• Aucun résultat trouvé

103. La publicité de la propriété des navires a été organisée pour des considérations de droit public par le décret du 29 vendémiaire an II279. Pour cette loi, le navire français doit appartenir à des français. Pour cela, il était indispensable de vérifier administrativement la transmission de la propriété du navire. Cette publicité officielle, selon les termes de Delebecque280, donne à la propriété des navires un statut juridique particulier. Elle doit être faite en respectant certaines conditions. Ainsi, dans cette section, l’on verra qu’elle doit être écrite (§ 1) et tenue dans un fichier (§

272 Art. L. 5114-19, 3°, code des transports. 273 Ph. Delebecque, op.cit, n° 172. 274 Art. 104, CMMC. 275 Ibid., art. 137 et 155. 276 Ibid., art. 138. 277 Ibid., art. 139-3. 278 Ibid., art. 156. 279 Ph. Delebecque, op.cit, n° 173. 280 Ibid.

- 72 -

2). L’inscription dans le fichier donnera lieu à l’acte de francisation (§ 3). En cas de transfert de propriété, elle s’opérera par une mutation en douane (§ 4), faisant l’objet de plusieurs théories (§ 5). Et pour finir, l’on présentera les conséquences de cette publicité (§ 6).

§ 1 Ecrit

104. L’article 10 de la loi de 1967, aujourd’hui, article L. 5114-1, code des transports, stipule, je cite : « tout acte constitutif, translatif ou extinctif de la propriété ou de tout autre droit réel sur un navire francisé est, à peine de nullité, constaté par écrit. L'acte comporte les mentions propres à l'identification des parties intéressées et du navire ». Cet écrit n’a pas pour unique fin de publicité. Elle permet également d’assurer la sécurité des navires, l’information des tiers et des parties, mais aussi, contrôler la propriété des navires battant pavillon français281.

105. Aux Comores, l’écrit est également exigé pour tout acte constitutif, translatif ou extinctif de la propriété ou de tout autre droit réel sur un navire immatriculé, à peine de nullité. Il en est de même des contrats d’affrètement conclus et des délégations de fret consenties pour une durée de plus d’un an, ou ceux, dont l’exécution ou la prorogation peut aboutir à une pareille durée282. L’acte doit comporter les mentions propres à l’identification des parties intéressées283. Ces mentions sont fixées par décision de l’Agence Nationale des Affaires Maritimes.

§ 2 Registre et fichiers

106. La loi de l’an II avait crée dans les recettes principales des douanes, des registres connus sous l’appellation de « registres de soumissions de francisation ». Pour des raisons de commodités, écrit Delebecque284, ces registres ont été remplacés par des fichiers, et le décret de 1967285 a tenu compte de cette réalité en

281 Com.14 janv. 2004, Bull. civ. IV, n° 9, DMF 2004.723, obs. Mecarelli, RTD com.2004, 845, voyant dans l’art. 10 de la loi de 1967, une loi de police.

282 Art. 102. CMMC. 283 Ibid.

284 Ph. Delebecque, op.cit, n° 174.

- 73 -

parlant désormais de « fichiers d’inscription ». Ainsi, tous les navires francisés et tous les navires en construction sur le territoire de la République française doivent être inscrits sur un fichier tenu par l'autorité administrative286, en l’occurrence les recettes principales des douanes. Ces fichiers réalisent une publicité réelle : ils sont tenus non pas par noms de propriétaires (publicité personnelle), mais par noms des navires. Pour chaque navire, il est établit une fiche mentionnant les énonciations propres à identifier le bâtiment, le nom du propriétaire (s'il y a plusieurs copropriétaires, tous leurs noms figurent, avec l'indication du nombre de leurs parts ou de leurs quotas), ainsi que les droits sur le navire287. Ces indications sont d’abord tous les actes constitutifs, translatifs ou extinctifs de la propriété ou de tout autre droit réel sur le navire288 ; les contrats d’affrètement à temps ou coque nue consentis pour plus d’un an289, les hypothèques, les procès verbaux de saisie, et quelques clauses ou décisions que les tiers ont intérêt à connaitre, par exemple, la clause par laquelle les copropriétaires non gérants s’affranchissent de l’obligation indéfinie aux dettes de la copropriété290. Le défaut de mentions d’un acte qui doit figurer sur le fichier est sanctionné par l’inopposabilité de cet acte aux tiers291. Pour les hypothèques et les procès verbaux de saisie, l’opposabilité dépend de la publicité qui leur est propre sur le registre des hypothèques292.

