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239 L’immunité des droits in rem conférée par le Règlement Insolvabilité aux sûretés réelles est conditionnée

Paragraphe 1 Une qualification à double détente aux fins de localisation des biens grevés

243. S’inspirant des solutions retenues en droit international privé, le Règlement 1346/2000410 instituait des

modalités de localisation pour trois catégories d’actifs : les biens corporels qui faisaient l’objet d’une localisation sur le territoire de l’État où ils se situaient ; les biens ou droits devant faire l’objet d’une inscription dans un registre public étaient quant à eux localisés sur le territoire de l’autorité compétente pour la tenue dudit registre ; et les créances étaient localisées au lieu du COMI du débiteur411. L’affaire Nortel412 mit en exergue les lacunes d’une telle catégorisation qui ne prenait pas en compte les droits

réels incorporels. Le Règlement Insolvabilité instaura une catégorisation d’actifs plus exhaustive que le Règlement 1346/2000413. Le législateur entendit ainsi renforcer la sécurité juridique des créanciers

titulaires de sûretés réelles par l’augmentation de la prévisibilité de la localisation des biens grevés. Cependant, il ne consacre pas une règle de rattachement générale, ce que la doctrine déplore414.

244. Le Règlement Insolvabilité, reprenant les catégories instaurées par le Règlement 1346/2000, prévoit cinq nouvelles catégories d’actifs dont : les actions nominatives de sociétés qui sont localisées dans l’État du siège statutaire de la société émettrice ; les instruments financiers, inscrits sur un registre ou sur un compte tenu par ou pour le compte d’un intermédiaire, qui font l’objet d’une localisation dans l’État dudit registre ; et les espèces détenues sur des comptes ouverts auprès d’un établissement de crédit, localisés sur le territoire de l’État mentionné dans le code IBAN ou à défaut, du lieu où le détenant du compte possède son administration centrale, une succursale, une agence ou un établissement.

245. Ces règles matérielles, permettant de localiser les biens grevés de sûretés réelles par une méthode de catégorisation d’actifs, font l’objet d’une interprétation autonome consacrée par l’affaire Nortel. De ce fait, l’efficacité de la protection conférée aux créanciers titulaires de sûretés réelles se trouve renforcée par le Règlement Insolvabilité. La prévisibilité accrue de la localisation des actifs permet une détermination plus efficace des périmètres respectifs des procédures principales et secondaires. Elle renforce ainsi la prévisibilité juridique pour les créanciers quant à leur possibilité de se prévaloir de l’immunité lors de l’ouverture d’une procédure principale, et quant à la détermination de la compétence juridictionnelle pour l’ouverture d’une procédure secondaire, plus protectrice de leurs intérêts (2.). 246. Avant d’assimiler les biens à une catégorie d’actifs, plusieurs étapes préalables sont néanmoins

nécessaires. Il convient tout d’abord de déterminer la date d’ouverture d’une procédure secondaire, pour savoir si les biens, susceptibles dans le cadre d’une procédure principale de bénéficier de l’immunité, pourraient être appréhendés par l’ouverture d’une telle procédure. Puis, il revient à la juridiction compétente pour son ouverture d’effectuer une qualification des biens grevés en application de la lex causae (1.). Une fois ces étapes franchies, elle pourra alors procéder à leur assimilation à une catégorie d’actifs et ainsi établir leur localisation. Cette méthode de qualification à double détente renforce la protection conférée aux créanciers locaux titulaires de sûretés réelles.

410. Règl. (CE) n° 1346/2000, op. cit., art. 2, g).

411. M. VIRGOS et E. SCHMIT, op. cit., n° 69.

412. CJUE, 15 juin 2015, aff. C-649/13, Comité d’entreprise de Nortel Networks SA e. a. Contre Cosme Rogeau liquidateur de Nortel

Networks SA et Cosme Rogeau liquidateur de Nortel Networks SA contre Alan Robert Bloom e. a., ECLI:EU:C:2015:44, concl. AG

Paolo MENGOZZI, 29 janv. 2015 : D. 2015, Actu, p. 1316 et 1514, note R. DAMMANN et M. BOCHE-ROBINET ; D. 2015, Pan., p. 2031

(spéc. p. 2042), obs. L. D’AVOUT et S. BOLLÉE ; D. 2016, p. 1045, obs. H. GAUDEMET-TALLON ; Rev. sociétés 2015, p. 549, obs. L.-C.

HENRY. V. égal. R. DAMMANN, « Les enseignements de l’affaire Nortel », BJS juill./août 2015, p. 325 ; BJS oct. 2015, p. 514, note

F. JAULT-SESEKE et D. ROBINE ; L.-C. HENRY, « L’affaire Nortel, les audaces de la CJUE », BJE juill./août 2015, p. 209.

413. Règl. (UE) n° 2015/848, op. cit., art. 2, § 9 ; L. SAUTONIE-LAGUIONIE et C. LISANTI, op. cit. : J-L. VALLENS, « Article 2. Définitions »,

p. 38 à 57.

