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CHAPITRE 1. L’ADMINISTRATION DE JUSTICE RURALE : LA

1.   Les publications de l’État 41

Dans la mesure où nous étudions un phénomène émanant en grande partie de l’État, l’administration de justice, il semblait évident de consulter les sources officielles. Ont été retenus les journaux officiels, les mémoires des ministères, les annuaires statistiques et les recensements.

Les journaux officiels constituent la source principale d’information sur

l’activité politique et législative du Congrès chilien au XIXe siècle. Le Boletín de

Leyes y decretos del Supremo Gobierno de Chile, publié mensuellement presque sans interruption depuis 1811, permet de consulter l’ensemble des textes de lois adoptés. El Araucano (1830-1877), à la fois journal bihebdomadaire et organe officiel, proposait un éditorial qui permet de

connaître l’opinion de son célèbre rédacteur en chef jusqu’en 1853, Andrés

Bello, mais aussi les débats qui eurent lieu à l’époque. Il fut relevé dans sa

mission par le Diario Oficial de la República de Chile à partir du 1er mars 1877.

Un journal spécifique au monde de la justice est la Gaceta de los Tribunales, publiée à partir de 1841. Il s’agit d’une revue hebdomadaire fondée par José Gabriel Palma dans l’objectif de publier les sentences des tribunaux de première et seconde instance, les lois et projets de lois, règlements, décrets, tous accompagnés de commentaires de juristes reconnus de l’époque, tels

qu’Antonio García Reyes, José Antonio Álvarez ou Antonio Varas75.

Pour reconstituer le corpus de lois concernant notre sujet de la façon la plus précise et aboutie possible sur la période étudiée, nous avons travaillé de façon systématique avec la publication de Ricardo Anguita Acuña. Ce juriste, qui

acheva sa carrière comme président de la Cour Suprême en 192776, entreprit la

compilation en cinq volumes de toutes les lois adoptées au Chili entre 1810 et 1912 (la période 1913-1918 faisant l’objet d’un supplément) à partir du Boletín et du Diario Oficial. Il n’est cependant pas exhaustif, et c’est pourquoi le Boletín reste indispensable pour vérifier des actes précis. Chaque volume possède un

index, et un sixième propose un index commun77. Anguita a conçu sa

compilation comme un outil de travail pour les professionnels du droit, les politiques, les étudiants ou encore les hommes d’affaires. Elle est reconnue

aujourd’hui comme l’une des sources fondamentales pour les études

historiques au Chili. Sa consultation lente et patiente a permis de retracer toute

l’activité législative concernant l’administration de justice sur un long XIXe

siècle : constitutions, règlements, lois, décrets et codes de lois.

Les mémoires des ministères constituent une seconde source importante. Tous les ans, les ministères devaient remettre au Congrès un compte-rendu de leurs actions et leurs prévisions, conformément aux articles 88 et 89 de la Constitution de 1833 qui instaurait la responsabilité des ministres

devant les représentants de la Nation78. Les mémoires étaient remis en général

soit en juin soit en août, c’est-à-dire au début ou à la fin de la période d’activité

ordinaire des députés et sénateurs79. Nous nous sommes intéressés aux

mémoires du ministère de l’intérieur de 1834, 1835 et 1836, puisque c’est lui qui assuma le portefeuille de la justice jusqu’à la création d’un ministère indépendant en 1837. Les mémoires respectaient tous une structure similaire. Dans la section « justice », le ministre débutait par une présentation du travail

76 De Ramón Armando, “La justicia chilena entre 1875 y 1924”, Cuadernos de Análisis Jurídico, n° 12, 1989, p. 58. 77 Anguita Ricardo (éd.), Leyes Promulgadas en Chile desde 1810 hasta el 1 de junio de 1913, Imprenta, Litografía y

Encuadernación Barcelona, 1912-1918, 6 vol. L’ensemble a été mis en ligne pour la première fois en 2017 sur la page de la Biblioteca del Congreso Nacional, dans le “Catalogo Bibliografico”: https://www.bcn.cl/catalogo [consulté le 11 décembre 2017]. 78 “Art. 88. Luego que el Congreso abra sus sesiones, deberán los Ministros del Despacho darle

cuenta del estado de la Nación, en lo relativo a los negocios del Departamento de cada uno de ellos. Art. 89. Deberán igualmente presentarle el presupuesto anual de los gastos que deben hacerse en sus respectivos Departamentos; i dar cuenta”, dans Anguita Ricardo (éd.), Leyes Promulgadas, op. cit., vol. I, p. 214-228.

78 “Art. 88. Luego que el Congreso abra sus sesiones, deberán los Ministros del Despacho darle cuenta del estado de la

Nación, en lo relativo a los negocios del Departamento de cada uno de ellos. Art. 89. Deberán igualmente presentarle el presupuesto anual de los gastos que deben hacerse en sus respectivos Departamentos; i dar cuenta”, dans Anguita Ricardo (éd.), Leyes Promulgadas, op. cit., vol. I, p. 214-228.

