tient compte de ces avertissements et pose les bases de l’amélioration de la mesure du bien-être, qui passe par la prise en compte du large éventail des aspects de l’existence humaine. La complexité des dimensions participant à la qualité de vie nécessite d’expliciter et d’in-terpréter les chiffres bruts obtenus avec beaucoup de précaution. La nature même des différentes dimensions non matérielles de la qualité de vie impli-que impli-que même les meilleurs indicateurs ne sont impli-que des approximations imparfaites dont le potentiel et les limites doivent être discutés en détail avant de formuler des recommandations d’action politique. Nous propo-sons en outre de visualiser les résultats sous la forme de graphiques en radar illustrant l’évolution de chacune des sept dimensions au cours du temps et représentant la nature multidimensionnelle du phénomène étudié (graphique 3). Il convient cependant de ne jamais tomber dans le piège de la construction d’un indicateur global ou de la mesure de la surface des radars, bien que cela paraisse facile en termes de calculs.

30.Le rapport de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi fait cinq recom-mandations concernant la qualité de vie, laissant à de futures recherches le soin de les classer par ordre de priorité. Premièrement, la mesure de chaque dimension doit être améliorée, et des efforts plus spécifiques sont nécessai-res en ce qui concerne les relations sociales, la participation à la vie politi-que et à la gouvernance et l’insécurité. En deuxième et troisième lieux, les inégalités devraient être évaluées et les relations entre ces dimensions étu-diées. Quatrièmement, différentes formes d’agrégation devraient être rendues possibles grâce à la fourniture d’informations adéquates. Enfin, des mesures subjectives du bien-être devraient être relevées par les instituts de statistique au travers d’enquêtes. Dans la mesure où ces cinq recomman-dations sont très générales et incontournables, le CAE et le GCEE y adhèrent naturellement. Dans notre contribution, nous avons décidé d’amé-liorer la situation actuelle sur deux domaines abordés dans les recomman-dations.

Notre première contribution concerne l’agrégation. La construction d’in-dicateurs composites est plus qu’un simple problème technique car elle implique toujours un large éventail d’hypothèses d’identification fortes.

Notre discussion détaillée à ce sujet a conduit à la formulation d’une stratégie pragmatique. Bien que nous maintenions catégoriquement que l’agrégation des dimensions de la qualité de vie devrait s’appuyer sur des hypothèses d’identification trop fortes, l’agrégation d’indicateurs à l’intérieur d’une même dimension nous semble moins problématique. Parmi les différentes méthodes d’agrégation, nous évaluons le potentiel de deux de ces méthodes pour condenser l’information. En outre, dans notre discussion, nous accor-dons une attention très particulière à la manière de communiquer les résul-tats. Plus précisément, nous proposons de publier des graphiques permet-tant de visualiser les résultats.

La seconde contribution porte sur les étapes concrètes permettant d’amé-liorer la mesure. À première vue, les mesures des dimensions de la qualité de vie ne manquent pas. Certains de ses éléments – tableau de mortalité, crimes violents, font même partie des statistiques les plus anciennes collec-tées régulièrement. Pourtant, un examen plus approfondi révèle de nom-breuses imperfections, dont nous faisons état dans notre discussion détaillée.

Cependant, étant donné l’intensité des efforts fournis par les gouvernements et les instituts de statistique sur le sujet, nous avons de bonnes raisons d’es-pérer des améliorations rapides. Afin d’améliorer la situation, il convient de passer en revue, pour chaque dimension, les mesures existantes et de distinguer leurs principales limites. Les thèmes principaux dans ce domaine sont la disponibilité et la comparabilité internationale, à la fois entre la France et l’Allemagne mais aussi en Europe, et la fréquence de la mesure.

31.À ce sujet, notre discussion suggère qu’il n’est pas nécessaire d’abor-der un autre point de vue que celui que privilégient les économistes pour se rendre compte que la vie ne se limite pas à des aspects matériels. Les élé-ments non matériels du bien-être jouent un rôle essentiel dans la détermi-nation de l’accomplissement et de la satisfaction des individus et des pro-grès de la société. Le troisième chapitre aborde la difficile tâche de la me-sure du bien-être non matériel au niveau des individus et, par le biais de l’agrégation d’informations individuelles, au niveau des sociétés. Il fournit également une première application de la stratégie empirique issue de cet exposé aux cas de la France et de l’Allemagne, estimant qu’il est essentiel de considérer cette analyse comme une première démarche et non une fin en soi. Dans cette perspective, nous avons réalisé un ensemble de choix délibérés, tant au niveau des concepts que des applications pratiques, en équilibrant ce qui serait souhaitable et ce qui serait réalisable.

Concernant la méthodologie, nous préconisons de suivre une approche que nous qualifions d’« approche analytique ». Nous aurions pu commen-cer notre travail de recherche en essayant de mieux comprendre ce que renferme la notion de bien-être matériel à partir d’entretiens sur le « bon-heur » individuel. Néanmoins, nous n’avons pas retenu cette approche du fait des problèmes fondamentaux de mesurabilité et du risque que de telles mesures de la satisfaction humaine, par nature imparfaitement définies, puissent être manipulées trop facilement pour afficher des résultats

politi-ques souhaitables. Nous recommandons plutôt de condenser au maximum la grande quantité d’informations disponibles sur le bien-être non matériel afin de rendre ces informations « digérables » pour leurs destinataires, tout en préservant dans le même temps le degré de complexité qui les caracté-rise, lequel permet d’en refléter la nature toute en nuances.

Notre stratégie empirique part de la définition d’un ensemble de dimen-sions qu’il convient de ne pas agréger davantage de manière à représenter convenablement la complexité de la vie. Dans notre application, nous avons suivi les préconisations du rapport de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi en retenant sept dimensions. Parmi celles-ci, certaines se rapportent à l’in-dividu lui-même, comme la santé et l’éducation, tandis que d’autres décri-vent le contexte sociétal et physique dans lequel évoluent les individus, par exemple les liens et rapports sociaux et les conditions environnementales.

Notre stratégie procède ensuite dimension par dimension et identifie pour chaque dimension abordée individuellement, une batterie d’indicateurs in-dividuelsqui en illustrent les facettes de la manière la plus exhaustive pos-sible. Enfin, pour chaque dimension, nous sélectionnons un indicateur prin-cipal parmi ce stock d’indicateurs éventuels pour représenter la dimension en question de la meilleure manière possible. Lorsque cela est faisable, nous suivons une procédure statistique de réduction de la complexité qui nous permet de vérifier par recoupement notre choix d’indicateurs princi-paux. Et, ce qui est plus important, notre analyse est soumise à la contrainte de pouvoir disposer de façon régulière des indicateurs choisis afin de per-mettre une continuité de ce rapport dans les années à venir.

32.L’application de cette stratégie à deux pays, la France et l’Allema-gne, a révélé un ensemble de résultats plausibles dans la mesure où ils dres-sent un tableau nuancé des progrès de la société au cours de la dernière décennie. Les progrès réalisés notamment dans le domaine de la santé, de l’éducation (avec quelques réserves) et des conditions environnementales semblent cohérents avec la croissance constante observée au niveau du bien-être matériel. Et cependant, même s’il convient de reconnaître qu’elles sont difficiles à mesurer, les trajectoires récentes dans d’autres dimensions du bien-être non matériel, telles que les activités personnelles et l’insécurité physique, indiquent que les progrès de la société n’ont pas été réalisés sans équivoque dans toutes les dimensions importantes.

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