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Chapitre 2 Le risque inondation à travers le projet urbain

1 Le projet urbain, nouvelle catégorie d’action en termes d’aménagement : une

2.1 L’organisation du management du projet

Au départ du projet, il va falloir désigner un organisme ou une collectivité qui assurera la maîtrise d’ouvrage du projet. Il s’agit d’une catégorie juridique qui définit le rôle de la personne morale, pour laquelle le projet va être construit et qui va en être le responsable principal. Elle va remplir une fonction d'intérêt général, dont elle ne peut se démettre25.

Ainsi, le maître d’ouvrage va devoir assurer l’élaboration d’une politique urbaine, le por- tage politique et technique, et la réalisation des projets. Le maître d’ouvrage peut être privé ou public, ou encore semi-public dans le cadre d’une Société d’Economie Mixte, par exemple. Si on s’appuie à nouveau sur les sciences de gestion, elle peut être qualifiée d’« acteur projet » (Midler, 1996 ; Arab, 2001). En effet, c’est elle qui va « incarne[r] l'identité, la ‘personnalité’ du projet, [elle] est tendu[e] par la recherche de l'optimum global du projet (qui n'est pas la somme des optimum singuliers), [elle] est le garant des finalités du projet et de sa cohérence. » (Arab, 2001, p.69).

Un Etablissement public d’aménagement (EPA), comme l’EPA ORSA, peut avoir plu- sieurs casquettes. En effet, il a un rôle stratégique sur l’ensemble de son territoire d’ac- tion afin de définir les grandes lignes directrices de l’aménagement sur ce grand terri- toire. Mais, sur les zones définies comme des Opérations d’intérêt national (OIN), l’EPA va avoir un rôle d’aménageur, sur l’ensemble de l’opération, et il sera également le maître d’ouvrage des périmètres opérationnels définis, comme les ZAC. Toutefois, d’autres maîtres d’ouvrage vont apparaître au moment de la conception des bâtiments.

Deux solutions peuvent se présenter : soit la maîtrise d’ouvrage initiale, souvent la per- sonne morale à l’origine de l’idée du projet, assure l’élaboration du projet par elle-même ; soit si elle n’a pas les compétences ni les moyens pour assurer cette tâche, elle délègue alors ses missions de maîtrise d’ouvrage à un autre organisme. C’est le cas, par exemple, de la municipalité d’Ivry-sur-Seine, qui au départ avait commencé à réfléchir sur une partie du territoire de sa commune nommée au départ Avenir-Gambetta, mais qui a choisi finalement de déléguer ses missions d’aménageur à la Société d’aménagement et développement des villes et du Département du Val-de-Marne (Sadev 94). Par la suite, le projet a été appelé Ivry-Confluence. La commune conserve, toutefois, une part de la responsabilité juridique du projet. Par ailleurs, le maître d’ouvrage initial peut choisir un maître d’ouvrage délégué, tout en se gardant certaines prérogatives afin de garder le

25 Définition extraite de la Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à

126 contrôle sur le projet d’aménagement. Par exemple, sur L’Ile-Saint-Denis, même si Plaine-Commune, qui assure la maitrise d’ouvrage, a choisi la Société d’économie mixte (SEM) Plaine Commune Développement en tant qu’aménageur, elle a souhaité garder la maîtrise des choix urbains et environnementaux, afin de conserver la mission d’ensem- blier. Ainsi, ils s’assurent également du maintien des objectifs qu’ils s’étaient fixés avant la sélection de l’aménageur.

Ci-dessous, nous avons choisi de présenter l’organisation de la maîtrise d’ouvrage des projets étudiés dans le cadre de notre analyse. Nous ne traiterons pas dans notre re- cherche de l’ensemble des maîtrises d’ouvrage possibles mais simplement de celles que nous avons rencontrées. La maîtrise d’ouvrage est le seul élément statique dans le projet, alors que les maitrises d’œuvre varient en fonction de l’avancée du projet, c’est pourquoi, il nous est apparu intéressant de les présenter plus en détails. L’objectif est ainsi de pou- voir analyser dans notre recherche l’impact de la nature de la maîtrise d’ouvrage sur la gestion du risque inondation.

