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Chapitre 7 : Choix des variables

3) Professions et Catégorie Socioprofessionnelle

La catégorisation en Catégories Socioprofessionnelles a été mise en place en 1951 avec la création par Jean Porte du code des Catégories Socioprofessionnelles. Cette nomenclature mise en place par l’INSEE visait à regrouper les individus en différentes catégories, afin d’identifier différents groupes dans la société. L’emploi a été choisi comme variable, puisque cela permettait de réunir l’ensemble des individus de la société. Toutefois, cet exercice renvoie à la difficile entreprise de classification (Desrosières, Thèvenot, 1979). Cette entreprise n’est pas aisée, lorsqu’il faut regrouper en catégorie l’ensemble du spectre des professions, dans toutes leurs diversités. Cela explique le fait que Porte se soit basé, pour débuter la classification, sur

27 La distinction est faite entre les individus n’ayant jamais été scolarisés, et ceux qui l’ont été sans avoir obtenu

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des clivages suivant le sens commun, telle que l’opposition entre salarié et travailleur indépendant.

Par ailleurs, effectuer une catégorisation sur des emplois ne renvoie pas aux mêmes responsabilités et enjeux qu’avec une autre classification plus confidentielle. Celle-ci affecte l’ensemble des individus par la perception qu’ils ont de leur position dans la société. La catégorisation des CSP a donc été réalisée principalement en fonction de la perception des gens. L’intérêt était d’expliciter de manière formelle par cette catégorisation, les distinctions entre individus qui étaient déjà faites de manière implicite par chacun.

Utiliser l’emploi comme variable de classification permet de passer outre le diplôme, ou le salaire. La profession inclut de manière implicite ces deux autres variables, en ajoutant par ailleurs le statut social de la profession aux yeux de la société (Desrosières, 1988). Outre l’importance d’identification des individus à cette classification, celle-ci est construite en dehors de toute théorie sociologique :

« Cette classification n’a pas été construite à partir d’une théorie sociologique

mais plutôt de façon pragmatique, dans le but d’obtenir des corrélations assez fortes entre les personnes classées et des groupes de pratiques sociales différenciées » (Pierru, Spire, 2008)

Il faut également replacer cette classification dans son contexte historique. En 1951, la France est en pleine reconstruction au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et débute la période keynésienne des Trente Glorieuses. C’est donc une période où les individus s’identifient à et par leur travail.

« La force du modèle des CS en France repose sur l’existence d’une certaine harmonie entre les représentations du monde profane et celle des spécialistes, statisticiens ou sociologues, qui font finalement usage des mêmes catégories. » Alain Chenu dans (Chauvel, et al., 2006).

Cette nomenclature a également été légitimée par son emploi massif dans les conventions collectives, qui ont été créées à cette période. L’intérêt de cette nomenclature est également d’avoir différents niveaux d’agrégation des professions, ce qui permet d’avoir plus ou moins de

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finesse dans la classification. Le niveau le plus agrégé permet de regrouper l’ensemble des professions en huit catégories. Il est cependant possible d’acquérir un niveau de détail supérieur dans la classification, car celle-ci se décline comme une arborescence, avec plus de 800 professions à son niveau le plus fin (INSEE, 2003).

Outre la résonnance dans la société civile des PCS, cette classification a également rencontré un grand succès à la fois dans le monde de la recherche publique et dans celui du secteur privé. La nomenclature des Catégories Socioprofessionnelles a alors rapidement eu un statut de quasi- monopole dans les enquêtes et études statistiques portant sur la dimension socioéconomique des individus. Cette utilisation quasi systématique des PCS a connu un pic dans les années 1970 avec l’arrivée des analyses factorielles. Le caractère discret des PCS a permis d’effectuer ce type d’analyse avec cette nomenclature, ce qui a montré, avec une AFC notamment, que les PCS n’obtenaient pas une classification similaire à celle faite par les revenus, et qu’il y avait bien une concordance entre le capital économique et le capital social (Bourdieu, 1979 ; Chauvel, et al., 2006).

