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Chapitre 2 Le risque inondation à travers le projet urbain

1 Le projet urbain, nouvelle catégorie d’action en termes d’aménagement : une

1.1 Le « projet urbain » : une notion reprise par les acteurs de l’aménagement mais

Le terme de projet urbain divise encore les scientifiques, notamment les chercheurs en science politique. En effet, ce terme marque pour certains une rupture avec les formes traditionnelles de la planification (Pinson, 2009), alors que pour d’autres, le projet ur- bain ne serait qu’un « label » donnant une impression de nouveauté à des pratiques de planification datées (Genestier, 1993). Tsiomis Y. (2006, p.152) apporte une version in- termédiaire en expliquant que le projet urbain « marque, plutôt que la genèse d’une nouvelle pratique, la rupture avec les dispositifs qui la précèdent ». Il nous a semblé in- téressant de reprendre ce terme puisque, lors des entretiens réalisés dans le cadre de notre recherche, nous avons constaté que de nombreux acteurs de l’aménagement par- laient eux-mêmes de « projet urbain ». Par ce terme, ils cherchent à caractériser un pro- jet d’aménagement qui peut comprendre une mixité d’usages : habitat, activités et es- paces publics, ou une multiplicité d’acteurs, mais qui, toujours, va transformer de manière conséquente une partie du territoire de la ville. L’utilisation de cette notion par les acteurs de l’aménagement, aussi bien architectes-urbanistes, qu’élus ou techniciens, en fait une notion productrice de sens. Voici la définition qu’en donne J. Batteaux (2010), maire de Saint-Nazaire : « le projet urbain est une coproduction de l’autorité politique et des équipes d’urbanistes qui impose de plus en plus souvent diverses formes d’impli- cation des citoyens et de la société civile ».

Nous avons pu constater que la recherche, concernant les notions de « projet » ou « pro- jet urbain » et ce qu’elles recouvrent en termes de transformation des modes d’action en urbanisme, est relativement dense. Nous allons ici essayer de construire une définition d’après des caractéristiques globalement partagées dans la littérature. En France, c’est Christian Devillers (1996), qui le premier, a critiqué l’urbanisme tel qu’il était pratiqué dans les années 1970, pour évoquer les changements qui devraient s’opérer dans les modes d’élaboration de faire le projet, et pour prôner le développement d’un « urba- nisme de projet » plutôt qu’une planification statique. Plus généralement, la démarche de projet urbain a principalement été développée par des architectes et des urbanistes qui s’opposaient à la démarche de tabula rasa de l’urbanisme fonctionnaliste, et qui prô- naient de leur côté la valorisation du patrimoine existant (Pinson, 2009).

114 Dans les années 1980-1990, l’insatisfaction par rapport à une approche de l’urbanisme juridique de plan, basé sur des certitudes scientifiques, a laissé place à une approche plus stratégique et proactive prenant en compte le côté incommensurable du futur (Pinson, 2009). Par ailleurs, traditionnellement, le projet était associé au dessin et à la forme ur- baine, désormais il caractérise une « démarche d’action » (Arab, 2001, p.57). Les lois de décentralisation, et le développement de la coopération intercommunale qui en résulte, ont favorisé la mise en place d’une planification stratégique à l’échelle locale (Ingallina, Roncayolo, 2005). Les remises en question de l’urbanisme fonctionnaliste reposent aussi sur l’espace urbain que cela crée : un espace fracturé par la séparation des fonctions, mais aussi un espace fracturé socialement, les grands ensembles en sont un exemple particulièrement illustrant (Pinson, 2009). Les critiques sur les modes de faire de l’ur- bain se concentrent aussi, à l’instar de C. Devillers (1996), sur la déconnexion entre la création urbaine et la manière dont les habitants s’approprient l’espace urbain.

Ces critiques ont eu pour conséquence de participer à l’évolution des pratiques de l’ur- banisme. Ces évolutions se sont traduites par l’utilisation plus fréquente de termes comme « projet de ville » ou « projet d’agglomération » qui sont venus progressivement remplacer celui de « plan » (Pinson, 2009). Le projet se concrétise par des démarches évolutives, dans l’ « organisation d’une itération entre les différentes phases de l’action » (Pinson, 2009, p.14), tout en intégrant les incertitudes liées au temps long du projet. La démarche de projet est le signe des « transformations des pratiques d’anticipation ». « Il s’agit désormais de construire des orientations d’action, des visions d’ensemble qui au- ront fait l’objet d’un consensus au fil de processus interactifs et d’ajustements mutuels entre les acteurs impliqués » (Pinson, 2009, p.16). Ces nouvelles tendances peuvent nous laisser penser que la lecture de l’intégration du risque inondation peut s’extraire de la simple planification réglementaire, en intégrant les acteurs de la gestion du risque dans le processus du projet.

