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Qu’Achille aime autrement que Tirfis ft Philène ; N’allez pas d’un Cyrtis nous Faire un Artamèae

Dans le document [Oeuvres de Mr. de Voltaire]. T. [29] (Page 75-84)

Nous favons bien que Cèfar ayant en effet aimé

Cléopâtre , Corneille le devait faire parler autrem ent,

& que furtout cet amour «ft très infipide dans la tra­ gédie de la Mort de Pompée. Nous favons que Cor­

neille qui a mis de l’ amour dans toutes fes p iè c e s, n’a

jamais traité convenablement cette paffion , excepté dans quelques fcènes du CicL imitées de l’efpagnoL Mais auflt toutes les nations conviennent avec nous qu’il a déployé un très grand génie, un fens profond, une force d’efprit fupérieure dans China, dans p la­ ceurs fcènes des Horaces ^ de Pompée , de Poiyeucîe, dans la dernière fcène dé Rodogune.

S l’amour eft infipide dans prefque toutes fes p ièces, nous fommes les premiers à le dire ; nous convenons tous que fes héros ne font que des railbnneurs dans fes ; quinze ou feize derniers ouvrages. Les vers de ces

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pièces font durs, obfcurs, fans harmonie, fans grâce. Mais s’il s’eft élevé infiniment au-deflus de Sbakefpear dans les tragédies de fon bon tem s, il n’eft jamais tombé fi bas dans les autres ; & s’il fait dire malheu- reufement à Céfar,

QiCil vient annohlir par le titre de captif, le titre de vainqueur à prèfent effeilif’, Céfar ne dit point chez

lui les extravagances qu’il débite dans Sbakefpear. Ses héros ne font point l’amour à Catau comme le roi

Henri F ; on ne voit point chez lui de prince s’écrier

comme Richard I I :

„ O terre de mon royaume ! ne nourris pas mon 33 ennemi ; mais que les araignées qui fucent ton 33 venin , & que les lourds crapauds ibient fur fa „ route ; qu’ils attaquent les pie ls perfides , qui les 3, foulent de fes pas ufurpateurs. . Ne produis que 33 de puants chardons pour eux ; & quand ils vou- ,, dront cueillir une fleur fur ton fe in , ne leur pré- 33 fente que des ferpens en embufcade. “

On ne voit point chez Corneille un héritier du trône s’entretenir avec un général d’arm ée, avec ce beau naturel que Sbakefpear étale dans le prince de Galles, qui fut depuis le roi Henri I F . ( a )

Le général demande au prince quelle heure il elî. Le prince lui répond ; „ Tu as l’efprit fi gras pour 3, avoir bu du vin d’Efpagne , pour t’être débou- ,3 tonné après fouper, pour avoir dormi fur un banc ,3 après diner , que tu as oublié ce que tu devrais 3, favoir. Que diable t’importe l’heure qu’il eft ? à 3, moins que les heures ne fiaient des taffes de vin , 3, que les minutes ne foient des hachis de chapons, 33 que les cloches ne foient des langues dé maque-(« ) Scène II. du premier a&e de h vie & la mort de

Henri I V . , «* ** ffW ** — — ... ... .. » . ... ... ..

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„ relies, les cadrans des enfergnes de mauvais lie u x , „ & le foleil lui-même une fille de joie en taffetas „ couleur de feu.

Comment Warburton n’a - t - il pas rougi de com­ menter ces groffiéretés infâmes ? travaillait-il pour l’honneur du théâtre & de l’églife anglicane ?

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a r e t é de s g e n s de g o û t

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On efl affligé quand on eonfidère ( furtout dans les climats froids & humides ) cette foule prodigieufe d’hommes qui n’ont pas la moindre étincelle de goût, qui n’aiment aucun des beaux arts, qui ne lifent ja­ mais , & dont quelques - uns feuillettent tout-au-plus un journal une fois par mois pour être au courant, & pour fe mettre en état de parler au hazard des chofes dont ils ne peuvent avoir que des idées con- fufes.

Entrez dans une petite ville de province , rarement vous y trouvez un ou deux libraires. Il en eft qui en font entièrement privées. Les juges ,le s chanoines, l’évêque , le fubdélégué , l’élu , le receveur du grenier à fel , le citoyen aifé , perfonne n’a de livres , per- fonne n’a l’efprit cultivé ; on n’eft pas plus avancé qu’au douzième fiécle. Dans les capitales des pro­ vinces , dans celles même qui ont des académies, que le goût eft rare !

