• Aucun résultat trouvé

ionique : origine et mécanisme de relaxation sous irradiation aux ions

4. Films minces soumis à différentes sources de contraintes

2.1. Films de molybdène élaborés par pulvérisation ionique

2.1.2. Pulvérisation par des ions xénon de 1,2 keV

Nous avons soumis le film Mo(Xe) à un bombardement d’ions argon dans les mêmes conditions que celles du film Mo(Ar), en utilisant des doses légèrement différentes mais du même ordre de grandeur, ce qui autorise les comparaisons. En posant les mêmes hypothèses que précédemment, l’ajustement des données expérimentales avec le modèle triaxial conduit aux valeurs reportées dans le tableau IV-2. Une représentation graphique en est donnée figure IV-5.

Nous constatons tout d’abord que le facteur β est inférieur à celui trouvé précédemment (0,78 au lieu de 1,20) ; nous n’avons à présent aucune explication véritable sur cette réduction : l’absence d’atomes de gaz rare dans ce film ne peut a priori justifier une réponse correspondant à un plus grand effet de taille. La symétrie des défauts, leur répartition isotrope ou anisotrope peuvent intervenir. Le paramètre de maille non contraint et libre de défauts est, ici aussi, égal au paramètre du Mo massif. La comparaison avec

a

def nous indique que l’expansion initiale du paramètre cristallin est de ~ 0,29%, valeur nettement inférieure à celle observée pour le film déposé avec des ions Ar. Ceci reflète une plus faible concentration en défauts et donc une contrainte hydrostatique réduite, ce qui se justifie pleinement au vu des différences entre les spectres en énergie des particules mises en jeu dans les deux cas (cf. II.2.2.2).

3.22 3.20 3.18 3.16 3.14 3.12 Paramèt re d e maille a Ψ,φ (Å) 1.0 0.8 0.6 0.4 0.2 0.0 sin2Ψ brut 0.16 dpa 1.6 dpa sin2Ψ

FIG. IV-5 : Evolution du paramètre de maille du films Mo(Xe) en fonction de sin2Ψ selon la dose d’irradiation.

Mo(Xe)

(éch. Mo15) σhyd (GPa) σfix (GPa)

adef (Å) a0 (Å) β

brut 2.1 ± 0.7 -2.7 ± 0.9 3.157 ± 0.003

0.16 dpa 0.8 ± 0.3 -1.0 ± 0.4 3.152 ± 0.003

1.6 dpa 0.5 ± 0.3 -0.6 ± 0.4 3.151 ± 0.003

3.148 ± 0.003 0.78

Tab. IV-2 : Valeurs numériques des paramètres issus du meilleur ajustement des données expérimentales avec

121

2. 1. 3. Densité de défauts des films élaborés par pulvérisation ionique - Discussion

L’analyse de l’état de déformation/contrainte des films Mo(Ar) et Mo(Xe) nous a permis de mettre en évidence l’existence d’une forte expansion de la maille des films élaborés par pulvérisation ionique. Cette déformation de nature hydrostatique est directement corrélée à la quantité de défauts présents dans le film. La variation relative de volume atteint ainsi 1,90% pour le film Mo(Ar) et 0,86% pour le film Mo(Xe). Ces valeurs sont considérablement plus élevées, d’environ un ordre de grandeur, que les variations observées à saturation dans des matériaux massifs soumis à des irradiations aux électrons ou aux neutrons, c’est-à-dire lors de la création de paires de Frenkel. Cette expansion en volume de la matrice est directement corrélée à la concentration en défauts et à leurs volumes de relaxation spécifiques définis par :

rel rel j j j

V

V a

3 c

V a

∆ ∆

= =

(4.16)

où cj désigne la concentration en défauts de type j et Vjrel le volume de relaxation, exprimé en unités du volume atomique de la matrice Ω.

Les simulations en dynamique moléculaire (cf. I.1.2.2) ont clairement montré que l’impact de particules énergétiques dans la gamme des dizaines à centaines d’eV crée essentiellement des défauts de nature interstitielle, soit par implantation directe, soit via des séquences de remplacement focalisées dans les directions les plus denses à plus grande profondeur (~ 15 plans atomiques). Les lacunes, formées dans les tous premiers plans atomiques, sont éliminées à la surface. Elles peuvent également être éliminées par recombinaison avec les interstitiels présents compte-tenu de la grande densité attendue. Il est important ici de noter que nous sommes dans une situation très originale où les défauts ponctuels contenus dans l’échantillon seraient uniquement de nature interstitielle. Ces interstitiels peuvent être isolés, en amas ou encore en boucles de dislocation. Xu et Moriarty[Xu1996] ont répertorié différentes configurations possibles et leurs calculs semblent montrer que la configuration de plus basse énergie est l’interstitiel dissocié selon un axe <110>, confirmant ainsi l’analyse des données de diffusion Huang effectuée par Ehrhart[Ehr1978]. La température m

