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Projet scientifique de l’Axe TERNOV La recomposition de la transition écologique

Le projet rédigé en 2014 partait de l’hypothèse selon laquelle une inflexion, formulée en termes de «  transition écologique », se dessinait dans les politiques environnementales, qu’on les situe du côté des « décideurs » ou de l’espace civique. Cette inflexion était définie comme le passage d’un aménagement écologique durable, du modèle de développement hérité du XIXe siècle, à une refondation de la thématique environnementale dans les sociétés contemporaines. Ainsi, l’expression de transition, telle qu’elle est utilisée dans notre axe, n’implique pas que soit identifié un état final, mais plutôt une propension à la réorganisation des activités socio économiques sur la base - et non plus seulement compte tenu - de leur écologisation progressive.

Si des tendances, significatives à l’écologisation structurante des activités ont été mises en évidence dans nos précédents travaux, elles ont cependant elles-mêmes engendré des tensions, et l’hypothèse d’une transformation écologique généralisée des activités n’a pas été vérifiée. Ces tensions, qui traversent la transition écologique, sont d’autant plus fortes qu’elles ne concernent plus uniquement l’aménagement (plus ou moins ample) des activités, mais bien le ressort de leur restructuration.

De manière très ordinaire, on peut relever différents faits laissant entrevoir une mise en cause explicite de la question de l’environnement, tels que : l’élection de chefs d’État ouvertement « climato-sceptiques » et anti-écologie dans des pays industrialisés majeurs (États-Unis, Brésil) ; la difficulté à bloquer le recours à des produits chimiques problématiques, tels que le glyphosate, en France ou dans l’Union européenne ; les contraintes opposées à la mise en œuvre des projets de sobriété énergétique dans les secteurs du bâtiment et des transports, mais aussi dans les comportements ; le report des décisions françaises sur l’énergie nucléaire et l’inversion du mix énergétique...

La dislocation de la transition énergétique, telle que formalisée dans le bilan de notre axe, marque la fin du cycle ayant débuté dans les années 1980, avec l’adoption d’une politique mondialisée de développement durable, prêtant à penser que s’installait une évolution écologiste plus ou moins irréversible.

Notre projet de recherche repose sur l’hypothèse qu’un nouveau cycle d’écologisation s’instaure, ou est susceptible de s’instaurer, et déplace les centres de décision et de gestion antérieurs. Plus précisément, notre hypothèse consiste à poser que les institutions d’État, quel qu’en soit l’espace « géographique » de référence, n’occupent plus la place centrale dans la mise en œuvre écologique.

Dans le cycle du développement durable, les institutions publiques, mondiales, nationales et régionales, ont été au cœur de la détermination des politiques écologiques, en réponse à la contestation environnementaliste. Elles ont géré la tension entre calcul économique et protection de l’environnement-santé, en valorisant l’écologisation progressive des activités, au moins dans les pays industrialisés. Pour sa part, la politique de transition écologique, définie en France, peut être analysée comme un moyen de relâcher cette tension par la promotion d’activités économiques d’emblée écologisées, c’est-à-dire comme un moyen d’instaurer un calcul économique écologique.

S’il n’y a pas, a priori, de contradiction formelle entre économie et écologie des activités, c’est-à-dire entre amélioration du niveau de vie et changement dans le mode de vie, si quelques déplacements vers une économie écologique sont visibles, par exemple du côté de la grande distribution, des énergies renouvelables, de l’interdiction de substances chimiques critiques (plomb, cadmium, mercure, amiante…), de l’agriculture et du tourisme rendus moins polluants, on peut également observer qu’une économie progressivement écologisée n’a pas répondu aux exigences liées au niveau de vie. L’institution d’un raisonnement par les prix, incluant une fiscalité spécifique, pour inciter à l’instauration d’une telle économie a notamment fait apparaître ses limites.

Cependant, notre projet ne repose pas sur l’idée selon laquelle la « dislocation de la transition écologique » serait aussi sa fin. Il s’intéresse aux indications selon lesquelles cette transition est susceptible de se recomposer « par le bas », c’est-à-dire sans être imposée ou même poussée par une politique centralisée.

Les raisons de cette recomposition potentielle par le bas sont multiples, et ses formes également : consommateurs qui boycottent certaines denrées « non écologiques », jardiniers amateurs qui organisent des colloques avec des chercheurs, citoyens qui se mobilisent pour l’économie autonome et solidaire, etc. L’idéologie environnementaliste a fait son chemin et n’a pas été effacée par les inflexions dont il est question dans le bilan de notre axe. Elle continue de peser dans l’espace civique (l’espace public au sens de Habermas) et dans sa confrontation à la sphère de la décision, que ce soit en termes électoraux ou marchands. Il s’agit donc de repérer ces indications, voire les conditions permettant d’étayer cette hypothèse selon laquelle la transition écologique est susceptible de se déployer « par le bas ».