Il faut la capitale d’un grand royaume pour y éta­ blir la demeure du goût ; encor n’eft-il le partage que

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eu, iuguxmu aux rammes Dourgeones ou i on

eft continuellement occupé du foin de fa fortune, des détails domeftiques & d’une groffière oifiveté, amufee par une partie de jeu. Toutes les places qui tiennent à la judicature , à la finance, au commerce ,

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ferment la porte aux beaux arts. C’eft la honte de Pefprit humain que le g o û t, pour l’ordinaire, ne s’in­ troduire que chez l’oifiveté opulente. J’ai connu un commis des bureaux de Verfailles né avec beaucoup d’efp rit, qui diG.it, Je fuis bien malheureux , je n’ai pas le tems d ’avoir du goût.

Dans une ville telle que Paris , peuplée de plus de fix cent mille perfonnes, je ne crois pas qu’il y en ait trois mille qui ayent le goût des beaux arts. Q u’on repréfente un chef-d’œuvre dramatique , ce qui eft fi rare , & qui doit l’être , on dit tout Paris eft enchanté ; mais on en imprime trois mille exemplai. res tout-au-p lus.

Parcourez aujourd’hui l’A fie, l ’Afrique , la moitié du Nord , où verrez-vous le goût de l’ éloquence, de la poéfie , de la peinture, de la mufique ? prefque tout l’univers eft barbare.

Le goût eft donc comme la philofophie ; il appar­ tient à un très petit nombre d’ames privilégiées.

Le grand bonheur de la France fut d’avoir dans

Louis X I V un roi qui était né avec du goût.

P am i quos eqtms an ta vit,

Ju p iter aut ariens evexit a i iethera virtus Diis gen iti potuere.

C ’eft en vain qu’ Ovide a dit que Die u nous créa pour regarder le c ie l, Ereclos ad fydera tollere vul~

tus ; Les hommes font prefque tous courbés vers

la terre.

Pourquoi jamais une ftatue informe , un mauvais ta­ bleau où les figures font eftropiées, n’ont-ils jamais palfé pour des ch efs-d ’œuvre ? Pourquoi jamais une maifon chétive & fans aucune proportion n’a -1 - e lle

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été regardée comme un beau monument d’arcliitec- ture ? D ’où vient qu’en mufique des fons aigres & difcordans n’ont - ils flatté l’oreille de perfonne ? & que cependant de très mauvaifes tragédies barbares, écrites dans un ftiie d’allobroge , ont réuffi , même après les fcènes fublimes qu’on trouve dans Corneille, & les tragédies touchantes de Racine , & le peu de pièces bien écrites qu’on peut avoir eues depuis cet élégant poète ? Ce n’eft qu’au théâtre qu’on voit quelquefois réuffir des ouvrages déteftables foit tra­ giques , foit comiques.

Quelle en eft la raifon ? C’eft que l ’illufion ne régne qu’au théâtre ; c’eft que le fuccès y dépend de deux ou trois aéteurs, quelquefois d’un fe u l, & furtout d’une cabale qui fait tous fes efforts tandis que les gens de goût n’en font aucun. Cette cabale fubfifte fouvent une génération entière. Elle eft d’autant plus active , que fon but eft bien moins d’élever un auteur que d’en abaiffer un autre. Il faut un fiécle pour mettre aux chofes leur véritable prix dans ce feul genre.

G O U V E R N E M E N T .

S e c t i o n f r e m i è r e .

T L faut que le plaifir de gouverner foit bien grand, Puifque tant de gens veulent s’en mêler. Nous avons beaucoup plus de livres fur le gouvernement qu’il n’y a de princes fur la terre. Que Die u me préfer- ve ici d’enfeigner les ro is, & meffieurs leurs miniftres, & meilleurs leurs valets de chambre, & meffieurs leurs confeffeurs, & meffieurs leurs fermiers-généraux ! Je n’y entends rie n , je les révère tous. 11 n’appartient qu’ à

G o u v e r n e m e n t . SeS. I.