En 1982, un ajustement de la nomenclature des CSP a été réalisé pour devenir profession catégorie socioprofessionnelle (PCS). Ce réajustement s’est fait dans le prolongement de la précédente classification, et n’a pas provoqué de changement majeur, bien que le raccord des deux nomenclatures n’a pas été aisé. Toutefois, à partir des années 1990, l’utilisation des PCS dans les études statistiques produites par l’INSEE a commencé à décroître. Cela s’explique dans un premier temps par la perte progressive de l’identification des individus à leur PCS. La lecture marxiste sous forme de classes sociales perd peu à peu du terrain, et est supplantée par les questions de pauvreté. Il y a également une translation de l’intérêt porté à une personne comme individu faisant partie d’un groupe social, à l’individu de manière isolée. Le délaissement progressif des PCS, principalement au profit de l’utilisation accrue des revenus est aussi lié aux rapports de forces internes à l’INSEE. Pierre Bourdieu a permis à un certain nombre de ses disciples de rentrer au sein de l’institution au milieu du XXe siècle, pour inclure une dimension sociologique aux travaux statistiques (Desrosières, 1988). Or, à partir des années 1990 s’est institué un rapport de force entre sociologues et économètres au sein de l’INSEE. L’influence des sociologues a diminué peu à peu, ce qui explique que les PCS, nomenclature qu’ils avaient grandement contribué à développer et utiliser a été progressivement mise à l’écart. Les arguments invoqués par les économètres pour ne plus utiliser les PCS sont divers. Ils se plaignent principalement du caractère secondaire des PCS, qui reprennent à la fois une dimension économique et une dimension culturelle, arguant que cette relation n’est plus aussi

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évidente que par le passé. Les traitements statistiques sont également plus faciles à mettre en œuvre en traitant les variables de diplôme ou de revenus, car elles ne contiennent qu’une seule information chacune, et produisent des résultats facilement interprétables, là où les PCS nécessitent une interprétation plus nuancée. Enfin, l’argument de la comparaison internationale a fini d’entamer la légitimité de la classification par PCS. La France est aujourd’hui le seul pays européen à utiliser une classification par catégories d’emplois comme variable économique, alors que les autres utilisent massivement le revenu. Dans la perspective d’une harmonisation européenne des statistiques sociales, l’INSEE utilise de plus en plus les revenus comme variable socioéconomique. Cette variable a aussi l’intérêt d’être fiable, car elle est contrôlée par le fisc, et est actualisée annuellement. Par ailleurs, son traitement statistique est plus aisé que celui des PCS, car c’est une variable quantitative.

Dans le cadre des études portant sur la répartition de la population dans les villes françaises, on peut également voir ce glissement de la PCS vers le revenu s’opérer. Toutefois, il nous semble toujours opportun d’utiliser comme variable socioéconomique les Professions et Catégories Socioprofessionnelles. Certes, elles n’ont plus la même place dans la représentation que les gens ont d’eux-mêmes et des autres individus, mais la construction de cette classification que nous venons de décrire montre que les PCS ont été construites dans un premier temps de manière artificielle pour coller au plus près à la réalité de l’époque, et que peu à peu, elles ont été utilisées et adoptées par l’ensemble des acteurs publics et privés, et l’ensemble de la société de manière générale. Notre intérêt n’est pas d’avoir des mesures uniques et précises de variables facilement interprétables, mais de pouvoir dresser un portrait social de nos aires d’étude, avec une classification qui reste encore aujourd’hui facilement compréhensible par le plus grand nombre.

III. Dimension ethnique

S’intéresser à la variable « ethnique » est essentiel pour compléter notre démarche s’inspirant des modèles de l’École de Chicago. Nous emploierons encore ce terme « ethnique », pour désigner l’ensemble des variables de ce type. Pour autant, nous ne partageons pas l’emploi de ce terme pour décrire les populations actuelles. Il est courant de le retrouver dans les écrits scientifiques de la première partie du XXe siècle, car celui-ci était encore largement employé (Joseph, Grafmeyer, 2009).

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Les chercheurs de l’École de Chicago, et plus largement les chercheurs anglo-saxons ont une certaine habitude à traiter les thématiques liées aux étrangers, à la couleur de peau ou à l’appartenance à une minorité. Cela est possible grâce au détail du recensement dans ces pays, qui permet d’avoir des informations détaillées sur chaque individu28, que ce soit sur sa couleur

de peau, sa religion, ou son appartenance à une « minorité visible » (voir par exemple Statistique Canada, 2013). En France, nous n’avons pas la même tradition d’identification et de recensement des individus en fonction de leur couleur de peau ou d’appartenance à une minorité. Les autorités françaises interdisent que de telles questions soient posées dans des questionnaires de recensement par exemple. L’absence de telles données s’explique par la volonté politique de ne pas diviser la population selon sa couleur de peau ou sa nationalité. Par ailleurs, cette variable n’est pas toujours pertinente, car son pouvoir explicatif est inférieur à son pouvoir normatif.

Nous allons donc devoir nous adapter aux données produites et diffusées par l’INSEE afin de choisir notre variable ethnique. Ce choix est d’autant plus restreint que les données, déjà maigres de manière générale sur ces thématiques, sont encore plus restreintes à l’échelle de l’IRIS. Nous avons essentiellement le choix entre deux variables que sont les étrangers et les immigrés. Nous allons présenter ces deux variables afin de choisir celle qui est la plus adéquate pour notre étude.