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15. Une lente évolution fondée sur le droit international et se revendiquant de la dignité humaine. Il a toujours été enseigné qu’il ap-partient au législateur d’établir les infractions et d’en fixer les peines (64), l’appréciation de la gravité d’une infraction et de la sévérité avec laquelle sa commission doit être punie relevant de son jugement d’opportuni-té (65). Dès 1833, la Cour de cassation a dit pour droit que les juges sont tenus de prononcer les peines comminées par la loi pour réprimer les infractions qu’ils déclarent établies (66). Il est ainsi enseigné par la Cour constitutionnelle que c’est au législateur qu’il revient d’apprécier s’il est ou non souhaitable de contraindre le juge à la sévérité lorsqu’une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général (67) et, notamment, de décider

(61) C. const. (aud. plén.), 5 février 2015, n° 13/2015, M.B., 2015, p. 14623 (« Le principe de légalité exige que la peine soit proportionnée aux faits commis »).

(62) Cass., 22 juin 2016, Pas., 2016, p. 1457.

(63) C. const. (aud. plén.), 5 février 2015, n° 13/2015, M.B., 2015, p. 14623.

(64) Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 18 mai 1999, Pas., 1999, I, p. 702.

(65) C. arb., 14 juin 2006, n° 98/2006, C.A.-A., 2006, p. 1189, R.A.B.G., 2006, p. 1471, obs. D. van der Kelen

et S. de decKer.

(66) Cass., 22 avril 1844, Pas., 1844, I, p. 178 (« Lorsque la loi établit des peines pour des faits, omissions ou négligences, les tribunaux sont obligés de les prononcer, sauf dans les cas d’excuse admis par la loi et légalement constatés ») ; Cass., 25 mai 1833, Pas., 1832-1834, I, p. 104.

(67) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959 ; C. arb., 11 janvier 2007, n° 8/2007, A.C.C., 2007, p. 55 ; C. arb., 13 décembre 2006, n° 199/2006, C.A.-A., 2006, p. 2477 ; C. arb. (aud. plén.), 14 septembre 2006, n° 138/2006, C.A.-A., 2006, p. 1651.

s’il convient d’opter pour une répression aggravée à l’égard de certaines formes de délinquance lorsqu’il entend lutter contre un fléau que d’autres mesures préventives n’ont pu jusqu’ores suffisamment endiguer (68).

Mais que faire alors lorsque la peine, telle qu’elle est prévue par ou en vertu de la loi, apparaît excessivement sévère, lorsque l’échelle de la peine, telle que comminée par le texte, apparaît trop répressive eu égard à la gra-vité de l’infraction déclarée établie ou encore lorsque, même réduite par le biais de l’admission de circonstances atténuantes, la répression appa-raît encore disproportionnée ? Est-ce à dire que la peine infligée pourrait s’avérer disproportionnée à la gravité de l’infraction déclarée établie et à la situation du condamné pourvu qu’elle soit conforme à la loi ? Pareille situation est-elle conforme au sentiment de Justice ?

16. Dans un premier temps, la Cour de cassation, nous l’avons vu, se retranche derrière la séparation des pouvoirs et l’autorité de la loi.

L’importance de la peine comminée par le législateur en vue de répri-mer la commission d’une infraction à une disposition légale est, dit-elle, étrangère au droit du prévenu à un procès équitable (69), de sorte que le moyen de cassation qui inviterait la Cour à casser une décision au motif qu’elle aurait prononcé une sanction disproportionnée à la gravité des faits est étranger aux articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (70).

17. La question va connaître une première évolution en 1992, en ma-tière disciplinaire, par le biais de la prise en considération de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fonda-mentales duquel la Cour de cassation déduit le principe de proportionna-lité (71). Le revirement de jurisprudence est patent puisque la Cour précise non seulement que les cours et tribunaux doivent déterminer la sanction dans les limites établies par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (72) mais encore qu’elle doit, lors du contrôle marginal de la motivation de la sanction infligée, lorsque le

(68) C. const., 15 mai 2017, n° 76/2017, M.B., 2017, p. 97225 ; C. const., 27 avril 2017, n° 51/2017, M.B., 2017, p. 72908.

(69) Cass., 24 octobre 1989, Pas., 1990, I, p. 223.

(70) Cass., 3 septembre 1998, Pas., 1998, I, p. 899.

(71) Cass., 17 septembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1043.

