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Chapitre 2 Le risque inondation à travers le projet urbain

1 Le projet urbain, nouvelle catégorie d’action en termes d’aménagement : une

3.2 Les démarches de projet poussées au bout en matière d’urbanisme et de risque

Selon M. Silly lors de la conférence sur « la gouvernance des projets et la gouvernance territoriale : concordance ou divergence »31, certains aménageurs remettent en cause

l’«urbanisme réglementaire, par opposition à un urbanisme négocié entre les acteurs, da- vantage programmatique que normatif. ».

3.2.1 De nouvelles démarches en termes d’urbanisme

C’est dans ce contexte de remise en cause des modes de faire l’urbanisme, déjà présenté en début de chapitre, que le secrétaire d’État en charge du logement et de l’urbanisme auprès du ministre de l’Ecologie de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer, Benoist Apparu, a en 2009 lancé une réforme sur l’urbanisme qui devait se pencher sur l’urbanisme de projet. E. Crépon, de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des pay- sages (DHUP) au sein du ministère, résume l’objectif de la réforme ainsi : « aborder le territoire par le projet et non par la règle » (2011, p.24). Selon lui, l’urbanisme de projet est « le seul moyen de résoudre la contradiction trop fréquente, et qui dépasse la pro- blématique du risque, entre la réalité d’espaces fortement contraints et l’impératif d’un développement ou d’un renouvellement, qui correspondent à des objectifs publics forts : redynamiser un territoire en déshérence, répondre à la demande en logements de nos concitoyens peuvent faire partie de ces enjeux » (Crépon, p.25, 2011). En résumé, cela consistait en l’accélération des procédures en matière d’urbanisme tout en facilitant la construction et en s’extrayant de la réglementation.

Le maire de Neuilly-sur-Marne a souhaité participer à cet urbanisme de projet sur un territoire de sa commune anciennement occupé par l’hôpital psychiatrique de Ville

31 La gouvernance de projets et la gouvernance territoriale : concordance ou divergence. Conférence co-

organisée par L’Institut CDC pour la Recherche et la Direction Régionale Ile-de-France de la Caisse des Dépôts avec le Club Ville Hybride Grand Paris, le 25 septembre 2013.

148 Evrard et situé en zone rouge, donc inconstructible, du PPRI. En développant un projet pour densifier ce secteur, la commune, accompagnée par l’EPA MARNE, souhaitait pou- voir bénéficier d’une gare du Grand Paris Express.

L’EPA a donc choisi d’intégrer cet espace comme lieu de réflexions pour le concours EUROPAN. Ce concours est destiné à de jeunes architectes européens qui réfléchissent chaque année à l’aménagement de territoires sélectionnés en Europe en fonction d’un thème défini. L’EPA et la commune de Neuilly-sur-Marne avaient choisis de faire tra- vailler les architectes sur le thème de la cité lacustre.

A la suite du concours, les conclusions des jeunes architectes ont été de maintenir le caractère naturel de cette zone, le risque inondation étant trop important par les vitesses et les hauteurs qui le caractérisent. Dans le même temps, des études hydrologiques ont été lancées afin d’étudier les restructurations nécessaires à la création d’une cité lacustre envisagée par la commune et l’EPA. Le but était également de définir le coût engendré pour rendre possible une telle opération. Toutefois, le préfet n’a pas donné son accord pour rendre cet espace constructible, le projet n’a donc pour l’instant pas abouti.

Figure 33 Les périmètres d'étude pour l'aménagement de la commune de Neuilly-sur-Marne Source : PPRI de la Seine Saint Denis, commune de Neuilly-sur-Marne, projet Europan 2011.

La commune a choisi de réduire son champ de réflexion et développe désormais une ZAC plus au nord-est de son territoire, comme le présente la Figure 33. La réforme de l’urbanisme de projet n’a par ailleurs pas été jusqu’au bout puisque tout projet urbain se doit de respecter la réglementation en cours. Cependant, des démarches de projet pou- vant être assimilées aux démarches d’urbanisme de projet ont été lancées par l’Etat.