79 D’après la constitution de 1833, le Congrès ne siégeait en effet qu’en hiver, entre le 1er juin et le 1er septembre, sauf

séance extraordinaire Une législature ne durait donc que quatre mois par an. Le Président avait cependant la possibilité de l’allonger de cinquante jours et de convoquer des séances extraordinaires. Cf. op. cit., articles 52, 82 et 83.

réalisé par le gouvernement en matière de législation et administration de justice : il inventoriait les lois votées et expliquait leurs conséquences, énumérait les créations de postes et de cours de justice (juges letrados, greffiers, magistrats, entre autres), rendait compte de l’avancée des travaux de codification. Il exposait ensuite les réformes nécessaires en matière de législation et les besoins urgents en personnel, suggérant au Congrès des délais de débat et de vote. Il détaillait également le budget demandé pour l’année suivante. Il argumentait la demande de suppléments nécessaires au financement des constructions ou réparations des tribunaux, à leur équipement en mobilier et bibliothèques, mais aussi à l’octroi de subventions aux municipalités, incapables de construire ou d’entretenir les prisons qu’elles

étaient censées financer80. Enfin, le mémoire s’achevait par un bilan de l’état de

l’administration pénitentiaire : visite des prisons, avancée des constructions, réglementation de la vie pénitentiaire. Cet ensemble nous permet donc de connaître le point de vue du ministère et de son titulaire sur l’évolution du droit, de la législation, des procédures civiles et pénales, sur le fonctionnement de l’administration de justice et sur le recrutement des personnels.

Les annuaires statistiques et recensements sont la troisième source officielle dépouillée dans notre thèse. Le Bureau central des Statistiques (Oficina Central de Estadísticas) qui en était l’auteur a été créé sous le gouvernement de Manuel Bulnes (1841-1851), dans l’objectif de fournir à l’État

toute une série de données brutes sur le fonctionnement du pays81. Ce bureau

fut dirigé par Santiago Lindsay de 1858 à 1876. Il avait pour mission d’élaborer les recensements démographiques mais aussi de collecter un ensemble de données qui permettaient d’appréhender la réalité de la République et d’orienter

l’action étatique : recensements, statistiques agricoles, hôpitaux,

établissements de charité, prisons, inventaire des affaires civiles et criminelles etc. Les annuaires livrent des données brutes mais également des analyses, qui nous sont directement utiles, comme la délimitation des provinces, des départements, des sous-délégations et des districts en 1859 ; le nombre et le type d’affaires civiles traitées par la Cour Suprême en 1860 ; les noms des

80 Cette obligation figure dans la Recopilacion de leyes de los Reinos de Indias (1680) et est rappelée dans les lois

d’organisation et attributions des municipalités de 1854 et 1891. Cf. “Organización y atribuciones de las municipalidades – Lei sobre la materia”, In Anguita Ricardo (éd.), Leyes Promulgadas, op. cit., vol. I, p. 638-649, vol. III, p. 194-207.

fonctionnaires de justice et leur salaire en 1861 et 1870. Une source telle que l’annuaire doit être exploitée avec toutes les précautions nécessaires : en tant que publication officielle, elle comptabilisait et analysait des données sélectionnées par les autorités et avec les méthodes choisies par elles, mais aussi avec les limites pratiques et les conditions locales auxquelles elles durent faire face. Les travaux récents d’Andrés Estefane permettent désormais de comprendre précisément les circonstances de la collecte des données. La précarité de l’administration de justice chilienne que nous exposerons dans les pages qui suivent était largement partagée par celle des statistiques, et par

l’administration publique en général82. C’est pourquoi ses chiffres doivent être

manipulés avec précaution. L’Anuario, bien qu’il en ait la prétention, ne saurait informer sur « le Chili tel qu’il était exactement ». Cette critique n’implique pas qu’il faille le déconsidérer. L’Anuario fournit des données brutes qui servent de fondements légitimes à une analyse historique comme le nombre de circonscriptions, le nom des fonctionnaires etc. À un autre niveau, il donne des informations sur la construction de l’État chilien, puisqu’en soi il témoigne de la volonté de se doter d’outils de mesure, de connaissance et de contrôle du

territoire et de ses habitants83. En dépit de ce qu’indique son titre, l’annuaire

présente certaines discontinuités. Tout d’abord, sa publication a été irrégulière. Les premier et deuxième volumes ont été publiés en 1860, présentant les données collectées de 1848 à 1858 concernant la démographie. Puis l’annuaire a été publié annuellement jusqu’en 1891, année qui a vu son interruption

jusqu’en 190984. Ensuite, l’annuaire présente des variations importantes dans

son contenu, qui répondait aux préoccupations du moment. Andrés Estefane explique en ce sens : il s’agit d’une « œuvre flexible dans ses thématiques, ouverte aux transformations que les intérêts politiques, les cycles économiques, le développement institutionnel et le perfectionnement scientifique

82 Pour une étude complète de l’Anuario et de la Oficina Nacional de Estadística chilienne au XIXe siècle, on consultera

Estefane Andrés (comp.), Anuario Estadístico de la República de Chile. Estudios sobre territorio y población, Santiago, Cámara Chilena de la Construcción, Pontificia Universidad Católica de Chile, DIBAM, Colección Biblioteca Fundamentos de la Construcción de Chile (editor general: Sagredo Rafael), 2012.

