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7 Analyse des données

7.2 Idéal-types ingénierie et intervention

 

L'analyse interprétative que nous avons effectuée a fait apparaître deux catégories de mondes qui nous permettent d'expliciter de manière organisée, au sein de chacun des deux systèmes idéal-typiques, les relations entretenues entre les mondes ainsi que des « fonctions » spécifiques à chacun d’eux. Nous avons nommé ces deux catégories comme suit:

• les mondes prédominants : ceux-ci constituent le cœur de chacune des pratiques

• les mondes « support » : ceux-ci sous-tendent le principe supérieur commun des mondes prédominants.

En ce qui concerne l’idéal-type intervention, une dimension intermédiaire émerge, celle de l’activité de l’intervenant, notamment pour ce qui relève de sa posture. Cette dimension apparaît de manière nettement moins significative dans les articles concernant l’ingénierie, raison pour laquelle nous ne l'avons pas retenue.

Idéal-type ingénierie

Fig. 4. « Idéal-type ingénierie » Trois mondes prédominants

Le monde civique, mis en scène par la législation de 1971 qui préconisait l’obligation pour les entreprises de former leurs collaborateurs, rappelle que c’est d’abord le débat idéologique basé sur les notions de « deuxième chance » et

« d’éducation tout au long de la vie » qui a permis à la formation d’adultes d’exister.

Cette nouvelle législation profite aux organismes de formation qui se multiplient.

Apparaît dès lors un véritable marché de la formation (monde marchand) dans laquelle l’offre prime sur le besoin, c’est « l’ère du catalogue ». Parallèlement à ce marché, le contexte économique des années 70 et l’évolution des technologies poussent les entreprises à redéfinir leur stratégie. Nous entrons dans « l’ère de la compétitivité » régie par le système clients (monde marchand).

Dans ce contexte, l’ingénierie de formation va apporter des réponses liées à la qualité et à l’efficacité des dispositifs conçus (monde industriel). La formation est perçue comme un investissement (formule d’investissement) en tant que tel. Dans cette perspective, l’ingénierie de formation va contribuer à la performance (principe supérieur commun) et à la compétitivité (monde marchand : principe supérieur commun) des entreprises, notamment par une prise en compte du développement des compétences (état de grand).

Par ailleurs, l’ingénierie de formation a à sa disposition des appareillages, des moyens (répertoire des objets et des dispositifs) lui permettant de mener à bien la mission qui lui est assignée, à savoir la conception de dispositifs efficaces, de qualité, pertinents et efficients.

Le couple « monde marchand – monde industriel » constitue alors le cœur de l’ingénierie de formation.

Trois mondes « support »

La référence au monde domestique se justifie par le fait que les formateurs rejettent les modèles scolaires antérieurs critiqués pour leur inefficacité de "plaquer sur lui [l'apprenant] des connaissances prélevées dans les étagères académiques"

(Meignant, Ibid., p. 39); ceux-ci sont notamment critiqués par le monde industriel qui les qualifie d’inefficaces (monde industriel : état de petit et déchéance de la cité). En outre, la prise en compte des milieux de travail et de formation, des contextes particuliers, et la conception de dispositifs « sur-mesure » (figure harmonieuse de l’ordre naturel) permet à l’ingénierie de se rapprocher d’une forme de proximité.

Le monde de l’opinion est convoqué par le fait de devoir argumenter et prouver (relations naturelles entre les êtres) l’efficacité (monde industriel : principe supérieur commun) et la valeur ajoutée (monde marchand : état de grand) de l’ingénierie. Nous retrouvons ici le fondement de l’ingénierie qui reposait sur la volonté politique de moralisation du marché de la formation en concevant des dispositifs de formation de qualité, efficaces et pertinents.

Les termes relatifs au monde de l’inspiration font d’une part référence à la figure de l’ingénieur dont le travail doit non seulement être synonyme de rigueur (monde industriel : forme de l’évidence) mais doit également être doté d’ingéniosité (mode d’expression du jugement) et faire preuve de créativité (dignité des personnes).

D’autre part, on ne parle plus de dispositifs à concevoir mais de dispositifs à créer ou

à inventer (relations naturelles entre les êtres) qui doivent prendre en compte les notions de représentations de l’adulte (rapport de grandeur), de changement organisationnel (formule d’investissement), d’intelligence dans l’action et d’expérience accumulée (épreuve modèle).

