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Chapitre 2 : Le cadre théorique et la recension des écrits

2.7 Les programmes d’insertion professionnelle et les dispositifs de soutien

Les enseignants débutants sont des ressources humaines d’une grande valeur. La majorité d’entre eux ont le potentiel nécessaire pour devenir de bons, voire d’excellents enseignants. Malheureusement, plusieurs abandonnent avant de s’épanouir professionnellement. Un bon système de soutien peut faire toute la différence pour faciliter le passage de la théorie à la réalité de la salle de classe (Tonsen et Patterson, 1992). Dans un premier temps, nous aurons un aperçu de l’étendue des mesures d’insertion professionnelle et de soutien disponibles au Québec. Dans un second temps, nous porterons un regard sur ce qui existe ailleurs. Cette vue d’ensemble servira à mieux cerner les composantes essentielles pour favoriser le développement des compétences professionnelles, dont celle qui retient toute notre attention, la compétence à gérer la classe. Ce sera l’occasion de vérifier comment, et sur quelle base, l’efficacité de ces mesures et de ces programmes est évaluée.

Comme encore peu d’études ont fait état des programmes de soutien à l’insertion dans l’enseignement primaire et secondaire, une enquête québécoise a été menée auprès de 12 responsables d’organisation scolaire ayant implanté un programme d’insertion professionnelle, sur un répertoire de 19 programmes (Lamontagne, 2006). Les résultats montrent que les actions sont récentes. En effet, sur les 12 organisations participantes, 5 d’entre elles ont un programme qui existe depuis 2 ans, 2 depuis 3 ans, une depuis un an, 3 depuis 5 ans et une seule depuis 15 ans. Trois de ces organisations collaborent avec une université pour l’élaboration, l’animation ou l’évaluation du programme. Une seule organisation a signé une lettre d’entente avec le syndicat d’enseignants. Pour 75 % de ces programmes, les buts poursuivis favorisent le développement professionnel. L’auteure les a ainsi regroupés : «…former une relève compétente, transmettre les savoirs d’expérience, faciliter l’adaptation des novices à la culture organisationnelle du milieu d’accueil, développer un sentiment d’appartenance

envers celui-ci et gérer la relève » (Lamontagne, 2006, p. 9). Trois des programmes, soit le quart, servent à évaluer les nouveaux enseignants. En moyenne, les organisations accordent annuellement un montant de 38 000 $ pour la mise en place d’un tel programme. Les sommes investies varient de moins de 10 000 $ à 100 000 $.

Outre un seul programme ouvert à tous, le critère général pour bénéficier de ces mesures est l’expérience acquise qui varie d’une à cinq années d’enseignement. Une seule organisation accepte «tout nouvel enseignant» alors qu’une autre demande que l’enseignant ait cumulé 400 jours. Quant à la durée des programmes, elle s’étale de quatre mois à trois ans, mais la moitié d’entre eux s’étendent sur un à deux ans (Lamontagne, 2006). Parmi les principales composantes, on retrouve à 91 % les rencontres de groupe, le mentorat dans 75 % des cas et à 27 % les communications électroniques. Pour la formule du mentorat, 55 % des mentors obtiennent une trousse d’accompagnement et 45 % participent à une formation structurée dont on ignore le contenu. D’autres conditions facilitantes sont offertes comme la libération ou une compensation financière. Dans trois situations, on pratique le trimentorat, c’est-à-dire former le débutant pour qu’il devienne mentor à son tour, tel un agent multiplicateur. Du point de vue des responsables, les composantes les plus organisées, efficaces et prometteuses sont le mentorat et les groupes de discussion. Ils se disent tous satisfaits à 100 % de leur programme. Leur perception de la satisfaction des enseignants débutants obtient la même note. Ces mesures ont des effets sur le développement professionnel et le bien-être des enseignants débutants. Le développement du potentiel et la transmission des savoirs seraient les principaux bénéfices reconnus. Il ressort également que le sentiment de confiance entre novices et experts serait favorisé ainsi que les capacités à travailler en équipe, en plus de briser l’isolement. Les domaines où les nouveaux enseignants éprouvent le plus de difficultés et pour lesquels il serait nécessaire de leur venir en aide sont une fois de plus : la gestion de classe, les élèves ayant des besoins spéciaux et les problèmes de comportement (Lamontagne, 2006).

