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CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE

3. Le programme CdeM?

C’est en identifiant le besoin grandissant de leurs clientes aux prises avec des problèmes liés au poids qu’un groupe du centre local de services communautaires (CLSC) de Rosemont (Montréal) développait, en 1982, un programme aujourd'hui connu sous le nom de CdeM?. Ce programme est une intervention de groupe qui s’inspire du NPP. Ce groupe est formé de 12 à 14 femmes préoccupées par leur poids et est co-animé par une dyade composée d'une nutritionniste-diététiste et d'une intervenante psychosociale. Les déterminants du poids corporel y sont explorés dans leurs dimensions biologique, psychologique et sociale et ce, durant treize rencontres hebdomadaires de trois heures et d’une journée charnière de six heures. Enfin, chaque thème est abordé à l’aide de méthodes d'apprentissage variées telles que des expérimentations, des réflexions individuelles, des réflexions de groupe ainsi que des exposés théoriques. Ces différents types d’apprentissage visent à favoriser la participation et le développement de l’esprit critique des participantes envers la problématique du poids. Ultimement, ce cheminement personnel, soutenu par le groupe, outille les participantes à prendre une décision éclairée quant à l'amaigrissement. Dans la version actuelle du programme, cette décision se traduit, au terme du programme, en un plan d'action concret et personnalisé (Côté & Mongeau, 2005).

Comme la notion de choix est centrale dans le programme CdeM?, le modèle d’intervention de ce dernier, présenté à la figure 1, met l’importance sur quatre systèmes connus pour influencer la balance décisionnelle individuelle: le système de croyances, les caractéristiques personnelles, le système motivationnel et le système normatif (Côté & Mongeau, 2005). Autrement dit, selon ce modèle conceptuel, un individu prendra une décision en fonction de ses croyances (p.ex. croyances en son degré d’efficacité personnelle ou sa perception à l’égard de l’image corporelle), en fonction de ses caractéristiques personnelles (lesquelles il importe de connaître objectivement), de son système motivationnel (p.ex. la valeur qu’il s’accorde, ses désirs, ses besoins, ses valeurs) et en fonction de son système normatif (p.ex. influence des pairs dans les décisions). Ces différents facteurs s’influencent mutuellement puis, ultimement, influencent le choix d’un individu dans une situation donnée. Le programme propose ainsi des activités cognitives (connaissances, choix conscient, etc.), affectives (valeurs, s’intégrer au groupe, etc.) et expérientielles (bouger, déguster, échanger, etc.). De plus, ces activités sont réalisées au sein d’un groupe qui agit comme une forme de soutien social. Ce soutien les sécurise, leur donne accès à un répertoire de possibilités pour chacun des ces systèmes influençant leur balance décisionnelle (Côté & Mongeau, 2005). Toujours par rapport au modèle d’intervention du programme, il importe de mentionner que c’est la qualité de vie qui est l’objectif ultime du programme en comparaison à d’autres interventions axées davantage sur le poids corporel (Côté & Mongeau, 2005). Un exemple de qualité de vie augmentée pourrait se refléter par le fait d’avoir une relation plus saine à la nourriture et à son corps.

Figure 1. Modèle d’intervention du programme CdeM? (figure tirée du guide d’intervention Côté & Mongeau,

2005).

Porteur d’une approche nouvelle dans un contexte d’obésité pour lequel les interventions plus traditionnelles axées sur le poids n’avaient pas l’impact souhaité, le programme CdeM? a suscité un vif intérêt tant chez les professionnels, le public que chez les scientifiques.

3.1. Efficacité du programme

Une première évaluation des impacts du programme a été réalisée par Mongeau (2005). Au total, 311 femmes provenant de sept CLSC différents ont participé à cette étude au devis quasi-expérimental (pré-post et groupe témoin) ayant débuté à l’hiver 1994 et qui s’est terminée, considérant les suivis post-intervention un an après la fin du programme, à l’hiver 1996. Les résultats de cette première étude évaluative indiquaient que la participation au programme CdeM?, comparativement aux femmes du groupe témoin, diminuait significativement la désinhibition émotionnelle (c’est-à-dire le fait de manger en réponse à des émotions) et améliorait significativement la perception de l’image corporelle ainsi que les connaissances par rapport à la problématique du poids. Ces effets ont été soutenus un an après la fin du programme. Toujours chez les femmes du groupe expérimental comparativement au groupe témoin, les résultats indiquent une diminution significative de l’utilisation des diètes et de l’indice de dépression ainsi qu’une augmentation significative de l’efficacité personnelle un an après le programme. De même, un an après la participation au programme, les

