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CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE

2. Intervenir sans nuire pour améliorer la qualité de vie liée au poids corporel

Pour agir, il importe d’abord de reconnaître et de mieux comprendre les facteurs étiologiques de l’obésité (Bartholomew et al., 2012; Brug, et al., 2005; Green & Glasgow, 2006). À ce jour, les facteurs les mieux reconnus sont aussi multiples que complexes (Tremblay, 2011; Organisation mondiale de la Santé, 2003; Neumark-Sztainer, 1999). En effet, ces facteurs peuvent être tantôt d’ordre individuel (liés à des aspects psychologiques, biologiques, génétiques, métaboliques, endocriniens, socioéconomiques ou comportementaux) et tantôt d’ordre environnemental. L’obésité semble également pouvoir être le reflet d’une interaction entre ces facteurs individuels et environnementaux (Tremblay, 2011; MSSS, 2006; Organisation mondiale de la Santé, 2003; Neumark-Sztainer, 1999).

La population générale aussi bien que les professionnels de la santé et les décideurs n'accordent pas la même importance à chacun de ces facteurs étiologiques de l'obésité (Neumark-Sztainer, 1999). Certains voient les aspects individuels comme principaux déterminants du poids alors que d'autres accordent plus d'importance à l'environnement. Ce continuum de visions à l'égard des causes de l'obésité ou des déterminants du poids influence, sans contredit, les types d'interventions et actions qui sont développées et mises en place dans ce contexte d’obésité (Bartholomew et al., 2012; Neumark-Sztainer, 1999, Bacon & Aphramor, 2011, Autorité provinciale des services de la santé, 2013). Par ailleurs, on distingue deux approches d'intervention principales : celle axée sur le poids ou celle basée sur le nouveau paradigme sur le poids (NPP) (Neumark-Sztainer, 1999; Autorité provinciale des services de la santé, 2013; Schaefer et al., 2000). Ces deux approches seront définies et discutées dans les prochaines sections, mais il importe de savoir que les interventions proposées dans l’une ou l’autre de ces approches se distinguent tant par leur but, leur contenu, leur mode de transmission que par l’attitude des intervenants qui y sont impliqués (Neumark- Sztainer, 1999; Autorité provinciale des services de la santé, 2013; Schaefer et al., 2000).

2.1 Approche d'intervention axée sur le poids

L’approche axée sur le poids définit l’obésité comme un état à éviter et a donc comme objectif et critère de succès, la perte de poids. Par ailleurs, les messages nutritionnels et médicaux contemporains réduisent parfois l'obésité à la responsabilité individuelle d’un bilan énergétique positif c’est-à-dire que l’obésité n’est que le résultat de la somme d’un apport énergétique (calorique) trop élevé et d’une dépense énergétique (calorique) trop faible. De cette perspective, l’individu est le seul reponsable de son état et doit suivre des règles externes sans lesquelles il n’arrivera pas à effectuer les changements nécessaires pour perdre le poids qu’il a gagné. De fait, l'utilisation de régimes stricts restreignant l'apport calorique total, l'augmentation de la dépense énergétique totale par une prescription d'activité physique dans le seul but de perdre du poids ou une combinaison de ces deux méthodes sont valorisés (Schaefer et al., 2000).

