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Partie 1 : Introduction et généralités

1. La maladie d’Alzheimer

1.3. Physiopathologie de la MA

1.3.2. Une propagation spatio-temporelle spécifique de la maladie

1.3.2.1. Progression spatio-temporelle des DNF

Dans la MA, les changements neurofibrillaires (NFT, NT et ghost tangles) induit par l’hyperphosphorylation de la protéine tau apparaissent, dans une zone du cerveau bien précise : le cortex transentorhinal. Ces lésions s’étendent ensuite au cortex entorhinal puis à l’hippocampe avant de toucher d’autres zones du cerveau suivant un ordre précis. Cette propagation particulière a été classée suivant des stades en fonction de l’avancée des lésions dans les différentes régions du cerveau. La première classification, qui est largement admise par la communauté scientifique, a été définie par Braak et Braak (Braak and Braak, 1991). Elle a été réalisée à partir d’examens histologiques de 83 cerveaux de sujets atteints de MA plus ou moins sévère ou sans aucun signe de démence. Cette classification se divise en six stades qui sont eux-mêmes regroupés deux par deux, en trois étapes (figure 10) :

L’étape transenthorinale : cette étape correspond à une atteinte de la région rhinale comprenant le cortex transentorhinal et le cortex entorhinal (figure 11).

- Stade I : Apparition des changements neurofibrillaires dans la région transentorhinale (région située entre l’isocortex et le cortex entorhinal).

- Stade II : Expansion des lésions au cortex entorhinal et à la région CA1 de l’hippocampe. La densité des lésions augmente au niveau du cortex transentorhinal. Cette densité diminue en fonction de la distance avec le cortex transentorhinal.

L’étape limbique : cette étape correspond à l’envahissement des lésions au niveau du système limbique. L’auteur décrit le système limbique comme un pont neuronal liant le monde extérieur au monde intérieur (Braak et al., 2006). Cette étape est retrouvée notamment chez des patients développant les premiers signes cliniques de la MA.

- Stade III : Région CA1 touchée modérément ainsi qu’une atteinte au niveau de l’amygdale. Présence de ghost tangles au niveau du cortex transentorhinal. Quelques lésions isolées au niveau de l’isocortex dans sa portion basale.

21 - Stade IV : Région CA1 fortement touchée. Les lésions atteignent également d’autres structures du limbique (putamen, noyau accumbens, amygdale) ainsi que d’autres couches de l’hippocampe. L’axe thalamus / hypothalamus présente aussi des NFT à ce stade. Beaucoup de ghost tangles (signe d’une forte perte de neurones) sont observés au niveau du cortex rhinal. Néanmoins, l’isocortex reste relativement épargné à ce stade. L’étape isocorticale : cette étape correspond à l’expansion de la DNF à l’ensemble de

l’isocortex. Cette structure du cerveau appelée également néocortex, correspond au manteau cortical, région la plus périphérique du cerveau, qui est caractérisée chez l’espèce humaine par ses circonvolutions. L’ensemble des patients situés à ce niveau d’atteinte, présentaient tous des signes de démence de type Alzheimer dans l’étude de Braak et Braak (Braak and Braak, 1991).

- Stade V : Hippocampe touché dans son intégralité. Isocortex fortement atteint par les lésions au niveau de zones associatives.

- Stade VI : Beaucoup de ghost tangles observés dans la zone CA1. Toutes les zones associatives de l’isocortex sont touchées. Atteinte de l’isocortex sensori-moteur ainsi que du striatum et de la substance noire.

Il existe une autre classification plus récente, définie par des méthodes d’analyse moléculaire, qui distingue 10 stades de l’évolution des NFT en fonction des 10 régions du cerveau atteintes successivement (Delacourte et al., 1999). Cette classification suit la même progression que celle décrite par Braak et Braak mais détaille d’avantage les différentes zones atteintes successivement au niveau de l’isocortex.

Ce schéma d’envahissement du cerveau par les NFT, bien hiérarchisé et relativement bien homogène entre différents patients, a engendré plusieurs hypothèses :

- Hypothèse de la gaine de myéline (Braak and Braak, 1996) :

La dégénérescence neurofibrillaire toucherait d’abord la zone du cerveau où les axones sont de grande taille et présentent une gaine de myéline peu dense. Ce type de structure demanderait plus d’énergie pour transmettre un signal et serait donc plus soumis aux stress oxydatifs qui pourraient induire, avec le temps, cette dégénérescence. L’ordre d’atteinte des DNF dans la MA correspond effectivement à des structures dont les axones présentent une gaine de myéline de densité croissante.

- Hypothèse de la plasticité synaptique (Esiri and Chance, 2006) :

De la même manière que l’hypothèse précédente, la vulnérabilité des régions serait dépendante de leur niveau de dépense énergétique. Or, les premières zones touchées par les DNF sont des régions à haute plasticité synaptique. Cette plasticité synaptique nécessite beaucoup d’énergie, et passe par la phosphorylation réversible de la protéine Tau lors du remodelage du neurone. Dans la MA, cette capacité de réversibilité serait perdue.

Figure 12 : Les trois stades de propagation des dépôts amyloïdes de Braak et Braak.

Les différentes nuances de gris représententent une quantité de dépôts amyloïdes. Source : Braak and Braak, 1991.

22 - Hypothèse de transmission par connectivité et « prion like » :

Dans cette hypothèse, la transmission des NFT se ferait par connectivité inter-neurones entre les différentes régions du cerveau (Duyckaerts et al., 1999)(Delacourte et al., 2002). Elle découle de l’observation faite sur le mode de propagation de ces lésions qui semblent toucher des structures connectées entres-elles, comme par exemple les réseaux de fibres cholinergiques : une des premières structures atteinte est le noyau basal de Meynert (structure du limbique) qui innerve la plupart des structures corticales en fibres cholinergiques (Duyckaerts et al., 1999). Ensuite, les NFT touchent les différentes structures du cerveau suivant un ordre décroissant en densité de fibres cholinergiques. Par exemple, le système limbique, qui est riche en fibres cholinergiques, est atteint dès les premières phases de la maladie, contrairement au cortex sensori- moteur qui est pauvre en fibres cholinergiques (Esiri and Chance, 2006).

Cette transmission des NFT par connectivité a également pu être vérifiée sur des modèles in vivo de la MA. Il a été constaté qu’une injection intracérébrale de protéine Tau sous forme d’agrégats, chez des souris transgéniques surexprimant la protéine Tau humaine, induit une propagation de NFT à partir du site d’injection et en suivant les structures connectées entre-elles (Lasagna-Reeves et al., 2012)(Sankaranarayanan et al., 2015)(Clavaguera et al., 2013). Suite à ce type de résultats, l’hypothèse d’une transmission de type prion a également fait son apparition. En effet, la présence de protéine Tau mal conformée (détachée du microtubule suite à phosphorylation) semble induire une propagation de cette mauvaise conformation, tel un prion (Clavaguera et al., 2013)(Kidd, 2006)(Vingtdeux et al., 2012). Cette hypothèse a également pu être testée chez une souris transgénique développant une tauopathie où la suppression du gène codant pour la protéine Tau par un système inductible (voir chapitre 2) ne permet pas de stopper la propagation de la tauopathie avec l’âge (Spires et al., 2006). La différence entre la propagation de la protéine Tau et la propagation de type prion est que la première nécessite des phénomènes de phosphorylation (Kidd, 2006).