(72) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177 ; Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 juin 2009, Pas., 2009, p. 1435 ; Cass., 13 mars 2008, Pas., 2008, p. 699 ; Cass., 27 octobre 2006, Pas., 2006, p. 2183 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464 ; Cass., 28 février 2002, Pas., 2002, p. 614 ; Cass., 12 mars 1998, Pas., 1998, I, p. 322 ; Cass., 23 octobre 1997, Pas., 1997, I, p. 1070 ; Cass., 8 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101.

moyen de cassation invoque la violation de l’article 3 de la Convention, se substituer au juge dans l’appréciation du caractère approprié de la sanction infligée ou de son degré afin de s’assurer de ce qu’elle n’est pas manifestement disproportionnée à la gravité des faits (73). S’il n’apparaît pas des constatations et des considérations de la décision attaquée que la sanction prononcée serait manifestement disproportionnée à la gra-vité des faits, le moyen ne peut être accueilli (74). Au contraire, lorsque le demandeur privilégie l’invocation de la violation d’un prétendu principe général du droit à la proportionnalité de la sanction, et non de l’article 3 de la Convention, le moyen est jugé irrecevable (75). L’avancée, d’un point de vue juridique, est notable. Elle va s’avérer tout autant irréversible.

18. En 1999, la Cour de cassation va manquer l’occasion d’étendre sa jurisprudence au champ pénal. Dans une affaire d’infraction à la loi générale sur les douanes et accises, la cour d’appel d’Anvers avait refusé de prononcer la peine d’amende comminée par la loi et s’élevant à l’époque à dix fois les droits d’accise éludés au motif qu’elle serait disproportionnée à l’infraction et, partant, contraire à l’article 3 de la Convention de sauve-garde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Son montant eut été à ce point excessivement élevé pour le condamné que même l’inté-gralité de ses revenus du travail pour les cinquante années à venir n’aurait pu approcher le montant de l’amende réclamé. Elle en avait conclu que la condamnation à une telle peine aurait entraîné une sanction lourde et inhumaine puisque le condamné aurait été déchu à l’avenir de tout droit de propriété et que le patrimoine régulièrement acquis par lui et sa famille aurait été réduit à néant. Sur le pourvoi de l’État belge, la Cour de cassation rappelle que, s’agissant d’une peine d’amende obligatoire que le législateur a voulue très lourde afin d’empêcher que des fraudes ne soient commises en vue d’obtenir les gains énormes qu’elles peuvent engendrer, le juge répressif ne peut décider de ne pas appliquer la loi pénale au motif que, selon lui, la peine légalement définie serait, dans une affaire déterminée, disproportionnée à la nature de l’infraction ou aux moyens financiers du prévenu (76).

19. Il faudra encore attendre encore près de 4 ans pour que la Cour décide, en mars 2003, d’étendre à la peine prononcée du chef d’une

(73) Sur cette question, voy. la belle note de J.-Fr. van drooGhenBroecK, « La Cour de cassation reçoit-elle le principe de proportionnalité ? », in Liber amicorum Paul Martens, Bruxelles, Larcier, 2007, pp. 569-589.

(74) Cass., 17 septembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1043.

(75) Cass., 19 novembre 1993, Pas., 1993, I, p. 972.

(76) Cass., 18 mai 1999, Pas., 1999, I, p. 702.

infraction à la loi pénale le contrôle de proportionnalité auquel elle pro-cède à l’endroit des sanctions disciplinaires depuis 1992 par le biais du contrôle marginal de la motivation de la sanction infligée (77).

C’est donc par le biais de la dignité humaine et du droit international conventionnel ayant des effets directs dans l’ordre juridique belge, afin d’éviter que la peine ne revête un caractère inhumain ou dégradant, que le juge répressif peut dorénavant s’affranchir de la loi pour contrôler la proportionnalité de la peine qu’elle commine à l’aune des circonstances concrètes de la cause qui lui est soumise et des nécessités d’une juste et adéquate répression.

20. Le principe de proportionnalité de la peine arraché à la loi par la Cour de cassation. Le principe de proportionnalité s’est imposé à la Cour de cassation par le biais de différentes normes de droit inter-national conventionnelles ayant des effets directs dans l’ordre juridique national et qui, en vertu de la jurisprudence Le Ski, ont primauté sur le droit interne. Le coin a été enfoncé dans le cadre du contentieux disci-plinaire mais, en 2003, la contagion s’est finalement étendue au droit pénal (78). Le contrôle auquel procède la Cour de cassation se fonde sur le principe de proportionnalité de la peine déduit des articles  3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fonda-mentales et 1er de son premier protocole additionnel. L’on chercherait cependant en vain une allusion formelle à ce principe dans ces disposi-tions internationales.