Les principales difficultés rencontrées par les responsables sont, bien sûr, les contraintes budgétaires, le peu d’importance attribuée au programme par certains membres de l’organisation, comme l’appui timide de la haute direction et, finalement, la relation avec le syndicat enseignant se révèle un irritant non négligeable. On s’explique mal leur réticence à aider la relève enseignante. Cette étude confirme que les programmes demeurent toujours peu répandus. Ils sont récents, et pour ce qui nous préoccupe, aucun n’est centré essentiellement sur le développement de la compétence à gérer la classe. L’étude fait mention d’un programme en milieu défavorisé, mais sans en dire davantage.

Une recherche plus récente a permis de mettre en lumière les données sur les pratiques d’insertion en cours au Québec (Martineau et Vallerand, 2007). D’entrée de jeu, la mesure la plus courante, et celle la plus proposée par les recherches d’ici, est sans contredit le mentorat où un enseignant d’expérience aide un débutant (Martineau et collab., 2005). En fait, le mentorat est considéré comme étant la composante la plus significative des mesures d’insertion recensées (Feiman-Nemser, 1996; Hertzog, 2000; Le Maiste et collab., 2000; Martineau et collab., 2005; MEQ, 1995b; Nault, 1995; Talber et collab., 1992; Serpell, 2000). Cette formule comporte des avantages appréciables. Néanmoins, elle a tendance à créer de la dépendance et comporte plusieurs pièges dont le principal est le risque de la conformité (Boutin, 1999; Garant et al, 1999; Martineau et collab., 2005; Nault, 1999). Le mentorat perpétue une pratique individualiste de l’enseignement et risque de nuire au développement de la démarche réflexive du débutant. Le mentor doit faire preuve d’une extrême prudence dans le soutien qu’il fournit. Il doit faire en sorte d’éviter que son protégé ne se sente incompétent, d’imposer son propre style ou, au contraire, laisser faire (Martineau et collab., 2005). Pour être vraiment efficace, le mentorat doit répondre à plusieurs critères. Le mentor devrait être choisi sélectivement, recevoir une formation appropriée, bénéficier d’une compensation financière, ou avoir une tâche allégée et

aménagée pour faciliter les rencontres. Car, la disponibilité est en partie la clé du succès (MEQ, 1995a; MEQ, 1995c; Nault, 1993; Talbert et collab., 1992; Serpell, 2000). Pour vraiment être bénéfique, le mentorat doit permettre l’exercice de l’analyse réflexive et avoir la capacité de provoquer une dissonance cognitive (Chouinard, 1999). Une expérience mentorale très intéressante a été conduite et mérite d’être soulignée. Elle comporte une formation des mentors au regard de l’accompagnement réflexif. Autre intérêt, ce projet était réalisé en collaboration avec une commission scolaire et une université. Il y avait dépassement du soutien affectif et instrumental pour approfondir la réflexion, rechercher des solutions, aller au-delà des préoccupations de la gestion des comportements au profit de l’enseignement et l’apprentissage. Le bilan de cette expérience fait ressortir que la principale inquiétude des débutants est la gestion de classe. L’amélioration de la confiance en soi, de la capacité à apprendre de ses expériences et à réfléchir sur son enseignement seraient les principales retombées observées chez les débutants. Ils affirment que leur attitude est plus positive envers leur profession. Les mentors ont remarqué que les novices avaient consolidé leur choix professionnel et qu’ils établissaient de meilleures relations avec les élèves (Dumoulin et Dion, 2004).

