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Il serait vain de croire à la vérité universelle et de vouloir donner, par les marques et le pouvoir du présent de vérité générale, la conviction aux enfants que cette vérité existe. La science nous a fait acquérir des certitudes, mais également bons nombres d’incertitudes, reposant sur ces mêmes certitudes. La science « classique » reposant sur le déterminisme

absolu, a su éliminer toute part de hasard. Edgar Morin cite en exemple la mécanique quantique qui a fait surgir non plus seulement du hasard, mais de « l’imprédictibilité » dans la nature et le comportement des objets microphysiques. De manière plus simple, il s’agit de certitudes que nous devons déconstruire par la suite, ou combattre pour les plus virulentes32.

En classe, il arrive souvent à l’enseignant d’apprendre une règle aux enfants, en parant son discours des attributs de la vérité, en sachant pertinemment que rapidement cette règle sera fausse ou du moins incomplète, et qu’il existe par exemple des exceptions. Il n’est pas ici question de savoir si cette règle adaptée est une étape nécessaire dans l’apprentissage. De l’incertitude, la science a dévoilé son lot, et en effet, on ne peut pas connaître avec une précision sans faille toutes les interactions d’un système, surtout lorsque celui-ci est complexe. Il en va d’ailleurs de même pour l’être humain. Hegel encourageait une forme de scepticisme de l’esprit car il s’attaque aux dogmes et aux croyances. Invitons ce scepticisme à entrer dans nos classes et à semer le doute, du moins la curiosité, à questionner les certitudes.

Mais pour l’homme, la première étape paraît être celle de reconnaître que ce que nous prenons comme vrai n’est malheureusement qu’un ensemble de certitudes. Bentolila vient faire écho à cela et nous invite à développer un scepticisme accru en ce XXIe siècle : « La nécessité du doute est accrue dans notre époque où fausses informations, rumeurs, ragots ne sont pas véhiculés seulement par le bouche-à-oreille mais sont propagés avec une vitesse et amplitude inouïes par internet33 ». Il ne s’agit pas de tomber dans la paranoïa, mais déjà chez les enfants d’autoriser le doute. N’importe quel enseignant, parent ou tout simplement adulte, aura pu faire le constat que s’il utilise les formes linguistiques adaptées pour parer son discours de vérité, l’enfant aura forte tendance à le croire, et le prendre pour vérité universelle (en tous lieux et de tout temps), du moins jusqu’à ce qu’il s’autorise le doute.

Ce travail nécessite de la réflexion de la part de l’enseignant et vise à éveiller chez les enfants ce que les textes officiels de l’Education nationale appellent « l’esprit critique ». Permettre aux enfants de s’autoriser le doute, c’est leur permettre d’échapper à la conviction et au dogme. La théorie, contrairement aux dogmes, accepte d’être réfutée, et il me semble même que c’est une condition justement pour qu’elle soit théorie plutôt que doctrine.

Ces espaces où l’on autorise l’enfant à douter de manière volontaire, contrairement à ce qu’il peut vivre dans les apprentissages, lui permettront de comprendre qu’une opinion,

32 Je me souviens le jour où, après plusieurs années de collège où l’on m’avait répété que le carré d’un nombre

était toujours positif, mon professeur de lycée de mathématiques m’a affirmé qu’un carré pouvait être négatif. Oui, il existe un nombre i qui, élevé au carré, fait -1.

une décision de parler, de dire ces mots-là, est un choix qui doit donner lieu à de la vigilance. Bentolila écrit qu’« il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes. Il faudrait enseigner des principes de stratégies, qui permettent d’affronter les aléas, l’inattendu et l’incertain, et de modifier leur développement, en vertu des informations acquises en cours de route. On n’élimine pas l’incertitude, on négocie avec elle34 ».

L’incertitude peut parfois transparaitre dans nos discours, par exemple quand nous comparons facilement les membres d’une fratrie pour en dégager rapidement les similitudes ou les différences, comme une vérité générale ; comme si l’enfant était voué à une certaine fatalité dont il ne pourrait se détacher. De cet exemple découle la question : comment la langue peut-elle donner des possibilités aux enfants de mieux se connaître et mieux connaître les autres ?

Dans le cadre de notre travail, nous avons évoqué l’influence du milieu, c’est-à-dire l’environnement proche de l’enfant dès le plus bas âge, faisant référence le plus souvent à l’entourage familial. Celui-ci peut s’étendre également à un environnement moins proche qui peut être constitué par les pairs que l’on fréquente ou ceux qui vivent dans le même lieu mais que l’on fréquente moins, et également l’école. Pour la suite de notre travail, nous allons nous concentrer principalement sur l’environnement scolaire, c’est-à-dire les enfants qui y pénètrent très régulièrement, l’établissement scolaire physique, les adultes qui sont présents, ainsi que les familles et leur quartier.

Nous pouvons tout de suite constater la complexité et la diversité des paramètres que nous devons prendre en compte pour réfléchir à notre travail. Il s’agira d’essayer d’inscrire ce projet en prenant en compte, comme je souhaite le faire pour l’humain, l’environnement scolaire dans sa totalité, même si il faut être conscient de la portée de nos moyens et de la difficulté à combiner tous les paramètres. Prendre en compte l’école ou l’être humain dans leur globalité est peut être impossible, mais nous allons faire des choix et essayer de ne pas ignorer cette dimension. C’est pourquoi j’ai décidé d’intégrer la partie suivante qui traite du lieu d’expérimentation dans la partie théorique. L’environnement où a été réalisé ce travail n’est pas seulement à décrire en partie expérimentale, il fait pour moi l’objet d’une réelle étude théorique suite aux différentes observations que j’ai pu faire, et aux témoignages de ses habitants.