Dans cette perspective, notre projet est de poursuivre et développer nos coopérations avec d’autres familles scientifiques. L’enjeu est alors de répondre aux défis que ces coopérations révèlent, notamment celui de la mise au jour d’orientations pour l’action. L’incitation à « l’anticipation » que ces collaborations suggèrent, y compris

en creux, questionne la possibilité de mener des recherches visant à rendre visibles des tendances sur lesquelles pourraient s’appuyer les politiques institutionnelles, industrielles ou civiques, de protection de l’environnement. Il s’agirait non pas d’une recherche-action, c’est-à-dire d’une ingénierie sociologique, mais plutôt d’une propension à créer le cadre d’une recherche normative adossée à la tradition observante.

Notre projet adopte trois axes de travail et engage une réflexion méthodologique : (I) le premier axe vise à examiner l’instauration de nouveaux ressorts pour l’écologisation de « petites activités » ; (II) le second axe porte sur les formes et les conditions de l’accompagnement des « petits acteurs » de la transition écologique ; (III) le troisième axe vise à repérer le passage à des comportements économiques écologiques ; (IV) enfin, puisqu’une partie de ces recherches est menée en collaboration avec d’autres familles scientifiques (physique, chimie, sciences pour l’ingénieur, agronomie, bio-géochimie…), notre projet veut mener une réflexion sur les conditions permissives et les effets de ces coopérations et, ainsi, contribuer à la réflexion générale sur ce type d’interdisciplinarité.

I. De nouveaux ressorts pour la transition écologique ?

La remise en cause de la portée d’une politique centralisée conduit à questionner les nouvelles pratiques écologiques, se construisant sur le terrain sans pour autant répondre à une injonction institutionnelle. La caractéristique de ces pratiques est d’être en correspondance avec l’enjeu de protection de l’environnement et de se conformer au principe de réduction des risques pour la santé. Autrement dit, se formant sur la base d’enjeux non écologiques, des activités se réorganisent à travers leur écologisation.

Dans cette perspective, nous poursuivrons les recherches initiées sur la médecine hospitalière en modifiant notre approche au regard des résultats issus du bilan de notre axe. Il s’agit non plus de repérer les freins et les limites des politiques de gestions des déchets hospitaliers, mais d’accorder de l’intérêt aux nouvelles formes de soin -notamment l’ambulatoire - afin d’évaluer si cette médecine hospitalière hors les murs, qui autonomise le ou la patient.e dans la prise en charge de sa maladie, s’accompagne d’une gestion renouvelée et originale des risques de contamination de l’eau par des résidus de médicaments. L’objectif est d’analyser la contamination de l’eau par les médicaments comme un « risque à bas bruit », dont il s’agira d’étudier sa traduction dans des modes de gouvernance des risques sanitaires et environnementaux pouvant se réifier dans des processus d’écologisation des pratiques (ex : la déprescription médicamenteuse).

Un second exemple du processus de convergence entre les enjeux spécifiques d’une activité et les enjeux écologiques se retrouve dans l’évolution de la recherche scientifique. Les contestations contre les risques technologiques qui visaient traditionnellement le contrôle des développements technologiques et leurs applications se sont déplacées vers le contrôle de la recherche académique. Les exigences en matière de politique scientifique, notamment l’augmentation des financements dédiés à la connaissance des effets sur la santé et sur l’environnement, n’ont eu qu’une faible portée. Dans ce contexte, l’éclatement de certaines frontières disciplinaires a conduit, de façon inédite, à l’intégration du facteur risque santé-environnement dans certains projets de recherche en physique ou chimie, donc très en amont. Ce processus, qui n’est qu’émergent, répond essentiellement à des enjeux intrinsèques à la sphère de la recherche et non aux injonctions des politiques environnementales. Pour envisager un élargissement de ces pratiques, il s’agit de dégager les conditions institutionnelles et académiques qui permettraient de les généraliser. Ces conditions sont conjointement institutionnelles (la gestion de la recherche) et épistémiques (la production de connaissances). Corrélativement, ce processus d’écologisation, interne à la sphère scientifique, pèse sur les conditions de la production industrielle par le biais des collaborations entre recherche et industrie. Il s’agit alors de repérer les voies qui permettraient de considérer ces collaborations non pas comme un mode de régulation, mais comme un levier de maîtrise des risques à la source des produits de consommation.

