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Difficultés liées à la mesure

Chapitre I. Fondements conceptuels et principes directeurs

5. Prolongements

1.1. Difficultés liées à la mesure

46. Certains problèmes de mesure du PIB sont bien connus. Différents biens et services non marchands, comme les activités domestiques et les services fournis gratuitement, sont systématiquement négligés. Si l’économie souterraine est difficile à restituer, notamment certaines activités crimi-nelles comme le trafic de stupéfiants, plusieurs tentatives ont été menées pour harmoniser sa prise en compte au niveau de l’Union européenne, afin d’obtenir des chiffres du PIB comparables pour les besoins et les missions de la Commission européenne. Certains éléments du PIB résultent d’esti-mations fragiles, notamment concernant le volume des services produits par les administrations et la prise en compte de la qualité incorporée aux produits. Enfin, certaines dépenses sont comptées comme des facteurs con-tribuant positivement à la performance économique, alors que les externalités négativesqui y sont associées (comme les dommages sur l’environnement) sont négligées. Pour mieux évaluer la performance économique, il est né-cessaire de résoudre ces problèmes.

47. Le PIB exclut les activités qui ne sont pas fournies par le biais du marché, comme la production domestique (garde d’enfants, tâches ména-gères, préparation des repas, soins aux personnes âgées) ou les services bénévoles. En conséquence, le PIB sous-estime la production. Les calculs fondés sur le temps consacré à ces activités et une estimation du temps de travail au coût standard d’une aide-ménagère rémunérée suggèrent même un ajustement à la hausse, d’un tiers environ pour le PIB français et allemand.

Ce manque d’exhaustivité est d’autant plus problématique que les fron-tières des marchés se sont considérablement élargies ces dernières années.

De nombreux services autrefois fournis par les membres de la famille sont désormais achetés sur le marché, ce qui se traduit par une augmentation de

la production et des revenus, et donne l’impression que le niveau de vie des ménages progresse alors qu’en réalité, les circonstances fondamentales n’ont peut-être pas changé : on est seulement passé de services produits par les ménages à des services produits par le marché.

48. Les estimations actuelles des services ne sont pas satisfaisantes, notamment en ce qui concerne les services publics comme la santé et l’édu-cation. Les estimations du prix courant debiens et services correspondant, pour une même dépense, à une population en meilleure santé ou plus ins-truite ne sont guère disponibles. Des difficultés semblables sont constatées dans le cas de la contribution des services d’intermédiation financière (SIFIM). C’est pourquoi les statisticiens s’en remettent d’ordinaire au prix des facteurs de production comme le revenu des médecins, infirmiers et enseignants. Cela dit, entre autres complications, cette méthodologie ignore l’amélioration de la qualité des services publics, une faiblesse d’autant plus problématique vu leur poids substantiel dans le PIB (18 % en France et 19,6 % en Allemagne en 2009), et leur accroissement régulier dans les éco-nomies contemporaines. Surtout, ces difficultés empêchent d’élaborer des comparaisons internationales. Si par exemple, un pays a opté pour la fourni-ture de la plupart de ses services de santé via le secteur public, et si ceux-ci sont sous-estimés par la méthode d’évaluation susmentionnée, ce pays sem-blera moins riche qu’un autre dont les mêmes services sont fournis par le secteur privé et évalués à leur prix courant.

49.Les estimations officielles du PIB ont également tendance à omettre des pans importants de l’économie souterraine. Par exemple, les tran-sactions comme le trafic illégal de stupéfiants ne sont pas comptabilisées, ce qui débouche sur un PIB sous-estimé. Apparemment, toutes les tentatives d’incorporer les chiffres de l’économie informelle, qui, d’une manière ou d’une autre, ont dû se fonder sur des estimations indirectes, ont engendré des révisions appréciables du PIB officiel. La Colombie est un exemple extrême puisqu’elle a révisé son PIB à la hausse de 16,5 % en 1994, en raison principalement de l’incorporation de la production estimée de cultures illégales. Cela illustre comment le fait d’ignorer de tels facteurs peut faus-ser les comparaisons internationales de performance économique. Et pour-tant, les problèmes de mesure étant par nature considérables, il convient d’interpréter avec grande prudence les chiffres du PIB corrigés des acti-vités illégales comme l’économie de la drogue.