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3.2.2 Les ateliers de territoire : comment réfléchir à un projet et au risque sans penser à la règle

Alors que la réforme d’urbanisme de projet a été lancée par la Direction générale de l’aménagement du logement et de la nature (DGALN)32, qui faisait partie à l’époque du

ministère de l’écologie et du développement durable, la Direction générale de la préven- tion des risques (DGPR) au sein du même ministère s’est, en partie, opposée à l’urba- nisme de projet. Selon elle, développer un urbanisme de projet ne doit pas vouloir dire ne pas tenir compte des contraintes. « Nous sur l’urbanisme de projet sur le principe : ok,

très bien ! Mais à condition que le projet intègre complètement la contrainte. Dans ce cas- là, si le projet intègre la contrainte, on a plus besoin de faire la règle. Nous ça nous sauve, parce que la règle n’est pas suffisamment adaptée à la situation des lieux. Sauf que l’urba- nisme de projet, ça a été de dire ‘pour sortir des contraintes’ et nous là non c’est pas de sortir des contraintes, c’est d’assouplir la règle, mais à condition d’avoir intégré la con- trainte » (adjoint à la directrice de la DGPR, 11/2012).

La DGPR a toutefois souhaité participer aux différentes démarches de projet lancées par la DGALN. En effet, l’Etat avait en 2006 initié un atelier national piloté par la DGALN au sein de l’actuel ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement. Cette démarche avait été conduite sur des territoires « en tension », « en constitution ou en mutation » ou « en déprise » selon des thématiques précises comme le développement économique, les territoires de montagne ou de littoral (Ministère de l’Egalité des territoires et du lo- gement et Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, 2013). Ces démarches avaient pour objectif d’explorer de nouveaux modes de faire le projet en ré- unissant les acteurs locaux, une équipe d’architectes urbanistes et des services de l’Etat. En 2011, lors de l’Atelier National autour de la thématique économique, la DGPR a été associée pour la première fois à la démarche. A cette occasion, l’Atelier s’est penché sur le devenir d’une zone d’activité à Cahors. Cette zone est située stratégiquement le long d’une nationale qui traverse le Lot, en direction de Toulouse, et occupée principalement par des concessionnaires de voitures. Cependant, elle est située dans le lit mineur du Bartassec, ruisseau en eau uniquement lors de fortes pluies. Avec le développement de la zone d’activité, le cours d’eau a vu son lit se réduire ainsi que son point d’évacuation, assimilé plus à un égout qu’à un cours d’eau, selon le responsable du service prospective à la DGPR (12 /2013). Un PPRI a classé le Bartassec en zone rouge donc inconstructible, ce qui a eu pour effet de bloquer le développement de la zone d’activité et conduit les

32 La Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), précédemment citée, est un sous

150 entreprises présentes sur le site à grignoter le pied de colline. Des inondations en 2010 ont causé de nombreux dégâts, avec notamment 400 voitures emportées. Malgré le PPRI et les inondations, le secteur demeure très attractif.

L’atelier national autour de cette zone a réuni les acteurs locaux et une équipe d’archi- tectes et d’hydrologues conduite par l’architecte-urbaniste David Mangin. Il s’agit d’une démarche où la contrainte a été réfléchie dans le projet, en étant intégrée sans regarder ce que permettait ou non la réglementation. Les travaux ont conduit au développement de trois scénarios hydrauliques et urbanistiques. Dès le début de l’atelier, les services de la DGPR mentionnent que le PPRI ne pourra pas être levé mais ils émettent la possibilité d’un passage de zone rouge à zone bleue avec prescription. L’option de retenues d’eau en amont a été abandonnée, car les volumes à prendre en compte étaient trop impor- tants, et cela risquait de masquer le risque. Cette option n’était également pas incitative en ce qui concerne la prise de mesures de prévention par les propriétaires, par ailleurs les coûts d’entretien engendrés étaient jugés trop importants. Les discussions et les scé- narios développés ont débouché sur un scénario dans lequel les surfaces bâties sont re- configurées afin de laisser plus de place à l’eau, tout en permettant aux exploitants de développer leur activité. De façon plus précise, il a été envisagé d’agrandir un supermar- ché tout en l’adaptant au risque, de démolir d’autres bâtiments et à chaque fois d’adapter le bâti à la zone inondable, de mutualiser les stocks de voitures. Les résultats de l’atelier ont aussi démontré la nécessité de développer un dispositif d’alerte (Ministère de l’Eco- logie, du Développement durable, des Transports et du Logement, 2012).

