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Le travail d’analyse et la présentation des résultats ont permis de mettre en évidence un possible dépassement des pôles initiaux (A ou B). En effet, nous avons pu reconnaître des éléments de concordance entre l'une et l'autre des positions analysées au moyen des textes. Ainsi, il devient envisageable de proposer un produit transactionnel (C) faisant se rencontrer certains aspects de chacun des pôles A et B :

Fig. 6. « Produit transactionnel »

8.1 Produit transactionnel à la croisée des deux idéal-types  

Nous pouvons dresser les grandes lignes d’un produit transactionnel qui prend une forme dialectique faisant se rencontrer principalement deux mondes : les mondes de l'inspiration et industriel.

Premièrement, en ce qui concerne le monde industriel, nous avons pu mettre en évidence que l'ingénierie comme l'intervention partagent le principe supérieur commun d'efficacité. De plus, la question de la performance (état de grand) est également présente.

En outre, on peut reconnaître certains apparentements entre ingénierie et intervention autour des questions relatives au répertoire des objets et des dispositifs;

toutefois nous observons que, si la question de la transformation des personnes, des collectifs et des situations est centrale pour les deux pôles, les méthodes, l'action en plan est davantage valorisée en ingénierie alors que l'intervention privilégie les démarches. Par contre, cette dernière porte un accent très marqué sur les savoirs dont il a été abondamment question, notamment dans le texte de Schwartz; ce sur quoi l'ingénierie semble moins centrer son propos.

Deuxièmement, en ce qui concerne le monde de l'inspiration, nous pouvons mettre en évidence les éléments suivants:

L'ingénierie va à la rencontre de l'intervention en ce qu'elle se déplace progressivement vers des propositions qui incluent des paramètres tels que la nécessité de faire montre de créativité (dignité des personnes) dans l'élaboration de dispositifs de formation innovants, non-connus et inattendus (état de grand).

Ainsi, l'intérêt pour la singularité des personnes, comme par exemple le style propre des formateurs (valeur universelle de la singularité), semble faire partie des éléments qui permettent à l'ingénierie et à l'intervention de se rencontrer.

D'autre part – et c'est sans doute là l'élément central de notre analyse au sujet de cette dialectique –, ingénierie et intervention s'intéressent au travail comme objet à partir duquel et pour lequel s'élaborent leurs pratiques: l'ingénierie mentionne la logique compétence alors que l'intervention développe de manière centrale des courants tels que l'analyse du travail ou l'ergologie. Les citations permettent d'exemplifier cette dialectique possible autour de la notion de travail :

« Je voudrais avancer l'idée selon laquelle l'entrée par le travail permet à l'intervention de se tenir au plus près de ses présupposés théoriques […] et de ses objectifs de transformation des personnes et des situations » (Jobert, 2007, p. 31).

« En tant que catégorie particulière de l'agir humain, le travail est porteur d'une intentionnalité. Ce trait, qui définit a minima l'action humaine autorise l'investigation des finalités, buts et objectifs poursuivis par les groupes ou les personnes concernées par l'intervention ainsi que leur moteur interne et externe » (Ibid., p. 32).

« […] L’ingénierie des compétences ou de la professionnalisation implique que le focus soit orienté sur la mise en œuvre, sur l’activation de combinatoires de ressources, sur le fait que le résultat attendu est à formuler en termes non pas d’acquisition mais d’action pertinente et compétente » (Le Boterf, 2003, p. 59).

« Le responsable de formation doit en effet intégrer, dans le système formation de l’organisation, les dimensions individuelles et collectives, mais il doit aussi permettre l’appropriation de nouveaux savoirs en lien avec le système de travail ou avec la production » (Ardouin, 2003, p. 23).

Sur un plan différent, il nous paraît pouvoir observer une « démarcation » qui semble à certains égards s'atténuer entre les notions de méthodes (précises, stables et reconnaissables) et de démarches (progressives et faisant l'objet d'une construction en lien direct avec les situations évolutives). Certains auteurs proposent des démarches qui prennent des formes relativement « stabilisées » telles que les

« groupes de rencontre du travail (GRT) » (Schwartz) ou encore l'évaluation clinique mentionnée comme étant l'outil stratégique de l'intervention clinique (Hubault).