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1. La qualification préalable des biens grevés par la lex causae

247. Pour déterminer la localisation de biens grevés, plusieurs étapes préalables sont nécessaires avant leur assimilation à une catégorie d’actifs du Règlement Insolvabilité. Il convient, dans un premier temps, d’établir la date d’ouverture de la procédure secondaire, afin de connaître les actifs susceptibles d’entrer dans son périmètre, puis d’établir la juridiction compétente pour procéder à leur qualification en application de leur lex causae. Leurs modalités de localisation, inhérentes à leur appartenance à une catégorie d’actifs, permettront ensuite d’établir, s’ils bénéficient de l’immunité conférée aux biens localisés à l’étranger lors de l’ouverture d’une procédure principale, s’ils sont susceptibles d’être appréhendés par la juridiction souhaitant procéder à l’ouverture d’une procédure secondaire.

248. Afin d’appréhender les actifs susceptibles d’échapper aux effets universels de la procédure principale par l’ouverture d’une procédure secondaire, il est tout d’abord nécessaire d’établir la date à laquelle ladite procédure fut ouverte, afin de déterminer son périmètre. Lors de l’affaire Nortel415, la CJUE

consacra le principe selon lequel il convenait de se placer à la date d’ouverture effective de la procédure secondaire afin d’obtenir l’étendue des actifs rentrant dans son périmètre416. Elle a ainsi estimé, qu’au

regard de l’interprétation autonome desdites dispositions consacrée par l’affaire Eurofood417, qu’un

transfert d’actifs postérieur à la date d’ouverture était sans incidence sur le périmètre de la procédure. 249. Une fois cette photographie des périmètres respectifs des procédures principale et secondaire établie, il convient de s’interroger sur la problématique relative à la détermination de la juridiction compétente pour l’examen de la qualification préalable des biens à leur catégorisation et à leur localisation. La CJUE consacra à l’occasion de l’affaire Nortel le principe de compétence alternative du juge de la procédure secondaire aux fins de détermination de son périmètre418. Bien que le juge de la procédure principale

dispose d’un panorama complet sur les actifs du débiteur, le juge compétent pour l’ouverture d’une procédure secondaire doit nécessairement procéder à l’inventaire des actifs localisés sur son territoire, du fait que l’existence d’un établissement nécessite la présence d’un volume suffisant d’actifs. A défaut d’une règle de litispendance, un éventuel conflit de juridiction sera solutionné par les dispositions du Règlement Insolvabilité qui impose une reconnaissance automatique des jugements419.

250. Une fois le périmètre de la procédure et de la juridiction compétente pour apprécier la localisation des actifs déterminés, il revient à cette dernière, dans un premier temps, d’apprécier la qualification des biens par la lex causae, puis de les assimiler à une catégorie d’actifs du Règlement Insolvabilité420. Cette

méthode de qualification à double détente421 fut consacrée par les affaires Hermann Lutz et SCI Senior Home précédemment évoquées422. La qualification des biens par la lex causae permet de préserver les

créanciers locaux d'une qualification de droit étranger, qui nuirait sensiblement à leur sécurité juridique. Cette qualification préalable permet au juge de la procédure secondaire de catégoriser les actifs conformément aux règles matérielles du Règlement Insolvabilité, et ainsi d’apprécier leur localisation.

415. V. infra, réf. n° 412.

416. Règl. (CE) n° 1346/2000, op. cit., art. 2, f) et art. 18, § 2 ; Règl. (UE) n° 2015/848, op. cit., art. 2, § 7, pt. ii), § 8 et art. 21, § 2 ;

CJUE, 15 juin 2015, aff. C-649/13, op. cit. : concl. AG Paolo MENGOZZI, 29 janv. 2015, pt. 66 ; R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op.

cit., n° 942 et 999 ; R. BORK et R. MANGANO, op. cit., n° 7.57.

417. CJUE, 15 juin 2015, aff. C-649/13, op. cit., pt. 53.

418. M.-H. MONSÈRIÉ-BON, op. cit., JCl. Procédures collectives, Fasc. 3125, 15 mars 2019, § 69.

419. CJUE, 15 juin 2015, aff. C-649/13, op. cit., pt. 45 et concl. AG Paolo MENGOZZI, 29 janv. 2015, pt. 60 ; R. DAMMANN et M.

SÉNÉCHAL, op. cit., n° 957 et 958.