Pour l’ensemble de nos projets d’étude, la maîtrise d’ouvrage est relativement simple, à l’exception des Ardoines. Il s’agit le plus souvent de Société d’économie mixte (SEM) ou de Société publique locale (SPL) ou assimilée, dans le cadre des projets allemands. Ces entreprises publiques locales se définissent par leur nature d'entreprise commerciale, leur capital peut être majoritairement public dans le cadre des SEM ou exclusivement public dans le cadre des SPLA ou des aménageurs allemands, tel Hafencity Gmbh. Ces organismes sont contrôlés par les collectivités locales, et ont vocation à satisfaire l'intérêt général et à privilégier les ressources locales26. La création de ces établissements peut

précéder le projet d’aménagement comme à Ivry-Confluence où Sadev 94 est une entre- prise locale rattachée au Département du Val-de-Marne depuis 1986. Au contraire, con- cernant les projets d’aménagement que nous avons étudiés en Allemagne, c'est le projet qui a donné naissance à des entreprises publiques locales. Si on prend l’exemple d’Ha- fencity, à partir de 1997 est créée une société pour le développement du site, cette société devenant à partir de 2004 Hafencity Hamburg Gmbh, détenue à 100% par la ville d’Ham- bourg.

Dans le tableau ci-dessous, nous avons choisi de présenter les maîtrises d’ouvrage des projets que nous allons aborder dans ce chapitre 2. L’objectif est ici d’avoir un premier aperçu de la variété des maîtrises d’ouvrage rencontrées.

127 Cette variété de maîtrise d’ouvrage nous a permis d’analyser l’impact de la nature pu- blique ou privée dans les modes d’intégration du risque inondation. D’ores et déjà, nous pouvons affirmer que ce n’est pas un des critères de différenciation. En effet, Nexity et Sadev 94 ont une approche du risque plus comparable, au travers du PPRI, que Sadev 94 et l’EPA ORSA.

2.1.1 L’EPA ORSA un acteur particulier : en quête de reconnaissance politique sur le territoire

La particularité de la maitrise d’ouvrage des Ardoines nécessite qu’on s’y arrête plus lon- guement. A la suite de la création de l’OIN, l’Etat décide de constituer un Établissement public d’aménagement (EPA), par Décret ministériel en mai 2007, qui aura pour voca- tion d’« animer un vaste territoire autour d’un projet global d’urbanisme et de dévelop- pement, et [de] mettre en place un nouvel aménageur capable d’adosser pour partie la prise de risque de l’aménagement sur l’État, en coopération avec les opérateurs existants sur le territoire » (protocole de l’OIN, 2007). Cette création provient principalement de la constatation du potentiel d’un tel territoire, de la nécessité de créer du logement et de limiter l’étalement urbain. Le territoire étant tellement contraint, il nécessite d’im- portants moyens que seul l’État peut mettre en place. Dans le rapport d’étape du préfet Tableau 2 La maîtrise d'ouvrage des projets étudiés

Ardoines Parc-en- Seine Hafencity Ivry Con- fluence L'Ile Se- guin Ecoquar- tier flu- vial de L’Ile- Saint-De- nis Wilhelms burg Ecoquar- tier flu- vial Mantes Rosny Maîtrise

d'ouvrage EPA ORSA Nexity Hambourg

Ivry-sur- Seine - Boulogne Billan- court - Re- nault/DBS Plaine

Commune Hambourg EPAMSA

Maitrise d'ouvrage déléguée Nexity Hafencity GmbH (Société d’Econo- mie Mixte) Sadev 94 SAEM Val de Seine Aménage- ment SEM Plaine Commune Dévelop- pement Internatio- nale Bau- ausstel- lung (IBA) Orga- nisme privé ou public Etablisse- ment pu- blic à capi- taux publics Entreprise privée à capitaux privés Entreprise publique à capitaux publics Entreprise publique à capitaux pu- blics/pri- vés Entreprise publique à capitaux pu- blics/pri- vés Entreprise publique à capitaux pu- blics/pri- vés Entreprise publique à capitaux publics Etablisse- ment pu- blic à capitaux publics

128 de la région Île-de-France au Premier ministre en janvier 2006, le préfet Landrieu sti- pule : « d’accord pour un outil de gouvernance souple et partenarial mais il faut qu’il soit fort. […] Pour Seine Amont un EPA est souhaité ».