107. Aux Comores, les dispositions du paragraphe précédent sont mentionnées à l’article 104 CMMC (supra, n° 102).

§ 3 Inscription et acte de francisation

108. Pour inscrire le navire dans le registre, le propriétaire fait une demande à la recette des douanes. Il présente à la recette des douanes le certificat de jaugeage de son navire, et déclare qu’il est français, et qu’il est bien le propriétaire du navire. Ces formalités préalables ont pour but, dit Delebecque293, de dispenser l’administration

286 Art. L. 5114-2, code des transports. 287 Ibid., art. L. 5114-3.

288 Ph. Delebecque, op.cit, n° 174. 289 Art. L. 5423-2, code des transports. 290 Ph. Delebecque, op.cit, n° 174. 291 Ibid.

292 Ibid.

- 74 -

d’une vérification du droit de propriété. Comme les propriétaires de navire sont, en principe, des gens connus et solvables, et que ces biens ont une grande valeur, il n’y a pas à craindre de déclarations inexactes. Sur ce point, la pratique n’a pas révélé d’inconvénient. Le propriétaire présente une caution, et déclare rapporter l’acte qui va lui être délivré, si le navire vient à être vendu, ou s’il vient à périr. Sur la fiche, le navire est indiqué par son nom, sa jauge, son port d’attache. Une place est laissée sur le feuillet du navire pour mentionner les hypothèques éventuelles294. Une fois la déclaration faite, l’administration délivre au propriétaire l’acte de francisation, qui est une copie du registre des soumissions de francisation. Cet acte figure parmi les papiers de bord. L’acte de francisation indique que le navire est français. Il établit également qu’il est la propriété d’une personne déterminée. Toutes ces règles s’appliquent également aux navires de plaisances295.

§ 4 Mutation en douane

109. Le transfert de la propriété du navire se traduit par l’inscription sur le fichier, du nom du nouveau propriétaire, et la délivrance d’un nouvel acte à celui-ci, ou du moins, le changement de nom sur l’acte. Cette formalité s’accomplit par la présentation de l’acte de vente296. Voila pourquoi l’acte écrit est indispensable comme premier élément de publicité. Etant accomplie à la recette principale des douanes, la formalité porte le nom de mutation en douane. Depuis, le système a parfaitement fonctionné. Il n’y a jamais eu aucune contestation sur la propriété d’un navire297. Toutefois, le rôle de la mutation en douane a été discutée en doctrine, et l’expression est devenue inappropriée depuis que la loi autorise la publication d’autres actes que les ventes ou plus généralement, que les transferts de droits réels sur le navire298.

294 Ph. Delebecque, op.cit, n° 175.

295 T.com. Marseille 20 sept. 1978, Rev. Scapel 1978.54. 296 Ph. Delebecque, op.cit, n° 176.

297 Ibid., n° 177. 298 Ibid.

- 75 -

§ 5 Nature de la publicité

110. Plusieurs théories ont été soutenues. Une théorie ancienne nous enseigne que la mutation en douane ne serait qu’une simple formalité administrative, qui n’aurait aucune influence sur le droit privé. Ça serait d’ailleurs la raison qui ferait que le code de commerce n’en parle pas, et décidait que le transfert de propriété se ferait par le contrat de vente. Cette théorie est abandonnée : si la propriété avait été transférée, et que le navire puisse voyager en ayant à bord un acte de francisation indiquant un autre propriétaire, il y aurait eu deux propriétaires, l’un pour le vendeur, l’autre pour les tiers. Cette solution n’est pas admissible, écrit Philippe Delebecque299. Pour une deuxième théorie, la mutation en douane doit être comparée à la transcription des immeubles, telle que résultait de la loi de 1855. La propriété étant alors transférée par la seule convention des parties, mais que la mutation en douane était indispensable pour l’opposabilité aux tiers (Lyon-Caen et Renault). La théorie était difficile à suivre : l’origine des règles est différente. La règle relative au navire vient de la loi de l’an II, qui est une loi sur la nationalité. Enfin, la sanction n’est pas la même. La loi de 1855 indique les tiers pouvant se prévaloir du défaut de transcription : la catégorie des tiers qui peuvent se prévaloir du défaut de publicité est plus large pour les navires. Pour une troisième théorie, la mutation en douane réalise un système beaucoup plus perfectionné que la transcription, qui ne peut être comparé qu’au système des livres fonciers (Danjon, Ripert, Rodière). Selon cette doctrine, c’est la vérification pour l’Etat du titre de propriété. Un certificat est délivré officiellement à une personne reconnue propriétaire. L’inscription au registre fait foi à l’égard des tiers qu’une personne est propriétaire du bien. La force probante du livre foncier va jusqu’à déclarer que tout droit acquis sur la foi du registre foncier, est véritablement acquis, même si celui qui l’a consenti n’était pas le propriétaire300. Une quatrième théorie est intermédiaire aux deux précédentes. L’article 93 du décret du 27 octobre 1967 (art. L.5114-5 code des transports), précise que les actes soumis à publicité ne sont pas opposables aux tiers tant qu’ils ne sont pas inscrits sur la fiche matricule. Cet article soutient la théorie selon laquelle la publicité de l’état des navires est destinée, en droit privé, à opposer aux tiers le transfert de la propriété. Toutefois, le défaut de publicité entraine une inopposabilité plus large que dans le