420. Règl. (UE) n° 2015/848, op. cit., art. 2, § 9 ; Règl. (CE) n° 1346/2000, op. cit., art. 2, g).

421. L.-C. HENRY, op. cit., BJE mars 2017, p. 139 ; R. DAMMANN, op. cit., D. 2017, p. 852.

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2. L’assimilation des biens grevés à une catégorie d’actifs

251. Une fois la qualification des biens opérée, les juges peuvent procéder à l’assimilation des biens grevés à une catégorie d’actifs afin d’en connaître la localisation, et leur appartenance aux périmètres respectifs des procédures. La présente étude n’a pas pour objet d’analyser l’ensemble des modalités de localisation de chacune des catégories, bien que leurs enjeux pratiques revêtent une importance considérable dans le cadre de financements internationaux, et que la protection conférée aux titulaires de sûretés réelles soit inhérente à la localisation des biens grevés. L’étendue des biens appréhendés par chacune desdites catégories fut cependant scrupuleusement examinée par la doctrine423.

252. Cependant, il convient de souligner l’existence d’une dérogation contractuelle aux règles matérielles visant à localiser les actifs susvisés. Les praticiens de l’insolvabilité, dans le cadre de leurs obligations réciproques de coopération et de communication424, peuvent déroger auxdites règles par l’élaboration

de protocoles ou d’accords en vue de déterminer le rattachement des actifs au périmètre de la procédure principale ou à celui de la procédure secondaire. L’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de restructuration de la dette par les praticiens permet ainsi de coordonner de façon plus efficace la gestion, la réalisation et l’utilisation des actifs du débiteur et de maximiser la valeur de son patrimoine. 253. Cette pratique fut élaborée à l’occasion de l’affaire Sendo International425. En l’espèce une société

immatriculée aux îles Cayman faisait l’objet d’une procédure principale en Angleterre et d’une procédure secondaire en France. La conclusion d’un protocole de coordination permit aux praticiens de l’insolvabilité de définir les modalités de coordination desdites procédures en vue du traitement du passif du débiteur et de la réalisation de ses actifs426. Cette pratique devint monnaie courante lors de

contentieux traitant de la restructuration de groupes de sociétés transfrontaliers. Elle fut ainsi confirmée par la jurisprudence communautaire à l’occasion des affaires EMTEC et Nortel427. Ledit protocole ou

accord prend alors la forme d’un contrat de droit privé dont les aspects procéduraux obéissent à la lex

fori concursus, régissant la capacité du praticien à conclure de tels contrats. Les modalités relatives à sa

conclusion et à sa validité sont quant à elles régies par la lex contractus choisie par les parties428.

254. Une telle dérogation était d’autant plus nécessaire que le praticien de l’insolvabilité de la procédure principale peut procéder à des transferts d’actifs avant l’ouverture d’une procédure secondaire, sous réserve d’un transfert abusif réalisé au détriment de créanciers locaux, tel qu’illustré par l’affaire Nortel. L’instauration d’une règlementation relative au transfert d’actifs, et la possibilité de déroger contractuellement aux règles de localisation étaient nécessaires pour protéger les créanciers locaux.

423. M. MENJUCQ, « La localisation des actifs dans les procédures d’insolvabilité : analyse de l’article 2, sous g) du règlement (CE) n°

1346/2000 », Rev. proc. coll. n° 5, Novembre 2015, étude 18 ; R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 960 à 993.

424. Règl. (UE) n° 2015/848, op. cit., cons. 49 et art. 41 ; DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 1057 et 1058 ; L. SAUTONIE-LAGUINIE

et C. LISANTI, op. cit. : L.-C HENRY, H. BOURBOULOUX et M. SÉNÉCHAL, « Article 41. Coopération et communication entre praticiens

de l’insolvabilité », p. 256 ; F. JAULT-SESEKE et D. ROBINE, op. cit., p. 89, art. R. DAMMANN et M. KOHMAN.

425. High Court of Justice, Chancery Division of London, 29th June 2005, unreported ; T. com., Nanterre, 29 juin 2006, n° 05L0823 ;

K. PANNEN, op. cit., p. 660 à 663. V. égal. R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 1080 et 1081 ; L.-C. HENRY, « Le nouveau

règlement "insolvabilité" : entre continuité et innovations », D. 2015, p. 979.

426. « Protocol agreement for the coordination of a main insolvency proceeding with a secondary insolvency proceeding filed in

conformity with European Regulation n° 1346-2000 » between SCP BECHERET-THIERRY-SENECHAL, judicial liquidator of SENDO

INTERNATIONAL LTD, represented by M. SENECHAL ; and Alastair P Beveridge and Simon J Appel of KROLL, joint administrators of SENDO INTERNATIONAL LTD., represented by R. DAMMANN (Journ. sociétés, avr. 2007, n° 42, p. 54).

427. V. infra, réf. n° 412 ; B. LAUKEMANN (2016), « Regulatory copy and paste : the allocation of assets in cross-border insolvencies -

methodological perspectives from the Nortel decision », Journal of Private International Law, 12:2, p. 379 à 410.

428. Règl. (UE) n° 2015/848, op. cit., art. 7, § 2, c) ; Règl. (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur

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