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Le protocole expérimental

La méthode expérimentale consiste à “créer, dans le laboratoire, un

environ-nement microéconomique contrôlé, où une mesure précise des variables pertinentes est

garantie”

15

. Comme le note Villeval (2007), Smith (1982) a mis en relief trois

fonc-tions de cette méthode : celle-ci permet de tester la théorie, de générer des données

impossibles à recueillir sur le terrain et enfin, de contribuer au design institutionnel

en répondant à certaines questions de politiques publiques concernant par exemple le

marché des permis à polluer

16

.

Cette méthode est particulièrement adaptée à notre question de recherche : en

ef-fet, puisque les principaux facteurs mis en avant à travers les effets que nous souhaitons

tester sont d’ordre psychologique, ceux-ci sont par définition relativement difficiles à

ap-préhender au moyen de la théorie économique. Par ailleurs, les données relatives à cette

question ne sont pas aisément consultables, voire même sont inexistantes, et il n’est

pas facile de les collecter : en effet, afin de pouvoir effectuer des comparaisons entre ces

deux procédures, il faudrait disposer de données similaires, par exemple au sein d’un

même pays ou d’un même système judiciaire, sur ces deux procédures. La procédure

française où la négociation est obligatoire pourrait fournir des données utiles ;

cepen-dant, la deuxième procédure n’étant pas mise en oeuvre, nous ne pourrions pas disposer

de données sur cette deuxième situation. Enfin, l’expérimentation présente l’avantage

d’éliminer de nombreux biais propres aux données réelles : en particulier, les expériences

menées sont valables pour tout type de conflit, pour tout type de négociation. Or, les

litiges du travail constituent le point de départ de notre réflexion mais la question de la

pertinence de l’obligation de négocier pourrait se poser pour d’autres types de conflits,

comme nous l’avons souligné précédemment.

15Wilde (1980),in The Phylosophy of Economics, cité par Smith (1982).

16Une quatrième fonction possible est de fournir un outil pédagogique novateur qui permet aux étudiants de découvrir par eux-mêmes des notions économiques fondamentales de façon plus abordable que par certains outils mathématiques (Villeval, 2007).

4.3.1 Les traitements expérimentaux

Pour déterminer s’il existe des différences entre une négociation choisie et une

négociation imposée concernant à la fois le comportement de négociation et l’issue du

litige, deux traitements ont été réalisés : l’un où les individus n’ont pas d’autre choix

que de négocier (traitement SO pour Négociation Obligatoire) et l’autre où les individus

ont le choix entre négocier et demander que le partage soit immédiatement réalisé, sans

négociation préalable (traitement SF pour Négociation Facultative).

Dans le premier traitement (SO), les sujets doivent négocier sur le partage d’une

somme de 500 points dont la valeur diminue à chaque période tant qu’aucun accord

n’est scellé, cette diminution matérialisant la perte de temps et donc de gain due à la

négociation. Le facteur d’actualisation choisi est de 0,95 et matérialise ainsi une perte de

5% du surplus par période

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: la dotation est réduite à 475 en début de deuxième période,

450 en début de troisième période. La négociation dure trois périodes, conformément

au modèle théorique. Un nombre réduit de périodes permet de limiter la durée de

l’expérience, qui ne doit pas être trop élevée : en effet, d’une part, une expérience plus

longue présenterait un coût financier supérieur et d’autre part, l’attention des sujets

risquerait de décroître. Si, au bout de trois périodes, aucun accord n’a été trouvé,

la dotation est à nouveau réduite de 5%, la portant à 430. L’ordinateur détermine

alors de manière aléatoire la part allouée à chacun des deux individus sur la dotation

restante à laquelle est également retranché le coût de la décision par l’ordinateur de 30,

représentant les frais judiciaires : l’ordinateur partage donc une dotation de 400

18

. La

17La valeur du taux d’actualisation a été choisie de manière relativement arbitraire, mais avec le souci de n’être ni trop faible pour ne pas être inefficace, ni trop élevée pour ne pas inciter de manière excessive à trouver un accord dès la première étape, ce qui aurait pour effet de trop orienter la période de l’accord.

18Les valeurs de la dotation à chaque période ont été arrondies : en effet, elles devraient être en réalité de 475, 451,2 et 428,7. Nous avons choisi de prendre l’arrondi le plus proche pour éviter que les joueurs ne soient perturbés par des valeurs qu’ils pourraient juger étonnantes.

détermination du partage par l’ordinateur se fait suivant une loi normale

19

. Par ailleurs,

nous avons délibérément opté pour une moyenne du tirage aléatoire, non pas de 200

mais de 250, dotation que recevrait en moyenne l’individu qui fait l’offre le premier

(individu A) : les sujets ont tous préalablement pris connaissance des 100 dernières

valeurs tirées par l’ordinateur dans les mêmes circonstances

20

. Une moyenne biaisée

est utilisée, suivant Ashenfelter et al. (1992), afin d’éviter un simple partage 50-50

et d’inciter les individus à négocier véritablement sans tomber de façon systématique

dans un partage méchanique 50-50. En effet, le risque d’une allocation centrée sur la

moyenne est que les individus se partagent systématiquement la dotation de 500 de

façon égalitaire dès la première période. Cette moyenne décalée avantage bien entendu

l’individu A par rapport à l’individu B, mais le protocole étant identique entre les deux

traitements, cela n’a pas d’incidence sur la comparaison entre ceux-ci.

