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La proportionnalité de la peine en droit belge : une exigence de l État de droit érigée en droit pour le justiciable

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(1)

en droit belge  : une exigence de l’État de droit érigée en droit pour le justiciable

Franklin kuty

Juge au tribunal de première instance de Liège

Chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université de Mons

Introduction ... 8

Section 1. La proportionnalité de la peine consacrée par la loi ... 11

Section 2. La proportionnalité de la peine arrachée à la loi ... 19

Section 3. Les implications actuelles du principe de proportionnalité ... 27

Conclusions ... 42

(2)

INTRODUCTION

1. La proportionnalité consacrée par la loi ou arrachée à la loi.

L’occasion était belle de revenir sur le principe de proportionnalité, dont la Cour constitutionnelle est une grande utilisatrice et dont les contours sont finalement assez flous en droit pénal. Le nombre ridiculement faible de pourvois en cassation qui en invoquent la violation illustre à suffisance que les plaideurs ne pensent pas souvent à l’invoquer devant les cours et tribunaux et, moins encore, à l’appui de leurs pourvois, de même que les juges répressifs ignorent bien souvent les ressorts de cette notion dont ils peuvent faire application afin de contribuer, modestement, dans la cause qui leur est soumise, à l’œuvre de justice en vue de sanctionner le prévenu ou l’accusé attrait devant eux d’une juste peine.

La peine, enseigne-t-on classiquement, doit être proportionnée à la gravité de l’infraction. Cette exigence de proportionnalité est implicite- ment consacrée par la loi lorsqu’elle dispose qu’une peine est faculta- tive, prévoit une échelle de peine ou la faculté de la réduire à la suite de l’admission de circonstances atténuantes ou d’une cause d’excuse. Il s’agit, dans ces cas, de la proportionnalité de la peine consacrée par la loi, le principe de légalité exigeant que la peine soit proportionnée à la gravité du fait commis (1). Lors de la Révolution française, les droits et libertés, et donc le droit à une juste peine, sont consacrés par la loi, émanation du peuple, et ne peuvent être protégés que par elle, le législateur ayant confié aux cours et tribunaux un contrôle de proportionnalité interne, c’est-à-dire à l’intérieur des limites qu’elle fixe.

2. Le législateur n’avait pas imaginé que son œuvre puisse être contes- tée. Après la Seconde Guerre mondiale, cependant, à la suite de son cor- tège d’horreurs et d’atteintes aux droits individuels, les droits de l’homme sont reconnus par des instruments internationaux, notamment par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fonda- mentales signée à Rome le 4 novembre 1950. Ce traité consacre, au béné- fice des justiciables relevant de la compétence des juridictions belges, des droits qui ont des effets directs dans l’ordre juridique national et, depuis la jurisprudence Le Ski (2) de la Cour de cassation prononcée en mai 1971, primauté sur tout le droit interne.

(1) C. const. (aud. plén.), 5 février 2015, n° 13/2015, M.B., 2015, p. 14623.

(2) Cass., 27 mai 1971, en cause Le Ski, Pas., 1971, I, p. 886, conclusions conformes du procureur général W. Ganshofvander Meersch.

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À ce moment, tous les ingrédients étaient réunis pour susciter l’imagi- nation des plaideurs et l’audace de magistrats novateurs et, par la même occasion, donner un nouveau souffle au principe de proportionnalité de la peine qui sera, selon l’expression de Paul Martens, arraché à la loi.

3. L’émergence de la reconnaissance internationale des droits de l’homme va en effet encourager les justiciables et les plaideurs à critiquer la loi elle-même, jugeant parfois disproportionnées les peines qu’elle com- mine. Avec l’apparition du contrôle de constitutionnalité par la Cour consti- tutionnelle, relève Paul Martens, et du contrôle de proportionnalité par le juge judiciaire fondé sur des textes de droit international conventionnel ayant des effets directs dans l’ordre juridique belge, ajouterons-nous, il ne s’agit plus d’exercer un contrôle à l’intérieur du cercle tracé par le légis- lateur mais de vérifier si ce cercle lui-même n’est pas démesuré (3). Nous allons le voir, le chemin parcouru s’avère remarquable. En s’autorisant à apprécier le raisonnable et à mesurer la proportion, le juge se donne l’ins- trument capable de recalibrer la totalité de l’œuvre normative, qu’elle soit réglementaire ou législative (4). La proportionnalité, notion foncièrement anti-sécuritaire, fut ainsi rangée au premier rang des outils du juge consti- tutionnel permettant de dribbler le législateur par la technique du renvoi préjudiciel pour s’entendre entre juges sur ce que la loi peut encore faire (5).

4. La proportionnalité de la peine participe à la civilisation d’une société. La mesure de la peine, sa proportionnalité à l’infraction déclarée établie et à la personnalité du condamné, apparaît comme la marque à laquelle se mesure le degré de civilisation d’une société. L’on ne juge pas un comportement humain déviant mais un être humain qui, dans la situation qui est la sienne, dont il est responsable ou qu’il subit davantage selon les aléas de la vie, a commis une infraction à la loi pénale. Il est dès lors naturel que la peine qui lui est infligée soit déterminée, s’agissant de son objet (6) et de son quantum, au regard non seulement de l’infraction dont il s’est rendu coupable mais encore de sa personnalité, de son par- cours de vie et de son état de fortune. La peine qui sanctionne l’infraction

(3) P. Martens, « L’irrésistible ascension du principe de proportionnalité », in Mélanges offert à Jacques Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 49-68, spéc. p. 51.

(4) Ibid., spéc. p. 50.

(5) P. Martens, « Contrition d’un légicide », in Liber amicorum François Glansdorff et Pierre Legros, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 491-505, spéc. pp. 496 et 501.

(6) L’objet de la peine renvoie à la distinction entre les peines privatives (réclusion, détention, emprison- nement et mise à la disposition du tribunal de l’application des peines) ou restrictives (peines de surveillance électronique, de travail et de probation autonome) de liberté, privatives de patrimoine (amende et confisca- tion) ou d’un droit (interdiction, déchéance, destitution et fermeture).

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qu’il a commise doit ainsi ménager un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux individuels.

La peine qui ne serait déterminée qu’au regard de l’infraction déclarée établie court le risque d’être excessive, considérée comme injuste, et, de ce fait, contre-productive. Elle doit apparaître non seulement comme un rappel de la réprobation sociale à l’égard d’un comportement illégal mais encore comme la réaction d’une société inclusive à la recherche non de la seule sanction du déviant mais encore de la réinsertion en son sein de celui qui s’en est écarté. Cet objectif de resocialisation suppose que la peine infligée soit déterminée eu égard à la personnalité du condamné et à sa situation sociale et financière. Dans cette mesure, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité non seulement entre la peine, d’une part, et l’infraction commise et la situation du condamné, d’autre part, mais encore entre la peine et le but qu’elle poursuit.

Dans une société qui promeut l’amendement du condamné et sa réin- sertion sociale afin de préserver sa dignité et de juguler le risque de réci- dive, il nous semble légitime que les magistrats déterminent la peine en fonction de cet objectif de resocialisation. Si cette dernière approche n’est pas consacrée, du moins comme telle, par les Cours constitutionnelle et de cassation, la Commission de réforme du droit pénal s’en est cepen- dant récemment et l’écho lorsqu’elle soutient, de manière générale, que les règles de droit doivent être proportionnelles à l’objectif poursuivi et, s’agissant plus particulièrement de la répression, que la peine privative de liberté doit être l’ultimum remedium, que la peine d’emprisonnement subsidiaire doit être abandonnée et que les peines alternatives à l’incar- cération doivent être privilégiées. Une peine optimale n’implique pas seu- lement qu’elle soit socialement perçue comme juste mais encore qu’elle soit la plus adaptée à la situation personnelle du condamné (7).