Si nous prenons l’exemple de nos études de cas, lors du dialogue compétitif pour la dé- signation des maîtres d’œuvre urbains aux Ardoines, le jury a beaucoup insisté pour le développement par les candidats d’un projet plastique, c'est-à-dire un projet qui ne soit pas figé, mais modifiable par rapport au plan initial. Lors d’un de nos entretiens, une consultante en économie et finance (01/2013), qui travaille aux côtés de l’Etablissement public d’aménagement Orly Rungis Seine amont (EPA ORSA), a justement reproché à un des architectes, qui répondait au dialogue pour la Zone d’aménagement concerté

115 (ZAC) Seine Gare Ardoines, de ne pas prendre en compte les aspects incertains de l’éla- boration de la ZAC.

Selon elle, par exemple, l’architecte n’a pas pris en compte les incertitudes liées à la construction et à l’organisation de la future gare du réseau de transports en commun du Grand Paris, qui va venir s’implanter sur la ZAC et va en être le point stratégique. Cette gare ne va pas être sous la maîtrise d’ouvrage de l’EPA ORSA, maître d’ouvrage de la ZAC, mais sous celle de la Société du grand Paris (SGP). L’organisation de la gare va donc être l’objet de compromis entre la SGP et l’EPA ORSA, afin de définir, par exemple, le nombre de sorties et leur exposition plutôt à l’ouest ou à l’est. L’architecte en question a, quant à lui, pris le parti de projeter la sortie du côté est des voies ferrées et a construit son projet, et donc, les espaces publics, en fonction de cette exposition. « M. X, il projette

une image finie (…) en fait, il projette un bout de ville et c’est ce bout de ville là, qu’on doit réaliser. En fait, il faut que tout le monde se mette d’accord autour de ce projet-là. C’est un problème parce que, quand il n’y a pas d’argent, il n’y a pas de moyen coercitif, il n’y a pas de pouvoir pour faire imposer les choses, ça va bloquer. […] La Société du Grand Paris (SGP) quand elle décide de faire une sortie que du côté ouest des voies ferrées, elle gêne le projet parce que M. X l’avait dessinée à l’est. ». Si lors des discussions entre l’EPA ORSA

et la SGP, ils arrivent à se mettre d’accord sur une orientation différente de la sortie choisie par l’architecte, son projet se verra contraint par cette décision. Dans un projet de la taille des Ardoines, et au vu du nombre d’acteurs qui y interviennent, la flexibilité des partis pris urbains est un gage de réussite.

Le projet incarne aussi un changement dans l’action publique, le nombre d’acteurs mo- bilisés étant plus important et l’acteur étatique étant remplacé par les acteurs politiques locaux, qui n’ont cependant pas un rôle prédominant au sein du processus. Ces nou- veaux modes d’organisation « semblent privilégier des collectifs d’action décentralisés, territorialisés », à travers une démarche plus intégratrice (Pinson, 2009, p.33). N. Arab (2001) met en avant les logiques de coproduction de la ville, auxquelles va s’ajouter la dimension productive de l’aménagement. En effet, « le projet est abordé comme un ins- trument de coordination et de mobilisation, il consiste à associer des partenaires à l’ac- tion publique urbaine pour faire de la ville un acteur collectif » (Pinson, 2009, p.60). Les modes de faire le projet se traduisent donc par des « procédures qui ouvrent la coopéra- tion et la négociation » (Pinson, 2009, p.59). Alors que l’urbanisme d’État était fortement hiérarchisé et principalement élaboré par des agents administratifs et techniques, l’éla- boration des projets urbains est encadrée par des dispositifs d’action développés par des réseaux d’acteurs publics et privés, experts et profanes (Pinson, 2009). Cette évolution

116 laisse aussi plus de place aux réflexions sur le projet en tant qu’élément d’amélioration du cadre de vie, et laisse donc par voie de conséquence plus de place à la parole de l’ha- bitant. Selon I. Baraud-Serfaty (2012), les transformations dans les modes de faire le pro- jet sont amplifiées par la crise économique, qui va être un des facteurs engendrant l’ac- croissement des partenariats public-privé.

