La théorie duale de Yaari (1987) propose un modèle de choix en univers
risqué en modifiant les hypothèses de la théorie de l’utilité espérée dérivée de Von
Neumann et Morgenstern. Le modèle de Yaari présente plusieurs avantages par rapport
aux modèles d’utilité espérée. D’une part, l’attitude d’un agent vis-à-vis du risque et
son comportement vis-à-vis de la richesse ne forment qu’une seule et même entité.
En particulier, dans le cadre de l’utilité espérée, l’aversion au risque est synonyme de
décroissance de l’utilité marginale de la richesse. La théorie de Yaari sépare ces deux
notions en postulant une utilité marginale constante de la richesse et ce, quelle que
soit l’attitude de l’agent envers le risque. D’autre part, certains comportements qui se
manifestent dans des situations réelles sont difficilement explicables par la théorie de
l’utilité espérée, qui se heurte pour cette raison à un certain nombre de paradoxes, tels
que le paradoxe d’Allais. La théorie de Yaari permet de rationaliser ces comportements
considérés comme paradoxaux. Ainsi, le fait que l’utilité de la richesse soit constante a
pour conséquence que l’application d’une transformation affine aux niveaux de paiement
de deux paris laisse la préférence entre ceux-ci inchangée, ce qui n’est vrai en utilité
espérée que si l’agent est neutre au risque.
Par ailleurs, dans la théorie de Yaari, le désaccord entre deux individus concernant
leurs croyances ne s’explique pas par des poids de décisions probabilistes purs. En effet,
les croyances des individus représentent leurs préférences, notamment leur attitude à
l’égard du risque : à ce titre, elles ne constituent pas des probabilités individuelles mais
des vraisemblances subjectives. L’utilisation de cette axiomatique permet ainsi d’insister
sur l’incertitude générée par les décisions du tribunal plutôt que sur les asymétries
d’informations qui pourraient exister entre les parties.
3.3.1 Cadre général du modèle de Yaari
SoitV l’ensemble des variables aléatoires définies sur un espace de probabilités
donné. Pour chaquev appartenant àV, on note la fonction de distribution décumulative
(FDD)Gv avecGv(t) =P r{v > t},0≤t≤1.Gv est décroissante, continue etGv(1) =
0.
La valeur espérée dev est exprimée par Ev=R
01G
v(t)dtpour toutv ∈V
16. Les valeurs
des variables aléatoires dans V étant interprétées comme des paiements, chaque v est
interprétable comme une loterie que considèrerait un preneur de décisions.
Comme la théorie de l’utilité espérée, la théorie de Yaari est composée de plusieurs
axiomes, que nous présentons succinctement :
– Axiome A1 - La neutralité : Soient u et v ∈ V avec les FDD respectives G
uet
Gv. Si Gu=Gv, alors u∼v.
– Axiome A2 - Ordre faible complet : La relation de préférence ∼ est réflexive,
transitive et connectée.
Soit une famille de fonctionsΓdéfinies par :Γ =G: [0,1]→[0,1]|G est non-croissante,
continue et satisfait G(1) = 0.
– Axiome A3 - Soient G, G
0, H, H
0appartenant à Γ; en supposant que G G
0.
Alors il existe un >0tel quekG−Hk< etkG
0−H
0k< impliquentH H
0,
où|| || est la norme L1, i.e. kmk=R |m(t)|dt
– Axiome A4 - Monotonie (par rapport à la dominance stochastique de premier
rang) : Si Gu(t)≥Gv(t) pour toutt, 0≤t≤1, alors Gu ∼Gv.
– Axiome A5 - Indépendance : Si G, G
0et H appartiennent à Γ et si α est un
nombre réel compris entre 0 et 1, alors G ∼ G
0implique αG+ (1−α)H ∼
16Réduire les valeurs de la variable à l’échelle de l’unité signifie que l’on ne considère d’une part aucune loterie qui impliquerait une perte possible supérieure à la richesse totale du preneur de décisions et d’autre part, aucune loterie qui offrirait un prix supérieur à un nombre élevé prédéterminé.
αG
0+ (1−α)H.
3.3.2 L’aversion au risque dans le modèle de Yaari
Dans le modèle d’utilité espérée de Von Neumann et Morgenstern, les
pré-férences sont représentées par une fonction φ. Dans la théorie duale, les préférences
sont représentées par une fonction f telle que f =φ
−1. L’aversion au risque étant
ca-ractérisée en utilité espérée par la concavité de la fonction φ et cette concavité étant
équivalente à la convexité de la fonction φ
−1, l’aversion au risque est représentée dans
la théorie duale par la convexité de la fonction f (voirGraphique 1).
0 1
La fonction φ(p) et l'aversion au risque
x φ(x) X1 φ(x1) φ(x1)< x1 x1
Graphique 1 : L’aversion au risque dans la théorie duale de Yaari.
Comme nous l’avons noté précédemment, l’aversion au risque dans ce modèle peut
être interprétée de façon intuitive comme du pessimisme. Ainsi, dans le cadre d’une
loterie dans laquelle l’agent économique gagne soit un gain élevé soit un gain faible,
l’agent averse au risque va sous-estimer la probabilité de gagner un gain élevé et
sur-estimer la probabilité de gagner un gain faible. De façon similaire, dans le cadre d’une
loterie avec deux résultats possibles que sont perdre et gagner, l’agent va sur-estimer
sa probabilité de perdre et donc logiquement sous-estimer sa probabilité de gagner
17.
Le cadre de Yaari nous semble particulièrement intéressant et utile dans la
modéli-sation d’un litige judiciaire. En effet, il permet, contrairement à une approche purement
subjectiviste telle que celle adoptée par les modèles optimistes, de considérer que les
parties possèdent une information probabiliste et donc objective sur le jugement du
tri-bunal. A ces probabilités objectives, elles associent leurs propres croyances individuelles,
en déformant ces probabilités en fonction de leurs préférences. De plus, la théorie duale
nous permet de prendre en compte l’attitude des parties vis-à-vis du risque, ou de façon
similaire dans l’approche de Yaari, leur pessimisme.
Dans le document
L'analyse économique des litiges individuels du travail
(Page 119-122)