2.2.1 Traduction
La version originale en langue anglaise du questionnaire IES-2 (Tylka & Kroon Van Diest,
2013) a été traduite en français indépendamment par trois chercheurs de l’équipe parlant
couramment l’anglais, dont un n’était pas au fait du concept mesuré. Après confrontation des
trois traductions, la traduction commune obtenue a été retraduite en anglais indépendamment
par deux chercheurs bilingues, ne connaissant pas le questionnaire dans sa version originale.
Tous les traducteurs ont ensuite été réunis pour comparer et discuter l’ensemble des versions
afin d’obtenir un consensus. Les différents traducteurs étaient issus de champs disciplinaires
diversifiés.11
2.2.2 Pré-test
La version française obtenue a été pré-testée dans un échantillon de 36 personnes de niveaux
socio-culturels différents. Les participants devaient compléter la version pré-finale du
questionnaire, puis, dans un second temps, devaient exprimer pour chaque affirmation ce
qu’ils pensaient qu’elle signifiait ou donner un exemple concret de situation lui
correspondant. Dans l’ensemble, tous les items ont été bien compris à l’exception d’un item,
« J’ai des aliments interdits que je ne m’autorise pas à manger », pour lequel nous avons
ajouté l’indication suivante : « Cette affirmation ne concerne pas les interdits alimentaires par
10
Cette section a fait l’objet d’une publication : Camilleri GM, Méjean C, Bellisle F, Andreeva VA, Sautron V,
Hercberg S, Péneau S. (2014). Crosscultural validity of the Intuitive Eating Scale-2: Psychometric evaluation in
a sample of the general French population. Appetite,84, 6-14.
11
Le Docteur Tracy Tylka, chercheuse ayant développé la version originale du questionnaire, a également
fournit des retours et des conseils durant le processus de traduction et de validation
94
convictions philosophiques ou religieuses ». Les items traduits obtenus sont présentés dans le
Tableau 7 selon le facteur auquel ils sont censés appartenir. Pour faciliter la lecture, le nom
des facteurs a été abrégé dans la suite de l’énoncé. Les nouvelles dénominations sont
présentées entre parenthèses.
Les items sont notés sur une échelle à 5 points de « pas du tout d’accord » à « tout à fait
d’accord ».
95
Tableau 7 : Échelle d’alimentation intuitive IES-2 traduite en français
Manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles (Raisons physiques)
Je me surprends à manger quand je suis sous le coup de l’émotion (ex : anxieux(se), déprimé(e),
triste), même quand je n’ai pas vraiment faim.
Je me surprends à manger quand je me sens seul(e), même quand je n’ai pas vraiment faim.
Je me sers de la nourriture pour m’aider à apaiser mes émotions négatives (ex : anxiété, tristesse).
Je me surprends à manger quand je suis stressé(e), même quand je n’ai pas vraiment faim.
Je suis capable de gérer mes émotions négatives (ex : anxiété, tristesse) sans me tourner vers la
nourriture pour me réconforter.
Quand je m’ennuie, il ne m’arrive pas de manger juste pour avoir quelque chose à faire.
Quand je me sens seul(e), je ne me tourne pas vers la nourriture pour me réconforter.
Je trouve d’autres façons de gérer le stress et l’anxiété qu’en mangeant.
Recourirà ses signaux internes de faim et de satiété (Signaux)
Je fais confiance à mon corps pour qu’il me dise quand manger.
Je fais confiance à mon corps pour qu’il me dise quoi manger.
Je fais confiance à mon corps pour qu’il me dise quelle quantité manger.
Je me fie à mes signaux de faim pour savoir quand manger.
Je me fie à mes signaux de satiété (être rassasié) pour savoir quand arrêter de manger.
Je fais confiance à mon corps pour qu’il me dise quand arrêter de manger.
Permission inconditionnelle de manger (Permission)
J’essaie d’éviter certains aliments riches en graisses, en glucides (sucres et féculents) ou en calories.
Si j’ai très envie d’un aliment en particulier, je m’autorise à le manger.
Je m’en veux d’avoir mangéquelque chose de mauvais pour la santé.
J’ai des aliments interdits que je ne m’autorise pas à manger.
1Je m’autorise à manger les aliments dont j’ai envie sur le moment.
Je ne suis pas de règles alimentaires ou régimes qui me dictent quoi, quand et/ou en quelle quantité
manger.
Adéquation besoins et choix alimentaires (Adéquation)
La plupart du temps, j’ai envie de manger des aliments nutritifs (riches en vitamines/minéraux et qui
apportent de l’énergie).
Je mange surtout des aliments qui permettent à mon corps de bien fonctionner.
Je mange surtout des aliments qui donnent à mon corps de l’énergie et de l’endurance.
1
Cette affirmation ne concerne pas les interdits alimentaires par convictions philosophiques ou
religieuses
96
2.2.3 Passage du questionnaire dans l’étude NutriNet-Santé
Le questionnaire a été administré sur le site de l’étude en mars 2013. En plus du questionnaire
IES-2 traduit, trois questions relatives à la faisabilité du questionnaire ont été posées (le
questionnaire était-il difficile, clair ou long). Les réponses étaient également notées sur une
échelle à 5 points de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord ».