M. Fauconnet (2005, p.160), distingue trois types de projet : le projet urbain opération- nel qui « est d’abord une méthode d’organisation de l’action pour la production de la ville », le projet politique qui définit « le ou les objectifs que se donne un acteur, comme un décideur public ou un industriel », et le projet architectural ou urbanistique qui re- présente la « traduction formelle que le concepteur donne de la commande qui lui est faite ». Le projet urbain opérationnel va cependant traduire un projet politique parce qu’il participe de la volonté d’une commune de développer une partie de son territoire pour répondre aux besoins de ses habitants. Par la suite, du projet urbain vont découler plusieurs projets architecturaux et urbanistiques, selon un cahier des charges défini par le maître d’ouvrage et souvent par l’architecte urbaniste coordinateur. Les architectes voient ainsi le projet comme un outil permettant d’organiser la forme urbaine (Ingallina, 2010), c’est-à-dire plus comme un projet architectural, alors que pour une commune, un projet urbain est avant tout un projet politique. Dans notre récit, c’est la notion de projet urbain opérationnel que nous entendrons par projet urbain.

Même si la démarche de projet s’entend souvent en opposition avec le plan, il est néces- saire de ne pas opposer complètement plan et projet. En effet, « tout projet devrait s’ap- puyer sur une planification stratégique mais aussi nourrir celle-ci » (Masboungi, 2008, p.2). Des outils vont permettre le développement de ces réflexions sur les modes de faire l’urbanisme. Par exemple, même si la ZAC a été créée par la Loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967, elle n’est pas incohérente avec les nouveaux modes de faire le projet, et permet à la fois d’envisager un aménagement sur le long terme, en s’assurant la priorité sur un territoire dont le foncier n’est pas totalement maîtrisé, et permet éga- lement de séquencer l’avancée de l’aménagement en fonction justement de la maîtrise foncière.

D’autres outils plus récents vont également faire leur apparition en lien avec le dévelop- pement de projets urbains. En effet, nous pouvons citer un document opérationnel ap- paru dans les années 90, repris par exemple aux Ardoines : le plan guide. Il se caractérise par une dimension évolutive propre à la définition majoritairement admise du projet urbain. En France, c’est sur l’île de Nantes qu’il a été utilisé pour la première fois par

117 l’équipe Chemetoff-Berthomieu, sélectionnée en tant qu’architecte coordinateur du pro- jet. Ils ont développé un « plan-guide en projet », « document évolutif, réactualisé tous les trois mois, ce qui permet de le tester, de le faire mûrir, et de mettre en débat des propositions d’aménagement » (Pinson, 2009, p.44). Le plan guide a pour principal avan- tage de dresser les objectifs sur l’ensemble de la durée de vie du projet. Il permet de garder un cap, né des discussions des acteurs à l’origine du projet, sur les 10, 20 ou 30 ans d’élaboration du projet, alors que le mandat d’un maire ne dure que 6 ans ou que les acteurs du projet peuvent changer.

Alors que les précédents dispositifs prônaient l’extension à travers des normes juri- diques, les nouveaux, parmi lesquels les Schémas de cohérence territoriale (SCOT) ou les Plans locaux d’urbanisme (PLU)24, ont pour objectif de développer la densification

des espaces déjà urbanisés à travers des normes juridiques, mais aussi à travers des sys- tèmes de représentation spatiale et de vision paysagère (Pinson, 2009). En effet, aupara- vant, un projet d’aménagement répondait à une logique de politique publique secto- rielle, qui séparait à la fois les espaces en fonction du type d’usage auquel ils étaient dédiés (Fauconnet, 2005), mais qui divisait, aussi, strictement les différentes phases de l’action (Pinson, 2009).