Cette approche est prédominante dans notre société contemporaine dans laquelle la minceur est idéalisée (Neumark-Sztainer, 1999; Bacon & Aphramor, 2011; Provencher & Mongeau, 2009; Autorité provinciale des services de la santé, 2013; Brady, Gingras, & Aphramor, 2013). En effet, les normes de beauté sont associées à ce modèle unique de minceur et sont renforcées par l’engouement de notre société de consommation envers des produits relatifs au corps et au poids. (Brady et al., 2013; Bacon & Aphramor, 2011; Provencher & Mongeau, 2009; Autorité provinciale des services de la santé, 2013). En conséquence, la population, y compris les professionnels de la santé, devient très peu tolérante envers ceux et celles qui dérogent de la norme sociale et cela alimente les préjugés et le blâme envers les individus obèses (Autorité provinciale des services de la santé, 2013; Shelley et al., 2010; Brady et al., 2013; Gravel, 2013). Contrairement à l’objectif visé par cette approche, les préjugés à l'égard du poids et la stigmatisation qui en résultent sont reconnus pour favoriser la surconsommation et l'évitement de l'activité physique chez les individus qui sont (ou qui se sentent) visés par ces préjugés (Autorité provinciale des services de la santé, 2013, Bacon & Aphramor, 2011). De plus, chez ces même individus (ayant ou non un excès de poids), les allusions, les plaisanteries, la discrimination et la stigmatisation liées au poids sont associées à une insatisfaction corporelle, une plus faible estime de soi, une vulnérabilité à la dépression, des troubles de comportements alimentaires et à d'autres troubles psychologiques (Shelley et al., 2010; Harriger & Thompson, 2012; Bacon & Aphramor, 2011, Association pour la santé publique du Québec, 2005; Mongeau & Provencher, 2009; Neumark-Sztainer, 1999; Autorité provinciale des services de la santé, 2013; Brady et al., 2013). L’insatisfaction corporelle, elle, peut mener au développement d’une préoccupation excessive à l’égard du poids (Mongeau, 2005, Harriger & Thompson, 2012). Cette préoccupation excessive à l’égard du poids implique qu’une personne soit insatisfaite de son poids ou de son corps, sans égard à sa valeur d’IMC et de tour de taille, au point que cela porte atteinte à sa santé physiologique et psychologique (Schaefer, Mongeau, Dionne, & Leblanc, 2000; Camirand et al., 2010).

Cette quête pour correspondre à la norme de beauté ou aux recommandations diététiques et médicales contemporaines dans laquelle s’inscrit l’approche axée sur le poids mène nombre d'individus, obèses ou non, à prendre action en utilisant des méthodes d'amaigrissement qui peuvent être nuisibles pour leur santé physique et psychologique (Shelley, O'Hara, & Gregg, 2010; Brady et al., 2013; Autorité provinciale des services de la santé, 2013). À titre d'exemple, en 2008, environ une Québécoise âgée de plus de 15 ans sur trois (35,9%), tout statut corporel confondu, avait tenté de perdre ou de contrôler son poids au cours des 6 mois précédant l’enquête et une personne sur deux l’avait tenté à plus de deux reprises au cours de l’année. Chez les personnes obèses, cette proportion doublait presque (60,5%) (Camirand et al., 2010). Parmi les personnes ayant réussi à perdre du poids, il semble que le poids perdu soit difficile à maintenir à long terme (Perri, 1998 cités dans Bégin, Gagnon-Girouard, Provencher, & Lemieux, 2006; Autorité provinciale des services de la santé, 2013; Bacon & Aphramor, 2011). On reconnaît d'ailleurs le concept de variations

cycliques du poids comme une conséquence fréquente de l'utilisation à répétition de méthodes d'intervention axées sur la perte de poids (Autorité provinciale des services de la santé, 2013; Bacon & Aphramor, 2011; Mongeau, 2005). Ces variations cycliques du poids sont d'ailleurs associées à un stress cardiométabolique élevé, une augmentation de la tension artérielle, à la résistance à l’insuline et aux dyslipidémies. Elles ont également été associées à un très fort sentiment d’échec et d’impuissance, la dépression, l’anxiété, l’irritabilité, l’isolement social, à la préoccupation à l’égard du poids et de la nourriture ainsi qu’une pauvre image et estime de soi (Bacon & Aphramor, 2011; Autorité provinciale des services de la santé, 2013; Harriger & Thompson, 2012).

En voulant aider et diminuer les risques associés à l'obésité par une approche axée sur la perte de poids, cela semble pouvoir générer d'autres problèmes qui ont des conséquences tout aussi importantes que l'obésité en tant que telle. En réponse à ces constats, le NPP s'est développé et la seconde approche en est inspiré.

2.2. Approche d'intervention basée sur le NPP

Cette approche adhère à la prémisse que le poids ne puisse être un comportement modifiable et, en l’occurrence, qu’il ne puisse être une cible d’intervention comportementale tel qu'il ne l'est dans le cadre d'une approche d'intervention axée sur la perte de poids (Schaefer et al., 2000; Bacon & Aphramor, 2011; Brady et al., 2013). Une approche d'intervention basée sur le NPP priorise donc la promotion de la santé et la diversité corporelle et préconise la modification des habitudes de vie, sans égard à la perte pondérale. Par ailleurs, l’impact direct d’une optimisation des habitudes de vie sur l’amélioration de la santé individuelle sans égard au poids est maintenant reconnu (Schaefer et al., 2000; Sassi, 2010; Association pour la santé publique du Québec, 2005).

