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Chapitre IV. Livre et lecture dans l’enseignement

IV.1. Qu’est-ce que le livre ? Essai de définition

Il existe différents langages, et le livre est une de ses formes particulières. Le livre, tantôt outil, tantôt objet, court ou long, toujours unique, propose différentes formes dont le contenu peut aller d’une étude scientifique, de la géodynamique interne de la terre par exemple, aux romans d’un Dostoïevski. « Anatomiquement » on peut y trouver un dos, un mors, des nerfs, une tranchefile, un signet, la quatrième de couverture, la tranche, la page de garde ou encore la première de couverture. Le livre ne répond donc certainement pas à une seule définition. Si l’on ouvre le Larousse, on peut y lire la définition suivante :

« n.m. (lat. liber). 1. Assemblage de feuilles portant un texte, réunies en un volume relié ou broché. 2. Volume imprimé considéré du point de vue de son contenu. Le sujet d’un livre. »

D’emblée la question est posée : le livre existe-t-il en tant que matière, assemblage ? Ou seulement grâce à son contenu ? Ou les deux ? La réponse paraît évidente : les deux. Néanmoins, quelques questions peuvent alors être soulevées: un livre blanc à l’intérieur, sans écrit, est-ce un livre ? Un contenu sur des feuilles volantes, est-ce un livre ? Et le livre numérique ?

Pourtant le sujet du contenu nous intéresse autant que la forme. Nous savons que le contenu autant que sa forme sont liés par l’histoire du livre, des premiers rouleaux de papyrus, jusqu’à l’apparition du codex, en passant par les parchemins. Cela est essentiel à prendre en compte dans notre travail, car le codex, premier cahier formé de pages manuscrites reliées ensemble, a permis aux lecteurs d’écrire, de prendre des notes ou de lire deux livres en même temps pour faire des comparaisons. Cela a été possible grâce à son faible encombrement, sa maniabilité et la possibilité d’accéder à n’importe quelle partie du texte. On peut voir que livre, texte et lecteur sont étroitement liés, et qu’il y a eu des évolutions au cours de l’histoire qui ont amené des changements auxquels nous prêtons attention aujourd’hui.

Auprès des livres, notre sensibilité est sollicitée. Chaque livre a une identité, et l’on peut facilement observer comment les enfants choisissent leur livre (voir les autobiographies de lecteur en annexe 5). L’identité du livre passe par son anatomie, mais pas seulement. Et même quand il s’agit de deux livres ayant le même contenu, mais parus chez des éditeurs

différents, un choix s’opère encore61. Un vieux livre et un livre récemment édité n’auront pas

la même odeur, la même « peau ». Le livre a donc quelque chose en plus, au delà du contenu propre du texte, c’est-à-dire de ce qui est écrit sur ses pages. Est-ce que les écrits de Tolstoï, retrouvés dans le tiroir de son bureau sur des feuilles volantes, auraient eu la même portée qu’édités en livre ? N’oublions pas que le livre a également été un moyen de diffusion des écrits. En revanche, si le tiroir n’avait jamais été ouvert, qu’en serait-il de ses écrits ? Existaient-ils avant d’être lus ? Bien entendu ils existaient « physiquement », mais vivaient- ils ? On peut s’interroger longuement sur l’existence d’une œuvre, de même que les milliers d’œuvres qui restent enfermées dans les immenses caves des musées, dans quelle mesure existent-elles ?

Dans le cadre de notre travail, nous nous appuierons sur différents auteurs, pour qui le livre doit s’appréhender avec un regard sans cesse renouvelé. Il serait absurde de vouloir lui attribuer une définition universelle. Néanmoins, il semble avoir des vertus qui dépassent les apparences. Ainsi, Marielle Macé définit le livre dans sa conduite esthétique : « Les livres offrent à notre perception, à notre attention et à nos capacités d’action des configurations singulières qui sont autant de "pistes" à suivre62 ». Pour elle, l’objet « livre » ne serait pas seulement un objet inerte placé devant les yeux du lecteur mais bien « des possibilités d’existence orientées63 ». Bien sûr, sa vision du livre se comprend à travers l’acte de lecture ;

le livre serait le support à des opérations mentales : « […] l’œuvre a une capacité dynamique de retentissement existentiel, elle projette devant elle la proposition d’un monde susceptible d’être habité64 ». Cette spécialiste de la littérature française moderne suppose dans sa

définition la présence du lecteur comme partie intégrante à la définition du livre. Elle insiste enfin, en citant Levinas qui disait en réponse à Husserl, que « le livre est un être […] une modalité de notre être65 ».

Pour Michelle Petit, sous un autre angle, chaque récit viendrait étayer nos tentatives de lier entre eux les événements de notre vie. Ce livre qu’on a dans les mains serait une sorte d’écho du livre que nous portons en nous.

61 Pour anecdote, j’ai eu le choix entre deux éditions du roman Ana Karénine de Léon Tolstoï, et le choix ne

s’étant pas fait sur les prix, peu différents, il s’est opéré sur d’autres éléments difficilement identifiables. En fait, il n’y a pas réellement de choix conscient : quand je l’ai vu, j’ai tout de suite su que c’était celle-ci que j’avais envie de lire, et non pas l’autre édition.

62 Marielle Mace, Façon de lire, manière d’être, Gallimard, Mayenne, 2011, p. 13. 63 Id.

64 Id., p. 126. 65 Id., p. 55.

Enfin, et pour amorcer notre chapitre sur le rapport au texte, Pierre Bayard, suivi de Jean Bellemin-Noël, repousse les contours du texte. Tandis que pour Pierre Bayard « le texte se constitue pour une part non négligeable des réactions individuelles de tous ceux qui le rencontrent et l’animent de leur présence66 », « seul le trajet de lecture qui est tissé de la

combinaison fluctuante de la chaîne de ma vie avec la trame des énoncés une fois pour toutes combinés par l’auteur mériterait d’être appelé texte67 » pour Jean Bellemin-Noël. S’intéresser

au lecteur suppose donc de la part de ce dernier une activité sur le livre.

Chez les enfants, s’ils ne sont pas toujours lecteurs, le contact avec le livre peut exister. Certes, la distance entre analyser ou interpréter une œuvre, et avoir le livre dans son champ de vision est immense, mais ces deux postures ont en commun le livre ; un intérêt, quel qu’il soit, de l’admiration au mépris, de la connaissance approfondie à la plus grande ignorance.

Alors qu’est-ce qu’on entend par « lecture » des livres ? Et quels sont les enjeux de celle-ci ?

66 Pierre Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd ?, Pairs, Minuit, 1998, p. 130, cité par Gérard Langlade, « Le sujet

lecteur, Auteur de la singularité de l’œuvre », dans Gérard Langlade et Annie Rouxel, Le sujet Lecteur, Lecture

subjective et enseignement de la littérature, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p. 91.

67 Jean Bellemin-Noël, Plaisirs de vampire, Paris, PUF, 2001, p. 21, cité par Gérard Langlade, « Le sujet lecteur,

Auteur de la singularité de l’œuvre », dans A. Rouxel et G. Langlade, Le sujet lecteur. Lecture subjective et