Aujourd’hui, l’exigence de proportionnalité de la peine est non seulement consacrée par la loi (Section 1) mais encore arrachée à celle-ci (Section 2). Elle est consacrée par la loi lorsque le législateur confère aux cours et tribunaux un pouvoir d’appréciation lors de la détermination de la peine alors qu’elle lui est arrachée lorsque ceux-ci prennent appui sur le droit international et les principes qu’il consacre pour écarter, dans une affaire déterminée, l’appli- cation d’une législation comminant une peine qui s’avère disproportionnée.

(7) Proposition de loi instaurant un nouveau Code pénal – Livre 1 et Livre 2, Développements, Doc. parl., Ch. repr., sess. extraord. 2019, n° 417/1, pp. 7-8 ; Commission de réforme du droit pénal, Proposition d’avant- projet de Livre Ier du Code pénal, Exposé des motifs, Bruxelles, la Charte, 2016, pp. 34-35.

(5)

C’est à l’étude de ces deux questions que nous allons à présent nous atteler.

Nous terminerons par une série de réflexions sur les implications actuelles, en droit belge, du principe de proportionnalité (Section 3).

SeCTION 1. LA PROPORTIONNALITÉ De LA PeINe CONSACRÉe PAR LA LOI

5. L’exigence de proportionnalité en droit pénal. L’exigence de proportionnalité est consubstantielle au droit pénal, même si elle n’est pas encore élevée au rang de principe général de droit (8).

Ainsi, en 1748, Montesquieu souligne que seule la peine proportionnée est utile parce que, lorsqu’elle est sans mesure, l’on est souvent enclin à lui préférer l’impunité (9). En 1764, Cesare Beccaria défend l’idée que, « pour qu’une peine cesse d’être l’acte de violence d’un seul ou de plusieurs contre un citoyen, elle doit être […] toujours proportionnée aux délits et jamais prise hors de la loi » (10). Bref, l’exigence de proportionnalité de la peine est une nécessité, non seulement parce qu’elle est conforme au sen- timent de justice mais encore parce qu’elle est socialement utile. Même le Code pénal de 1810, pourtant appelé le code de fer, s’en était fait l’écho, sans la nommer, lorsqu’il conçoit le système de la gradation des peines comme honorable pour les juges, en les investissant d’une confiance digne de leurs fonctions, satisfaisant pour les jurés, que la considération d’une peine uniforme rend trop souvent vacillants, consolant pour les prévenus, dont le cœur et la conduite passée n’ont pas encore été infectés par l’habi- tude du mal, et redoutable pour ceux dont la perversité est connue (11).

Le message a été clairement reçu par le législateur belge lors des dis- cussions relatives au Code pénal de 1867. La Commission de Fernelmont souligne, en 1849, que « c’est un principe d’éternelle justice que la peine soit proportionnée (à l’infraction)  » (12). La Commission de la justice du

(8) Sur cette exigence, voy. : F. Kuty, Principes généraux du droit pénal belge, t. 4, La peine, Bruxelles, Larcier, 2017, n° 2191 ; J. rozie, « Over de toetsingsbevoegdheid van de strafrechter bij onredelijke straffen », in Toetsing van sancties door de rechter, Anvers, Intersentia, 2011, pp.  37-66  ; M. franchiMont, «  Loyauté, proportionnalité et procès équitable », in Mélanges Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 375-384.

(9) Charles Louis de secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), Paris, Garnier, 1871, p. 84.

(10) C. Beccaria, Des délits et des peines (1764), Paris, Dalibon, 1821, p. 180.

(11) Rapport sur le Livre II du Code pénal fait au Corps législatif le 15 février 1810 par le député riBoud, Législation civile, commerciale et criminelle, t. 15, Bruxelles, Tarlier, 1837, pp. 131-132.

(12) Rapport relatif au chapitre V du Livre Ier du Code pénal fait au nom de la Commission du Gouver- nement par J.-J. haus, Législation criminelle de la Belgique, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1867, p. 99, n° 219.

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Sénat précise, en 1852, que la peine doit être déterminée eu égard à la gravité de l’infraction déclarée établie et aux antécédents du condamné.

Cette règle est fondée sur une idée d’utilité publique car l’intérêt social commande une répression proportionnée aux dangers que le coupable fait courir ou peut faire craindre à la société (13). La peine d’une sévérité excessive, avait dit le rapporteur Eudore Pirmez à la Chambre des repré- sentants en 1866, perd, aux yeux du public, son influence morale, elle ne pourvoit plus à ce besoin impérieux de la société de voir la justice se faire et elle blesse la conscience publique. S’agissant des effets d’une peine excessive sur la magistrature, avait-il ajouté, « c’est une erreur assez répan- due de croire que l’abaissement des peines n’est dicté que par l’intérêt qu’inspirent les coupables. Presque toujours, cependant, c’est le maintien de l’ordre social qui l’exige. Les peines d’une sévérité exagérée ne sont pas appliquées et, pour avoir voulu une répression trop complète, la législa- tion n’obtient qu’une répression très imparfaite ; l’excès de la peine est évité par l’impunité » (14). En communion avec ces propos, le ministre de la Justice Jules Bara avait renchéri, la même année, que lorsqu’une loi commine des peines qui ne sont pas en rapport avec l’infraction commise, le juge ne les applique pas (15). Moins d’un siècle plus tard, le procureur général Léon Cornil en souligne les bienfaits. La peine, dit-il, doit être proportionnée, dans l’intérêt même de la société. À commencer par la magistrature, car il est et des classements sans suite décidés par des par- quetiers et des acquittements prononcés par des juges professionnels dont le seul fondement réside dans la disproportion entre la gravité de l’infrac- tion et celle de la peine comminée par la loi (16). C’est encore l’intérêt de la population que les cours et tribunaux n’infligent que des peines justes, c’est-à-dire qui frappent le coupable précisément dans la mesure où il le faut pour apaiser la conscience sociale troublée par l’infraction, pour empêcher le condamné de récidiver et pour maintenir la masse dans la crainte salutaire des sanctions prêtes à s’abattre sur quiconque méconnaît ses devoirs essentiels envers la société (17).

(13) Rapport sur le Livre Ier du Code pénal fait au nom de la Commission de la justice du Sénat par le baron J. d’anethan, Législation criminelle de la Belgique, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1867, p. 293, n° 36.

(14) Discussion du titre IX du Livre II du Code pénal à la Chambre des Représentants, Législation crimi- nelle de la Belgique, t. III, Bruxelles, Bruylant, 1868, p. 599, n° 37.

(15) Discussion du titre IX du Livre II du Code pénal au Sénat, Législation criminelle de la Belgique, t. III, Bruxelles, Bruylant, 1868, p. 698, n° 2.

(16) L. cornil, « Le droit pénal et la procédure pénale après la tourmente », Les Novelles, Procédure pénale, t. I, vol. 1, Bruxelles, Bruylant, 1946, pp. 15-92, spéc. p. 43.

(17) L. cornil, « Le droit de grâce dans le cadre de la Constitution belge », R.D.P.C., 1949-1950, pp. 588- 608, spéc. p. 589.