résultats de cette évaluation soulignaient qu’une plus grande proportion de femmes du groupe expérimental comparativement aux femmes du groupe contrôle présentait une perte pondérale modérée allant jusqu’à 10% du poids corporel initial (25% contre 36%) ou un poids stabilisé (36% contre 19%). Bien que les résultats associent une diminution des tendances boulimiques et une augmentation de la pratique d’activité physique à la participation au programme, ces effets n’ont pas été maintenus dans le temps. De plus, les résultats n’indiquaient pas de différence dans les deux groupes quant à la variable de « maîtrise de soi » tel qu'anticipé (Mongeau 2005, Mongeau & Provencher, 2009).

À la suite de cette première évaluation et à une rencontre d’appréciation de la réalité des intervenantes offrant le programme au Québec, des ajouts et des réarrangements ont été réalisés à la version originale du programme. Ainsi, dans la réédition du programme (2005), des échanges auto-animés, des activités d’analyses « Je fais le point », un plan d’action personnalisé et des discussions à l’égard de l’image corporelle ont été ajoutés, les outils ont été modernisés et, finalement, certains thèmes ont été déplacés ou élagués. Afin d’évaluer l’efficacité de ce programme réédité, Provencher, Bégin, Gagnon-Girouard, … & Lemieux (2009) ont réalisé une seconde étude évaluative selon un devis expérimental entre Septembre 2003 et Avril 2006. Au total, 144 femmes présentant un surplus de poids et une préoccupation à l’égard du poids ont été réparties aléatoirement dans l’un des trois groupes à l’étude : 1) participantes à CdeM?, 2) participantes à un groupe de soutien social et, 3) groupe témoin (sans intervention). Les résultats de cette seconde évaluation indiquent, comparativement au groupe témoin, que la participation au programme CdeM? et la participation au groupe de soutien social a significativement amélioré, et de façon soutenue dans le temps, les comportements alimentaires de désinhibition et de susceptibilité à la faim. À court terme, sauf pour les symptômes dépressifs et les comportements boulimiques qui n'ont pas été améliorés dans la condition sans intervention, les résultats suggèrent que toutes les variables psychologiques à l’étude (estime de soi, qualité de vie reliée au poids, satisfaction corporelle) ont été améliorées dans chacune des trois conditions (Gagnon-Girouard et al., 2010). Toutefois, un an plus tard, seules les participantes de CdeM? avaient maintenu ou amélioré ces mêmes variables (Gagnon-Girouard et al., 2010). Quant au désir de manger et à la sensation de faim, les résultats indiquent une réduction significative à la suite de leur participation au programme, mais non soutenue dans le temps (Provencher et al., 2009). De plus, la participation au programme ou au groupe de soutien social a engendré une réduction légère (1 à 2% du poids original) mais significative et soutenue dans le temps, du poids corporel (Provencher et al., 2009). Il semble également que les comportements alimentaires favorables et l'amélioration de la qualité de vie liée au poids observés suite à la participation au programme CdeM? soient corrélés au maintien de ces changements corporels un an plus tard (Provencher et al., 2009; Gagnon- Girouard et al., 2010). Enfin, le programme ne démontrait pas de changements ni dans les niveaux d'activités

physiques pratiquées, ni dans les paramètres métaboliques et anthropométriques un an après le programme (Provencher et al., 2009).