Afin que ces résultats se concrétisent, il faudrait que les propriétaires s’organisent en une Association foncière urbaine (AFU) pour rendre possible la réorganisation des bâti- ments. En effet, cette réorganisation impose le déplacement de bâtiments appartenant à un propriétaire X sur une parcelle appartenant à un propriétaire Y. Cette démarche n’a pour l’instant pas était poussée jusqu’au bout.

Le ministère a prolongé cette démarche d’Atelier National en 2013-2014 en lançant un appel à candidatures sur des territoires en mutation exposés aux risques. Malgré l’intérêt apparent de ces démarches, un membre du service des risques naturels et hydrauliques, mission prospective à la DGPR (2013), met en avant leurs limites : « Le problème de l’Ate-

lier National c’est que c’est une réponse d’archi, on va faire comme à Cahors ‘vous voyez ça marche et bien démerdez vous maintenant’… On va dire vous voyez ce n’est pas le PPR qui empêche, à la rigueur on va arriver au mieux à trouver des réponses urbaines ou archi- tecturales. Est ce qu’on va être capable de les mettre en place et est ce qu’on est capable

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après de vivre dans ces zones-là ? ça l’atelier ne le fait pas parce qu’on ne le fait pas avec la population. ». Ces démarches restent, malgré tout, les démarches les plus poussées en

termes de rediscussion de la règle sur des projets existants. L'absence de la population lors de ces démarches est, comme l'a mentionné l'interviewé, une lacune cependant ré- currente lorsqu'il s'agit des questions d'intégration du risque.

L’Etat adapte ses actions en fonction de ses moyens actuels, il ne peut intervenir sur l’aménagement opérationnel des territoires, mais il peut lancer des démarches expéri- mentales. De l’expérimentation d’un urbanisme de projet qui se passait des contraintes, les démarches de projet tiennent désormais compte de celles-ci et les intègrent aux dis- cussions entre les acteurs de l’aménagement.

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Conclusion

Dans le monde de l’urbanisme s’opèrent des mutations dans les modes de faire l’urbain. Ces mutations conduisent aujourd’hui les acteurs à parler de projets urbains, même s’il s’agit d’une notion extensible (Tsiomis, 2006) dont la définition laisse encore place à des débats. Notre hypothèse première, qui consistait à penser que le cadre d’action du projet urbain pouvait être une opportunité pour le risque par la multitude d’acteurs impliqués, les temps longs considérés, l’expertise produite etc., n’a pas totalement été vérifiée. L’in- tégration du risque inondation se limite souvent à la lecture de la règle PPRI.

Pourtant, l’intégration du risque ne va pas être linéaire dans le projet. Le processus du projet est long, toute prise de décision va être d’autant plus complexe que le nombre d’acteurs impliqués est important. Ainsi, aucune décision concernant l’intégration du risque inondation ne sera irréversible, au contraire, les partis pris vont être modulables au grès des acteurs de la coalition de projet. Nous avons cependant pu apercevoir que lors de l’élaboration de certains projets urbains comme les Ardoines en France ou Ha- fencity en Allemagne, les acteurs de la gestion du risque interviennent pour réfléchir à l’intégration du risque inondation dans le projet.

Malgré la variété de démarches et de procédures mises en place comme les éco-quartiers et les IBA, lieux de recherche d’innovation en termes de développement durable, la ges- tion globale du risque global se limite à la réduction de l’exposition au risque des futurs occupants par des actions de protection ou par la construction de bassins de rétention, sous forme d’espaces verts. Au sein de l’IBA, le risque a, certes, fait l’objet de construc- tions innovantes, il n’en reste pas moins que tout au long de l’exposition d’architecture il s’est retrouvé caché par les digues.

Quelle que soit la démarche de projet, où la règle est revisitée, il s'agit toujours de dé- marche où l’État est impliqué. Finalement, l'hypothèse d'ouverture du champ des pos- sibles à travers ces démarches est remise en question par les modes d'intégration du risque, en partie encadrés par l’État, et également par la règle. Cependant, si l'EPA ORSA est en recherche d'une certaine exemplarité en termes de risque, c'est bien parce qu’il a souhaité ouvrir le projet à des acteurs de la gestion du risque, mais aussi parce que l’État, présent à l'origine et dans le management du projet, lui en a fait la commande.

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