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Mr. IVilks de pefer dans la balance anglaife ceux qui font à la tête du genre-humain : de p lu s, il ferait bien étrange qu’avec trois ou quatre mille volumes fur le gouvernement, avec Machiavel, & la Politique de

f Ecriture j'ainte par Boffuet, avec le Citoyen finan­ cier ,\ t Guidon de finances, le Moyen d’ enrichir un é t,t , &c. il y eût encor quelqu’un qui ne fût pas

parfaitement tous les devoirs des rois & l’art de

conduire les hommes. I

Le profeiTeur Pufendorf, ( a ) ou le baron Pufen- ! rfor/dit que le roi David ayant juré de ne jamais atten- : ter à la vie de Semei l'on confeiller privé , ne tra- j hit point fon ferment quand il ordonna ( félon l’hif- | toire juive ) à fon fils Salomon de faire affalliner Se- me ï, parce que David ne s’ était engagé que pour lui ;

f ia i à ne pas tuer Semei. Le baron , qui réprouve I

fi hautement les reftrictions mentales des jéfuites , en j permet une ici à l’oint David , qui ne fera pas du goût des conseillers d’état

Pefez les paroles de Boffuet dans fa Politique d-e

t Ecriture Jaintc a monfdgneur le dauphin. Voilà donc la royauté attacbèè par jucceijlon à la maifon de Da­ vid tfi de Salomon , & le trône de David cjl affermi à jamais, (b) ( quoique ce petit efcabeau appelle trône

ait très peu dure ) En vertu de cette loi l’aîné devait

fuccéder au préjudice de fes frères : c eji pourquoi £ do- mas , qui était Vtùnè, dît à Bctzabè mère de Salo­ mon , VousJdvez que le royaume était à moi , ffi tout Ijraèl m’avait reconnu : mais lé Seigneur a transféré le royaume à mon frère Salomon. Le droit à’ Adonias

était inconteftable. Boffuet le dit expreffément à la fin de cet article. Le Seigneur a transféré ri’eft qu’une expreffion ordinaire , qui veut dire, j’ai perdu mon

f O Puffenàerf liv. IV. chap. XI. article XIII.

i b ) Liv. II. propof. IX.

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bien on m’a enlevé mon bien. Adonias était ne d une femme légitime, la naiffance de fon cadet n’etait que, le fruit d’un double crime.

A moins donc , dit B offuet, qu'il arrivât quelque cbofe d’extraordinaire , l’aine devait Juccéder. Or cet

extraordinaire fut que Salomon, ne d’ un mariage fondé fur un double adultère & fur un meurtre , fit a ffe ­ rmer au pied de l’autel fon frère aine , fon roi légi­ time , dont les droits étaient foutenus par le pontife

Abiathar, & par le général Joab. Après cela avouons-

qu’il eft plus difficile qu’on ne penfe de prendre des leçons du droit des gens & du gouvernement dans l’Ecriture fiùnte , donnée aux Juifs , & enfuite à nous pour des intérêts- plus fublim.es.

Que le Jklut dit peuple fait la loi fîiprême , telle eft

la maxime fondamentale des nations ; mais on fi.it confifter le (alut du peuple à égorger une partie des citoyens dans toutes les guerres civiles. Le falut d’un peuple elt de tuer fes voifïns & de s’emparer de leurs biens dans toutes les guerres étrangères. Il eft encor ; difficile de trouver là un droit des gens bien falutai- re , & im gouvernement bien favorable à l’art de pen- fer & à la douceur de la fociété.

11 y a des figures de géométrie très régulières S parfîtes en leur genre; i’arithmetique eft parfaite, beaucoup de métiers font exercés d’une manière tou­ jours uniforme & toujours bonne ; mais pour le gou­ vernement des hommes , peut-il jamais en être un bon, quand tous font fondés fur des pallions qui fe combattent ?

Il n’y a jamais eu de couvens de moines fans AÎf- corde; il eft donc impollible qu’elle ne foit dans Jes royaumes. Chaque gouvernement eft non-feulement comme les couvens ; mais comme les ménages : il n’y en a point fans querelles ; & les querelles de

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pie à peuple, de prince à prince , ont toujours été fanglantes : celles des fujets avec leurs fouverains n’ont pas quelquefois été moins funeftes : comment faut-il faire ? ou rifquer, ou fe cacher.

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Seltion fécondé.

Plus d’un peuple fouhaite une* conftitution nouvel­ le ; les Anglais voudraient changer de miniftres tous les huit jours ; mais ils ne voudraient pas changer la forme de leur gouvernement.

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-Les Romains modernes font tous fiers de Péglife de St. Pierre, & de leurs anciennes ftatues grecques ; mais le peuple voudrait être mieux nourri , mieux £ vêtu , dût-il être moins riche en bénédictions : les j pères de famille fouhaiteraient que l’églife eût moins d’o r , & qu’il y eut plus de bled dans leurs greniers: ils regrettent le teins où les apôtres allaient à p ied , & où les citoyens Romains voyageaient de palais en palais en litière.