L’évolution est remarquable dans la mesure où la Cour consent doré-navant à se mêler d’une question qu’elle considérait à l’origine comme purement factuelle (79) puisqu’elle se reconnaît le pouvoir d’apprécier le caractère manifestement disproportionné de la peine prononcée même si, à notre connaissance, elle n’a jamais cassé une décision de condamna-tion pour contravencondamna-tion à l’article 3 de la Convencondamna-tion. La Cour s’attache à vérifier, sur la base des constatations et considérations de la décision attaquée, si la peine infligée n’est pas manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction déclarée établie en violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des

(77) Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464. Pour la jurisprudence contraire, voy. : Cass., 21 septembre 1999, Pas., 1999, I, p. 1174 ; Cass., 24 janvier 1995, Pas., 1995, I, p. 65.

(78) Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464.

(79) Cass., 8 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101 (« Dans la mesure où il invoque que les sanctions sont disproportionnées aux faits mis à charge, le moyen, en cette branche, revient à critiquer l’appréciation de fait (à laquelle a procédé le juge) »).

libertés fondamentales (80), de même que la condamnation à une peine d’amende excessive peut, à l’occasion, emporter une violation du droit au respect des biens tel qu’il est garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (81).

En février 2015, la Cour est encore allée une étape plus loin. Lorsqu’elle estime qu’une peine ne peut être constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant au motif qu’elle a été fixée dans les limites de la loi et de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fonda-mentales, c’est après s’être assurée de ce que le moyen de cassation ne soutenait pas que la mesure de la peine applicable, telle que définie par le législateur, serait, en l’espèce, contraire aux exigences de l’article 3 de la Convention (82). Le moyen, en pareil cas, ne porte plus sur la seule propor-tionnalité de la peine effectivement infligée, qui suppose une appréciation des circonstances concrètes de la cause, mais sur la proportionnalité de la peine comminée par la loi, qui nécessite en l’espèce une appréciation du texte légal ou réglementaire lui-même.

En l’espèce, le principe de proportionnalité est arraché à la loi car une peine, bien que conforme à la loi et s’inscrivant dans la volonté du législateur de se montrer sévère, peut néanmoins s’avérer illégale en ce qu’elle est contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou à l’article  1er du premier Protocole additionnel à la Convention. Ces dispositions étant directement applicables en droit belge, il appartient au juge, lorsqu’il envisage de pro-noncer une peine, de veiller à leur respect lors de sa détermination (83). Le juge de l’Ordre judiciaire doit dès lors, au besoin, réduire la peine, fut-ce en deçà de son minimum légal, afin de la mettre en concordance avec les articles 3 de la Convention (84) et 1er du premier Protocole additionnel à la Convention (85). C’est en ce sens que la Cour de cassation exige que le juge

(80) En droit pénal, voy. : Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464. En droit disciplinaire, voy. : Cass., 5 juin 2009, Pas., 2009, p. 1435 ; Cass., 13 mars 2008, Pas., 2008, p. 699 ; Cass., 27 octobre 2006, Pas., 2006, p. 2183 ; Cass., 28 février 2002, Pas., 2002, p. 614 ; Cass., 12 mars 1998, Pas., 1998, I, p. 322 ; Cass., 23 octobre 1997, Pas., 1997, I, p. 1070 ; Cass., 8 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101 ; Cass., 17 septembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1043.

(81) Cass., 11 juin 2013, Pas., 2013, p. 1308 ; Cass., 7 mai 2013, Pas., 2013, p. 1063.

(82) Cass., 11 février 2015, Pas., 2015, p. 325.

(83) Cass., 11 juin 2013, Pas., 2013, p. 1308 (art. 1er du premier Protocole additionnel à la Convention) ; Cass., 7  mai 2013, Pas., 2013, p.  1063 (art.  1er du premier Protocole additionnel à la Convention)  ; Cass., 2 janvier 2013, Pas., 2013, p. 1 (art. 3 de la Convention).

(84) Cass., 2 janvier 2013, Pas., 2013, p. 1.