Le NPP repose en fait sur trois postulats principaux. Tout d'abord, il reconnaît que la reprise du pouvoir des individus quant à leur situation personnelle (empowerment1) est le tremplin au changement (Schaefer et al.,

2000; Mongeau & Provencher, 2009; Bacon & Aphramor, 2011; Shelley et al., 2010). En effet, sans un regard critique et objectif sur sa propre situation et sur l'environnement, le changement de comportement ou l'amélioration de la qualité de vie à l'égard du poids ne peuvent se concrétiser. Cela met en fait la table pour le deuxième fondement du NPP qui implique de permettre à l’individu de s’accepter en se connaissant « sous

1 Le terme anglais empowerment a été préconisé dans le présent mémoire afin de préserver le sens de ce concept.

L’empowerment est un processus ou un résultat qui implique le développement chez l’individu d’habiletés particulières, mais aussi d’un sentiment d’autonomie, de maîtrise et de reprise du pouvoir sur sa vie (Côté & Mongeau, 2005; Van Daele et al., 2012; Le Bossé, 2004). Il peut se développer d’un angle individuel, organisationnel ou sociétal (Van Daele et al., 2012; Le Bossé, 2004). Dans le contexte d'un programme exploitant l'empowerment, le professionnel agit comme un collaborateur/facilitateur à la démarche des participantes plutôt qu’un expert (Zimmerman (2000) cité dans Van Daele et al., 2012).

tous ses angles » et en sachant « profiter de ses forces et de ses atouts tout en considérant de façon objective ses limites et ses faiblesses » (Mongeau & Provencher, 2009). L'acceptation de soi implique non seulement le respect de soi, mais aussi le respect et l'acceptation de la grande diversité de personnalités et de formats corporels dont le sien (Mongeau & Provencher, 2009; Bacon & Aphramor, 2011; Shelley et al., 2010). Cela dit, cette acceptation ne nie pas la capacité de changement d’un individu et invite à l’action dans le respect de ses limites (Mongeau & Provencher, 2009). Enfin, l’approche sans diète soit le « refus d’encourager les diètes restrictives » est au cœur du troisième fondement du NPP (Mongeau & Provencher, 2009). Ainsi, contrairement à l'approche axée sur la perte de poids, le NPP accorde un grande importance à la libéralisation des aliments, à l'écoute du corps, au plaisir de bien manger et au plaisir de bouger (Mongeau & Provencher, 2009; Shelley et al., 2010). De cette manière, «l’alimentation et l’activité physique ne sont pas utilisées comme moyens pour contrôler le poids, mais plutôt comme facteurs contribuant à améliorer la santé et la qualité de vie pour ainsi faire partie intégrante du mode de vie de la personne » (Mongeau & Provencher, 2009).

Certaines critiques ont toutefois été soulevées à l'égard du NPP (Brady et al., 2013). L'une de celles-ci implique que, bien que les deux approches sont en désaccord avec l'importance accordée au poids, pour le NPP comme pour l'approche axée sur la perte de poids, être en santé est perçu comme un devoir qui incombe à la responsabilité individuelle (Brady et al., 2013). Il a également été reproché au NPP qu'il limite la problématique au domaine médical ou scientifique alors qu'il devrait mettre l'accent sur les enjeux politiques liés à la manière dont l'image, les critères de beauté et la relation au corps sont véhiculés dans la société (Brady et al., 2013).

Somme toute, le NPP élargit le spectre de possibilités pour soutenir les personnes obèses ou préoccupées par leur poids en rappelant que la promotion de santé est un processus qui permet de redonner le pouvoir à la population pour améliorer sa santé physique, psychologique, spirituelle et sociale de manière durable (Agence de santé publique du Canada, 1986; Côté & Mongeau, 2005; Brady et al., 2013; Shelley et al., 2010). Toutefois, promouvoir la santé globale par le NPP ou de n’importe quelle autre manière nécessite la mobilisation, la planification et l’organisation d’actions sociales de différentes formes, de différents domaines et à différents niveaux (Rossi et al., 2004; Greenhalgh et al., 2004; Durlak & Dupre, 2008; Meyers et al., 2012b; Wandersman, Duffy, Flaspohler, Noonan, Lubell, Stillman,..., 2008; Bartholomew, Parcel & Kok, 1998; Green & Glasgow, 2006; Agence de la santé publique du Canada, 1986). Au Québec, un exemple de cette mobilisation à l’égard des problèmes liés au poids s’est traduit par le développement du programme CdeM?.