i

T ainsi que l’énergie de migration m i

E des auto-interstitiels isolés ont été déterminées expérimentalement[Kug1982] et sont égales à 33 K et 0,083 eV respectivement. Ces faibles valeurs indiquent une forte instabilité de ces défauts, elles sont associées à une très forte énergie de formation F

i

E =10,9 eV (cette valeur est une valeur calculée[Xu1996]). On s’attend donc à température ambiante à une mobilité très forte, aussi est-il très improbable d’observer des auto-interstitiels isolés. Des amas d’interstitiels ou de

petites boucles seraient alors formés avec nos conditions de dépôt. Les simulations en dynamique moléculaire effectuées par Gilmore et Sprague[Gil2002] portant sur la croissance de films par dépôt d’atomes énergétiques montrent qu’une forte concentration d’interstitiels peut être effectivement stabilisée par formation de petits amas ; soulignons de plus que la configuration de type <110> de l’interstitiel dissocié peut servir de germe à la formation de boucles qui, dans les métaux cubiques centrés, se forment dans les plans de type {110}. Le "volume de relaxation",

V

irel, est également bien connu[Ehr1994] : il traduit

l’expansion en volume de la matrice lors de la création d’un défaut, il est égal dans le cas d’un défaut de type interstitiel dans du molybdène à 1,10 Ω. Sa contribution au volume de relaxation sera approximativement inchangée qu’il soit isolé, en amas ou même en boucles de dislocation, puisqu’il est admis que le volume de relaxation d’un interstitiel dans une boucle se réduit à Ω , ceci cependant dans le cas où la taille des boucles est suffisamment grande[Ded1978].

Une seconde contribution à l’expansion du paramètre cristallin, celle des ions neutralisés et rétrodiffusés, doit également être considérée lorsque la masse de l’ion de pulvérisation Mg est inférieure à celle des atomes cibles Mc. Outre les défauts créés, éventuellement à l’intérieur de cascades de déplacements, ces ions neutres vont être implantés dans le film et sont susceptibles de créer de fortes distorsions du réseau. Dans la gamme d’énergie de nos ions incidents (1200 eV), le taux d’atomes rétrodiffusés est fortement dépendant du rapport de masses puisque proportionnel à

( )

2

c g

M M (cf. II.2.2.2). Le rôle des atomes rétrodiffusés sur la contrainte mesurée (par la méthode de la courbure ou à partir de la mesure de la déformation dans la direction de croissance) a été perçu dans un bon nombre d’études (cf. I.1.2.2). Le rôle direct de ces atomes très énergétiques a été très souvent exclu sans grande argumentation et seuls les effets indirects liés aux transferts de quantité de mouvement ou d’énergie ont été invoqués. L’idée que les atomes de gaz inertes puissent être directement à l’origine d’une part des contraintes a été avancée beaucoup plus récemment par Ljungrantz et coll.[Lju1995]pour des films de TiN élaborés par pulvérisation magnétron. Plus récemment encore, Jacobsohn et coll.[Jac2003] invoquaient le rôle des distorsions liées aux effets de taille des atomes d’argon sur la contrainte d’un film amorphe. Nos films Mo(Ar) contiennent, selon les analyses RBS, une concentration d’argon de l’ordre de 0,9% alors que la présence de Xe dans les films Mo(Xe) est nulle, à la limite de détection de la technique naturellement. Cette concentration n’est pas affectée par l’irradiation haute énergie, du moins aux incertitudes relatives près (de l’ordre de ± 0,2%). S’il est concevable d’autoriser des atomes de Mo en site interstitiel, mettre des atomes de gaz neutre dans une telle position l’est nettement moins, étant donnée la forte différence des rayons atomiques[Kit1983] (rAr/rMo = 1,38, soit ∆V/Ω ~ 2,6), et le coût en énergie associé. La distorsion provoquée par un interstitiel entraîne en effet des écarts importants à l’harmonicité des forces interatomiques en créant autour du défaut une zone où l’élasticité linéaire n’est plus applicable. L’approximation de l’élasticité linéaire consiste à considérer l’énergie potentielle U d’un atome dans des positions proches de l’équilibre comme une fonction parabolique des écarts dr à cette position d’équilibre. Or, du fait de l’anharmonicité, U croît plus rapidement lorsque l’on rapproche les atomes, ce qui est le cas lors de la création de défauts interstitiels. Donc, la compressibilité de l’atome interstitiel, qui peut s’écrire