299 Ph. Delebecque, op.cit, n° 177 300 Ibid.

- 76 -

domaine de la publicité foncière, à la fois par la catégorie des personnes qui peuvent s’en prévaloir, et par le défaut de preuve contraire. Ainsi, à la différence de la publicité foncière, telle qu’elle résulte aujourd’hui du décret du 4 janvier 1955, article 30-1°, modifié par l’ordonnance de 2010301, les tiers qui peuvent se prévaloir de l’inopposabilité sont sans restriction : il s’agit de toute personne intéressée, notamment les créanciers, même chirographaires du vendeur ou du propriétaire du navire, à condition de publier le droit du créancier si celui-ci est soumis à la publicité. La catégorie des tiers est aussi large que ce qui est stipulé à l’article L. 123-9 du code de commerce. Ce dernier stipule que l’inopposabilité n’est pas applicable, si « les assujettis établissent qu’au moment où ils ont traité, les tiers en cause avaient connaissance des faits et actes dont il s’agit ». Une telle restriction, faute de figurer dans le texte maritime, semble-t-il, ne peut être admise pour les actes concernant le navire.

Au fond, le mécanisme ressemblant le plus à l’inopposabilité des tiers est celui de l’article 941 du code civil en matière de publicité de donations et substitutions. En effet, dans ce texte, comme dans le texte maritime, la catégorie des tiers qui peuvent se prévaloir du défaut de publicité est très large : il s’agit de toute personne ayant un intérêt (art. 941), les créanciers. En plus, « le défaut de publication ne pourra, selon

Delebecque302, être suppléé ni regardé comme couvert par la connaissance que les

créanciers ou les tiers acquéreurs pouvaient connaitre par d’autres voies que celle de la publicité ». Dans un arrêt du 11 novembre 2007303, la Cour de cassation a décidé qu’une présomption simple s’attachait aux mentions de la fiche matricule du navire, comme d’ailleurs aux mentions de l’acte de francisation.

§ 6 Conséquences de la publicité

111. En droit maritime, la vente transfert la propriété au point de vue des risques, mais au regard des tiers, ce transfert de propriété ne se fait qu’après la mutation en douane304. Ici, par tiers, l’on entend toutes les personnes intéressées. La mutation

301 Ordonnance n°2010-638 du 10 juin 2010 - art. 14.

302 Ph. Delebecque, op.cit, n° 177 303 DMF 2008.27, obs. P. Bonassies. 304 Ph. Delebecque, op.cit, n° 178.

- 77 -

en douane produit tous les effets de la transcription, c'est-à-dire que s’il y a conflit entre deux acquéreurs, le premier à faire la mutation en douane l’emporte305. Si c’est un conflit entre acquéreur et un créancier hypothécaire, c’est le premier qui l’emporte si le deuxième n’a pas inscrit son hypothèque avant la mutation en douane306. Cette règle souffre d’une exception : on admet en matière foncière que les tiers, qui ont frauduleusement publié leur droit à la hâte, ne peuvent pas se prévaloir de leur diligence. Sous le bénéfice d’une plus grande précision, l’exception est certaine, dit Delebecque : fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt tout). La même raison de morale doit s’imposer en matière maritime. En plus, celui qui traite avec le propriétaire inscrit dans le registre doit être considéré comme ayant traité avec le véritable propriétaire : l’inscription a une force probante absolue. La résolution de la vente n’est pas opposable, et ce, malgré son caractère rétroactif, aux sous-acquéreurs ou aux créanciers hypothécaires qui ont acquis leurs droits de l’acquéreur après la mutation en douane, et avant le jugement prononçant la résolution. Les tiers ne connaissent comme propriétaire que celui inscrit dans le registre307. Enfin, l’on peut se demander si la propriété du navire peut être acquise par prescription. Dans certains pays de livres fonciers, la prescription est admise. En droit français, le code de commerce interdit au capitaine de prescrire la propriété du navire (art. 430, c. de commerce). A contrario, aucun texte n’interdit d’appliquer la prescription de trente ans308. La prescription n’est qu’une théorie, étant donné le délai nécessaire pour prescrire et la durée relativement courte de la vie d’un navire. En tant que composante principale, sinon exclusive du patrimoine de l’armateur, le navire peut être pour l’armateur, un bon moyen de crédit, un gage pour les créanciers. C’est l’objet du troisième chapitre.