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c)(L’action(publique(récente(au(Sénégal((2000D2012)(:(État(faible,(pouvoir( présidentiel(fort,(libéralisme(et(rêves(de(modernité((

En 2000, la venue au pouvoir d’Abdoulaye Wade à la tête du régime dit de l’alternance, après quarante ans de domination politique socialiste, marque le début d’une nouvelle phase dans les orientations politiques de l’État sénégalais en agriculture et en élevage. Cette phase est caractérisée par une personnalisation du pouvoir étatique qui se revendique comme le centre d’impulsion du développement, tout en gardant une approche libérale, caractérisée par une substantielle faiblesse de l’action publique et par la délégation au secteur privé et au marché. De nouvelles marges de manœuvre, ouvertes notamment par l’effacement de la dette publique, permettent à Wade de formuler une politique volontariste de modernisation à marche forcée, centrée sur son image d’homme de rupture et sur sa vision personnelle de l’avenir du pays. Son hyper activisme politique se traduit par un grand nombre d’initiatives de courte durée privilégiant l’effet d’annonce et le volontarisme à la cohérence générale du cadre de l’action publique. Cette attitude est illustrée par la trajectoire de la Loi d’Orientation Agro-Sylvo-Pastorale (LOASP). Issue d’un processus de partage avec certaines organisations professionnelles, et promulguée en 2004 sous la pression, puis avec le concours, des organisations de la société civile rurale, cette loi a l’ambition d’esquisser une vision globale pour le développement de l’agriculture à moyen terme et définit en conséquence les orientations nécessaires dans un large éventail de domaines : protection sociale des agriculteurs, régulation des marchés, réforme foncière, dispositifs de prise en charge des catastrophes naturelles, formation professionnelle, appui institutionnel, infrastructures, financements, etc. (Ndiaye, 2012 : 51). Cependant la loi est laissée de côté par les autorités qui misent plutôt sur un ensemble de plans et d’initiatives censés concrétiser les visions et les ambitions de la Présidence. Les deux mandats de Wade sont caractérisés par une pléthore de ces plans et initiatives (plans spéciaux, REVA, GOANA), au caractère aléatoire et volontariste, qui n’ont finalement eu que peu d’impact sur le secteur agricole national (voir encadré n°4(3) ci-dessous).

Encadré(n°4(3)(:(L’incohérence(des(initiatives(de(la(Présidence(Wade(dans(le(secteur(agricole( Oya et Ba, dans Les politiques agricoles 2000-2012 : entre volontarisme et incohérence (2013), tracent un bilan critique des initiatives présidentielles.

Entre 2003 et 2007, une série de plans spéciaux vise une augmentation considérable de la production de certaines denrées agricoles. Au rythme d’un produit par an, se succèdent ainsi le maïs, le manioc, le sésame, le bissap et le jatropha. Le caractère aléatoire de ces initiatives est évident.

En 2006, le Plan de Retour des Emigrés Vers l’Agriculture (REVA) est lancé grâce à des financements extérieurs, émanant principalement de l’Espagne et du Maroc). L’objectif est

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de limiter les départs clandestins vers l’Europe par la création d’emplois en milieu rural. Une quinzaine de fermes pilotes aux infrastructures modernes sont créées, et emploient près d’un millier d’actifs. La durabilité de ces fermes, au-delà de la durée des financements, suscite de fortes perplexités. La dernière initiative volontariste du pouvoir de Wade est la plus ambitieuse. La Grande Offensive pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA) est lancée en 2008, après les augmentations de prix des denrées alimentaires de base sur les marchés mondiaux et les émeutes de Dakar. L’initiative prévoit une croissance spectaculaire des productions de riz, de maïs, de manioc, de lait et de viande. La méthode est, comme auparavant, celle de la subvention d’intrants et équipements. La GOANA semble avoir représenté, au mieux, une réponse ponctuelle à des problèmes structurels aggravés par la crise internationale des prix, une réponse par ailleurs peu adaptée aux besoins et aux moyens de la petite paysannerie.