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6. L’exigence de proportionnalité n’a intégré le Code d’instruction cri- minelle qu’en 2010, dans le cadre de la transaction pénale, lorsque son article 216bis dispose que la somme d’argent dont le paiement est proposé par le ministère public afin d’éteindre l’action publique doit être propor- tionnelle à la gravité de l’infraction, en 2016, dans le cadre de la procé- dure de reconnaissance préalable de culpabilité, lorsque l’article 216 invite le juge à vérifier que les peines proposées par le ministère public sont proportionnelles à la gravité des faits, à la personnalité du prévenu et à sa volonté de réparer le dommage éventuel et, en 2018, tant dans le cadre de la médiation pénale entre le ministère public et la personne poursui- vie prévoyant l’exécution de mesures et le respect de conditions, lorsque l’article 216ter dispose que les mesures proposées par le procureur du Roi doivent être proportionnées à la gravité des faits et à la personnalité de l’intéressé, que dans le cadre de la cause d’excuse de repentance organisée aux articles 216/5, 216/6 et 216/7. Elle se rencontre encore, implicitement cette fois, lorsque le législateur retient le caractère facultatif de la peine, permet au juge de la moduler entre un minimum et un maximum ou autorise sa réduction en deçà de son minimum légal par l’admission de circonstances atténuantes ou d’une cause d’excuse.

7. De lege lata, le principe de proportionnalité de la peine devrait sans doute faire son entrée dans le futur Code pénal. Si la Commission de ré- forme du droit pénal ne l’a pas consacré comme tel dans l’article 26 de son projet de Livre Ier qui traite des objectifs de la peine, l’exposé des motifs qui l’accompagne indique néanmoins que cette disposition fait écho au principe de proportionnalité dans la détermination de la peine (18). Le Conseil d’État ne manqua pas de relever qu’il serait judicieux d’en faire mention, parmi les critères à prendre en considération lors du choix de la peine et de la détermination de son taux, le qualifiant de « principe de la proportionnalité de la peine qui s’applique aussi lorsque le juge inflige une peine dans un cas concret » (19).

8. La proportionnalité de la peine est essentielle en ce qu’elle par- ticipe à sa légitimité. La peine infligée, fut-elle légale, n’est pas nécessaire- ment légitime. Sa légitimité ne peut se confondre avec sa légalité. Ainsi, le professeur Jacques-Joseph Haus avait-il à juste titre relevé, en 1849, qu’une peine intrinsèquement légale peut être injuste par rapport à la société qui

(18) Commission de réforme du droit pénal, Proposition d’avant-projet de Livre Ier du Code pénal, Exposé des motifs, Bruxelles, la Charte, 2016, p. 100.

(19) Avis du Conseil d’État n° 60.893/3 sur l’avant-projet de Code pénal – Livre premier, n° 119.

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l’inflige, ce qui est le cas lorsque la punition n’est pas nécessaire ou n’est pas utile au but que le pouvoir doit se proposer (20). Au contraire, soulignait le sénateur Jules d’Anethan une quinzaine d’années plus tard, la peine légitime est celle qui a pour fondement la réparation du devoir ou du droit méconnu et qui présente un degré suffisant d’intimidation tout en étant proportionnée à l’infraction commise (21).

La question de la légitimité de la peine est complexe et nécessite d’avoir recours à la sociologie et à la criminologie. Qu’il nous soit simplement permis, dans les limites de cette contribution, de souligner que la peine, pour être acceptée par le condamné et approuvée par la population, bref pour être légitime, se doit d’être juste, ce qui suppose qu’elle soit, dans les circonstances concrètes de la cause, proportionnée à l’infraction com- mise et à la situation personnelle et patrimoniale du condamné. La Cour européenne des droits de l’homme ne dit rien d’autre lorsqu’elle souligne que la proportionnalité de la peine participe à sa justification (22).

9. L’exigence de proportionnalité consacrée par la Cour de cassa- tion et la Cour constitutionnelle. Le principe de proportionnalité de la peine a logiquement été reconnu par la jurisprudence.

La Cour de cassation l’a rapidement consacré. Ainsi, en 1845, toutes chambres réunies, elle dit pour droit que l’intérêt de la société requiert que la peine soit proportionnée au fait et que «  le ministère public ne [puisse], pas plus en appel qu’en première instance, restreindre le pouvoir du juge et le contraindre […] à maintenir une peine disproportionnée au délit  » (23). Sa jurisprudence s’est formée, pour l’essentiel, durant le XXe siècle. Elle nous enseigne que les cours et tribunaux doivent souverai- nement déterminer, mais dans les limites établies par la loi, c’est-à-dire selon l’échelle des peines prévue par la loi pour l’infraction (24), entre les taux minimum et maximum que leur impose la loi (25), la peine qu’ils esti- ment proportionnée à la gravité de l’infraction qu’ils déclarent établie et à

(20) Rapport relatif au chapitre IV du Livre Ier du Code pénal fait au nom de la Commission du Gou- vernement par J.-J. haus, Législation criminelle de la Belgique, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1867, p. 88, n° 196.

(21) Discussion du Livre  Ier du Code pénal amendé et complété en 1862, Législation criminelle de la Belgique, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1867, p. 429, n° 3.

(22) Cour eur. D.H., arrêt Cumpănă et Mazăre c. Roumanie du 17  décembre 2004 rendu en grande chambre à l’unanimité, § 114 (l’effet dissuasif que la crainte de pareilles sanctions emporte pour l’exercice par ces journalistes de leur liberté d’expression est manifeste. Nocif pour la société dans son ensemble, il fait lui aussi partie des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité – et donc de la justification – des sanctions infligées en l’espèce aux requérants »).

(23) Cass. (ch. réunies), 2 avril 1845, Pas., 1845, I, p. 215.

(24) Cass., 25 février 2009, Pas., 2009, p. 589.

(25) Cass., 25 février 2014, Pas., 2014, p. 497 ; Cass., 16 septembre 2009, Pas., 2009, p. 1293.

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la responsabilité pénale du condamné sans être tenus par le réquisitoire du ministère public (26). Cette position, qui fut la sienne dès avant l’entrée en vigueur de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (27), fut encore renforcée à la suite de celle-ci (28).

En d’autres termes, la peine doit être adaptée à l’infraction commise et à la personnalité de son auteur (29), ce qui signifie que le contrôle de propor- tionnalité lui est consubstantiel (30). Même les sanctions qui ne peuvent être qualifiées de pénales en droit interne mais présentent néanmoins une nature pénale au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont soumises au contrôle de proportionnalité (31).

La Cour constitutionnelle exige également que la peine infligée soit proportionnée à la gravité du comportement répréhensible (32), relevant que le législateur a opté pour la personnalisation des peines laissant au juge un choix quant à la sévérité de la peine lui permettant de tenir compte de circonstances atténuantes (33). La liberté de choix reconnue au juge pénal entre les peines minimales et maximales fixées par la loi doit être mise en œuvre dans le respect du principe de proportionnalité (34).

10. Les critères retenus par ces deux hautes juridictions s’avèrent plus nombreux que la seule gravité de l’infraction. Les modalités de personnali- sation de la peine permettent aux cours et tribunaux de prendre en considé- ration la gravité de l’infraction déclarée établie (35), les circonstances dans lesquelles celle-ci a été commise (36), la personnalité du condamné (37),

(26) Cass., 25 février 2014, Pas., 2014, p. 497.

(27) Cass., 4 juillet 1949, Pas., 1949, I, p. 506 ; Cass., 25 octobre 1948, Pas., 1948, I, p. 593 ; Cass., 7 octobre 1946, Pas., 1946, I, p. 354 ; Cass., 7 janvier 1935, Pas., 1935, I, p. 99.

(28) Cass., 24 avril 2012, Pas., 2012, p. 882 ; Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 juin 2009, Pas., 2009, p. 1435 ; Cass., 13 mars 2008, Pas., 2008, p. 699 ; Cass., 27 octobre 2006, Pas., 2006, p. 2183 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464 ; Cass., 28 février 2002, Pas., 2002, p. 614 ; Cass., 21 septembre 1999, Pas., 1999, I, p. 1174 ; Cass., 23 octobre 1997, Pas., 1997, I, p. 1070 ; Cass., 8 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101 ; Cass., 14 avril 1987, Pas., 1987, I, p. 982 ; Cass., 13 août 1986, Pas., 1986, I, p. 1367.