II. Outiller les « petits acteurs » ou « acteurs intermédiaires » de la transition écologique

Par « petits acteurs », nous identifions notamment les consommateurs-usagers-clients des services énergétiques, mais aussi les professionnels (artisans, bureaux d’étude, architectes, bailleurs sociaux… dans le monde du bâtiment ; cuisinier.e.s, économes, gestionnaires, responsables d’établissements), les aménageurs de sites touristiques qui, en tant qu’acteurs intermédiaires, sont souvent enjoints à s’engager dans une dynamique dont ils ne maîtrisent pas les codes. Ces acteurs se voient fournir des dispositifs sociotechniques qui sont imaginés pour les accompagner au changement de paradigme écologique. Le projet consiste à s’interroger sur les décalages entre, d’une part, les niveaux de compétences et de maturité nécessaires à ces projets et, d’autre part, les cultures du quotidien autour desquelles se cristallisent non pas des résistances, mais plutôt des effets d’inertie. Dans une approche comparative multiscalaire et multi-acteurs, on se propose de repérer les configurations d’acteurs les plus propices à faciliter les dynamiques transitionnelles. L’enjeu est de comprendre ce qui conditionne ou favorise leur engagement dans ces dynamiques. Il faut donc être attentif aux manières dont s’organisent et se recomposent les collectifs, en regard des modes d’organisation ou des solutions plus techniques qui leur sont offertes par les institutions ayant la charge ou porteuses des opérations de transition.

Par exemple, on peut se demander quel outil donner à des territoires touristiques pour les aider à passer le pas de la transition écologique, quel niveau de facilité d’utilisation proposer aux décideurs en vérifiant qu’il ne les déstabilise pas dans leurs habitudes. En outre, il s’agit de définir les stratégies locales qui permettent de produire des hypothèses d’amont sur la possibilité des projets, y compris dans la reconstruction des territoires. En effet, les territoires prennent peu à peu conscience de la nécessité d’aider les stations de montagne à anticiper les changements à venir, notamment en aidant à la prise de décisions radicalement nouvelles pour assurer la viabilité, économique et écologique, des stations de montage.

L’une des questions posées à ce type de démarche est d’articuler des savoirs différenciés dans les domaines les plus appliqués de la recherche, mais il reste à élaborer, comme dans le cas des coopérations

interscientifiques, les conditions favorisant les collaborations avec les représentations de citoyens ou d’élus. Nous ne pouvons éluder le problème de savoir si et comment nos travaux transforment les « agir » sociaux.

En particulier, l’un de nos objectifs est ainsi de contribuer aux réflexions sur les relations de la recherche à la sphère civique, par exemple sur la pertinence des méthodes permettant d’enrichir les matériaux collectés par les méthodes classiques des SHS et de s’inscrire dans une véritable co-construction de la recherche entre différents partenaires : associations, élu.e.s… Cette démarche peut aller jusqu’à participer à la formation d’une coopérative scientifique. À ce titre, un travail d’analyse comparée des processus transitionnels doit permettre de dessiner les conditions normatives d’enclenchement et, surtout, de maintien dans le temps de changements concrets en matière de mobilité, de performance thermique dans les secteurs résidentiels et tertiaires, mais aussi en matière d’économie sociale et solidaire (circuits courts, agriculture urbaine…). Notre ambition, dans le cadre de cette coopérative scientifique (basée à Nantes), est de déterminer les éléments explicatifs de l’écart entre les objectifs de réduction des émissions de GES et la grande difficulté à faire participer de manière effective et durable les habitants et les professionnel.le.s dans un projet qui relève de l’intérêt général.

III. Le passage à des comportements économiques écologiques

Face aux constats largement partagés d’un manque de réactivité des sociétés face à l’urgence climatique, les regards se portent de plus en plus vers les usagers et les professionnel.le.s, soupçonné.e.s de ne pas mettre en œuvre les « bonnes pratiques ». Leur peu d’appétence pour des pratiques moins impactantes pour l’environnement ou leur conversion timide aux enjeux sont stigmatisées. On explorera les conditions permettant de traduire en comportements individuels et en dynamiques collectives aussi bien les orientations des politiques publiques que les politiques naissant localement venant suppléer la faiblesse des politiques publiques. Cela suppose de questionner l’évolution des modes de vie, la place de l’offre qui tend à structurer ces derniers, mais aussi les normes sociales sous-jacentes à la transition écologique (sobriété sociale, sobriété technologique, dynamiques collaboratives et solidaires, recyclabilité, etc.). Cela implique d’interroger la diversité des instruments d’accompagnement au changement actuellement déployés un peu partout dans une dimension individuelle et à l’échelle micro.

