• Aucun résultat trouvé

202 L’instauration de règles matérielles relatives à la qualification des sûretés réelles comme droits in rem

Paragraphe 1 : Une qualification en deux temps des droits réels

2. L’absence d’une protection absolue : une immunité conditionnée

231. L’immunité conférée aux créanciers titulaires de sûretés réelles n’est pas absolue. Elle est en effet conditionnée par la constitution antérieure des droits réels à l’ouverture de la procédure principale ; à la localisation des biens grevés dans un autre état membre ; et à l’absence d’actes préjudiciables à la masse des créanciers, ces derniers pouvant intenter des actions en nullité, annulation ou inopposabilité. 232. L’immunité est conditionnée par la localisation des actifs sur le territoire d’un autre État membre383.

Ceux localisés sur le territoire d’un État tiers ne peuvent donc en bénéficier384. L’examen des modalités

relative à leur localisation fera l’objet de développement approfondi385. L’étude du trust face aux

procédure transfrontalière nécessite d’évoquer les conséquences du Brexit. Les actifs financiers localisés à Londres ne pourront plus bénéficier de l’immunité si l’Angleterre devenait un État tiers. Ceci explique en partie les déplacements d’actifs financiers opérés récemment à destination d’États membres. Il est intéressant par ailleurs de noter que la CJUE, dans l’affaire Erste Bank386, accorda le bénéfice de

l’immunité au créancier titulaire d’un droit réel, grevant un bien localisé dans un État tiers, constitué avant l’ouverture d’une procédure principale, elle-même antérieure à l’adhésion dudit État à l’UE. 233. La constitution antérieure des droits in rem à l’ouverture de la procédure principale est nécessaire pour

bénéficier de l’immunité387. L’affaire Eurofood388 avait généré un débat doctrinal relatif à l’appréhension

de ladite date. La CJUE avait retenu la date de nomination d’un liquidateur provisoire comme modalité de détermination de la date d’ouverture de la procédure principale irlandaise389. La consécration d’une

interprétation autonome par le Règlement Insolvabilité mit un terme à cette problématique, en définissant la date d’ouverture comme le moment à partir duquel la décision déploie ses effets390. Cette

consécration permit d’échapper à une appréciation nationale subjective, laquelle serait susceptible d’engendrer un traitement discriminatoire des créanciers. L’effectivité rétroactive d’une décision d’ouverture est prohibée. Elle reviendrait à appliquer une lex concursus étrangère non prévisible. 234. L’absence d’actes préjudiciables accomplis pendant la période suspecte, est également un prérequis, les

créanciers pouvant intenter des actions visant à préserver leurs intérêts391. Le sort de l’acte est

déterminant pour la reconstitution des actifs constituant la masse de l’insolvabilité. Cette problématique est particulièrement intéressante dans le cadre des restructurations des groupes de sociétés, où les sociétés mères opèrent des transferts d’actifs avant l’ouverture des procédures principales dirigées à l’encontre de leurs filiales. Si ces transferts ont pour l’objet un appauvrissement sans contrepartie de la filiale, les créanciers locaux peuvent intenter une action et se prévaloir d’un acte préjudiciable392.

383. R. DAMMANN, op. cit., Travaux du Comité français de DIP, éd. Pedone, 2011, 19-20, p. 17-54, pt. 85 ; Règl. (UE) n° 2015/848, op.

cit., art. 8, § 1 ; P. NABET, op. cit., n° 156 et 159.

384. M.-H. MONSÈRIÉ-BON, op. cit., JCl. Procédures collectives, Fasc. 3126, 16 fév. 2018, § 56 ; R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit.,

n° 1498 ; F. MELIN, op. cit., Bruylant, 2008, n° 198 ;R. DAMMANN, op. cit., Travaux du Comité français de DIP, éd. Pedone, 2011,

19-20, p. 17-54, pt. 86.

385. V. supra, § n° 249.

386. CJUE, 5 juill. 2012, aff. C-527/10, Erste Bank Hungary Nyrt contre Magyar Allam and Others, ECLI:EU:C:2012:417 : RPC 2012,

comm. 182, obs. M. MENJUCQ ; D. 2012, p. 2331, obs. L. D'AVOUT ; Rev. crit. DIP 2014, p. 145, note C. CHALAS ; R. DAMMANN et

M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 1500 ; M.-H. MONSÈRIÉ-BON, op. cit., JCl. Procédures collectives, Fasc. 3126, 16 fév. 2018, § 54.

387. R. DAMMANN, op. cit., Travaux du Comité français de DIP, éd. Pedone, 2011, 19-20, p. 17-54, pt. 87 ; M.-H. MONSÈRIÉ-BON, op.

cit., JCl. Procédures collectives, Fasc. 3126, 16 fév. 2018, § 54 ; R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 1499.

388. V. infra, réf. n° 152.

389. R. DAMMANN, op . cit., D. 2017, p. 852

390. Règl. (UE) n° 2015/848, op. cit., art. 2, § 8.

391. P. NABET, op. cit., n° 156 et 159.

70

235. Cependant, le bénéficiaire de l’acte incriminé peut se prévaloir d’un régime d’exception permettant de déroger à l’application de la lex fori concursus principalis393. L’acte préjudiciable doit être soumis à un

autre droit, la lex causae, que celui d’ouverture de la procédure principale, pourvu que ce droit ne permette, par aucun moyen, d’attaquer ledit acte394. Il lui revient de déterminer la loi applicable par

l’application des règles de droit international privé du Règlement Rome I. En matière de sûreté réelle, la

lex rei sitae et la lex contractus ont vocation à s’appliquer395. Puis, il lui revient de démontrer que cette

loi ne permet par aucun moyen d’attaquer l’acte incriminé, en prouvant sa teneur matérielle396.