(29) Cass., 16 juin 2009, Pas., 2009, p. 1550.

(30) Cass., 16 novembre 2017, Pas., 2017, p. 2194.

(31) Ibid.

(32) C. const. (aud. plén.), 5 février 2015, n° 13/2015, M.B., 2015, p. 14623 ; C. arb. (aud. plén.), 14 juillet 1997, n° 40/1997, C.A.-A., 1997, p. 575.

(33) C. arb. (aud. plén.), 14 septembre 2006, n° 138/2006, C.A.-A., 2006, p. 1651 ; C. arb., 18 janvier 2006, n° 8/2006, C.A.-A., 2006, p. 153.

(34) C. const., 18 janvier 2018, n° 5/2018, M.B., 2018, p. 49038, NjW, 2018, p. 438, obs. M.J. horseele. (35) Cass., 18 janvier 2018, Pas., 2018, p. 130 ; Cass., 27 septembre 2011, Pas., 2011, p. 2056.

(36)  C. arb. (aud. plén.), 14  juillet 1997, n°  40/1997, C.A.-A., 1997, p.  575  ; Cass., 7  janvier 1935, Pas., 1935, I, p. 99.

(37) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177 ; Cass., 27 septembre 2011, Pas., 2011, p. 2056.

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son amendement (38), son degré de responsabilité pénale (39) ou de culpa- bilité individuelle (40), c’est-à-dire à la part qu’il a prise dans la situation illégalement créée (41), et même l’incertitude qu’il a dû connaître du fait de la durée des poursuites (42).

11. Le refus de reconnaissance, en droit belge, d’un principe général du droit à la proportionnalité de la peine. Si l’exigence de proportionnalité de la peine n’est pas inconnue des cours et tribunaux et n’est plus discutée dans les faits, elle n’est pas, comme telle, expressément consacrée par un texte de droit positif de portée générale.

Le principe de la proportionnalité de la peine n’est toutefois pas étran- ger à notre système juridique qui, en règle, permet au juge d’infliger la peine qu’il estime proportionnée à l’ensemble des éléments de la cause en la déterminant entre les taux minimum et un maximum déterminés par la loi, en tenant compte d’éventuelles circonstances atténuantes ou en ordonnant le sursis à l’exécution de la peine ou la suspension du prononcé de la condamnation (43) et, s’agissant de l’amende, l’invite à tenir compte de la situation sociale et de la situation financière précaire du prévenu (44). Le principe de proportionnalité réapparaît encore en matière de sanction administrative ayant un caractère répressif au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En l’occurrence, le juge auquel il est de- mandé de la contrôler dispose d’une compétence de pleine juridiction pour examiner si elle est justifiée en fait et en droit et si elle respecte les exigences impératives des traités internationaux et du droit interne, en ce compris les principes généraux du droit (45), de même que le principe de proportionnalité (46).

(38) C. arb. (aud. plén.), 14 juillet 1997, n° 40/1997, C.A.-A., 1997, p. 575.

(39) Cass., 7 août 1866, Pas., 1866, I, p. 396.

(40) Cass., 24 avril 2012, Pas., 2012, p. 882 ; Cass., 27 septembre 2011, Pas., 2011, p. 2056 ; Cass., 8 juin 2005, Pas., 2005, p. 1253 ; Cass., 14 avril 1987, Pas., 1987, I, p. 982 ; Cass., 13 août 1986, Pas., 1986, I, p. 1367.

(41) Cass., 24 avril 2012, Pas., 2012, p. 882.

(42) Cass., 27 septembre 2011, Pas., 2011, p. 2056.

(43) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959.

(44) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959.

(45) Cass., 18 janvier 2018, Pas., 2018, p. 130.

(46) Cass., 21 mars 2018, Pas., 2018, p. 677 ; Cass., 18 janvier 2018, Pas., 2018, p. 130 ; Cass., 16 novembre 2017, Pas., 2017, p. 2194 ; Cass., 18 avril 2013, Pas., 2013, p. 888 ; Cass., 11 mars 2011, Pas., 2011, p. 770 ; Cass., 13 février 2009, (quatre espèces), Pas., 2009, pp. 455, 466, 470 et 475 ; Cass., 12 décembre 2008, Pas., 2008, p. 2943 ; Cass., 16 février 2007, Pas., 2007, p. 365 ; Cass., 16 février 2007, Pas., 2007, p. 374 ; Cass., 24 janvier 2002, Pas., 2002, p. 226.

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Cependant, force est de constater que, à ce jour, la Cour de cassation se refuse, obstinément diront certains, à reconnaître l’existence d’un principe général du droit à la proportionnalité de la peine, que ce soit en matière pénale (47), en matière disciplinaire (48) ou dans le cadre de l’exécution des peines (49). À défaut d’être reconnu par la Cour de cassation, le moyen qui invoque la violation d’un tel principe général du droit au motif que la peine infligée serait disproportionnée à l’infraction déclarée établie soit manque en droit (50), soit est irrecevable (51). Le contrôle marginal de la motivation de la peine, auquel la Cour de cassation s’astreint, ne la conduit toutefois pas à s’autoriser à se substituer au juge du fond dans l’appréciation du caractère approprié de la peine ou de son degré (52), un tel moyen, en ce qu’il revient à critiquer l’appréciation des faits par le juge (53), supposant la vérification d’éléments de fait pour laquelle la Cour est sans pouvoir (54).

12. Nous relèverons néanmoins que, dans un arrêt isolé du mois de septembre 2005, la Cour a admis, en droit pénal, l’existence d’un principe général de proportionnalité de la peine lorsque, incidemment, au détour d’une question préjudicielle, elle a interrogé la Cour constitutionnelle sur le fait de savoir si la disposition légale qui ne laisse au juge pénal aucune marge pour apprécier l’amende qui y est prévue n’est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution et 6, § 1er, de la Convention de sauve- garde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la mesure où les dispositions pénales de droit commun, en prévoyant un minimum et un maximum ou l’application de circonstances atténuantes, offrent au juge répressif la possibilité de déterminer lui-même, dans une certaine mesure, le taux de la peine sur la base des circonstances concrètes de la cause et des principes généraux du droit, parmi lesquels figure le principe de proportionnalité (55). Nous aurions cependant préféré un attendu clair

(47) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177 ; Cass., 16 décembre 2015, Pas., 2015, p. 2935 ; Cass., 29 avril 2015, Pas., 2015, p. 1073 ; Cass., 1er février 1995, Pas., 1995, I, p. 117 ; Cass., 16 novembre 1994, Pas., 1994, I, p. 945.

(48) Cass., 19 novembre 1993, Pas., 1993, I, p. 972. Contra : C. const. (aud. plén.), 4 février 2010, n° 8/2010, A.C.C., 2010, p.  107 («  Lorsqu’elle inflige une peine disciplinaire, l’autorité disciplinaire doit appliquer le principe général du droit de la proportionnalité de la peine disciplinaire, ce qui implique que la peine doit être raisonnablement proportionnée au manquement disciplinaire »).

(49) Cass., 2 janvier 2013, Pas., 2013, p. 1 (« Aucun principe général du droit relatif à la proportionnalité ne s’applique au tribunal de l’application des peines »).

(50) Cass., 16 décembre 2015, Pas., 2015, p. 2935 ; Cass., 1er février 1995, Pas., 1995, I, p. 117 ; Cass., 16 novembre 1994, Pas., 1994, I, p. 945.

(51) Cass., 19 novembre 1993, Pas., 1993, I, p. 972.

(52) Cass., 21 septembre 1999, Pas., 1999, I, p. 1174 ; Cass., 24 janvier 1995, Pas., 1995, I, p. 65.

(53) Cass., 8 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101.

(54) Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464.

(55) Cass., 27 septembre 2005, Pas., 2005, p. 1751.