83 Op. cit, p. XIII: “La producción del Anuario… se entiende mejor a la luz del conjunto de reformas institucionales que

durante la segunda mitad del siglo XIX buscaron aumentar el control territorial del Estado reforzando la disciplina de sus cuadros administrativos y normalizando los procedimientos de acumulación y sistematización de datos sociales”.

84 Le Bureau des Statistiques est recréé en 1913. Cf. “Creación de una Oficina Central de Estadística a la cual

imposaient »85. L’annuaire proposait aussi des données de plus en plus variées d’ordre démographique (évolution de la population, criminalité, population pénitentiaire), sanitaire et social (hôpitaux, œuvres sociales), économique (agriculture, industrie et commerce) ou administratif (recensement électoral, divisions territoriales, liste des fonctionnaires). Les seules informations que l’on retrouve systématiquement d’un volume à l’autre sont le suivi démographique et l’inventaire des affaires civiles et criminelles. Enfin et pour terminer, l’annuaire présente des inégalités dans le territoire qu’il couvre. Les résultats remis furent très irréguliers au cours du siècle puisqu’ils s’appuyaient sur l’information transmise par les fonctionnaires subalternes et locaux, en particulier les

inspecteurs et sous-délégués86. Le zèle manifesté dans la collecte des données

variait d’un personnage à l’autre. Le volume correspondant à l’année 1871 ne contient par exemple aucune information sur la province d’Atacama.

Le souci de recenser ne date pas de l’époque républicaine mais il y est devenu systématique à partir du moment où la nouvelle République se concevait comme un régime représentatif : il fallait dénombrer les hommes pour

organiser leur représentation au sein du Congrès87. Le premier recensement de

la population chilienne fut réalisé en 1813 sur les trois provinces que comptait alors le Chili (Concepción, Santiago et Coquimbo, créées en 1812). Le suivant date de 1831 et portait sur les provinces, créées en 1826, de Chiloé, Valdivia, Maule, ainsi que Concepción et Santiago (uniquement le département de Santiago proprement dit). Il fut complété en 1835 par les provinces de Talca, Colchagua, Aconcagua, Coquimbo, récemment créées, et les autres départements de la province de Santiago. Le recensement est réalisé par la suite tous les dix ans. 1843, 1854, 1865, 1875, 1885, 1895, 1907 sont les

livraisons connues pour le XIXe siècle et le début du XXe siècle88. Le

85 Estefane Andrés, Ibid, p. XII: “una obra temáticamente flexible, abierta a las transformaciones que los intereses

políticos, los ciclos económicos, el desarrollo institucional y el perfeccionamiento científico iban imponiendo”.

86 Pour un exemple des informations transmises par les documents originaux, cf. AHN, IntAta, vol. 312. Les sous-

délégués y dressent tout un ensemble d’éléments statistiques comme le volume des récoltes, la liste des propriétés agricoles, la production minière, le recensement démographique, l’identification des fonctionnaires.

87 “Censo general – Numero de diputados i de senadores que, con arreglo a este censo deben elegirse (1854)”,

“Numero de diputados i de senadores que con arreglo al censo deben elegirse (1875)”, “Numero de diputados i senadores que corresponde elejir según el último censo (1887)” et “Numero de diputados i senadores que deben elejirse con arreglo al ultimo censo; formación de agrupaciones (1890)”, In Anguita Ricardo (éd.), Leyes Promulgadas, op. cit., vol. I, p. 637, vol. II, p. 611 et vol. III, p. 36 et 116.

88 Pour une étude des recensements de population chiliens depuis l’époque coloniale: Instituto Nacional de Estadística,

Retratos de nuestra identidad: los censos de población en Chile y su evolución histórica hacia el Bicentenario, Santiago, INE, 2009 ; “Los censos durante el siglo XIX (1813-1907)” [en ligne], Biblioteca Fundamentos de la

recensement est cependant considéré fiable et national à partir de 1854, après le vote d’une loi fixant les critères de dénombrement et d’une autre éclairant

son mode de financement.89 Les recensements constituent une référence

fondamentale pour connaître la structure de la population sur laquelle se construit le raisonnement historique, à différentes échelles. Certaines éditions informent également sur la dotation des différents territoires en personnel administratif, et notamment en juges.

Une dernière publication majeure est constituées par les Anales de l’Université du Chili. Publiées à partir de 1843, elles proposent en particulier les

thèses de fin d’étude et les discours d’entrée en fonction de personnages

majeurs, notamment celui d’Antonio Varas, reproduit en annexe pour sa grande valeur illustrative au sujet du changement de paradigme juridique au Chili au

milieu du XIXe siècle90.