Dans le second traitement (SF), il est demandé aux sujets dans une première étape

d’indiquer s’ils souhaitent ou non négocier : s’ils le souhaitent tous les deux, alors le

traitement se déroule ensuite exactement de la même façon que le traitement SO. En

revanche, si au moins l’un des deux sujets ne le souhaite pas, alors il n’y a aucune

né-gociation et l’ordinateur détermine immédiatement les gains de chacun sur un montant

total de 470 points, qui correspond à la dotation initiale de laquelle ont été ôtés les

30 points représentant les coûts de justice. Aucun facteur d’actualisation ne s’applique

dans ce cas, dans la mesure où le temps de négociation est nul. De la même manière que

précédemment, la moyenne n’est pas à 235 mais à 290 (en respectant le même rapport

entre la dotation à partager et le gain espéré du joueur A, qui est égal à 1,6 dans les

deux cas,i.e. 400/250 et 470/290).

19Le choix de la loi normale se justifie de la même façon que dans Ashenfelter et al. (1992), voir supra.

20Les tables utilisées pour l’expérience sont générées selon une loi normale : pour une somme à partager de 470, la moyenne utilisée est de 290 et l’écart-type de 30 et pour une somme de 400, la moyenne est de 250 et l’écart-type de 25. Les tables utilisées pour l’expérience sont présentées dans l’Annexe A.

4.3.2 Le déroulement de l’expérience

Six sessions expérimentales ont été réalisées au LEES (Laboratoire d’Economie

Expérimentale de Strasbourg). Elles ont eu lieu en novembre 2007 et ont réuni un total

de 120 participants (60 participants par traitement), constitués d’étudiants issus de

disciplines variées (telles que lettres, sciences humaines, gestion, sciences, etc.). Ces

étudiants ont été répartis de façon aléatoire pour chaque traitement en 6 groupes de

10 sujets. Chaque session comporte 20 étudiants, répartis en 2 groupes de 10 sujets :

chaque groupe comprend 5 sujets désignés en début de session et de manière aléatoire

comme sujets de type A et 5 sujets de type B ; chaque sujet conserve son rôle jusqu’à

la fin de l’expérience. Une session comprend 20 périodes de négociation et les paires

de sujets sont refaites aléatoirement à chaque nouvelle période afin que deux individus

ne puissent pas se rencontrer deux fois de suite au cours d’une session (protocole de

type quasi-stranger). Ceci permet de respecter le cadre statique du modèle : en effet,

éviter que deux individus se rencontrent deux fois de suite permet de réduire les effets

de réputation qui deviendraient possibles dans un cadre dynamique

21

.

A leur arrivée, les participants sont regroupés dans une salle : les instructions leur

sont distribuées sur papier et l’expérimentaliste les lit à haute voix. Ils ne connaissent

pas encore leur rôle à ce moment précis et ne sont donc pas influencés dans leur

com-préhension du jeu par le rôle qu’ils auront à tenir. Les participants procèdent ensuite au

tirage au sort leur indiquant l’ordinateur qui leur est attribué et le rôle qu’ils endossent

(participant A ou participant B). Toutes les décisions sont prisesvia l’ordinateur et les

participants n’ont accès à aucune information qui leur permettrait de savoir avec qui ils

interagissent à chaque période, les sujets étant isolés et ne pouvant communiquer entre

eux. Avant le commencement du jeu, les participants doivent répondre sur l’ordinateur

à un questionnaire pré-expérimental, l’objectif étant de s’assurer que les instructions

21Un protocole partner est un protocole dans lequel les paires de sujets sont les mêmes à chaque période : les sujets se trouvent dans ce cas dans une situation d’interaction répétée, ce qui peut avoir pour conséquence de faire émerger d’autres équilibres.

ont été parfaitement comprises et assimilées. Si certaines erreurs ont été commises par

un joueur, l’expérimentaliste se rend auprès de lui afin de lui expliquer oralement les

points qu’il n’a pas correctement compris. Le jeu démarre une fois que ce questionnaire

a été corrigé pour tous les participants ayant commis une ou plusieurs erreur(s).

Les participants ne participent chacun qu’à l’un des deux traitements (SO ou SF),

et n’ont pas connaissance de l’existence d’un autre traitement. Les instructions lues aux

participants

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éliminent toute référence au contexte de litiges du travail, afin d’éviter

d’éventuels effets de contexte social.

A la fin de l’expérience, les gains sont versés aux participants de façon privée. Ils sont

calculés à partir du nombre de points accumulés durant les 20 périodes de l’expérience :

parmi ces 20 périodes, deux sont tirées au hasard et la somme des points de ces deux

périodes est convertie en somme d’argent, selon le taux de conversion de 0,4 euros pour

10 points. Cela équivaut à une somme maximale à partager de 20 euros par période.