On ne cefie de nous vanter les belles républiques de la Grèce : il eft fur que les Grecs aimeraient mieux le gouvernement des Pèriclès & des Dêmojihène que celui d’un b <cha ; mais dans leurs tems les plus flo- riffans ils fe plaignaient toujours ; la difcorde, la hai­ ne étaient au dehors entre toutes les villes , & au dedans dans chaque cité. Ils donnaient des loix aux anciens Romains qui n’en avaient pas encore ; mais les leurs étaient fi mauvaifes qu’ils les changèrent continuellement.

Quel gouvernement que celui où le jufte ArifHde était banni, Pbocion mis à m ort, Socrate condamné à la ciguë après avoir été berné par Arifiophane ; où l’on voit les AmpbiHions livrer imbécillement la Grèce

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r n a m m a & ê i d ia m

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CO Liv. VII. chap. V.

à Philippe parce que les Phocéens avaient labouré un champ qui était du domaine à’ Apollon ! Mais le gou­ vernement des monarchies voifines était pire.

Pufendorf promet d’examiner quelle eft la meil­

leure forme de gouvernement : il vous d it , que plzi-

Jieurs prononcent en faveur de la monarchie , & d’ au­ tres au contraire Je déchaînent furimfement contre ’es rois , & qu’il eji hors de Jon Jujet d’examiner en dé­ tail les raifoiis de ces derniers.

Si quelque lecteur malin attend ici qu’on lui en dife plus que P ufen d orf, il fe trompera beaucoup.

Un Suiffe, un Hollandais , un noble Vénitien , un pair d Angleterre , un cardinal , un comte de l’em­ pire députaient un jour en voyage fur la préférence de leu: ;; gouvernemens ; perfonne ne s’entendit, cha­ cun demeura dans fon opinion fans en avoir une bien certaine : & ils s’en retournèrent chez eux fans avoir rien conclu ; chacun louant fa patrie par vanité , & s’en plaignant par fentiment.

Quelle eft donc la deftinée du genre humain ? pref- que nul grand peuple n’eft gouverné par lui-même.

Partez de l’Orient pour faire le tour du monde , le Japon a fermé fes ports aux étrangers dans la jufte crainte d’une révolution affreufe.

La Chine a fubi cette révolution ; elle obéit à des Tartares moitié Mantchoux , moitié Huns ; l’Inde a des Tartares Mogols. L’Euphrate , le N i l , l’Oronte , la Grece , 1 Epire font encor fous le joug des Turcs. Ce n eft point une race anglaife qui règne en Angle­ terre. C eft une famille allemande qui a fuccédé à un prince Hollandais ; & celui-ci à une famille écofiaife,

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laquelle avait luccédé à une famille angevine , qui avait remplacé une famille normande , qui avait chafle une famille faxonne & ufurpatrice. L ’Efpagne obéit à une famille françaife , qui fucceda à une race au­ trichienne ; cette autrichienne à des familles qui fe vantaient d’être vifigothes ; ces Viligoths avaient été chafTéslongtems par des Arabes, après avoir fuccedé aux Rom ains, qui avaient chafle les Carthaginois.

La Gaule obéit à des Francs après avoir obéi à des préfets Romains.

Les mêmes bords du Danube ont appartenu aux Ger­ mains , aux Romains , aux Abares , aux Slaves , aux Bulgares, aux Huns , à vingt familles différentes , & prefque toutes étrangères.

}

Et qu’a-t-on vu de plus étranger à Rome que tant d’empereurs nés dans des provinces barbares, A tant de papes nés dans des provinces non moins burba- ' res? Gouverne qui peut. F.t quand on eff parvenu à

être le maître , on gouv erne comme on peut. Voyez

Loix.

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Section trojîéme.

Un voyageur racontait ce qui fuit en 1769 : J’ai

vu dans mes courfes un pays alfez grand & allez peuplé , dans lequel toutes les places s’achètent ; non pas en fecret & pour frauder la loi comme ailleurs, mais publiquement & pour obéir à la loi. On v met à l’encan le droit de juger fouverainement de l'hon-

j

neur , de la fortune & de la vie des citoyens , com­ me on vend quelques arpens de terre, ( d ) 11 y a des

(O Si ce voyageur avait

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