L’approche modernisante et interventionniste de ce pouvoir libéral se reflète également dans les orientations politiques préconisées pour le sous-secteur de l’élevage. La stratégie de développement de l’élevage est tracée dans la Nouvelle Initiative Sectorielle pour le Développement de l’Elevage (NISDEL, 2004). Au-delà de l’objectif affiché de sécurisation de l’élevage pastoral, l’accent est très clairement mis sur la modernisation et l’intensification du secteur. Les leviers identifiés témoignent de cette option. En premier lieu, les Centres d’Impulsion pour la Modernisation de l’Elevage (CIMEL), véritables « pivots du système », censés « promouvoir la stabulation par la création de fermes privées modernes utilisant les méthodes modernes d’exploitation et de production animale » (NISDEL, 2004 : 19)45. Ces structures sont censées valoriser et diffuser les acquis de la recherche, appuyer la formulation de projets de fermes intensifiées, assurer la formation des acteurs et le suivi de projets. Un fonds d’appui à la stabulation (FONSTAB) est destiné à financer des projets d’intensification des techniques d’élevage en termes d’infrastructures, équipements et intrants, par des crédits à des taux d’intérêts réduits. Un troisième levier est identifié dans l’amélioration génétique, via la relance d’un programme d’insémination artificielle. Pour sécuriser l’élevage pastoral, la NISDEL propose une autre série de mesures classiques : l’extension des unités pastorales, l’amélioration des infrastructures, la lutte contre les vols de bétail, l’amélioration de la protection vétérinaire, le renforcement des capacités des éleveurs. Les élevages modernes et intensifs, à défaut d’exister au-delà de quelques fermes en milieu périurbain, concentrent la grande majorité des investissements prévus par la politique sous-sectorielle. Cette stratégie est conçue sur la base d’images de la modernité déconnectées des réalités locales et de représentations dépréciatives et mal informées des systèmes pastoraux. De plus, la volonté de créer, par la mise en place des CIMEL, un modèle parallèle à l’existant n’est accompagné d’aucune réflexion réaliste sur les implications et les coûts des processus d’intensification souhaités (Ancey et Monas, 2005).

En ce qui concerne le développement de la production laitière, la flambée des prix de 2007/2008 représente un moment de rupture et de remise en discussion de

127 l’action publique dans le sous-secteur. L’attitude du pouvoir public demeure ambivalente (Dia, Ngom et Duteurtre, 2008). Face à la forte augmentation de la facture des importations des produits laitiers46, le gouvernement engage un processus de réflexion sur la relance de la production nationale, mais ce, tout en réagissant à la hausse des cours du lait et des prix des intrants alimentaires par des mesures conjoncturelles, telles que l’exonération d’impôts sur les importations et le contrôle des prix de vente de la poudre de lait. Le déséquilibre de la balance commerciale est affiché comme le déterminant du processus de relance de la production nationale, qui aboutit en 2008 à la rédaction du Programme de Développement de la Filière Laitière (PRODELAIT). Celui-ci reprend l’essentiel de l’orientation vers l’intensification du NISDEL (semences fourragères, importations de génisses laitières, insémination artificielle) mais intègre quelques volets commerciaux (exonération d’impôts pour les facteurs de production et pour le lait cru traité par les industriels, limitation de l’export des sous-produits agricoles nationaux). Toutefois, le projet ne trouve pas de financements et les propositions plus politiques, portant sur les régulations commerciales, demeurent lettre morte (Gueye, 2009). Seul le volet de l’amélioration génétique est retenu et financé, à partir de 2008, sur des fonds propres de l’État dans le cadre de la GOANA ; il devient alors le Programme Spécial d’Insémination Artificielle (PSIA). Ce dernier accroît considérablement les objectifs d’amélioration génétique et fixe le nombre d’inséminations à effectuer, non plus à 3 000, mais à 30 000 par an.

L’augmentation du prix des produits laitiers sur le marché international ne se répercute pourtant pas positivement sur la collecte de lait local (Duteurtre et Corniaux, 2013). Cela confirme la relative segmentation entre lait local et produits à base de poudre importée. Malgré cela, des nouvelles expériences de collecte sont mises en place par des unités industrielles dans plusieurs pays de la sous-région (Mauritanie, Sénégal, Mali, Niger). Au Sénégal, la Laiterie du Berger s’installe sur la vallée du fleuve Sénégal, à Richard Toll, et démarre en 2006 une collecte de lait auprès des pasteurs de la zone. Si ces expériences sahéliennes de transformation industrielle du lait local ont des histoires différentes – si certains ont démarré exclusivement par la transformation de poudre, d’autres travaillent uniquement avec du lait local – une tendance commune se dégage : tous s’orientent vers un usage mixte du lait frais de collecte et de la poudre de lait (Corniaux, Vatin et Ancey, 2012). Cela permet aux opérateurs qui ont commencé par la poudre, de diversifier la palette de leurs produits et à ceux qui ont démarré exclusivement avec du lait frais, de pallier aux fluctuations saisonnières de la production locale. Le dynamisme ne concerne pas uniquement la transformation industrielle du lait local : un nouvel essor est remarqué dans l’industrie de la transformation de la poudre (huit usines présentes à Dakar en 2005 ; Broutin, Duteurtre, Tandia et al. 2007), ainsi que dans les unités de transformation artisanales dont le nombre, au Sénégal, a dépassé la barre des cinquante unités en 2010.

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