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Qu’est-ce qui peut les soutenir ?

6.1 Ce que les enseignants font et veulent faire

6.2.1 Qu’est-ce qui peut les soutenir ?

Pour répondre à cette question, nous commencerons par nous intéresser à leurs motivations et à leurs objectifs. C’est pourquoi il peut être utile de commencer par analyser les réponses à la question 4 qui concerne les attentes des enseignants en cette période de confinement et d’enseignement à distance. Les sondés devaient définir le degré d’adhésion, à partir de propositions, puis ils pouvaient ajouter des informations dans la zone libre dédiée.

Ce que souhaitent faire majoritairement les enseignants en ce début de confinement est de garder le lien avec leurs élèves.

À l’inverse, les faire progresser et finir le programme passe au second plan. Un grand

nombre d’enseignants du primaire et plus particulièrement de maternelle, ajoutent dans la zone libre qu’il n’est pas possible, dans ce contexte, d’introduire de nouveaux contenus et qu’il est préférable de tâcher de stabiliser les acquis antérieurs. C’est aussi le message porté fortement par l’institution à un moment où il n’était pas possible de connaître l’ampleur et la durée de ce confinement. Les enseignants les plus confiants dans la possibilité de prolonger le travail scolaire sont ceux qui appartiennent au groupe des enseignants expérimentés du second degré. La différence de 10 à 20 points avec les autres groupes pour les items “Faire progresser les élèves”, “Faire acquérir de nouvelles compétences” et “Finir le programme” est significative. L’écart constaté avec les professeurs en élémentaire est certainement multifactoriel. De prime abord, nous pouvons envisager que les apprentissages au premier degré demandent plus fortement du présentiel parce qu’ils visent à mettre en place des bases qui exigent un étayage important au plus près de l’apprenant. Ainsi, aider à tenir un crayon, montrer le son associé à une lettre ou encore développer la motricité demandent souvent une explicitation et un soutien au plus proche de l’enfant. Cela éclaire le fait qu’en période de confinement “Garder le lien avec les parents” est aussi une attente quasi unanime dans le primaire qui doit trouver des relais au sein de la famille pour porter les apprentissages. Il y a aussi certainement une formation initiale différente ou encore des supports numériques souvent moins développés au sein des écoles qui disposent moins de matériels mais aussi moins d’ENT.

Mais ces disparités concernant la perspective de prolonger le travail scolaire sont aussi présentes entre le groupe des enseignants du second degré expérimentés et celui de lettres. Dès lors, les connaissances des TICE et les outils déjà déployés au sein des classes peuvent avoir contribué à rendre envisageable la poursuite et le renouvellement des apprentissages. L’appartenance à une communauté sur un réseau social où l’échange et la diffusion des pratiques est alors une autre piste de soutien pour diffuser la perception des affordances et l’articulation perception-action. Il faut donc bien disposer, en amont d’une nouvelle expérience, des connaissances qui permettent de reconnaître les nouvelles potentialités.

L’attente “faire acquérir de nouvelles compétences” est le seul majoritairement négatif avec 51% de réponses “modeste”. Si, globalement, 7 enseignants sur 10 n’adhèrent pas à cette expectative, ils sont toutefois 4 sur 10 à penser que c’est un objectif intéressant

parmi le groupe des enseignants du second degré expérimentés. Or, envisager cette perspective, c’est supposer que l’enseignement à distance n’empêche pas de nouveaux apprentissages ou bien qu’il permet la mise en place d’autres objectifs. Et c’est en tout cas une piste qu’il peut être intéressant de suivre. Pour connaître et évaluer ce qui a pu être appris en confinement de manière spécifique, comme le signale l’un des sondés : “ ​Je travaille des

compétences "invisibles", comme la mémorisation, l'organisation. Ce ne sont pas des compétences que j'ai le temps de développer en cours”. ​Mais aussi pour peut-être choisir de développer d’autres objectifs pédagogiques comme la collaboration entre élèves. Ces compétences invisibles risquent alors d’avoir été travaillées au détriment de celles qui, en temps normal, sont considérées comme plus fondamentales.

De même, “Garder le lien avec les autres enseignants” n’est pas pour tous les groupes une attente. Elle est même modeste pour 57 % des enseignants de lettres et même pour 79 % des professeurs expérimentés du secondaire qui peut-être bénéficiaient déjà de communautés actives hors de leur établissement ou de compétences qui les satisfont. Or, nous avons vu que les expérimentations pouvaient être un facteur d’évolution puisqu’elles sont corrélées avec une plus forte potentialité d’action. Dès lors, faire percevoir cet élément comme une plus-value peut parfois permettre d’initier un soutien. La formation initiale tente ainsi depuis de nombreuses années d’amener les étudiants qui souhaitent devenir enseignant à travailler ensemble alors qu’en établissement, et notamment dans le secondaire, la pratique reste souvent solitaire (Enquête TALIS, 2013).

À ce stade, les traces dégagées en ce qui concerne la perception de ce qui peut soutenir l’EAD et les enseignants en cette période de confinement sont limitées. Seule la volonté de garder le lien avec les élèves est conscientisée avec la nécessité préalable de disposer de matériels et d’outils. Elle peut être une entrée intéressante pour insérer par la suite des interactions, tant au niveau de la relation élève enseignant qu’entre les élèves. Or, cela passe par une expérimentation plus large qui n’apparait pas dans les attentes. Elle demande souvent une approche collaborative entre enseignants, pour montrer des exemples et s’entraider ce qui était d’autant plus compliqué en mode confinement que l’habitude n’existait pas avant. Cette absence est aussi probablement liée au fait, qu’à cet instant, les nouvelles compétences à travailler avec les élèves, comme notamment résoudre des

problèmes, créer et collaborer, restent généralement indiscernables. Ce qui peut soutenir les enseignants peut venir d’éléments qui ne sont pas encore perçus comme des attentes.

L’analyse des ajouts dans la zone de texte libre révèle qu’il s’agit de conserver autant que possible le monde d’avant : “continuer”, “maintenir”, “garder”, “petits pas”, “répétition”, “réviser”, “revoir”, “pérenniser”, “entretenir”, “en avançant sans trop avancer”. Elle s’accompagne de la question des inégalités et de la capacité ou non des parents à faire relais. Cet élément peut être une entrée vers une plus forte différenciation des pratiques pédagogiques qui peut-être une forme de soutien de l’EAD. Elle ajoute par ailleurs d’autres pistes de soutien comme celui attendu de l’institution mais aussi le développement de l’autonomie des élèves et sa mise en projet.

En conséquence, ce qui peut soutenir l’EAD est une modification des attentes et des méthodes pédagogiques dans ce contexte. Elle passe par plus d’expérimentations, de collaboration entre pairs, de différenciation et de variété des pratiques en vue d’une plus grande autonomie des élèves. Mais à ce moment de l’enquête, ce soutien est globalement imperceptible.

Peut-être est-ce aussi la résultante de contraintes spécifiques ?