Les participants avaient 6 semaines pour compléter le questionnaire. 15 jours après l’issue de
ce délai, le questionnaire a été posé une deuxième fois aux personnes ayant répondu à la
première passation. Parmi les 1000 participants sollicités lors de la première passation, 665
participants ont répondu à l’intégralité du questionnaire parmi lesquels 33 ont été exclus car
ils suivaient actuellement un régime soit pour des raisons médicales ou en raison d’une
grossesse. Les participants qui étaient au régime afin de perdre du poids ont été conservés
dans les analyses. Les analyses ont donc été réalisées sur les données de 632 participants (297
hommes et 335 femmes). Parmi les participants ayant répondu la première fois, 489 ont
répondu la deuxième fois avec un délai moyen de 56 ± 12 jours (de 26 à 96 jours) entre les
deux questionnaires.
2.2.4 Validité
Démontrer la validité d’un questionnaire, c’est vérifier que ce questionnaire mesure bien ce
qu’il est censé mesurer.
En pratique, valider un questionnaire, c’est dans un premier temps émettre un jugement de
valeur sur les aspects visibles du questionnaire (validité d’apparence) puis étudier de manière
conceptuelle et approfondie les questions, en se demandant si les réponses représenteront
correctement et uniquement le concept à mesurer (validité de contenu). Dans le cas d’une
adaptation, ces facettes de la validité ont déjà été étudiées dans le cadre du développement et
de la validation de la version originale. Il s’agissait donc ici uniquement de s’assurer qu’elles
étaient toujours valables dans la population française lors de la phase de traduction et de
pré-test.
Par la suite, des méthodes statistiques appropriées permettent de dégager au mieux la
signification réelle de ce que mesure le questionnaire en le distinguant des concepts voisins.
La théorie du concept mesuré permet d’émettre un certain nombre d’hypothèses sur la
structure de l’instrument, les relations avec d’autres variables ou les différences entre des
97
sous-groupes de population. Ce sont ces hypothèses qui vont pouvoir être testées afin
d’affirmer la validité de construit du questionnaire.
Validité de construit : structure
Dans un premier temps, nous avons réalisé une analyse factorielle confirmatoire (AFC), qui
permet de tester l’adéquation des données observées à une structure du questionnaire spécifié
a priori, ici la structure factorielle initiale de l'échelle originale. Pour l’item 19, la variance
estimée était inférieure à 0, on parle de cas « Heywood ». Ceci était sûrement dû à un nombre
insuffisant d’items pour définir ce facteur à 3 items.
Ce modèle n’ayant pas fourni un bon ajustement aux données, nous avons effectué dans un
premier temps une analyse factorielle exploratoire (AFE) sur un sous-échantillon, afin de
comprendre la structure sous-jacente de notre ensemble d'items mesurés. Dans un second
temps, le modèle ainsi obtenu a été testé à nouveau par une AFC dans un sous-échantillon
différent, afin de confirmer la structure factorielle précédemment mise en évidence (Brown,
2006; Kline, 2011). A cette fin, l'échantillon initial de 632 participants avait été divisé de
manière aléatoire en deux échantillons de 316 personnes chacun. La taille des deux
sous-échantillons permettait d’obtenir un ratio nombre de participants/item supérieur au ratio
recommandé de 5 pour 1 (Hatcher, 1994). Les caractéristiques des individus entre les deux
sous-échantillons ont été comparées à l’aide de tests de Student pour les variables continues et
de tests du Chi-2 pour les variables qualitatives.
L’AFE a été effectuée après s’être préalablement assuré que l’échelle présentait une variance
commune adéquate à l’aide du test de Kaiser-Meyer-Olkin (Tabachnick & Fidell, 2007). Les
items étant représentés par des variables ordinales, la méthode d’estimation des moindres
carrés (ULS) basée sur les corrélations polychoriques a été utilisée (Flora, Labrish, &
Chalmers, 2012). Une rotation oblique a été appliquée car les facteurs étaient supposés être
corrélés. La détermination du nombre de facteurs à extraire s’appuyait sur :
- l’interprétation du graphique de progression des valeurs propres (Catell, 1966)
- le pourcentage de variance à expliquer par un facteur fixé a priori (au moins 5-10%)
(Hatcher, 1994)
- le MAP (Minimum Average Partial) test (Velicer, 1976)
98
Les items avec un coefficient de saturation ≥0,40 sur un facteur donné étaient retenus et
attribués à ce facteur. Cependant, si un item présentait un coefficient similaire et non
négligeable (>0,30) à la fois sur un facteur primaire et un facteur secondaire, il a été supprimé
pour les analyses ultérieures (Hatcher, 1994; Tabachnick & Fidell, 2007).
Un modèle hiérarchique a été testé par AFC dans le second sous-échantillon : chaque item
était attribué à son facteur latent de premier ordre et ces facteurs latents étaient eux-mêmes
attribués à un facteur de second ordre correspondant à l’alimentation intuitive. Les erreurs
entre les items formulés de façon similaire, par exemple « Je fais confiance à mon corps pour
qu’il me dise quand manger » et « Je fais confiance à mon corps pour qu’il me dise quoi
manger », ont également été estimées car ces items étaient supposés partager une variance due
à la méthode (Tylka & Kroon Van Diest, 2013). La méthode d’estimation des moindres carrés
(ULS) et la matrice de covariance basée sur les corrélations polychoriques en entrée ont été
utilisées (Yang-Wallentin, Jöreskog, & Luo, 2010).
Les indices suivants nous ont permis d’évaluer l’ajustement du modèle :
Indice Seuil d’acceptabilité pour une
« raisonnablement » bonne adéquation
AGFI (Adjusted Goodness of Fit) Proche ou supérieur à 0,95 (Hu & Bentler, 1999)
PGFI (Parsimony Goodness of Fit) Supérieur à 0,601 (Mulaik et al., 1989)
SRMR (Standardized Root-Mean Square
Residual) Proche ou inférieur à 0,08 (Hu & Bentler, 1999)
1