2

2

1 d V V dU

χ = , décroît fortement. Ainsi, même si la compressibilité de l’atome d’argon dans un cristal d’argon est importante, 93,8×10-11 m2.N-1 (à comparer à 0,366×10-11 m2.N-1 pour le Mo), un atome d’argon en position interstitielle dans une matrice métallique possède une compressibilité très faible. C’est pourquoi il apparaît finalement plus raisonnable de ne considérer que des atomes d’argon en substitution. Très similairement aux interstitiels, leur énergie de formation sera très grande, à la fois en terme d’énergie élastique, mais également chimique, compte-tenu de la solubilité quasi- nulle des gaz rares dans une matrice

123

cristalline. Par conséquent, de tels défauts d’argon en substitution sont aussi a priori très instables. Deux configurations, non exclusives l’une de l’autre, peuvent être envisagées pour les atomes d’argon piégés. Dans la première, les atomes de gaz inerte sont liés aux défauts cristallins, formant des complexes stables. Cette idée a été émise par Ljungrantz et coll. en comparant l’état de contraintes de films de TiN élaborés par une technique d’arc et par pulvérisation magnétron réactive[Pet1992], avec une tension négative Vs appliquée dans l’un et l’autre cas au substrat. En effet, alors qu’une réduction de la contrainte intrinsèque (lorsque V S augmente) était observée dans les films évaporés par arc et bombardés avec des ions Ti, une forte stabilité des défauts était observée dans les films élaborés par pulvérisation magnétron bombardés avec les ions Ar. La seconde configuration correspond à une précipitation de l’argon sous forme de bulles solides de taille extrêmement petite, non visibles en microscopie, soit à l’intérieur des grains, soit à différents puits de surface, joints de grains ou à l’interface film/substrat. L’extrêmement faible solubilité de l’argon est en effet favorable à la germination de précipités de très petite taille critique. Ceci semble le cas lors de l’implantation d’ions Ar dans des métaux, à des énergies certes supérieures à celle des Ar rétrodiffusés : des bulles de gaz rare solides ont été observées[Tem1991] par MET conventionnelle pour des concentrations aussi basses que 0,1% et en haute résolution (taille inférieure au nanomètre) pour des concentrations implantées encore plus basses. Des bulles d’argon deviennent visibles dans les films de TiN par MET en utilisant des températures de dépôt (> 700°C) supérieures à celle adoptée pour une croissance épitaxiale sur MgO (500°C)[Kaz1993].

Quelle que soit la configuration adoptée par les atomes d’argon, substitution ou précipités solides, leur présence dans la matrice va induire de fortes distorsions du réseau cristallin et générer indéniablement une forte contrainte hydrostatique. Dans le premier cas, en considérant le rapport des rayons atomiques de l’argon solide et du molybdène, le volume de relaxation associé à une mise en solution solide est de 1,14 Ω , valeur très proche de celle d’un atome interstitiel de Mo. Dans le second cas, il est très difficile de définir le volume de relaxation associé à un atome d’argon en bulle solide. Puisque le rapport des coefficients de compressibilité de l’argon solide et du molybdène est très grand (~ 300), la contrainte à l’intérieur des précipités est très importante et atteint approximativement la pression d’équilibre d’un précipité sphérique donnée par la loi de Laplace1 (Pbulle = 2γ/R, avec γ l’énergie interfaciale et R le rayon, soit pour des bulles de 1-2 nm des pressions de l’ordre de quelques GPa). C’est ainsi que de très fortes variations du paramètre cristallin des précipités d’argon (atteignant 12% pour des précipités de l’ordre du nanomètre dans une matrice Ni) ont été observées en fonction du type de matrice et de la taille du précipité [Tem1991] et ceci pour un champ de déformation relativement faible dans la matrice. Nous pouvons ainsi pour de très petits précipités estimer que le volume de relaxation sera de l’ordre du volume atomique du gaz très comprimé.

Le cas du film Mo(Xe) est relativement simple à analyser puisqu’il n’y a pas de gaz rare piégé. En se référant à l’équation (4.16), on peut estimer, sans effectuer de distinction entre le volume de relaxation des interstitiels isolés ou des petites boucles de dislocation, que la concentration en atomes de Mo en position interstitielle est de l’ordre de 0,8%.