Même si l’EPA est une structure étatique, il est composé des quatre niveaux de gouver- nance de l’action publique : les communes, le Département, la région et l’État. Ces quatre niveaux sont également répartis au sein de son Conseil d’administration. L’origi- nalité de l’EPA ORSA réside dans le fait que les 12 maires des communes du périmètre siègent au Conseil d’administration. Contrairement à l’EPA Paris-Saclay, par exemple, où les maires des communes sont représentés par deux membres au sein du Conseil d’administration. En définitve, même si l’EPA ORSA est une décision d’État, les collecti- vités territoriales pèsent de tout leur poids dans les décisions.

D’après l’article 121-1 du code de l’urbanisme à travers l’OIN, l’EPA pourrait surmonter l’incompatibilité de certaines règles d’urbanisme édictées par des règlements d’urba- nisme comme le PLU, par exemple, à travers des servitudes d’utilité publique comme une Déclaration d’utilité publique (DUP), et ainsi se substituer aux pouvoirs d’urba- nisme du maire. Avec l’approbation d’une DUP, la commune aurait l’obligation de mettre son PLU en compatibilité avec ce document. L’EPA n’est aussi pas réglementai- rement contraint de collaborer avec la commune. Dans les faits, il est très difficile poli- tiquement de s’affranchir totalement de l’intervention de la commune dans l’élaboration d’un projet urbain sur son territoire. D’après le directeur du développement urbain de Vitry-sur-Seine (02/2013), « l’État n’a pas les moyens de se payer une crise avec les élus

locaux ». Sur la zone des Ardoines, l’EPA travaille avec la commune en mettant en place

des échanges permanents, elle est intégrée au processus du projet et participe pleine- ment aux arbitrages inhérents à la construction du projet urbain. De par sa constitution, comprenant les quatre niveaux de la puissance publique, l’EPA se voit surtout comme un « accoucheur de consensus » (consultante travaillant pour l’EPA ORSA, 01/2013). Cependant, l'EPA doit toujours composer entre les collectivités locales et les instances étatiques, les consensus sont difficiles à trouver et jamais fixés définitivement. « Moi ce

qui me frappe ici, c’est que je sens qu’en réalité, on n’a pas un alignement des acteurs pour le moment et que cet alignement-là, il a été sans doute là au moment de la création de l’EPA, au moment du plan stratégique directeur et notamment du choix de l’OIN. Je pense que cet alignement est fragile, il est construit en permanence. Tout l’enjeu c’est de per- mettre que chacun des acteurs aille dans le même sens, ce n’est pas si évident que ça »

129 D'autres collectivités voient l'EPA surtout comme un « organisme d’État » (consultante travaillant pour l’EPA ORSA, 01/2013). En effet, son rôle au sein du territoire est différent d’une commune à l’autre, certaines communes comme Vitry-sur-Seine l’ont perçu comme un partenaire idéal pour développer des projets urbains complexes, alors que d’autres comme Villeneuve-le-Roi estiment que l’intervention de l’EPA peut s’avérer complexe et avoir pour effet de ralentir les projets par la lourdeur des procédures. Pour cette deuxième catégorie de communes, l’EPA représente avant tout un risque de perdre les prérogatives liées à l’urbanisme et au droit des sols sur leur commune. Ivry-sur-Seine a aussi fait le choix de ne pas faire appel à l’EPA pour développer son projet d’Ivry-Con- fluence, la commune ayant pour ce faire raccourci les délais de réponse à l’appel d’offre lors de la consultation pour le choix de l'aménageur (entretien avec un membre de la Direction du développement urbain de la ville d'Ivry-sur-Seine, 09/2012). En effet, même si, comme nous l’a expliqué la responsable du service aménagement à l’Unité territoriale de l’équipement et de l’aménagement du Val-de-Marne (11/2013), l’EPA est « le bras armé de l’Etat mais un aménageur avant tout », nombreux sont ceux qui ne perçoivent que le bras armé de l’Etat. Ainsi, l’OIN peut être à la fois perçue comme l’incarnation de nou- veaux processus dans l’aménagement, mais aussi comme une intervention étatique dans les prérogatives des maires.

L'EPA a non seulement du mal à trouver un consensus fort avec les membres constitutifs de son organisation, mais il trouve aussi des difficultés à faire accepter sa place et la rendre légitime parmi la hiérarchie des collectivités locales. Ceci peut donc avoir un im- pact sur la solidité des décisions prises. Toutefois, nous verrons qu’en matière d’intégra- tion du risque, la capacité de cet aménageur à passer du temps à la production d’études, tout en le discutant avec l’ensemble des collectivités parties prenantes, va avoir pour résultat de réfléchir le risque au regard de l’amélioration de la résilience et de la réduc- tion de la vulnérabilité, ainsi qu’au regard de la règle.