(85) Cass., 11 juin 2013, Pas., 2013, p. 1308 ; Cass., 7 mai 2013, Pas., 2013, p. 1063.

détermine, dans les limites établies non seulement par la loi mais encore par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fon-damentales, la peine qu’il estime proportionnée à la gravité de l’infraction déclarée établie (86) et à la personnalité de l’agent (87).

21. Le principe de proportionnalité de la peine arraché à la loi par la Cour constitutionnelle. Le principe de proportionnalité a égale-ment été consacré par la Cour constitutionnelle, par le trucheégale-ment d’une sensibilisation des juridictions de jugement autorisées à interroger la Cour, par la voie préjudicielle, sur la compatibilité de la loi qu’elles doivent appliquer avec les articles 10 et 11 de la Constitution combinés aux ar-ticles 3 et 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er du premier Protocole additionnel (88).

La Cour constitutionnelle consent en effet à censurer la politique répres-sive du législateur consistant à exclure la possibilité pour le juge de tenir compte de circonstances atténuantes ou d’accorder une mesure de sur-sis ou de suspension du prononcé de la condamnation (89) ou, plus sim-plement, à le contraindre à la sévérité (90) lorsqu’elle considère ce choix comme manifestement déraisonnable. La Cour est néanmoins prudente, consciente de ce qu’elle empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s’interrogeant sur la justification des différences qui existent entre les nombreux textes législatifs portant des sanctions pénales, elle ne limi-tait pas son appréciation, en ce qui concerne l’échelle des peines, aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu’elle aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable d’in-fractions comparables (91).

C’est parfois même le choix de privilégier la voie pénale, plutôt qu’ad-ministrative, qui est soumis au contrôle de constitutionnalité. Ainsi, bien qu’il appartienne au législateur d’estimer si un manquement doit faire l’objet d’une répression et, lorsque tel est le cas, s’il s’indique d’opter pour

(86) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177 ; Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999.

(87) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177.

(88) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959 (« Une disposition qui ne permet pas au juge d’éviter une violation de [l’article 1er du premier Protocole additionnel] méconnaît le droit à un procès équitable »).

(89) C. arb., 13 décembre 2006, n° 199/2006, C.A.-A., 2006, p. 2477 ; C. arb. (aud. plén.), 14 septembre 2006, n° 138/2006, C.A.-A., 2006, p. 1651 ; C. arb., 18 janvier 2006, n° 8/2006, C.A.-A., 2006, p. 153.

(90) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959 ; C. arb., 11 janvier 2007, n° 8/2007, A.C.C., 2007, p. 55 ; C. arb., 13 décembre 2006, n° 199/2006, C.A.-A., 2006, p. 2477.

(91) C. arb., 14 juin 2006, n° 98/2006, C.A.-A., 2006, p. 1189, R.A.B.G., 2006, p. 1471, obs. D. van der Kelen

et S. de decKer.

des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives, la Cour constitutionnelle se réserve le pouvoir d’examiner si le recours à une sanction de nature pénale en vue de garantir le respect de l’interdic-tion que la loi prévoit ne présente pas des effets disproporl’interdic-tionnés par rap-port aux objectifs poursuivis (92). En outre, lorsqu’un même manquement à des obligations légales fait l’objet tantôt de sanctions pénales, tantôt de sanctions administratives, la Cour recherche si la différence de traitement qui pourrait en résulter est raisonnablement justifiée (93).

À l’occasion d’une question préjudicielle que nous avions posée à la Cour (94), l’État belge n’a pas hésité à soutenir que c’est au juge qu’il appar-tient d’éviter les effets disproportionnés d’une peine prévue par la loi, fut-ce, au besoin, lorsque son atténuation n’est matériellement pas possible, – il s’agissait en l’espèce de la confiscation spéciale obligatoire de l’instru-ment de l’infraction –, par l’écartel’instru-ment de son application au bénéfice du respect des normes internationales (95). L’on mesure le chemin parcouru depuis la note de Paul Martens parue en 1992.

22. Les contrôles opérés par les Cours constitutionnelle et de cas-sation. La Cour de cassation opère un contrôle de proportionnalité de la peine que l’on pourrait qualifier de concret et de direct en ce qu’il consiste à comparer la décision relative au choix de la peine et de son taux à la gravité de l’infraction déclarée établie et aux circonstances particulières dans lesquelles elle a été commise (96).