Avec les lois de décentralisation et l’Europe, la compétition entre les villes s’est accen- tuée, tout comme la logique des marchés dans la création des projets urbains (Pinson, 2009). Une des logiques qui va primer dans le projet urbain, c’est la logique financière, à savoir, faire en sorte que le projet soit un produit rentable (Genestier, 1993, Ingallina, 2010). En effet, les villes cherchent à être les plus compétitives pour attirer les investis- seurs, cette compétition passent bien souvent par la recherche d’une plus grande qualité urbaine. Le projet participe à l’image que la ville va renvoyer : plus le projet est grand, plus il permet de mobiliser les diverses institutions et d’apporter de la cohérence à la ville (Bourdin, 2001). Le projet est le symbole d’une forme de soumission de l’urbanisme au marché, il deviendrait ainsi « un ensemble de mesures d’accompagnement des dyna- miques locales de valorisation » (Genestier, 1993, p.42). Cependant, dans cette équation, la mise en valeur de l’intégration du risque inondation dans un projet urbain semble souvent peu attractive pour les villes et non forcément valorisable en termes d’image.

24 Les outils du type Schéma de cohérence territoriale (SCOT) et Plan local d’urbanisme (PLU) ont été mis

en place par la Loi Solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000 et sont venus remplacer les Schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) et les Plan d’occupation des sols (POS) issus de la Loi d’orientation foncière de 1967.

118 En résumé, pour le développement de la thèse, nous avons choisi de formuler une défi- nition à travers les caractéristiques autour desquelles se retrouvaient la plupart des au- teurs et des acteurs que nous avons rencontrés au cours de notre recherche. Nous re- tiendrons donc comme définition du projet urbain : un espace du territoire dans lequel une pluralité d’acteurs publics ou privés s’entendent en termes d’objectifs et de formes urbaines et prennent en compte les incertitudes liées aux temps longs du projet, en dé- veloppant dans ce but des outils flexibles. Par ailleurs, de notre point de vue, le fait que la notion soit reprise par les acteurs de l’aménagement fait du projet urbain plus qu’une notion mais bien une catégorie d’action. L’Etat lui-même, à travers la présence d’archi- tectes comme A. Masboungi (2012) dans ses services, a une vision opérationnelle, mais non encore arrêtée, sur cette catégorie d’action émergente, ce qui donne lieu à des dé- bats entre différentes catégories d’acteurs de l’aménagement.

Comme nous avons commencé à l’énoncer dans l’étude de nos projets, nous allons con- sidérer que d’après leurs caractéristiques, nos deux cas d’étude sont des projets urbains, mais à des degrés divers. En effet, les Ardoines est un projet urbain complexe, alors que Parc-en-Seine est un projet urbain plus classique. Pour formuler cette constatation nous nous appuyons sur :

- l’échelle de réflexion : les Ardoines sont pensées à l’échelle de 300 hectares alors que l’opération de Parc-en-Seine ne concerne qu’une zone de 11.7 hectares. - la mixité des activités : les Ardoines vont intégrer à la fois du logement, de l’acti-

vité industrielle et tertiaire (bureaux, commerces,…), alors que l’opération de Parc en Seine ne comprendra que du logement.

- le nombre d’acteurs investis dans le projet : dans le cadre de l’opération des Ar- doines, l'EPA s’est entouré de plusieurs Assistants à maîtrise d’ouvrage (AMO), d’experts, de bureaux d’étude, etc. Pour l’opération de Parc-en-Seine, l’aména- geur privé s’est occupé de l’élaboration du projet du début à la fin ne faisant in- tervenir que quelques bureaux d’étude pour réaliser les études répondant aux obligations légales.

- le nombre de documents produits, nourris par des études nombreuses, dans le

cadre des Ardoines. Parc-en-Seine, en dehors des documents réglementaires, n’a pas été l’occasion d’études supplémentaires.

- la procédure choisie, alors que l’EPA s’est tourné vers une procédure de ZAC, l’aménageur de Parc-en-Seine a développé, lui, un permis groupé et un Plan d’aménagement d’ensemble (PAE) en collaboration avec la commune.

119 Nous devons préciser que, derrière la catégorie d’action de projet ou projet urbain, c’est avant tout les modes de faire le projet que nous chercherons à analyser, ces nouveaux modes de faire l’urbain que nous avons choisi de regrouper derrière le vocable de projet ou projet urbain. Il s’agit plus, comme nous l’avons vu, d’une réalité observée, que d’une notion dont la définition est stabilisée et codifiée. La définition du projet urbain que nous retiendrons étant clarifiée, nous allons maintenant chercher à savoir en quoi le projet urbain peut être porteur de sens en termes d’intégration du risque inondation.