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Ce que les enseignants font : moyens et organisation

6.1 Ce que les enseignants font et veulent faire

6.1.1 Ce que les enseignants font : moyens et organisation

Quels sont les moyens mis en œuvre ?

La question 5 “Comment enseignez-vous à distance” apporte un éclairage sur les outils utilisés. Il faut toutefois pondérer son poids puisqu’elle n’indique pas la fréquence de cette utilisation.

Tout groupe confondu, le moyen qui est de loin le plus cité, avec huit sondés sur dix, est la “vidéo à regarder”. Il nous semble possible d’estimer que sa vocation est plus de proposer des contenus que d’attendre une interaction, bien qu’elle puisse être complétée par

un questionnaire. Elle ne précède cependant que de sept points le cours envoyé au format texte. Ce choix de la vidéo à regarder est plus important et il arrive en tête, à l’école primaire, quand les enfants ne maîtrisent pas ou peu la lecture. Dans le secondaire, le premier choix est le “cours envoyés au format texte”. Peut-être s’agissait-il, en ce début de confinement, aussi d’utiliser les cours déjà préparés ou bien de poursuivre les rituels mis en place. Cependant, cela signale une connaissance imparfaite des spécificités de l’enseignement à distance qui ne peut pas, pour être efficace, se baser sur la transposition de cours traditionnels. En présentiel l’enseignant utilise aussi son corps, sa voix et des signes imperceptibles pour transmettre son savoir. Dès lors, en reprenant les mêmes contenus, les effets en distanciel risquent d’être moindres. Les enseignants les moins expérimentés sont les plus nombreux à envoyer des cours au format texte. Ils ont peut-être moins expérimenté d’autres modes d’enseignement et moins testé de nouveaux outils que les autres groupes et donc moins appréhendé leurs particularités.

Cependant, une majorité d’enseignants de tous les groupes propose aussi des exercices interactifs en ligne, ce qui devrait permettre une certaine rétroaction aux élèves, même s’il ne s’agit pas d’une véritable interactivité. L’utilisation du média rend possible, en l’espèce, un retour rapide et relativement personnalisé qui permet à l’élève de se situer par rapport à un attendu et parfois apporte des éléments explicatifs et même des pistes d’approfondissement. Mais, là aussi, nous avons peu d’informations sur la manière dont ces exercices interactifs en ligne sont conçus ni même avec quel(s) objectif(s). Nous pouvons préciser que ce choix est le second des enseignants du primaire, après les vidéos à regarder. Ils évoquent l’utilisation de plateformes comme la “Quizinière” de CANOPE qui permet de proposer des quiz et leur corrigé ou “Learning Apps” qui propose de réaliser des questionnaires sous forme de mini jeux. Ils sont souvent utilisés en formation initiale et continue et étaient souvent vraisemblablement déjà connus comme certains le signalent. Mais, pour les enseignants du secondaire, c’est la “création d’un déroulé qui contient du cours et des exercices à rendre” qui est choisi après les “cours envoyés au format texte” et les “vidéos à regarder”. La proposition d’“exercices interactifs en ligne”, bien qu’encore majoritaire dans ce groupe, n’arrive qu’en quatrième proposition. L’interactivité semble sur ce point, être moindre dans le secondaire. Enfin, si quatre enseignants sur dix nomment la “classe virtuelle”, pour laquelle une forte incitation institutionnelle existait, ils sont 17 % de plus à choisir cet outil dans le secondaire, certainement en raison de l’âge et de la plus grande

autonomie supposée des élèves. Mais on ne sait pas, à ce stade de l’enquête, en quoi consiste ce cours ni si les élèves sont invités à y contribuer. Les enseignants sont aussi nombreux, dans la même proportion de quatre sur dix, à choisir “les exercices à faire sur les livres scolaires” avec ici aussi le même écart de 17 % en faveur des enseignants du secondaire.

Le premier constat est donc, dans ce premier temps du confinement, un choix d’outils qui correspond principalement à un enseignement qui va du professeur à l’élève avec relativement peu d’interactions. Ce choix est encore plus net dans l’enseignement secondaire. Mais les sondés avaient un choix d’items limité et la question ouverte suivante pouvait compléter ces données.