Pour finir, il convient encore de mentionner le monde domestique comme pouvant participer à cette dialectique ingénierie vs intervention.

En effet, nous avons pu observer que tant l'ingénierie que l'intervention ont émergé, à l'origine, à partir d'une opposition au monde domestique, dans un mouvement

« s'enracinant dans le projet et l'idéologie du changement » (Jobert, Ibid., p. 25). En

effet, les tenants de la « militance réformiste » ont inscrit leur activité d'intervention dans un refus de l'oppression, des rapports de dominations qu'ils soient hiérarchiques, culturels ou économiques; ils ont rejeté ainsi les formes « d'acquisition de connaissances scolaires sans modifications des capacités d'agir de la personne » (Ibid., p. 22).

De manière analogue, et quelques années plus tard, l'ingénierie a cherché à repositionner le savoir académique par rapport aux logiques d'action et a rejeté les modèles éducatifs antérieurs.

Synthèse pour une dialectique

Pour synthétiser les principaux éléments qui semblent participer de cette dialectique possible – et sans doute déjà effective pour certains professionnels – entre ingénierie et intervention, nous pouvons donc relever les aspects suivants qui permettent de commenter le schéma ci-après (fig. 7. p. 91) :

• La transformation des personnes et des situations, l'efficacité et la performance qui, au final et à des degrés divers, constituent les visées de l'ingénierie et de l'intervention.

• Le travail qui fait l'objet de développements circonstanciés dans les trois textes concernant l'intervention mais constitue aussi l'objet central qui justifie l'activité des ingénieurs.

• La logique compétences (ingénierie) qui accompagne la notion de travail et qui amène progressivement, dans le courant de l'ergonomie, aux pratiques d'analyse de l'activité.

• L'ingénierie « allégée » qui prend en compte la nécessité d'une intervention progressive, en phases, s'appuyant sur la singularité des situations, des acteurs et des collectifs33.

• Une démarcation atténuée entre les méthodes (pôle ingénierie) et les démarches (pôle intervention).

      

33 Nous pouvons ici faire le lien avec la notion d'ingénierie concourante qui met l'accent sur une démarche de

Fig.7. « Produit transactionnel: vers une dialectique »

Pour notre part, nous souhaitons relever dans cette recherche dialectique deux points qui nous paraissent particulièrement intéressants et porteurs de perspectives :

• L'articulation entre la prise en compte des individus et des collectifs et l'atteinte d'objectifs de performance.

• L'analyse du travail et la prise en compte des situations comme objet émergent des deux pôles.

Pour expliciter davantage ces points, il nous faut revenir en amont sur nos discussions d’étudiants. Si tout le monde s'accordait sur la pertinence de viser, au moyen des pratiques d'ingénierie, une efficacité de la formation, certains d'entre nous craignaient les effets néfastes de ces pratiques, à savoir de générer de la souffrance au travail plutôt que de faire valoir la singularité et la capacité d'action sur le monde des personnes. Or, nous observons aujourd'hui que ces remarques étaient adressées depuis le monde civique (dignité des personnes relative à l'aspiration aux droits civiques) vers le monde industriel (état de petit et déchéance de la cité relative à l'action instrumentale qui consiste à traiter les gens comme des choses).

L'un des enjeux d'une dialectique possible entre ingénierie et intervention paraît précisément concerner la question du respect de la liberté des hommes ainsi que celle de leur actorialisation, de leur capacité d'action sur le monde, tout en générant de la performance.

Enriquez (1994), sans s'arrêter nommément sur la question de la performance, pose une question analogue : « Comment faire en sorte que chacun puisse parler en son nom propre, coopérer avec les autres en reconnaissant leur altérité et en fondant des institutions dans lesquelles chacun se sente partie prenante ?» (p. 10).

Ainsi, cette question pourrait trouver, dans la centration sur le travail, les situations et leur analyse des éléments de réponse. A notre sens, ingénieurs et intervenants ont devant eux un champ de pratiques et des perspectives de développement à explorer ensemble.