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et net, d’autant que, ultérieurement, la Cour a à nouveau affirmé que, en matière répressive, la proportionnalité de la peine n’est pas élevée au rang de principe général du droit (56). Nul doute, nous en faisons le pari, que la Cour reviendra bientôt sur sa jurisprudence pour recevoir le principe général de la proportionnalité de la peine quoique, au vu de son actuelle jurisprudence fondée sur l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur laquelle nous revien- drons infra, la question présente finalement assez peu d’intérêt.

13. Le principe de proportionnalité dans le cadre des infractions au droit de l’Union européenne. La Cour de justice de l’Union euro- péenne a reçu, de longue date déjà, le principe de proportionnalité de la peine qui est, par ailleurs, expressément consacré à l’article 49.3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 18 décembre 2000 (57). S’agissant de la répression d’infractions à des dispositions de droit communautaire (58), lorsqu’un règlement communautaire ne com- porte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas de violation ou renvoie, sur ce point, aux dispositions législatives, réglemen- taires et administratives nationales, les États membres doivent veiller à ce que les violations du droit communautaire soient sanctionnées de peines proportionnées (59). L’intensité des peines ne peut dès lors être dispro- portionnée par rapport à l’infraction, de sorte que les mesures répressives ne doivent pas dépasser le cadre de ce qui est strictement nécessaire aux objectifs poursuivis et que les modalités de contrôle ne doivent pas être assorties d’une sanction à ce point disproportionnée à la gravité de l’infraction qu’elle en deviendrait une entrave aux libertés consacrées par le Traité de l’Union européenne (60).

14. L’exigence de proportionnalité peut être déduite du principe de légalité. La jurisprudence belge considère que l’exigence de propor- tionnalité de la peine est une application du principe de légalité, dont

(56) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177 ; Cass., 29 avril 2015, Pas., 2015, p. 1073.

(57) « L’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction ».

(58) Fr. tulKens et M. vande Kerchove, « Le principe de proportionnalité des sanctions répressives dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes  », in Liber amicorum H.  D.  Bosly, Bruxelles, la Charte, 2009, pp. 387-397.

(59) C.J.C.E., arrêt Ebony Maritime SA du 27 février 1997, n° C-177/95, § 35 ; C.J.C.E., arrêt Ministère public et Hansen & Søn I/S du 10 juillet 1990, n° C-326/88, § 17 ; C.J.C.E., arrêt Commission des Communautés euro- péennes c. Grèce du 21 septembre 1989, n° C-68/88, § 24.

(60) C.J.C.E., arrêt Albert Collée du 27 septembre 2007, n° C-146/05, § 40 ; C.J.C.E., arrêt Commission des Communautés européennes c. Grèce du 16 décembre 1992, n° C-210/91, § 20. Voy. encore : C. const. (aud.

plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; Cass., 5 février 1999, Pas., 1999, I, p. 148.

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elle découle (61), mais dont elle n’existe pas indépendamment (62). Il n’est toutefois pas sans intérêt de noter que, la déduisant du principe de léga- lité des peines, la Cour constitutionnelle, en stipulant que « le principe de légalité exige que la peine soit proportionnée aux faits commis » et qu’elle

« doit, partant, être proportionnée à la gravité du comportement répré- hensible  » (63), lui reconnaît, implicitement, non seulement une valeur constitutionnelle, déduite de l’article 14 de la Constitution, mais encore supranationale dès lors que, se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union euro- péenne, elle la rattache nécessairement aux articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 49.3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

SeCTION 2. LA PROPORTIONNALITÉ De LA PeINe ARRACHÉe À LA LOI

15. Une lente évolution fondée sur le droit international et se revendiquant de la dignité humaine. Il a toujours été enseigné qu’il ap- partient au législateur d’établir les infractions et d’en fixer les peines (64), l’appréciation de la gravité d’une infraction et de la sévérité avec laquelle sa commission doit être punie relevant de son jugement d’opportuni- té (65). Dès 1833, la Cour de cassation a dit pour droit que les juges sont tenus de prononcer les peines comminées par la loi pour réprimer les infractions qu’ils déclarent établies (66). Il est ainsi enseigné par la Cour constitutionnelle que c’est au législateur qu’il revient d’apprécier s’il est ou non souhaitable de contraindre le juge à la sévérité lorsqu’une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général (67) et, notamment, de décider

(61) C. const. (aud. plén.), 5 février 2015, n° 13/2015, M.B., 2015, p. 14623 (« Le principe de légalité exige que la peine soit proportionnée aux faits commis »).

(62) Cass., 22 juin 2016, Pas., 2016, p. 1457.

(63) C. const. (aud. plén.), 5 février 2015, n° 13/2015, M.B., 2015, p. 14623.

(64) Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 18 mai 1999, Pas., 1999, I, p. 702.

(65) C. arb., 14 juin 2006, n° 98/2006, C.A.-A., 2006, p. 1189, R.A.B.G., 2006, p. 1471, obs. D. van der Kelen

et S. de decKer.

(66) Cass., 22 avril 1844, Pas., 1844, I, p. 178 (« Lorsque la loi établit des peines pour des faits, omissions ou négligences, les tribunaux sont obligés de les prononcer, sauf dans les cas d’excuse admis par la loi et légalement constatés ») ; Cass., 25 mai 1833, Pas., 1832-1834, I, p. 104.

(67) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959 ; C. arb., 11 janvier 2007, n° 8/2007, A.C.C., 2007, p. 55 ; C. arb., 13 décembre 2006, n° 199/2006, C.A.-A., 2006, p. 2477 ; C. arb. (aud. plén.), 14 septembre 2006, n° 138/2006, C.A.-A., 2006, p. 1651.

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s’il convient d’opter pour une répression aggravée à l’égard de certaines formes de délinquance lorsqu’il entend lutter contre un fléau que d’autres mesures préventives n’ont pu jusqu’ores suffisamment endiguer (68).

Mais que faire alors lorsque la peine, telle qu’elle est prévue par ou en vertu de la loi, apparaît excessivement sévère, lorsque l’échelle de la peine, telle que comminée par le texte, apparaît trop répressive eu égard à la gra- vité de l’infraction déclarée établie ou encore lorsque, même réduite par le biais de l’admission de circonstances atténuantes, la répression appa- raît encore disproportionnée ? Est-ce à dire que la peine infligée pourrait s’avérer disproportionnée à la gravité de l’infraction déclarée établie et à la situation du condamné pourvu qu’elle soit conforme à la loi ? Pareille situation est-elle conforme au sentiment de Justice ?

16. Dans un premier temps, la Cour de cassation, nous l’avons vu, se retranche derrière la séparation des pouvoirs et l’autorité de la loi.

L’importance de la peine comminée par le législateur en vue de répri- mer la commission d’une infraction à une disposition légale est, dit-elle, étrangère au droit du prévenu à un procès équitable (69), de sorte que le moyen de cassation qui inviterait la Cour à casser une décision au motif qu’elle aurait prononcé une sanction disproportionnée à la gravité des faits est étranger aux articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (70).

17. La question va connaître une première évolution en 1992, en ma- tière disciplinaire, par le biais de la prise en considération de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fonda- mentales duquel la Cour de cassation déduit le principe de proportionna- lité (71). Le revirement de jurisprudence est patent puisque la Cour précise non seulement que les cours et tribunaux doivent déterminer la sanction dans les limites établies par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (72) mais encore qu’elle doit, lors du contrôle marginal de la motivation de la sanction infligée, lorsque le

(68) C. const., 15 mai 2017, n° 76/2017, M.B., 2017, p. 97225 ; C. const., 27 avril 2017, n° 51/2017, M.B., 2017, p. 72908.

(69) Cass., 24 octobre 1989, Pas., 1990, I, p. 223.