La zone de texte libre, en dessous de la question, apporte des pistes supplémentaires, notamment pour ce que l’on peut entendre derrière la réponse “Autres” qui recueille près d'un cinquième de choix.

La première concerne les enseignants du primaire qui sont un quart à s’exprimer. Ils ont investi l’audio et la photo pour faire passer les consignes et porter leur voix et la forme de défi pour inciter à la motivation et à l’engagement dans les tâches. La création vidéo est aussi citée principalement pour montrer et expliciter les consignes. Certains parlent des supports par le biais des plateformes utilisées, ENT, site ou mur de ressources et de leur choix d’outils, souvent déjà signalés comme connus.

La seconde concerne le secondaire qui ajoute l’utilisation d’applications pour ordiphone qui tient compte des usages des apprenants et des moyens dont ils disposent et qui montre une forte volonté de garder ou de retrouver le contact en tenant compte du matériel mais aussi des usages des jeunes.

Enfin, on trouve la forte appréhension des enseignants moins expérimentés qui sont les plus nombreux à faire remonter des difficultés techniques tant au niveau des élèves que pour eux-mêmes.

Seule une très faible minorité, dans chaque groupe, évoque la création multimédia de vidéos, de quiz, de jeux ou de tutoriels.

Par conséquent, il est possible de noter que la plupart des enseignants, font et veulent faire “comme avant”, peut-être en raison du manque de temps pour permettre une réflexion ou du temps nécessaire d’appropriation de nouveaux outils.

Ils envoient, dès lors que les enfants sont assez grands pour le lire, le contenu du cours préparé pour le présentiel. Sinon, ils tentent de transposer numériquement leurs habitudes. Nous avons ainsi relevé de nombreux enseignants qui affirment se filmer en train de faire cours pour que les élèves les voient ou pour expliquer la séance ou l’activité, notamment dans le primaire. Quelques-uns, plutôt dans le secondaire, annotent des copies au format PDF ou proposent des dictées audio. En l’espèce, s’il est intéressant et important de garder un contact visuel ou auditif avec ses élèves, les moyens technologiques semblent principalement utilisés comme moyen de substitution afin de poursuivre, avec de nouvelles formes de médiation, des activités très similaires. La vidéo, l’audio, les exercices en ligne semblent ainsi essayer de remplacer le face à face afin de tenter de conserver un simili contact.

Les outils choisis sont utilisés pour faire comme avant le confinement. Ce constat est encore plus fort dans le secondaire qui fait plus le choix d’envoyer le cours au format texte, quitte à ce que cela prenne plus de temps, comme le montre ensuite leur besoin dans cette catégorie. Les moins expérimentés font, de plus, état de problèmes techniques et parfois d’une certaine frustration devant ces nouveaux médias qui sont désignés comme des instruments complexes et non comme des potentialités d’action. Cependant, il faut souligner que les sondés ne notent pas une inadéquation des outils à leur objectif ou à leur méthode pédagogique qui restent inchangés.

Les outils cités sont en grande partie les moyens institutionnels que sont l’ENT, la “Digithèque”, “Classe Virtuelle” ou “la Quizinière.” Il y a donc une certaine prise en main des moyens proposés par L'Éducation nationale. Nous notons, à la marge, quelques mentions de l’utilisation d’outils collaboratifs en ligne de type traitement de texte comme “FRAMAPAD” ou de murs utilisés collaborativement comme “PADLET” qui signalent peut-être l’orée d’un changement.

Toutefois, les moyens mis en œuvre globalement à cette date ne font pas apparaître de manière significative la perception de nouvelles affordances. Les enseignants ne semblent pas avoir vraiment exploré, à ce stade, l’ensemble des capacités des outils disponibles au sein de ce milieu et notamment leur capacité d’interaction et de différenciation.

Que font les enseignants ? Au-delà de la question des moyens, la question ouverte 2 “Comment vous organisez-vous ?” permet de s’approcher de leur organisation au sein de ce nouvel environnement. Après le contexte physique de la niche, nous partons à la recherche des pratiques qui ont pu éclore.

Le mot qui revient le plus souvent est “Je” avec plus de 100 occurrences pour chacun des groupes, le second mot le plus important est “travail”. La combinaison des deux termes, semble dessiner une forte implication professionnelle et personnelle. Aucun n’affirme être resté inactif dans ces moments souvent difficiles. Ils prennent ainsi une posture professionnelle et présentent des affordances pédagogiques fortes. Mais de quelle sorte de travail est-il question ? Que font-ils ?