La Cour constitutionnelle, quant à elle, exerce un contrôle de propor-tionnalité de la peine que nous qualifierons d’abstrait et d’indirect. Elle a opéré ce contrôle dans l’hypothèse des peines privatives de patrimoine qui l’a amenée à constater l’inconstitutionnalité d’une disposition légale com-minant une telle peine en raison de l’atteinte qu’elle porte à l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention par le truchement de la disproportion existant entre l’atteinte portée au droit de propriété de la personne à laquelle elle est infligée et le but légitime poursuivi par la peine comminée par la loi (97). Les termes dans lesquels ce contrôle est

(92) C. const. (aud. plén.), 6 décembre 2012, n° 145/2012, A.C.C., 2012, p. 2433.

(93) C. arb. (aud. plén.), 16 juin 2004, n° 105/2004, C.A.-A., 2004, p. 1193 ; C.A. (aud. plén.), 14 juillet 1997, n° 40/1997, C.A.-A., 1997, p. 575.

(94) Corr. Liège (div. Liège), 29 avril 2015, J.L.M.B., 2017, p. 656.

(95) C. const. (aud. plén.), 9 février 2017, n° 12/2017, M.B., 2017, p. 5446.

(96) Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464.

(97) C. const. (aud. plén.), 9  février 2017, n°  12/2017, M.B., 2017, p.  5446 («  La confiscation spéciale d’une chose qui a servi à commettre un crime ou un délit et dont le condamné est propriétaire […] peut cependant, dans certains cas, porter une atteinte telle à la situation financière de la personne à laquelle elle

opéré s’expliquent par les limites imposées au contrôle de constitutionna-lité auquel doit procéder la Cour. Elle ne connaît pas des faits, elle n’est saisie, par le biais de questions préjudicielles, que de la constitutionnalité d’une loi. Le contrôle est ainsi opéré en deux étapes. La première consiste à vérifier que la peine sévère comminée par la loi réponde aux objectifs poursuivis par le législateur (98) tandis que la seconde lui permet ensuite d’examiner si le choix du législateur de contraindre le juge à la sévérité lorsqu’une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général dépasse le cadre de ce qui est strictement nécessaire aux objectifs qu’il poursuit (99).

La question n’est donc pas tant de savoir si la commission d’une infrac-tion appelle une répression sévère, – la Cour estimant qu’il appartient au législateur d’apprécier s’il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général –, que de veiller à ce que la peine comminée par la loi afin de réprimer la commission de cette infraction réponde aux objectifs poursuivis par le législateur. Dans cette optique, elle admet que la répression puisse au besoin être atténuée par les cours et tribunaux en raison des circonstances concrètes de la cause afin de ne pas emporter une violation du droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention. La Cour constitutionnelle déduit en effet de l’atteinte portée à la situation financière de la personne poursuivie la disproportion de la peine par rapport au but légitime qu’elle poursuit et de laquelle elle conclut ensuite à une violation du droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention (100).

L’exigence de proportionnalité recouvre ainsi diverses dimensions. Le principe de proportionnalité de la peine formule, stricto sensu, une exi-gence d’adéquation entre, d’une part, la peine infligée et, d’autre part, la gravité de l’infraction commise et la situation du condamné. Ce contrôle

est infligée qu’elle constitue alors une mesure disproportionnée par rapport au but légitime qu’elle poursuit, entraînant une violation du droit de propriété ») ; C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 et C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959 (« Une amende fixée au décuple des droits éludés pourrait, dans certains cas, porter une atteinte telle à la situation financière de la personne à laquelle elle est infligée qu’elle pourrait constituer une mesure disproportionnée par rapport au but légitime qu’elle poursuit et constituer une violation du droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme »).

(98) C. const. (aud. plén.), 9 février 2017, n° 12/2017, M.B., 2017, p. 5446.

(99) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959.

(100) C. const. (aud. plén.), 9 février 2017, n° 12/2017, M.B., 2017, p. 5446 ; C. const. (aud. plén.), 19 juil-let 2012, n° 97/2012, A.C.C., 2012, p. 1559, R.D.P.C., 2013, p. 323, obs. F. vandevenne ; C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959.

concret est opéré par la Cour de cassation. Lato sensu, le principe de propor-tionnalité de la peine permet la comparaison des nécessités de la répres-sion pénale à l’aune du droit d’être traité de manière conforme à la dignité humaine. Ce contrôle abstrait est dévolu à la Cour constitutionnelle.

SeCTION 3. LeS IMPLICATIONS ACTUeLLeS

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