(70) Cass., 3 septembre 1998, Pas., 1998, I, p. 899.

(71) Cass., 17 septembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1043.

(72) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177 ; Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 juin 2009, Pas., 2009, p. 1435 ; Cass., 13 mars 2008, Pas., 2008, p. 699 ; Cass., 27 octobre 2006, Pas., 2006, p. 2183 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464 ; Cass., 28 février 2002, Pas., 2002, p. 614 ; Cass., 12 mars 1998, Pas., 1998, I, p. 322 ; Cass., 23 octobre 1997, Pas., 1997, I, p. 1070 ; Cass., 8 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101.

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moyen de cassation invoque la violation de l’article 3 de la Convention, se substituer au juge dans l’appréciation du caractère approprié de la sanction infligée ou de son degré afin de s’assurer de ce qu’elle n’est pas manifestement disproportionnée à la gravité des faits (73). S’il n’apparaît pas des constatations et des considérations de la décision attaquée que la sanction prononcée serait manifestement disproportionnée à la gra- vité des faits, le moyen ne peut être accueilli (74). Au contraire, lorsque le demandeur privilégie l’invocation de la violation d’un prétendu principe général du droit à la proportionnalité de la sanction, et non de l’article 3 de la Convention, le moyen est jugé irrecevable (75). L’avancée, d’un point de vue juridique, est notable. Elle va s’avérer tout autant irréversible.

18. En 1999, la Cour de cassation va manquer l’occasion d’étendre sa jurisprudence au champ pénal. Dans une affaire d’infraction à la loi générale sur les douanes et accises, la cour d’appel d’Anvers avait refusé de prononcer la peine d’amende comminée par la loi et s’élevant à l’époque à dix fois les droits d’accise éludés au motif qu’elle serait disproportionnée à l’infraction et, partant, contraire à l’article 3 de la Convention de sauve- garde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Son montant eut été à ce point excessivement élevé pour le condamné que même l’inté- gralité de ses revenus du travail pour les cinquante années à venir n’aurait pu approcher le montant de l’amende réclamé. Elle en avait conclu que la condamnation à une telle peine aurait entraîné une sanction lourde et inhumaine puisque le condamné aurait été déchu à l’avenir de tout droit de propriété et que le patrimoine régulièrement acquis par lui et sa famille aurait été réduit à néant. Sur le pourvoi de l’État belge, la Cour de cassation rappelle que, s’agissant d’une peine d’amende obligatoire que le législateur a voulue très lourde afin d’empêcher que des fraudes ne soient commises en vue d’obtenir les gains énormes qu’elles peuvent engendrer, le juge répressif ne peut décider de ne pas appliquer la loi pénale au motif que, selon lui, la peine légalement définie serait, dans une affaire déterminée, disproportionnée à la nature de l’infraction ou aux moyens financiers du prévenu (76).

19. Il faudra encore attendre encore près de 4 ans pour que la Cour décide, en mars 2003, d’étendre à la peine prononcée du chef d’une

(73) Sur cette question, voy. la belle note de J.-Fr. van drooGhenBroecK, « La Cour de cassation reçoit-elle le principe de proportionnalité ? », in Liber amicorum Paul Martens, Bruxelles, Larcier, 2007, pp. 569-589.

(74) Cass., 17 septembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1043.

(75) Cass., 19 novembre 1993, Pas., 1993, I, p. 972.

(76) Cass., 18 mai 1999, Pas., 1999, I, p. 702.

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infraction à la loi pénale le contrôle de proportionnalité auquel elle pro- cède à l’endroit des sanctions disciplinaires depuis 1992 par le biais du contrôle marginal de la motivation de la sanction infligée (77).

C’est donc par le biais de la dignité humaine et du droit international conventionnel ayant des effets directs dans l’ordre juridique belge, afin d’éviter que la peine ne revête un caractère inhumain ou dégradant, que le juge répressif peut dorénavant s’affranchir de la loi pour contrôler la proportionnalité de la peine qu’elle commine à l’aune des circonstances concrètes de la cause qui lui est soumise et des nécessités d’une juste et adéquate répression.

20. Le principe de proportionnalité de la peine arraché à la loi par la Cour de cassation. Le principe de proportionnalité s’est imposé à la Cour de cassation par le biais de différentes normes de droit inter- national conventionnelles ayant des effets directs dans l’ordre juridique national et qui, en vertu de la jurisprudence Le Ski, ont primauté sur le droit interne. Le coin a été enfoncé dans le cadre du contentieux disci- plinaire mais, en 2003, la contagion s’est finalement étendue au droit pénal (78). Le contrôle auquel procède la Cour de cassation se fonde sur le principe de proportionnalité de la peine déduit des articles  3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fonda- mentales et 1er de son premier protocole additionnel. L’on chercherait cependant en vain une allusion formelle à ce principe dans ces disposi- tions internationales.

L’évolution est remarquable dans la mesure où la Cour consent doré- navant à se mêler d’une question qu’elle considérait à l’origine comme purement factuelle (79) puisqu’elle se reconnaît le pouvoir d’apprécier le caractère manifestement disproportionné de la peine prononcée même si, à notre connaissance, elle n’a jamais cassé une décision de condamna- tion pour contravention à l’article 3 de la Convention. La Cour s’attache à vérifier, sur la base des constatations et considérations de la décision attaquée, si la peine infligée n’est pas manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction déclarée établie en violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des

(77) Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464. Pour la jurisprudence contraire, voy. : Cass., 21 septembre 1999, Pas., 1999, I, p. 1174 ; Cass., 24 janvier 1995, Pas., 1995, I, p. 65.

(78) Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464.

(79) Cass., 8 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101 (« Dans la mesure où il invoque que les sanctions sont disproportionnées aux faits mis à charge, le moyen, en cette branche, revient à critiquer l’appréciation de fait (à laquelle a procédé le juge) »).

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libertés fondamentales (80), de même que la condamnation à une peine d’amende excessive peut, à l’occasion, emporter une violation du droit au respect des biens tel qu’il est garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (81).

En février 2015, la Cour est encore allée une étape plus loin. Lorsqu’elle estime qu’une peine ne peut être constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant au motif qu’elle a été fixée dans les limites de la loi et de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fonda- mentales, c’est après s’être assurée de ce que le moyen de cassation ne soutenait pas que la mesure de la peine applicable, telle que définie par le législateur, serait, en l’espèce, contraire aux exigences de l’article 3 de la Convention (82). Le moyen, en pareil cas, ne porte plus sur la seule propor- tionnalité de la peine effectivement infligée, qui suppose une appréciation des circonstances concrètes de la cause, mais sur la proportionnalité de la peine comminée par la loi, qui nécessite en l’espèce une appréciation du texte légal ou réglementaire lui-même.

En l’espèce, le principe de proportionnalité est arraché à la loi car une peine, bien que conforme à la loi et s’inscrivant dans la volonté du législateur de se montrer sévère, peut néanmoins s’avérer illégale en ce qu’elle est contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou à l’article  1er du premier Protocole additionnel à la Convention. Ces dispositions étant directement applicables en droit belge, il appartient au juge, lorsqu’il envisage de pro- noncer une peine, de veiller à leur respect lors de sa détermination (83). Le juge de l’Ordre judiciaire doit dès lors, au besoin, réduire la peine, fut-ce en deçà de son minimum légal, afin de la mettre en concordance avec les articles 3 de la Convention (84) et 1er du premier Protocole additionnel à la Convention (85). C’est en ce sens que la Cour de cassation exige que le juge

(80) En droit pénal, voy. : Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464. En droit disciplinaire, voy. : Cass., 5 juin 2009, Pas., 2009, p. 1435 ; Cass., 13 mars 2008, Pas., 2008, p. 699 ; Cass., 27 octobre 2006, Pas., 2006, p. 2183 ; Cass., 28 février 2002, Pas., 2002, p. 614 ; Cass., 12 mars 1998, Pas., 1998, I, p. 322 ; Cass., 23 octobre 1997, Pas., 1997, I, p. 1070 ; Cass., 8 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101 ; Cass., 17 septembre 1992, Pas., 1992, I, p. 1043.