Nous sommes au début du confinement, dans les quinze premiers jours, et les enseignants sont dans le : “envoyer”, “faire”, “utiliser” et dans une moindre mesure “répondre”, “aider”, “donner”, “préparer”, “rendre”, “organiser” et “corriger”, principalement de manière asynchrone. En synchrone, les classes virtuelles sont très majoritairement proposées. De manière moins fréquente, le téléphone est utilisé pour échanger avec les familles ou avec des élèves à profils particuliers et c’est plus souvent le cas en maternelle. Par ailleurs, l’analyse des données ne relève pas la présence d’espaces d’échanges ou de façon très rare comme quelques classes virtuelles mises en place pour laisser les élèves échanger entre eux sans intention pédagogique particulière, des murs de ressources collaboratifs ou quelques espaces de traitement de texte partagés. Il s’agit, le plus souvent, de cas isolés car seule une poignée d’occurrences sont en tout relevées. Ils ne sont donc pas représentatifs mais il est cependant intéressant de noter leur existence.

Ainsi, peu de mots sont liés à une interactivité. La communication paraît nettement privilégier le sens enseignant élève : mails (40), téléphone (14), communication (10), aide (4), rendre (5), correction (16), QCM (8), VIA (8). C’est l’enseignant qui communique et l’élève qui doit individuellement restituer le travail. Le mot “liens” au pluriel est à comprendre comme liens vers des ressources ; au singulier, il est cité moins de cinq fois dans chaque groupe.

Un grand nombre de mots appartient à différents ensembles, ce qui peut donner à percevoir l’intrication des trois types d’affordances : technologiques, pédagogiques et sociales. L’enseignant utilise des outils pour transmettre et ou pour proposer du travail. Les outils cités sont variés dans tous les groupes, ce qui montre la multiplicité des pistes explorées par les enseignants. La régularité des activités est à souligner avec une présence importante de la temporalité au sein du lexique.

De manière générale, nous retenons que l’action va de l’enseignant vers l’élève, sans en général d’interaction, et qu’il est principalement question de communiquer régulièrement, avec des moyens variés, le travail ou sa correction. Dès lors, les actions sélectionnées par les enseignants sont très proches de leur contexte habituel, même s’ils tentent d’élargir les médias utilisés.

Quelles sont les spécificités des groupes et que nous apprennent-ils ?

La mise en forme des réponses du premier degré, après étude du sens de chaque mot, permet de les combiner pour dresser un portrait de cette organisation à partir des mots relevés et de leur signification en contexte : Les enseignants (Je), parfois avec les parents (15) et les collègues (10), parfois le soir (4), travaillent (61). Ils font (25) et envoient (19) du travail sur l’ENT (8), les blogs (7) ou PADLET (6) et reçoivent (photo 14) celui des enfants (10). Ils planifient (12) le temps (6) de travail par jours (10) ou semaines (13) d’activités (12). Les élèves (5) et les familles (4) travaillent à la maison (4) avec des documents (4), notamment en maths (11) et en arts (4).

Le lien social va de l’enseignant aux familles (15) et aux élèves (11), par mails (21), téléphone (14), ENT (14), plus rarement par PADLET (4), chaque semaine (15) ou jour (13), par des envois (11) de documents (10), de propositions (10) et parfois de photos (10), de fichiers (4) ou d’activités (4). La communication (5) et le contact (5) maintiennent le lien (5) mais aussi apportent des réponses (5).

L’enseignant utilise des outils, principalement la classe virtuelle (19) et la “visio” (5) mais aussi les blogs (10), les vidéos (10), les liens (9) externes, les sites de l’école (7), PADLET (6), des applications (6), mais distribue aussi parfois par support papier (6). Dans une moindre mesure, il se sert du Drive (5), des jeux (4) et de différents outils (10), parfois

signalés comme déjà utilisés dans l’année (4). Il se soucie des problèmes techniques des élèves (6) et des familles (4) qui ne sont pas connectées.