En dehors du mentorat, les réseaux électroniques d’entraide (mentorat en ligne, forum de discussion et portail d’information) et les groupes collectifs de soutien (groupe de discussion, groupe d’analyse des pratiques) seraient les mesures qui reviennent le plus fréquemment dans les écrits. Autrement dit, la communauté d’apprentissage et de soutien entre pairs, avec ou sans Internet, est au deuxième rang des moyens les plus populaires (Martineau et collab., 2005). Le manque de disponibilité des enseignants d’expérience a donné lieu à d’autres formules plus novatrices permettant de soutenir la relève enseignante, tel le soutien virtuel. À titre d’exemple, le mentorat électronique a été mis en place sur le site Édumentors de l’UQAM. Les dispositifs qui fonctionnent à l’aide de l’ordinateur semblent efficaces

comme soutien émotionnel, en grande partie à cause de la grande disponibilité qu’ils peuvent permettre (Eisenman et Thornton, 1999; Weva, 1999). Les moyens électroniques seraient un excellent complément à d’autres mesures, car ils permettent un lien avec des personnes différentes de celles du milieu de travail. Par contre, ils sont déconseillés comme unique méthode et ne peuvent répondre adéquatement aux demandes d’aide pédagogique (Weva, 1999). Par ailleurs, l’étude doctorale de Nault (2005) a montré que la communauté de pratique en ligne PAUSE a suscité la réflexion chez les enseignants débutants participants, au regard de leur pratique, selon une perspective développementale. L’un des thèmes de réflexion le plus fréquent était la gestion de classe. Les principaux avantages relevés par les participants concernent la facilité d’accès, en tout temps et en tous lieux, à un soutien moral et professionnel permanent à partir de différents points de vue. De plus, ils ont apprécié le recul qu’a permis l’écriture de leurs messages électroniques et la complémentarité de cette mesure avec d’autres stratégies de soutien.

L’étude de Martineau et Vallerand (2007) présente les quatre expériences les plus innovatrices en cours dans des commissions scolaires au Québec. Ce nombre est infime compte tenu du nombre de commissions scolaires et d’écoles de la province. Ces programmes ont en commun d’offrir diverses composantes, dont le mentorat, en plus de la possibilité de participer à une formation en gestion de classe. D’un autre point de vue, en consultant les programmes d’insertion diffusés sur le site Internet du Carrefour national de l’insertion professionnelle en enseignement, le CNIPE, on remarque que chacun d’entre eux offre l’option mentorat et des ateliers ayant pour thématique la gestion de classe. C’est donc dire que de réels progrès ont marqué ces dernières années. Toutefois, nous ne sommes pas en mesure de porter un jugement sur le type et le contenu des formations. La tendance semble aller aux perfectionnements ou aux ateliers ponctuels plutôt qu’une démarche à long terme. Nous supposons cependant que la gestion de classe doit faire partie intégrante de la relation mentor-

mentoré dans les expériences en cours puisqu’elle est l’une des principales préoccupations des nouveaux enseignants.

En Ontario, un programme provincial a été instauré par le ministère de l’Éducation en 2006, le Programme d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant (PIPNPE). D’une durée d’une année, il inclut le mentorat et de la formation. Dans le livre blanc intitulé Insertion professionnelle des nouveaux enseignants : grandir dans la profession de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, « Devenir enseignant n’est pas un acte, mais un processus » (p. 7). Le premier objectif du programme est : « améliorer les apprentissages des élèves », ensuite : « attirer et retenir les nouveaux enseignants ». Dans le même document, on peut lire : « La conviction que l’enseignant a le pouvoir d’influer sur l’apprentissage de l’élève est au cœur même d’un programme d’insertion efficace » (p. 11). En plus de vouloir retenir les nouveaux enseignants, nous détectons l’intention profonde que ce programme vise avant tout le progrès des élèves, en passant par l’enseignant. Notamment, la citation ci-dessus fait allusion au sentiment d’efficacité personnelle. En outre, un sondage auprès des membres de cet ordre, à leur première année d’exercice, révèle que leurs principales inquiétudes étaient la gestion de classe, répondre aux besoins particuliers de chaque élève, explorer différents styles d’enseignement et la planification des cours.