(81) Cass., 11 juin 2013, Pas., 2013, p. 1308 ; Cass., 7 mai 2013, Pas., 2013, p. 1063.

(82) Cass., 11 février 2015, Pas., 2015, p. 325.

(83) Cass., 11 juin 2013, Pas., 2013, p. 1308 (art. 1er du premier Protocole additionnel à la Convention) ; Cass., 7  mai 2013, Pas., 2013, p.  1063 (art.  1er du premier Protocole additionnel à la Convention)  ; Cass., 2 janvier 2013, Pas., 2013, p. 1 (art. 3 de la Convention).

(84) Cass., 2 janvier 2013, Pas., 2013, p. 1.

(85) Cass., 11 juin 2013, Pas., 2013, p. 1308 ; Cass., 7 mai 2013, Pas., 2013, p. 1063.

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détermine, dans les limites établies non seulement par la loi mais encore par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fon- damentales, la peine qu’il estime proportionnée à la gravité de l’infraction déclarée établie (86) et à la personnalité de l’agent (87).

21. Le principe de proportionnalité de la peine arraché à la loi par la Cour constitutionnelle. Le principe de proportionnalité a égale- ment été consacré par la Cour constitutionnelle, par le truchement d’une sensibilisation des juridictions de jugement autorisées à interroger la Cour, par la voie préjudicielle, sur la compatibilité de la loi qu’elles doivent appliquer avec les articles 10 et 11 de la Constitution combinés aux ar- ticles 3 et 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er du premier Protocole additionnel (88).

La Cour constitutionnelle consent en effet à censurer la politique répres- sive du législateur consistant à exclure la possibilité pour le juge de tenir compte de circonstances atténuantes ou d’accorder une mesure de sur- sis ou de suspension du prononcé de la condamnation (89) ou, plus sim- plement, à le contraindre à la sévérité (90) lorsqu’elle considère ce choix comme manifestement déraisonnable. La Cour est néanmoins prudente, consciente de ce qu’elle empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s’interrogeant sur la justification des différences qui existent entre les nombreux textes législatifs portant des sanctions pénales, elle ne limi- tait pas son appréciation, en ce qui concerne l’échelle des peines, aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu’elle aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable d’in- fractions comparables (91).

C’est parfois même le choix de privilégier la voie pénale, plutôt qu’ad- ministrative, qui est soumis au contrôle de constitutionnalité. Ainsi, bien qu’il appartienne au législateur d’estimer si un manquement doit faire l’objet d’une répression et, lorsque tel est le cas, s’il s’indique d’opter pour

(86) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177 ; Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999.

(87) Cass., 24 mai 2016, Pas., 2016, p. 1177.

(88) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959 (« Une disposition qui ne permet pas au juge d’éviter une violation de [l’article 1er du premier Protocole additionnel] méconnaît le droit à un procès équitable »).

(89) C. arb., 13 décembre 2006, n° 199/2006, C.A.-A., 2006, p. 2477 ; C. arb. (aud. plén.), 14 septembre 2006, n° 138/2006, C.A.-A., 2006, p. 1651 ; C. arb., 18 janvier 2006, n° 8/2006, C.A.-A., 2006, p. 153.

(90) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959 ; C. arb., 11 janvier 2007, n° 8/2007, A.C.C., 2007, p. 55 ; C. arb., 13 décembre 2006, n° 199/2006, C.A.-A., 2006, p. 2477.

(91) C. arb., 14 juin 2006, n° 98/2006, C.A.-A., 2006, p. 1189, R.A.B.G., 2006, p. 1471, obs. D. van der Kelen

et S. de decKer.

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des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives, la Cour constitutionnelle se réserve le pouvoir d’examiner si le recours à une sanction de nature pénale en vue de garantir le respect de l’interdic- tion que la loi prévoit ne présente pas des effets disproportionnés par rap- port aux objectifs poursuivis (92). En outre, lorsqu’un même manquement à des obligations légales fait l’objet tantôt de sanctions pénales, tantôt de sanctions administratives, la Cour recherche si la différence de traitement qui pourrait en résulter est raisonnablement justifiée (93).

À l’occasion d’une question préjudicielle que nous avions posée à la Cour (94), l’État belge n’a pas hésité à soutenir que c’est au juge qu’il appar- tient d’éviter les effets disproportionnés d’une peine prévue par la loi, fut- ce, au besoin, lorsque son atténuation n’est matériellement pas possible, – il s’agissait en l’espèce de la confiscation spéciale obligatoire de l’instru- ment de l’infraction –, par l’écartement de son application au bénéfice du respect des normes internationales (95). L’on mesure le chemin parcouru depuis la note de Paul Martens parue en 1992.

22. Les contrôles opérés par les Cours constitutionnelle et de cas- sation. La Cour de cassation opère un contrôle de proportionnalité de la peine que l’on pourrait qualifier de concret et de direct en ce qu’il consiste à comparer la décision relative au choix de la peine et de son taux à la gravité de l’infraction déclarée établie et aux circonstances particulières dans lesquelles elle a été commise (96).

La Cour constitutionnelle, quant à elle, exerce un contrôle de propor- tionnalité de la peine que nous qualifierons d’abstrait et d’indirect. Elle a opéré ce contrôle dans l’hypothèse des peines privatives de patrimoine qui l’a amenée à constater l’inconstitutionnalité d’une disposition légale com- minant une telle peine en raison de l’atteinte qu’elle porte à l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention par le truchement de la disproportion existant entre l’atteinte portée au droit de propriété de la personne à laquelle elle est infligée et le but légitime poursuivi par la peine comminée par la loi (97). Les termes dans lesquels ce contrôle est

(92) C. const. (aud. plén.), 6 décembre 2012, n° 145/2012, A.C.C., 2012, p. 2433.

(93) C. arb. (aud. plén.), 16 juin 2004, n° 105/2004, C.A.-A., 2004, p. 1193 ; C.A. (aud. plén.), 14 juillet 1997, n° 40/1997, C.A.-A., 1997, p. 575.

(94) Corr. Liège (div. Liège), 29 avril 2015, J.L.M.B., 2017, p. 656.

(95) C. const. (aud. plén.), 9 février 2017, n° 12/2017, M.B., 2017, p. 5446.

(96) Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 5 mars 2003, Pas., 2003, p. 464.

(97) C. const. (aud. plén.), 9  février 2017, n°  12/2017, M.B., 2017, p.  5446 («  La confiscation spéciale d’une chose qui a servi à commettre un crime ou un délit et dont le condamné est propriétaire […] peut cependant, dans certains cas, porter une atteinte telle à la situation financière de la personne à laquelle elle

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opéré s’expliquent par les limites imposées au contrôle de constitutionna- lité auquel doit procéder la Cour. Elle ne connaît pas des faits, elle n’est saisie, par le biais de questions préjudicielles, que de la constitutionnalité d’une loi. Le contrôle est ainsi opéré en deux étapes. La première consiste à vérifier que la peine sévère comminée par la loi réponde aux objectifs poursuivis par le législateur (98) tandis que la seconde lui permet ensuite d’examiner si le choix du législateur de contraindre le juge à la sévérité lorsqu’une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général dépasse le cadre de ce qui est strictement nécessaire aux objectifs qu’il poursuit (99).