236. Dans l’affaire Hermann Lutz397, le défendeur soutenait que le droit des procédures collectives autrichien

ne permettait d’attaquer l’acte incriminé en raison de l’existence d’un délai de forclusion. Bien que la doctrine majoritaire considère que les dispositions d’ordre procédural ne relevaient pas de la lex causae, la CJUE affirma l’absence de distinction entre l’ordre matériel et l’ordre procédural, qui générerait une discrimination du fait des classifications divergentes élaborées par le droit interne des États membres398.

De plus, elle affirma que le moyen tenant à la réalisation postérieure du droit réel à l’ouverture de la procédure était inopérant, pourvu que la constitution dudit droit soit intervenue avant son ouverture. 237. Cette affirmation fut consacrée dans l’affaire Nike399, où un franchisé avait effectué à destination de son

franchiseur des paiements au titre de l’acquisition de stocks soumis à un contrat de franchise néerlandais. Ces paiements intervinrent juste avant l’ouverture d’une procédure secondaire à l’égard d’une société finlandaise. Ladite société introduisit une action en nullité des paiements, conformément à la loi néerlandaise, afin de réintégrer les actifs dans la masse d’insolvabilité400. La CJUE consacra le fait

qu’imposer au renversement de la charge de la preuve des conditions d’administration trop strictes viendrait à vider les dispositions de leur substance401. Cette solution fut consacrée par l’affaire Vinyls Italia402, où la CJUE admit par ailleurs la pratique du law shopping à une affaire purement interne, ne

présentant aucun élément d’extranéité, hormis celui tenant à la lex contractus choisie par les parties403.

238. La méthode de qualification à double détente des droits in rem, permet à la fiducie-sûreté et au trust anglo-saxon de bénéficier d’une immunité face à l’ouverture d’une procédure principale, sous réserve du respect des conditions susvisées. L’instauration de règles matérielles relatives à la localisation des actifs était cependant une modalité de plus nécessaire à la préservation de l’efficacité du périmètre des procédures secondaires, et de l’étendue de la protection conférée aux titulaires de sûretés réelles.

393. Règl. (CE) n° 1346/2000, op. cit., art. 13 ; Règl. (UE) n° 2015/848, op. cit., art. 16.

394. Règl. (UE) n° 2015/848, op. cit., art. 16 ; L. SAUTONIE-LAGUIONIE et C. LISANTI, op. cit., Collection Trans Europe Experts, Volume

12, Société de législation comparée, 2015 : C. LISANTI, « Article 16. Actes préjudiciables », p. 138 à 141.

395. R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 1563.

396. M.-H. MONSÈRIÉ-BON, op. cit., JCl. Procédures collectives, Fasc. 3126, 16 fév. 2018, § 54.

397. V. infra, réf. n° 347 ; R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 1584.

398. R. DAMMANN et A.-M. DANG, « Précisions sur l'action en nullité dans le cadre du règlement CE n° 1346/2000 », D. 2015, p. 2105.

399. CJUE, 15 oct. 2015, aff. C-310/14, Nike European Operations Netherlands BV contre Sportland Oy, ECLI:EU:C:2015:690: D. 2016,

p. 526, note R. DAMMANN et M. PIGOT, p. 1045, obs. H. GAUDEMET-TALLON, et p. 2025, obs. S. BOLLÉE ; Rev. sociétés 2015, p.

762, obs. L.-C. HENRY ; RTD com. 2015, p. 755, obs. J.-L. VALLENS ; RPC n° 6, nov. 2016, comm. 172, obs. T. MASTRULLO ; BJE janv.-

févr. 2016, p. 53, note L.-C. HENRY ; JCP E 2016, 1154, n° 11, obs. M. MENJUCQ.

400. R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 1553.

401. R. DAMMANN et M. PIGOT, « L'application de l'article 13 du règlement CE 1346/2000 aux actions en nullité de la période

suspecte », D. 2016, p. 526 ; R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL, op. cit., n° 1553 et 1590.

402. CJUE, 8 juin 2017, aff. C-54/16 , Vinyls Italia SpA contre Mediterranea di Navigazione SpA, ECLI:EU:C:2017:433, concl. AG Maciej

SZPUNAR, 2 mars 2017 : D. 2017, p. 2073, note R. DAMMANN et A. HUCHOT ; D. 2017, Pan., p. 2054 (2061), obs. crit. L. D’AVOUT

et S. BOLLÉE ; BJE sept. 2017, p. 354, note J.-L. VALLENS ; JCP E 2017, 1546, n° 10, obs. M. MENJUCQ ; JCP 2017, 967, note L.

D’AVOUT ; Act. proc. coll. 22 sept. 2017, n° 232 ; Rev. crit. DIP 2017, p. 594, note F. JAULT-SESEKE.

403. R. DAMMANN et A. HUCHOT, « Arrêt Vinyls Italia : la CJUE valide le law shopping », D. 2016, p. 526 ; R. DAMMANN et M. SÉNÉCHAL,

71

_____________________________________________________________________________

Outline

Documents relatifs