Du côté des États-Unis, au cours des vingt dernières années, plusieurs programmes d’insertion ont vu le jour afin de retenir les enseignants débutants de qualité. Ils étaient cependant insuffisants compte tenu de la période de renouvellement massif. Le succès de ces programmes, quant au taux de rétention, est évalué à 93 % (Weiss et Weiss, 1999). Des recherches ont permis de dégager d’autres retombées que l’augmentation du taux de rétention, soit l’amélioration de la compétence à enseigner

de même qu’une augmentation des résultats scolaires des élèves (Goodwin, 1999; Serpell, 2000; Weiss et Weiss, 1999). D’autres études américaines ont fait ressortir les éléments de base pour assurer la qualité de l’assistance à donner aux enseignants débutants. Parmi les principaux, les programmes ont une structure formelle, cohérente et orientée à long terme, bien que subdivisée en plusieurs étapes. Les activités sont bien planifiées avec des buts et des objectifs clairs souvent définis sous la forme de comportements. Ils incluent une composante de mentorat structuré (Nault, 1993; Serpell, 2000). Cependant, les dispositifs d’insertion bien organisés sont l’exception plutôt que la règle (Weiss et Weiss, 1999). D’un autre point de vue, les programmes structurés par compétences où le débutant est évalué selon certains critères, axés sur l’apprentissage des règles du métier et des conduites à adopter, ne tiennent pas compte de la personne, de ses besoins et de son développement (Boutin, 1999).

La recension internationale de Veenman (1984) sur les programmes d’insertion rapportait les principales pratiques courantes à cette époque. Elles consistaient à remettre des documents sur les conditions d’emploi et des renseignements sur l’école, visiter l’école avant le début de l’année scolaire, accorder du temps de libération, organiser des rencontres de soutien entre enseignants débutants et enseignants d’expérience, des mentors, assister à des conférences et des ateliers thématiques, avoir une tâche d’enseignement réduite, offrir des occasions d’être observé et d’observer, ainsi qu’enseigner en « team-teaching ».

L’insertion professionnelle des enseignants débutants est considérée beaucoup plus sérieusement dans les pays comme le Japon, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Ils ont des tâches allégées, des classes moins difficiles et bénéficient de plusieurs jours de formation durant l’année scolaire (ex. : une journée par semaine en Nouvelle- Zélande). En plus, ils sont accompagnés par un enseignant d’expérience (Plummer et

Barrow, 1998). Des temps de formation sont réservés à l’intérieur de l’horaire de travail. Somme toute, le statut d’enseignant débutant est pris en considération en poursuivant, ou consolidant, leur formation. De plus, il y a valorisation des activités de soutien et d’accompagnement (Nault, 2003a).

Nous avons vu qu’il existe des programmes d’insertion et de soutien structurés, mais ils ne sont pas la norme. Notamment, nous retenons que le tiers des programmes québécois étudiés par Lamontagne (2006) possèdent une structure plus ou moins définie. Par ailleurs, on pourrait penser que chaque milieu adopte ses propres pratiques pour accueillir et venir en aide aux enseignants débutants sans qu’il y ait de structure formelle. Malgré certains dénominateurs communs, les formules diffèrent d’un milieu à l’autre tant dans la forme que le contenu, la durée, ainsi que les critères de participation. Souvent, les débutants n’ayant pas obtenu une tâche à temps plein n’ont pas accès aux mesures de soutien existantes. Bien que la plupart des programmes comportent un volet mentorat, son application est variable. Dans le cadre d’une recension des écrits sur l’insertion professionnelle, il ressort que les programmes d’insertion comportent des composantes comme l’accompagnement professionnel, le mentorat, le monitorat, les groupes de soutien entre pairs et la création d’un portfolio professionnel. Le mentorat et les groupes de pairs demeurent les formules les plus courantes (Martineau et collab., 2006). À noter qu’en général, la participation de l’enseignant débutant est volontaire.