La question n’est donc pas tant de savoir si la commission d’une infrac- tion appelle une répression sévère, – la Cour estimant qu’il appartient au législateur d’apprécier s’il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général –, que de veiller à ce que la peine comminée par la loi afin de réprimer la commission de cette infraction réponde aux objectifs poursuivis par le législateur. Dans cette optique, elle admet que la répression puisse au besoin être atténuée par les cours et tribunaux en raison des circonstances concrètes de la cause afin de ne pas emporter une violation du droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention. La Cour constitutionnelle déduit en effet de l’atteinte portée à la situation financière de la personne poursuivie la disproportion de la peine par rapport au but légitime qu’elle poursuit et de laquelle elle conclut ensuite à une violation du droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention (100).

L’exigence de proportionnalité recouvre ainsi diverses dimensions. Le principe de proportionnalité de la peine formule, stricto sensu, une exi- gence d’adéquation entre, d’une part, la peine infligée et, d’autre part, la gravité de l’infraction commise et la situation du condamné. Ce contrôle

est infligée qu’elle constitue alors une mesure disproportionnée par rapport au but légitime qu’elle poursuit, entraînant une violation du droit de propriété ») ; C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 et C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959 (« Une amende fixée au décuple des droits éludés pourrait, dans certains cas, porter une atteinte telle à la situation financière de la personne à laquelle elle est infligée qu’elle pourrait constituer une mesure disproportionnée par rapport au but légitime qu’elle poursuit et constituer une violation du droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme »).

(98) C. const. (aud. plén.), 9 février 2017, n° 12/2017, M.B., 2017, p. 5446.

(99) C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959.

(100) C. const. (aud. plén.), 9 février 2017, n° 12/2017, M.B., 2017, p. 5446 ; C. const. (aud. plén.), 19 juil- let 2012, n° 97/2012, A.C.C., 2012, p. 1559, R.D.P.C., 2013, p. 323, obs. F. vandevenne ; C. const. (aud. plén.), 30 octobre 2008, n° 140/2008, A.C.C., 2008, p. 2289 ; C. const. (aud. plén.), 7 juin 2007, n° 81/2007, A.C.C., 2007, p. 959.

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concret est opéré par la Cour de cassation. Lato sensu, le principe de propor- tionnalité de la peine permet la comparaison des nécessités de la répres- sion pénale à l’aune du droit d’être traité de manière conforme à la dignité humaine. Ce contrôle abstrait est dévolu à la Cour constitutionnelle.

SeCTION 3. LeS IMPLICATIONS ACTUeLLeS DU PRINCIPe De PROPORTIONNALITÉ

23. Le respect de la dignité humaine. Le caractère inhumain ou dégradant de la peine. La peine doit être conforme à la dignité humaine.

La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fonda- mentales, par le biais de son article 3, prohibe les peines inhumaines ou dégradantes. La répression pénale exige dès lors une juste peine conforme à la dignité humaine, ce qui implique, déjà, que le législateur indique un minimum et un maximum permettant au juge de l’individualiser afin d’éviter toute atteinte condamnable aux droits fondamentaux des justi- ciables (101).

L’État ne pourrait infliger à un condamné, sans contrevenir à l’article 3 de la Convention, ni une peine inhumaine, qui correspond à une douleur aiguë ou des souffrances graves, physiques ou mentales, intentionnelle- ment infligées, ni une peine dégradante, qui cause à celui qui y est sou- mis, aux yeux d’autrui ou aux siens, une humiliation ou un avilissement graves (102). L’interdiction des peines et traitements inhumains ou dégra- dants est une valeur de civilisation étroitement liée au respect de la dignité humaine, de sorte que la Convention les prohibe en termes absolus, quel qu’ait été le comportement de la personne concernée (103) ou même le danger qui menacerait la vie de la Nation (104). Certes, la peine peut en soi présenter un caractère infamant (105), dégradant (106) ou humiliant (107) et s’accompagner de souffrances (108) sans qu’une violation du droit de ne

(101) Cass., 28 octobre 2009, Pas., 2009, p. 2457 ; Cass., 2 septembre 2009, Pas., 2009, p. 1752.

(102) Cass., 18 mai 1999, Pas., 1999, I, p. 702.

(103) Cour eur. D.H., arrêt Bouyid c. Belgique du 28 septembre 2015 rendu en grande chambre, § 81.

(104) Art. 15, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

(105) C. arb., 18  janvier 2006, n°  8/2006, C.A.-A., 2006, p.  153  ; C. arb. (aud. plén.), 14  juillet 1997, n° 40/1997, C.A.-A., 1997, p. 575.

(106) Cour eur. D.H., arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, § 30 ; Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 18 mai 1999, Pas., 1999, I, p. 702.

(107) Cour eur. D.H., arrêt Kafkaris c. Chypre du 12 février 2008 rendu en grande chambre, § 96 ; Cour eur. D.H., arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, § 30.

(108) Cour eur. D.H., arrêt Kafkaris c. Chypre du 12 février 2008 rendu en grande chambre, § 96.

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pas être soumis à une peine inhumaine ou dégradante puisse se déduire du seul fait que le prévenu a fait l’objet, conformément à la loi, d’une condamnation pénale (109). Par contre, l’article  3 de la Convention em- pêche l’application d’une peine ayant atteint le seuil de gravité interdit par cette disposition (110). Aucun impératif d’efficacité ne peut permettre d’y déroger. Une peine ne perd nullement son caractère dégradant par cela seul qu’elle passe pour constituer, ou constitue réellement, un moyen efficace de dissuasion ou de lutte contre la délinquance (111).

24. Le respect de la dignité humaine. Le caractère inhumain ou dégradant de l’exécution de la peine. Si la peine infligée doit être pro- portionnée à la gravité de l’infraction, les conditions de son exécution doivent également être proportionnées aux objectifs qu’elle poursuit. La peine infligée doit en effet être distinguée de la mesure relative à son exé- cution (112). C’est, à nouveau, par le biais de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’exigence de proportionnalité s’est immiscée au stade de l’exécution de la peine.

Si le seul fait de la condamnation d’un prévenu ou d’un accusé à une peine peut emporter son humiliation sans que celle-ci ne soit juridique- ment critiquable, il est, par contre, admis que l’article  3 de la Conven- tion s’interprète comme interdisant l’humiliation du condamné par le fait même de l’exécution de cette dernière (113). Partant, la seule circonstance qu’une peine a été infligée à un condamné dans le respect du principe de proportionnalité n’empêche pas nécessairement que son exécution puisse s’avérer, dans les circonstances concrètes de la cause, constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 3 de la Convention lorsque les conditions de son exécution s’avèrent disproportionnées aux objectifs qu’elle poursuit.

La Cour européenne des droits de l’homme estime ainsi que le carac- tère inhumain ou dégradant d’une peine dépend de l’ensemble des cir- constances propres à la cause, notamment des modalités prévisibles de son exécution (114), de sa durée et de ses effets physiques ou mentaux sur

(109) Cass., 15 juin 1982, Pas., 1982, I, p. 1186.

(110) Cour eur. D.H., arrêt Nisar Trabelsi c. Belgique du 4 septembre 2014 rendu à l’unanimité, § 130.

(111) Cour eur. D.H., arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, § 31.

(112) Cour eur. D.H., arrêt M. c. Allemagne du 17 décembre 2009 rendu à l’unanimité, § 121 ; Cour eur.

D.H., arrêt Grava c. Italie du 10 juillet 2003 rendu à l’unanimité, § 51.

(113) Cour eur. D.H., arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, § 30.

(114) Cour eur. D.H., arrêt Mostafa et autres c. Turquie du 15 janvier 2008 rendu à l’unanimité, § 26 ; Cour eur. D.H., arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, § 30 ; Cass., 11 février 2015, Pas., 2015, p. 325 ; Cass., 20 septembre 2011, Pas., 2011, p. 1999 ; Cass., 18 mai 1999, Pas., 1999, I, p. 702.

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