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CHAPITRE 6 : Le désistement du crime : les facteurs structurels

6.2 Les ressources structurelles qui facilitent le processus de désistement du crime

6.2.2 Les programmes gouvernementaux

L’une des grandes priorités portées par les agents-humains au cours des deux derniers siècles a été de défendre d’abord les droits civils des citoyens, puis leurs droits politiques et finalement, leurs droits sociaux (Marshall, 1963, cité dans Pierson, 1998). Jointes à d’autres facteurs historiques tels que l’industrialisation et la démocratisation des sociétés, ces luttes, selon les termes du réalisme critique, se sont traduites par la morphogénèse de la structure sociale qui a conduit à l’État-providence capitaliste. Ce type d’État-providence correspond « à une société dans laquelle l’État intervient dans le processus de reproduction ou de distribution des ressources économiques pour rééquilibrer les chances de vie entre les individus et les classes sociales » (Pierson, 1998 : 7). Au Québec, et plus largement au Canada, de nombreux « programmes gouvernementaux » ont été mis en place dans cette visée, et ce, par l’entremise de nombreux ministères tels que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport; le ministère de la Famille et des Aînés, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale ou encore le ministère de la Santé et des Services sociaux, entre autres. On distingue généralement les programmes d’aide qui répondent aux besoins économiques des individus (allocation familiale, aide sociale, assurance emploi, etc.) de ceux qui se rapportent aux contingences qui affectent leur intégrité (maladie, itinérance, violence,

151 toxicomanie, racisme, âgisme, etc.). Considérant que ce chapitre traite des facilitateurs structurels entendus au sens du réalisme critique (c.-à-d. que la structure est conçue strictement comme l’ensemble des ressources matérielles disponibles aux agents), les programmes gouvernementaux dont il sera question ici sont ceux qui visent à corriger les effets de la position involontaire des agents dans la structure sociale par le biais d’une meilleure redistribution des ressources matérielles et financières. Les programmes qui visent plutôt à réduire les contingences qui affectent l’intégrité physique ou mentale des individus seront traités dans le chapitre suivant.

Le principal programme utilisé par les répondants pour avoir accès aux ressources économiques disponibles dans la structure sociale a été le programme de formation à temps plein pour les prestataires d’assurance emploi, d’aide sociale ou de solidarité sociale. Par le biais de ces formations, une dizaine de répondants ont accédé ou étaient sur le point d’accéder à des emplois d’électricien, de poseur de briques, de soudeur, de carrossier, d’ébéniste, de peintre en bâtiment, de préposé aux bénéficiaires, etc. Pour ces hommes qui n’avaient pas terminé, pour la plupart, leurs études de niveau secondaire et qui, souvent, n’avaient pas occupé d’emplois de longue durée auparavant, ces formations ont été saisies comme une occasion de « s’en sortir », comme le précisent les propos de Patrick :

J’ai appelé Emploi Québec pour aller à l’école. Puis ils m’ont donné le OK. Je reçois du chômage en plus d’un surplus pour la passe de bus. Alors, ça me donne un revenu raisonnable. Depuis que j’ai commencé mes cours, je me dis « là regarde, tu as ta voiture, tu as ton permis de conduire, tu as ton école, ça va bien ». Alors, ce n’est pas le temps de tout lâcher ça. Si je l’échappe, le risque est gros. [Intervieweuse : Il se passerait quoi si tu n’étais pas capable de trouver un emploi à la fin de ta formation?] D’après moi je devrais être correct. Mon nom va tellement être bon en sortant de l’école que … je fais tellement… je fais tellement tous les efforts possibles et inimaginables que je suis sûr qu’ils ne vérifieront pas ça. Ils vont dire : « Regarde c’est un bon p’tit gars, il veut tellement… » Je fais mon stage là chez X [nomme le concessionnaire], puis ils appellent mes professeurs et ils disent : « C’est un bon p’tit gars lui. Il est tout le temps là. Il est fiable. » Puis tu sais, ils m’ont pris... Alors ça m’étonnerait [de ne pas avoir d’emploi par la suite]. Je suis confiant là-dessus. Je ne m’arrête pas… Je ne veux pas que ça m’arrête tu sais. Puis au pire, ils vérifieront, puis regarde je passerai à autre chose, puis je regarderai ailleurs. Parce que ce qui m’empêchait d’aller à l’école au début justement, c’est ça : j’ai un dossier criminel, si je retourne à l’école ça va rien donner. Mais là un moment donné je

152 me suis dit : « Regarde, si tu t’empêches d’aller à l’école juste à cause de ça, bien tu n’avanceras jamais là. Alors botte-toi le derrière, vas-y à l’école, fais tout ce que tu as à faire puis quand on sera rendu là, on verra qu’est-ce que ça donne », tu sais… C’est sûr que je vais être déçu si je me fais dire non parce que j’ai un dossier criminel là, mais je suis certain que ça ne sera pas un facteur. Parce que je veux puis euh… dans ce milieu-là [automobile] ils ne vérifient pas ça. –Patrick.

Il est intéressant de constater que tous les répondants qui avaient terminé leur formation occupaient un emploi ou étaient confiants d’en occuper un au moment de l’entrevue, et ce, en dépit de leur casier judiciaire. Bien sûr, les formations qui sont couvertes par ces programmes sont dans des domaines où la main-d’œuvre est rare. Mais il semble aussi que les répondants, conscients des limites imposées par leur casier judiciaire, fassent preuve de stratégie en sélectionnant des métiers où ils ont la perception que le casier judiciaire peut être considéré comme un moins grand obstacle. Nathan montre comment il s’est dirigé vers les métiers de la construction sur la base de cette évaluation subjective :

De toute façon, c’était… ce n’est pas comme travailler dans les bureaux, là… Dans la construction, le monde… ce n’est pas le même genre de monde là… alors… ce n’est pas la même catégorie de monde là. Je veux dire, la perspective du monde sur la construction c’est plus… si tu fais ta job, c’est correct. Ce n’est pas grave pour eux le reste. –Nathan.

Les choix de carrière que font les répondants correspondent donc aux coûts des opportunités qu’ils perçoivent. Plus précisément, ils sont conscients qu’ils ont plus de chances de mener à terme des projets où ils seront en contact avec des personnes qui partagent les mêmes « intérêts déterminés » qu’eux. Ils ont donc l’impression subjective qu’ils auront plus rapidement accès aux ressources matérielles en choisissant des formations qui les mèneront vers des métiers qu’ils perçoivent comme plus accueillants envers les personnes qui ont commis des délits. Voici, en terminant, comment Kevin explique le fait qu’il a réussi à intégrer son nouvel emploi :

Moi je suis content parce que j’ai un métier, puis il y a quand même pas mal de travail là-dedans. C’est pour cela que je suis là tu sais. Tu sais, je ne suis pas le

153 seul qui travaille là qui a un dossier [casier judiciaire]. J’ai choisi la bonne

branche pour ça là (rire). –Kevin.