McKinnon et Shaw ont été les premiers à dénoncer les effets néfastes d’un
système financier répressif caractérisé par un système bancaire passif et ont
préconisé la libéralisation des taux d’intérêt qui permet aux intermédiaires financiers
d’être plus performants dans la mobilisation de l’épargne et le financement des investissements.
Cette vision théorique a été partagée puis enrichie par plusieurs économistes qui sont :
Kapur (1976) : fut l’un des premiers à compléter l’analyse de McKinnon et
19 financière provoque une perte de croissance. Ainsi, similairement à Shaw (1976), les
intermédiaires financiers et plus précisément les banques sont au cœur du financement de l’activité économique d’un pays. Le passif du bilan de ces banques est constitué de prêts qu’elles accordent et des réserves obligatoires qu’elles sont
tenues à constituer auprès de la banque centrale. Leur actif est constitué des dépôts collectés auprès des différents agents économiques. Ainsi, si les Autorités décident
de maintenir le taux d’intérêt à son niveau le plus bas et si le taux d’inflation est trop élevé, les ressources des banques diminuent, l’investissement stagne et la croissance
est tirée à la baisse. Mais, aussi, en augmentant le montant des réserves bancaires obligatoires auprès de la banque centrale, le passif des banques diminue entrainant
avec lui l’investissement à la baisse et la croissance ralentit.
Selon Kapur (1976) le meilleur moyen pour sortir de cette situation de
répression est de relancer la croissance économique et de libéraliser les taux d’intérêt
qui vont s’ajuster selon l’offre et la demande à la hausse permettant, ainsi, une augmentation des dépôts bancaires qui stimule à son tour l’investissement et donc la
croissance.
Galbis (1977) : fonde sa théorie sur un modèle économique caractérisé par
l’existence de deux secteurs productifs :
Un secteur traditionnel : caractérisé par un rendement du capital constant mais faible. Ce secteur autofinance toutes ses activités et n’a pas accès aux crédits
bancaires. La décision d’investir du secteur traditionnel dépend du rendement
anticipé des investissements qui doit être supérieur au taux de rendement de
l’épargne. Ainsi Galbis (1977), contrairement à McKinnon (1973), admet que la monnaie et le capital sont parfaitement substituables et non complémentaires.
Un secteur moderne : caractérisé par un rendement du capital constant mais plus élevé. Les investissements de ce secteur sont financés par les crédits bancaires
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Dans l’optique de Galbais(1977), si les Autorités publiques décident de
maintenir les taux d’intérêt à des niveaux bas par rapport à l’équilibre, les
entrepreneurs du secteur traditionnel vont préférer l’investissement à l’épargne.
Voyant leurs dépôts réduits, les banques seront contraintes à augmenter les
taux d’intérêt débiteurs de leurs emprunts auprès du secteur moderne. Ceci
implique une réduction de l’investissement le plus productif du secteur moderne et
donc une baisse de la qualité de l’investissement global.
Ainsi, la libéralisation financière qui se manifeste à travers l’augmentation du
taux d’intérêt améliore la qualité de l’investissement global dans la mesure où elle opère un transfert des fonds des investisseurs les moins productifs vers les investisseurs les plus productifs.
Vogel et Buser (1976) : ont élaboré une analyse en terme de risque /
rendement en se basant sur l’hypothèse de la complémentarité de la monnaie de
McKinnon (1973). Ils stipulent que la répression financière est la cause principale de
l'augmentation du risque lié au rendement réel de la monnaie et que l’impact positif
de la libéralisation financière sur la croissance se traduit par une stabilisation de ces rendements et par conséquence du cadre macroéconomique général. En effet, McKinnon (1973) rattache la répression financière au fait que le rendement de la
monnaie (différence entre le taux nominal sur les dépôts et l’inflation) soit réprimé.
Vogel et Buser (1976), quant à eux, considèrent la répression financière comme « la
variabilité croissante du taux nominal servi sur les dépôts et/ou l’inflation »5. De là découle
l’idée que la libéralisation financière peut soit augmenter le rendement réel de la monnaie qui représente la différence entre le taux créditeur nominal et l’inflation
(Corée du sud) soit baisser les risques attachés à la détention de monnaie ou encore stabiliser le niveau de rendement réel de la monnaie (Brésil). Ainsi, la libéralisation financière, selon Vogel et Buser (1976), se traduit non seulement par une éventuelle
21 augmentation des rendements des dépôts bancaires mais aussi par une stabilisation de ces rendements et une baisse des risques liés à la détention de monnaie.