L’un des constats du bilan est la tension, rémanente, entre écologie et économie, entre la protection de l’environnement et de la santé et le calcul monétaire. Le projet interroge la possibilité de compléter ou contourner l’Euro et ses contraintes par la création de monnaies locales, afin de favoriser la transition écologique. La création d’une monnaie locale, comme l’Eusko au Pays Basque, s’inscrit au milieu d’un « écosystème alternatif » porté par la société civile et centré sur la transition écologique. Il s’agit d’identifier les différentes formes de liens, personnels organisationnels, idéologiques, matériels et marchands qui font tenir cette initiative. L’objectif est de comprendre les différentes formes d’encastrement social de l’Eusko et le rôle qu’elles ont dans le succès de cette expérience monétaire, mais également de voir comment les liens monétaires créés via l’Eusko servent le projet de transition écologique, porté par l’ensemble des structures de l’écosystème (par exemple, on peut faire l’hypothèse que les monnaies locales facilitent d’une transition écologique locale parce qu’elles réduisent l’échelle des problèmes à résoudre).

Si l’expérience des monnaies locales doit être prise en compte, elle ne saurait évacuer le problème du calcul économique classique appliqué aux comportements. Ainsi, on peut se demander pourquoi la tarification incitative des déchets ménagers peine à se diffuser dans le secteur des déchets ménagers en France ou dans le domaine agricole (la question des plantes engrais verts qui pourraient remplacer des apports de roches phosphatées dont on connait la contamination en cadmium). Plus généralement, notre projet envisage de cerner les conditions ouvrant la possibilité que la taxation écologique engendre non pas un double dividende : recettes et incitation, mais un triple effet vertueux : un effet écologique par l’écologisation des consommations et deux possibles effets économiques : sur l’emploi et sur la stabilisation de l’économie.

IV. Des coopérations interscientifiques reconduites, interrogées, élargies

Les relations entre nos recherches et celles des autres familles scientifiques sont bien installées dans l’axe Ternov. Elles se sont progressivement imposées en raison de la complexité des problèmes soulevés, surtout dans une optique de recomposition potentielle de la transition écologique. Dans cette perspective, notre projet est de poursuivre l’expérience des coopérations scientifiques et collaborations avec les associations, mais il consiste également à nous interroger sur les enjeux et la portée de ces pratiques.

Une première interrogation concerne la portée épistémologique de nos coopérations interscientifiques. Dans la mesure où des disciplines, par exemple : la chimie et la sociologie, sont radicalement hétérogènes, leurs objets, concepts, et méthodes sont incommensurables. Par conséquent, il s’agit de dire si et comment une coopération véritable, croisant et pas seulement additionnant les approches, est possible. On peut avancer que les conditions permissives de cette coopération véritable varient en fonction des disciplines coopérantes et des objets de coopération, disciplines elles-mêmes traversées par des différences, ce qui est rendu possible par la diversité de nos coopérations. En particulier, puisque la différence épistémologique majeure entre recherches en sciences et recherches sociologiques tient à la distinction entre approches prédictives et compréhensives, nous souhaitons réfléchir activement à la manière de répondre à cette différence épistémologique. L’une des réponses possibles est de construire une théorisation normative, mais il faut envisager la possibilité que cette théorisation puisse se décliner en fonction du type de coopération opérée.

Le projet de Ternov est ambitieux, puisqu’il est question de prendre la transition écologique comme un principe non pas seulement à étudier, mais aussi à développer. Il s’agit incontestablement d’une prise de risques dans la mesure où il se projette dans une potentielle recomposition « par le bas ». Cependant, notre expérience nous conduit à penser que les enjeux de la transition écologique nécessitent cette prise de risques.

Annexe 1 : lettre d’engagement Toulouse, le 10 juillet 2019

Je, soussignée, SURAUD Marie-Gabrielle, en tant que directrice de l’entité de recherche CERTOP (Centre d’Etude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir), certifie, par la présente, l’exactitude des données contenues dans le dossier d’autoévaluation, comprenant le document d’autoévaluation et les deux fichiers Excel « Données du contrat en cours » et « Données du prochain contrat ».

Marie-Gabrielle SURAUD

Annexe 2 : Organigramme

Département d’évaluation