Pour le film Mo(Ar), en admettant que le changement de volume provienne des deux types de défauts, l’Eq. (4.16) indique que leur concentration totale est inférieure ou égale à 1,7% (en prenant

rel rel

i Ar(subs)

V ≈V ≅1,1Ω). La teneur en argon piégé dans le film étant de 0,9%, celui-ci ne peut donc être totalement responsable de la dilatation, donc de la contrainte observée. Une combinaison des deux types de défauts conduit à une concentration d’interstitiels de l’ordre de 0,8%, comparable à celle du film Mo(Xe). Ceci semblerait indiquer que l’écart entre les expansions des paramètres de maille observé pourrait être entièrement attribuée au gaz piégé. Néanmoins, nous ne pouvons apporter aucune preuve quantitative plus fiable sur ce point. Il est finalement important de garder en mémoire la concentration totale de défauts qui est de l’ordre de 1,7% ; il est en effet complètement vain de vouloir distinguer les contributions respectives des auto-interstitiels ou plutôt ici amas d’interstitiels et des atomes de gaz piégé, ceci d’autant plus que ces deux espèces peuvent former des complexes !

Pour les deux types de films, il est remarquable de constater que le paramètre de maille du

molybdène après irradiation aux ions devient très proche de celui du massif. Les réarrangements induits sous irradiation suppriment ainsi les effets des distorsions locales provenant des amas d’interstitiels ou des atomes de gaz rare piégés. En conséquence, la germination de boucles au cours de l’irradiation n’est pas le processus prépondérant permettant d’expliquer la relaxation des contraintes, contrairement à ce qui a été invoqué pour expliquer le mécanisme de fluage observé sous irradiation à basse température pour des matériaux soumis à une contrainte externe uniaxiale[Let1972-1973, Pou1976, Zup1977]. La déformation selon l’axe de croissance serait dans ce cas maintenue, et même accrue !

Lorsque les contraintes de croissance sont purement liées à la création de défauts de type auto-interstitiels (cas du film Mo(Xe)), nos observations suggèrent le scénario suivant :

• de petits amas d’interstitiels se créent durant la croissance du film, par exemple des bi-interstitiels dont la structure est constituée de deux interstitiels dissociés dans une direction de type <110> (ces amas pouvant constituer un germe à la nucléation de petites boucles de dislocations présentant une faute d’empilement à la séquence du réseau c.c.).

• l’irradiation du film va faciliter une redistribution de ces défauts préexistants impliquant la croissance (voire dans certaines régions la germination) de boucles de dislocation, initialement fautées, et orientées selon les plans (110) (vecteur de Burgers b a[110]

2

= perpendiculaire aux plans (110)) se transformant ultérieurement en boucles (110) parfaites (vecteur de Burgers b a[111]

2

= ),

selon le schéma décrit par [Eyre1965] et dont le stade final conduirait à la création d’un plan atomique

supplémentaire.

Un tel scénario rendrait compte de la relaxation des contraintes au cours de l’irradiation aux ions, mais également de l’élimination de toute cause de dilatation du réseau, donc des défauts ponctuels de croissance. En quelque sorte, les déplacements induits dans les cascades de collision provoquées par l’irradiation avec

125

des ions de ~ 200 keV sont favorisés par la forte concentration (hors équilibre) des défauts préexistants, conduisant à une diffusion accélérée de ces défauts. Nous rediscuterons ce mécanisme de relaxation à la lumière des aspects cinétiques de relaxation (cf. section 3.3).

L’interprétation des mécanismes de relaxation dans les films Mo(Ar) est plus délicate. Outre la relaxation des contraintes associées aux défauts de type auto-interstitiel, nous assistons également à la relaxation des contraintes générées plus spécifiquement par les atomes d’argon. Aucune désorption de l’argon n’étant mis en évidence, nous devons supposer que le processus de relaxation repose sur des réarrangements préférentiels de ces atomes de "gaz". Nous pouvons imaginer une germination et/ou croissance des bulles dans des sites et/ou orientations préférentielles pour lesquelles les déformations élastiques de la matrice de molybdène seraient minimisées : bulles formées sur différents puits de surface parallèles à l’empilement des plans de croissance (joints de grains, interface film/substrat) ou sous forme de plaquettes. Nous n’avons cependant aucun élément permettant d’appuyer ce mécanisme.

2.2. Etude comparée des variations de dimensions macroscopique et