2.1.2 Les missions du pilote du projet

Si on reprend l’analyse de Clark et al. (2010), en ce qui concerne le rôle de la Hafencity GmbH, aménageur du projet éponyme, nous présentons les principaux éléments carac- téristiques des métiers de la maîtrise d’ouvrage. Cette analyse peut être étendue aux missions des aménageurs dans le cadre des projets que nous avons étudiés. Toutefois, l’aménageur de Parc-en-Seine a quant à lui un statut de « macro-aménageur » (Baraud- Serfaty, 2014), c’est-à-dire que son champ de compétence et ses missions comprennent

130 la totalité de l’élaboration du projet, de la phase de réflexion jusqu’à la livraison du pro- jet. Le rôle de l’aménageur va être de :

- Commercialiser et vendre les terrains appartenant à la commune (ou à un acteur public),

- Attirer les acheteurs et investisseurs, en leur fournissant toute l’assistance néces- saire,

- Développer l'emplacement pour un usage résidentiel, le secteur des services et équipements de loisirs,

- Coordonner les projets d’aménagement et de construction, - Planifier et mettre en œuvre le développement du territoire, - Coopérer avec les autorités locales concernées,

- Assurer les opérations de marketing, les relations publiques et l’implication des citoyens.

2.1.3 Comment la maitrise d’ouvrage s’organise en mode projet

Au sein de la maitrise d'ouvrage, seules quelques personnes vont être en charge du pro- jet ; le nombre de personnes en charge spécifiquement de ce projet va dépendre de sa taille et de l’intérêt du projet pour son territoire. La maîtrise d’ouvrage va également organiser des comités de pilotage, où siègent les élus, et des comités techniques, com- posés de techniciens de diverses collectivités et syndicats locaux. Ces comités peuvent être à géométrie variable en fonction des thématiques abordées. Ils vont avoir à valider l'avancée du projet, les travaux d'experts, les partis pris des architectes-urbanistes en charge du schéma directeur ou de la maîtrise d'œuvre à l'échelle d'une ZAC par exemple. Par ailleurs, un projet comme celui de Villeneuve-le-Roi n’aura finalement que très peu recours à ce type de comité, compte tenu de la taille du projet mais aussi de la forme de management relativement simple, l'aménageur/promoteur discutant en direct avec la commune sur les partis pris envisagés. Aux Ardoines, à ces comités techniques et de pilotage viennent s'ajouter d'autres formes de groupes dénommés groupes d'experts, ou groupes de travail, ou encore ateliers urbains. Ces groupes vont travailler sur des théma- tiques précises en fonction de l'avancée du projet. En ce qui concerne le risque inonda- tion, un groupe d'experts a été réuni dans un premier temps pour que l'EPA puisse dis- poser d’éléments de discours quant à ce risque. Pour autant, il n'a par la suite plus fait l'objet d'un groupe spécifique, mais a cependant parfois été l'objet d'ateliers urbains ou de comités techniques. Nous reviendrons sur ces comités au cours de notre analyse, mais il nous semblait important de les mentionner ici.

131 Nous avons choisi de nous concentrer particulièrement sur la maîtrise d’ouvrage, qui à travers son pouvoir décisionnaire, va piloter le projet, ce qui ne va pas nous empêcher dans la suite de notre recherche de nous arrêter sur un maître d’œuvre ou un AMO si celui-ci joue un rôle sur le mode d’intégration du risque d’inondation.

La nature de la maîtrise d'ouvrage va non seulement conditionner les prises de décision mais va aussi avoir un impact sur la force de celles-ci. Alors qu'un aménageur comme Sadev 94 ou Nexity n'a comme partenaire décisionnel que la commune du projet, avec laquelle elle travaille en collaboration, nous remarquons que pour l'EPA la prise de dé- cision apparaît plus complexe. Chaque décision pourra être rediscutée, même une fois actée, ce qui pourra remettre en cause les modes d'intégration du risque dans le projet, comme nous le verrons plus loin.

2.2 L’intégration du risque inondation dans le processus du projet urbain : des dé-