Concernant les réponses du premier degré, les mots spécifiques “enfant” et “jeux” semblent montrer que le jeune âge des élèves amène plus à percevoir ce double statut de l'élève. Les photos servent quasi exclusivement à rendre les devoirs ou à produire des traces de l’activité à destination des enseignants. Là aussi cela prend en compte la particularité des enfants qui ne maîtrisent pas ou peu la lecture. Ce qui peut justifier aussi l’importance de la présence du mot parent, la préoccupation concernant le lien école famille et le passage par des moyens de contact plus directs, les appels téléphoniques, le mail et l’envoi aux parents pouvant représenter des alternatives face au manque d’autonomie des élèves.

Dans le second degré, le mot “autonomie” apparaît. D’autres nouveaux mots semblent correspondre principalement à l’existence d’un vocabulaire spécifique mais aussi à des activités différentes. Ainsi, si exercices et QCM apparaissent, le mot “activités” et la notion de “plan de travail” sont très peu présents. Le mot “collègue” est aussi peu présent dans le second degré, ce qui marque peut-être un exercice de la profession plus solitaire. Alors que les mots “PADLET” et blog sont deux fois moins nombreux dans le secondaire qui dispose plus souvent d’un ENT dédié.

Nous retiendrons la différence de cible qui se décale de l’enfant à l’élève et celle des actes d’apprentissage, avec une plus forte attente d’autonomie, qui en découlent. Mais comment sont, à ce stade, représentées les affordances technologiques ?

En analysant la présence des TICE à l’aide de la grille critériée dans l’ensemble des réponses de cette question 2, il est possible de noter que la majorité des enseignants interrogés, 61 % précisément, évoquent des réponses de type 1 “ne cite pas d’outils numériques” ou 2 “cite des outils dont la capacité est limitée de type messagerie”.

Ainsi un quart soit ne les nomment pas. Soit ils ne les perçoivent pas réellement comme des outils éducatifs au sein de leur organisation, qui doit pourtant se faire à distance et par conséquent être médiatisée, soit ces outils restent implicites au sein de leurs pratiques usuelles.

pondérée par l’existence plus fréquente d’ENT dans le second degré et par la moindre autonomie des apprenants qui incite peut-être à plus communiquer. Dans tous les cas, leurs potentialités d’actions se concentrent très majoritairement sur leur fonction de communication, sociale et pédagogique, sans conception d’interaction. Lorsqu’un outil ayant plus de capacité est cité, il s’agit principalement de création vidéo pour accompagner le cours. Enfin, parmi les 15 % d’enseignants qui parlent d’un outil potentiellement interactif, nous trouvons principalement la classe virtuelle proposée par l’institution avec un accompagnement, ce qui ne préjuge en rien des modalités de son emploi.

Très peu d’enseignants par ailleurs signalent découvrir de nouveaux outils, ils sont en général dans le groupe de lettres moins expérimentés, mais leur nombre n’est pas représentatif.

Donc, les enseignants interrogés ne semblent pas, à cet instant du sondage, voir les autres potentialités d’action des TICE en dehors de la communication. Les possibilités d’interaction semblent ignorées. Le rôle des TICE reste encore très limité dans cet enseignement à distance contraint. Donc, en observant ce que font les enseignants à ce moment du confinement, nous trouvons que la zone proximale de développement ne paraît que peu déployée et la niche ne se trouve que très faiblement développée. Si c’est aussi vrai pour les groupes d’enseignants expérimentés, aussi bien du primaire que du secondaire, c’est encore plus net pour le groupe d’enseignant de lettres qui est le plus nombreux à ne citer aucun outil alors qu’ils sont ceux qui ont le moins d’expérience. Cela alors même qu’il est très peu noté de difficultés matérielles, de manipulation ou encore de volonté de formation.

Dès lors, comme l’enseignant est tenu par les circonstances à explorer ces nouvelles possibilités, qu’est-ce qui fait qu’il ne se projette pas dans ces nouveaux possibles ? Que veut-il faire ?

Puisque le modèle PST nous y invite, après un premier aperçu des affordances qui ressortent des moyens utilisés et qui conforte le constat d’une faible utilisation pédagogique des TIC, en l’espèce centrée sur l’utilisation de moyens pour communiquer les cours tels qu’ils existaient avant, et non pour collaborer, nous allons nous intéresser à leur organisation afin de chercher à examiner l’articulation perception-action.