50. Par ailleurs, il n’est pas facile d’évaluer les améliorations de la qualité et l’offre de nouveaux produits, ce qui se traduit probablement par une minoration de la croissance économique réelle mesurée par le PIB. La relation de cause à effet est claire, puisque la sous-estimation des amélio-rations qualitatives revient à surestimer les prix et donc à sous-évaluer le revenu réel. Toutefois, appliquer les ajustements nécessaires au PIB est une entreprise délicate. Surtout, il convient de faire la distinction entre les nou-veaux modèles et les variétés de produits déjà existants, d’une part, et les nouveaux produits réellement innovants, d’autre part.

Selon la définition européenne de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), de nouvelles variétés de produits sont introduites en remplacement d’anciennes et les prix sont ajustés en conséquence. L’expé-rience montre que de tels ajustements de la qualité ont tendance à avoir un impact perceptible sur l’évaluation de l’activité réelle. Dans certains pays, notamment dans les années quatre-vingt-dix au sein du secteur informa-tique, la croissance de la « production » est davantage issue des amélio-rations qualitatives des produits fabriqués et consommés que d’une aug-mentation des quantités. Chaque pays de l’Union européenne analyse et traite différemment les améliorations de la qualité des biens détectées dans les statistiques sur les prix à la consommation, ce qui engendre des écarts qui ne se compensent pas nécessairement sur l’ensemble des biens et services couverts par les indices. Au niveau de l’Union européenne, ces écarts pour-raient dépasser largement les 0,1 %.

Dès qu’ils sont adoptés par les consommateurs, les nouveaux produits innovantssont inclus dans les IPCH. Le prix d’un nouveau produit est comp-tabilisé en plus de celui des produits déjà observés, et les pondérations de la catégorie de consommation correspondante sont ajustées en conséquence.

51. Enfin, si l’on part du principe qu’en plus d’être un indicateur de la performance économique, le PIB est également destiné à mesurer le bien-être matériel, il ne devrait certainement pas prendre en compte les dépenses habituellement associées à une dégradation plutôt qu’à une amélioration du bien-être matériel. Les dépenses de sécurité sont un exemple de ces « coûts défensifs », pour reprendre le terme adopté par Nordhaus et Tobin (1973), ainsi que les dépenses médicales et les frais de réparation liés aux d’acci-dents de voiture, les frais de transport entre domicile et lieu de travail, ou encore des dépenses des ménages dans des appareils anti-pollution comme les filtres à eau. Le rapport de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi préco-nise que ces catégories de dépenses soient traitées comme des investis-sements ou de la consommation intermédiaire plutôt que comme des dé-penses de consommation finale. En particulier, le PIB ignore les externalités non compensées comme les dommagescausés à l’environnement qui résultent de la diminution des ressources naturelles et du processus de production.

En ne tenant pas compte des répercussions négatives de la hausse de la production (comme l’augmentation de la pollution), le PIB ne fait pas qu’ignorer totalement les questions de soutenabilité, il tend également à exagérer le bien-être matériel.

52. La poursuite de l’intégration européenne est un autre défi pour cal-culer le PIB de manière appropriée. Celui-ci mesure de manière explicite l’activité économique d’un seul pays qui, par le passé, était délimité par des frontières douanières et par la sphère souveraine de sa propre monnaie.

Avec les échanges intracommunautaires actuels, il n’y a pas d’enregistrement physiquedes importations et des exportations en raison de l’abolition des barrières douanières dans l’Union et de l’introduction de l’euro. Les expor-tations et les imporexpor-tations ne sont comptabilisées qu’à des fins statistiques

France Allemagne Union européenne à 27

Produit intérieur brut (par habitant) 2,7 1,8 2,8 Produit intérieur brut (par heure travaillée) (2000-2008) 3,3 2,4 3,2 Revenu national brut (par habitant) 2,6 2,0 2,8 Revenu national net (par habitant) 2,4 2,0 Dépense de consommation finale des ménages (par habitant) 3,3 1,9 3,1 Revenu disponible net des ménages (par habitant) 3,3 2,0 2,9 Indice des prix à la consommation 1,9 1,6 2,1

puis mises en regard des chiffres d’affaires nationaux. En conséquence, des différences notables peuvent apparaître dans le système Intrastat puisque, par exemple, les importations d’un État membre donné peuvent présenter un écart avec les exportations de tous les autres États membres enregistrées vers celui-ci. À court terme, cela peut fausser les chiffres du PIB et rendre encore plus difficile le suivi et la coordination de la politique budgétaire des États membres.

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