Ces deux études d'impacts du programme CdeM? ont donc démontré des effets bénéfiques tant sur le plan comportemental que psychologique. En effet, il permet une amélioration soutenue de l’estime de soi, de l’efficacité personnelle, des comportements alimentaires et de la satisfaction quant à l’image corporelle en plus de favoriser la stabilisation et même une légère perte de poids. D’une perspective de santé publique, l’efficacité d’un programme de promotion de la santé est un pas en avant pour l’amélioration de la santé de la population (Sassi, 2010; Durlak & Dupre, 2008, Association pour la santé publique du Québec, 2005, Lundgren, Amodeo, Cohen, & Chassler, 2011; Wandersman et al., 2008; Kendall & Beidas, 2007; Fagan et al., 2008). Cette efficacité est d’ailleurs déterminante dans le fait d'investir les ressources humaines et financières nécessaires pour permettre à un programme prometteur de devenir disponible pour un plus grand bassin de la population cible (Bartholomew et al., 2012; Green & Glasgow, 2006; Greenhalgh et al., 2004; MSSS, 2008). C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est produit pour le programme CdeM?. La prochaine section vous présentera donc une rétrospective du processus de déploiement de ce programme dans la province. Quant au processus de déploiement à proprement dit, il sera conceptualisé et discuté plus en détail dans la deuxième partie de ce chapitre.

3.2. Rétrospective du processus de déploiement du programme CdeM? dans la province

Vers la fin des années 1980, l’aspect novateur du programme CdeM? ainsi que les témoignages de certaines participantes ont rapidement interpellé d’autres professionnelles de la santé pratiquant auprès de cette même clientèle, ailleurs au Québec, en Ontario francophone et au Nouveau- Brunswick (Côté & Mongeau, 2005). Les instigatrices du programme ont alors mis sur pied et dispensé un séminaire de formation clés-en-main incluant notamment le visionnement d’une session du programme. En 1991, elles créaient un organisme à but non lucratif indépendant du CLSC, le Collectif action alternative en obésité (CAAO) afin de chapeauter et d’orchestrer les actions de développememnt et de déploiement du programme. Cet organisme est maintenant connu sous le nom d’ÉquiLibre (www.equilibre.ca). Encore aujourd’hui, ÉquiLibre dispense un séminaire de formation, met à jour les informations sous-jacentes au programme et soutien le développement ou le maintien des capacités des intervenantes et des milieux quant à l’implantation et à l’animation du programme (Côté & Mongeau, 2005; ÉquiLibre, document inédit, 2012).

En 2006, ce processus de déploiement s’est dynamisé suite au soutien politique et financier du gouvernement du Québec. Tout d’abord, la mise en œuvre du programme CdeM? dans le réseau de la Santé et des Services Sociaux a été inscrite parmi les actions ciblées pour améliorer les services aux personnes aux prises avec un problème lié au poids (5e axe prioritaire) du PAG (MSSS, 2006). En 2008, cet appui politique s’inscrivait

également parmi les actions à entreprendre pour modifier les facteurs environnementaux de promotion et de prévention concernant les saines habitudes de vie dans les communautés (MSSS, 2008). Par ailleurs, en mars 2010, une lettre du sous-ministre de la santé et des services sociaux, M. Jacques Cotton, rappelait aux directions générales des CSSS, que « le programme CdeM? s’inscrit dans l’offre de service mise en place par les CSSS afin de faire une gestion intégrée des maladies chroniques » (ÉquiLibre, document inédit, 2012). Concrètement, le MSSS a subventionné ÉquiLibre afin d’assurer la formation des intervenantes du réseau de la Santé et des Services Sociaux et pour soutenir l’implantation dans les milieux. Actuellement, le séminaire de formation dure cinq jours au total. Les quatre premiers jours alternent entre théorie et expérimentation des activités. Une cinquième journée est ensuite offerte aux intervenants dans l’année suivant leur première expérience d’animation. De plus, une trousse clés-en-main contenant un cartable d’informations, le matériel éducatif, les outils de promotion nécessaires ainsi que des exemples d’intervention filmés est remise aux intervenantes. Quant au soutien à l’implantation et à l’animation, il se fait actuellement à distance au moyen d’un forum de discussion en ligne pour tous les dyades d’intervenantes formées, un mentor disponible par téléphone pour répondre aux questions ponctuelles et spécifiques ainsi qu’un bulletin informatif mensuel (ÉquiLibre, document inédit, 2012; Côté & Mongeau, 2005).

Par cette volonté politique et l’investissement de fonds publics depuis 2006, la portée de cette approche novatrice de promotion de la santé et de prévention des problèmes liés au poids s’est élargie. Cela dit, aucune donnée ne permet actuellement de documenter la manière dont se déroule le processus de déploiement du programme au sein de la province.

Partie 2 : Déployer un programme de promotion de la santé : un

processus complexe