Mathieson (1980) : comme Kapur (1976), fonde son analyse sur l’impact de la
répression financière sur la quantité d’investissement et non pas sur sa qualité comme l’analyse de Galbis (1977). Ainsi, dans le cadre d’une économie ouverte il suppose que l’offre de fonds prêtables est une fonction croissante du volume des dépôts qui dépendent à leur tour du taux d’intérêt créditeur et du montant des
réserves obligatoires. Par exemple, si le taux d’intérêt augmente suite à la hausse du montant des réserves obligatoires le niveau de l’investissement baisse et la
croissance diminue. Mathieson (1980) souligne, également, l’importance du taux de
change dans le cadre de la politique de libéralisation financière et préconise une
dévaluation progressive de la monnaie domestique pour éviter l’afflux important de
capitaux, suite à la hausse des taux d’intérêt qui est susceptible d’alimenter des
pressions inflationnistes.
Roubini et Sala-i-Martin (1992) : mènent une étude théorique et empirique sur la relation entre la politique de répression financière et la croissance économique à long terme. Ils démontrent que les gouvernements peuvent choisir de réprimer le système financier car cela augmente la demande de monnaie et génère des revenus
plus élevés pour l’Etat sous forme d’une taxe d’inflation. En effet, en détenant le pouvoir d’émission de la monnaie, cette politique de répression financière permet aux gouvernements de prélever des sommes importantes sous forme de taxes de
seigneuriages. Cette rente se substitue aux revenus de l’Etat qui doivent
normalement provenir des taxes sur les revenus. Une telle politique affaiblit le
système financier et il en résulte une sous rémunération de l’épargne limitant, ainsi,
les ressources disponibles et les crédits pour les investissements productifs. I.4. Les critiques de la théorie de la libéralisation financière
Selon l’École libérale, l’effet principal attendu de la libéralisation financière est
l’accroissement des dépôts bancaires, ainsi que l’augmentation du volume des
22 plusieurs des aspects les plus caractéristiques des économies en voie de développement, qui sont :
- l’existence du secteur informel, pour les économistes néo-structuralistes, [Taylor (1983), Van Winjbergen (1983)].
- L’effet de substitution selon les post-Keynésiens Burckett et Dutt (1991).
- L’existence d’asymétrie informationnelle dans les marchés financiers selon,
Stiglitz et Weiss (1981).
Les néo-structuralistes proposent une critique de l’approche de McKinnon et
Shaw d’un point de vue macroéconomique. En effet, selon Taylor (1983) et Van
Winjbergen (1983), l’existence des marchés informels qui est une caractéristique des
économies répressives en voie de développement, joue un rôle important dans la
détermination de l’impact de la libéralisation financière sur la croissance. Comme
dans le secteur formel, il existe dans le marché informel un taux d’intérêt d’équilibre
qui traduit l’ajustement de l’offre de crédit à la demande de monnaie. Selon les néo-structuralistes le marché informel est plus efficace en matière de financement que le secteur formel puisqu’il n’est pas obligé de constituer des réserves obligatoires comme le secteur bancaire. Ainsi, selon les néo-structuralistes les réserves obligatoires que les banques sont tenues de constituer auprès de la Banque centrale les empêchent de jouer efficacement leurs rôles d’intermédiaires financiers. C’est
dans cette mesure que les préteurs du secteur informel constituent une véritable
alternative aux banques dans le secteur formel d’autant qu’ils ne sont pas obligés de
constituer des réserves obligatoires.
Dans ce cadre d’analyse, les néo-structuralistes postulent qu’une libéralisation financière qui se traduit par une augmentation des taux d’intérêt sur les dépôts du
secteur formel ne peut avoir que des effets néfastes sur la croissance économique dans les pays en voie de développement.
Pour illustrer les propos des néo-structuralistes on se réfère au modèle de Van
Wijnbergen (1983) qui suppose que la richesse réelle des agents (W) est constituée de
23 informel (PI). Les trois actifs sont supposés être parfaitement substituables et
dépendent des mêmes variables qui sont, le taux d’inflation (π), le taux d’intérêt du secteur informel (i), le taux d’intérêt appliqué aux dépôts bancaires à termesrDT et le revenu (y). Dans ce modèle, les banques constituent des réserves obligatoires et sont
contraintes par les taux d’intérêt administrés.
Graphique 2: Les effets d'une augmentation du taux réel sur les dépôts à terme, d’après Fry (1978), p92.
Comme l’illustre le graphique ci-dessus, une éventuelle libéralisation
financière se traduisant à travers une augmentation du taux d’intérêt servis sur les
dépôts bancaires n’affectepas IS qui ne dépend que du taux d’intérêt réel du secteur
informel (i) et du revenu (y). Cependant, une augmentation de rDT peut avoir deux
effets contradictoires sur LM qui dépendent des élasticités relatives des demandes de monnaie et des actifs du marché informel par rapport au taux sur les dépôts à terme. Ainsi, les deux effets sont les suivants :
- Si les agents économiques substituent les dépôts à terme aux actifs du secteur
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baisse de l’offre de monnaie) car une partie de ces fonds alimentera les
réserves obligatoires. (LM) se déplace vers le haut entrainant une augmentation du taux d’intérêt sur le marché informel (i’) et une baisse du
revenu (y’).
- Si, au contraire, les agents substituent les dépôts à terme à la détention
d’encaisses réelles. Il se produit une offre supplémentaire de fons prêtables dans l’économie. Ici le secteur productif se trouve moins touché et on assiste
à un déplacement de (LM) vers le bas et une diminution du taux d’intérêt du secteur informel (i’’) et une augmentation du revenu (y’’).
Les néo-structuralistes estiment que c’est le premier effet qui l’emporte. Donc
une augmentation du taux d’intérêt nominal résultera en un transfert d’une partie de l’épargne informelle vers les banques. Cela réduit le volume des prêts informels. Partant de là, le financement total de l’activité diminue tant que de nombreux agents se financent auprès des circuits informels.
Les Post-Keynésiens : selon Burckett & Dutt (1991), conformément aux
concepts keynésiens, considèrent que l’investissement ne dépend pas du montant
des dépôts mais plutôt de la demande effective probable anticipée.
Ainsi, une augmentation du taux d’intérêt induirait certainement une augmentation de l’épargne, mais aussi un relâchement de la consommation puisque l’effet substitution l’emporte sur l’effet revenu. En d’autres termes, si la
rémunération de l’épargne est assez importante, elle incite les ménages à reporter
une partie de leurs consommations au profit d’une augmentation de leurs épargnes.
Donc, selon les post-keynésiens, la libéralisation financière conduit au
ralentissement économique suite à la baisse de l’investissement induit par la baisse
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Stiglitz et Weiss (1981) considèrent que, dans un contexte d’asymétrie
informationnelle, il est difficile que la libéralisation financière opère efficacement à
travers une meilleure allocation des ressources et le drainage de l’épargne vers les
secteurs les plus productifs. En effet, dans le cadre de la relation principal-agent, les
préteurs qui sont les banques sont dans l’incapacité d’observer la qualité de
l’emprunteur et de contrôler son comportement. Dans ce contexte, selon Stiglitz et Weiss (1981), une augmentation du taux d’intérêt en dessus de son niveau optimal a deux effets :
- Les bons emprunteurs jugeant le taux d’intérêt très élevé par rapport aux
risques qu’ils représentent vont se retirer du marché du crédit.
- Les mauvais emprunteurs vont s’endetter mais vu que le taux d’intérêt est
assez élevé ils vont être contraints à investir dans des projets risqués à fort revenu afin de compenser le prix du crédit. Ces projets risqués augmentent leurs probabilités de faillite et diminue, ainsi, les profits attendus par la banque. Cela peut être illustré à travers le graphique suivant :
Graphique3 : Asymétrie d’information et rendement espéré de la banque, Stiglitz et Weiss (1981), p394.
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Ainsi une augmentation du taux d’intérêt selon Stiglitz et Weiss (1981) et leur
fixation en dessus de leurs valeurs optimales peut avoir des effets négatifs sur
l’investissement et la stabilité du système financier.
I.5. La libéralisation financière entre avantages et inconvénients