Idéal-type intervention

Fig. 5. « Idéal-type intervention »

Trois mondes prédominants

Les origines de l'intervention clinique en France (années 1960-1970) s'inscrivent dans une forme de "militance réformiste" qui s'oppose aux rapports de domination, qu'ils soient hiérarchiques, culturels ou économiques, et cherche à reconnaître et valoriser:

• La singularité des individus et l'ingéniosité des pratiques de travail (monde de l'inspiration)

• Le collectif et sa capacité de participation à la gouvernance (monde civique) C'est dans cette « militance réformiste » que l'on peut aujourd'hui encore retrouver les valeurs qui sous-tendent l'intervention clinique. Dans cette même visée, on observe l'émergence de l'analyse de l'activité et de l'ergologie comme objets du travail de l'intervention.

Le monde industriel, plus particulièrement par la figure harmonieuse de l'ordre naturel qu'est l'organisme de travail (ou système), représente la "scène du social" où se situent et se jouent les interactions; ces interactions, propres au processus d'intervention, sont sous-tendues par les valeurs du couple « monde de l'inspiration - monde civique ». Toutefois, le principe supérieur commun d'efficacité et de performance (monde industriel) est reconnu comme une visée des pratiques d'intervention.

C’est ce même couple – le monde de l’inspiration et le monde civique sont mis en synergie au moyen de la révélation et de la collectivisation des pratiques de travail ingénieuses et créatives, des représentations, des croyances, etc – qui est producteur de savoirs. La relation de l'intervenant-chercheur avec les professionnels s'inscrit dans une dynamique de recherche-action dont l’enjeu est de produire des savoirs pertinents pour l'organisation/le système (enjeu de pertinence en regard de l'activité industrieuse) et de savoirs valides (enjeu de vérité) sur le plan conceptuel.

Trois mondes "support"

Le monde domestique, de par les références faites à l'accompagnement (relations naturelles entre les êtres) et à l'idée de proximité, d'action située, de compréhension du travail (figure harmonieuses de l'ordre naturel) permet de mettre en évidence l'ancrage clinique de l'intervention. C'est grâce au support du monde domestique que l'intervenant peut accéder à la singularité, à l'ingéniosité et aux spécificités (monde de l’inspiration) des milieux de travail.

Le monde de l'opinion sous-tend une part de l'activité de l'intervenant ; en effet, celui-ci doit donner à voir, rendre compte de ses observations et analyses, contribuer à rendre intelligible; il révèle le point de vue des opérateurs (formule d'investissement). Ainsi, il fait circuler la parole et la collectivise.

Le monde marchand pourrait être défini comme le monde à partir duquel se déclinent les enjeux contractuels de l'intervention, c'est-à-dire ce qui est attendu de l'intervenant et ce à quoi il s'engage.

Ainsi, les savoirs sont au centre de cette relation de travail entre l'organisation et l'intervenant. Nous relèverons deux points :

• Les savoirs produits dans l'intervention et devant permettre de donner des moyens (répertoire des objets et des dispositifs) au monde industriel, entre autres pour:

- La transformation des personnes et des situations - Les choix stratégiques et politiques de l'organisation

- Le développement de ressources immatérielles liées à la connaissance du travail, aux savoir-faire.

• L’engagement de l'intervenant dans la recherche-action qui peut être rapproché de la question de la posture et qui suppose deux dimensions :

- Dans la situation, dans l'action : l'intervenant s'engage, s'offre en caution d'une démarche qui ne comporte pas en soi la garantie de son résultat.

- Sur le plan de la recherche : que le professionnel soit chercheur et/ou formateur, il doit pouvoir s'appuyer sur un socle de connaissances et de compétences issues de la rencontre entre le

"champ conceptuel" et le "champ de la vie" (Schwartz). Ce sont ces

connaissances et les compétences qui en découlent qui justifient son statut d'expert vis-à-vis du monde industriel.

7.3 Retour sur l'hypothèse et la question de recherche  

Les différentes étapes de notre analyse ont cherché à éclairer notre question de recherche et notre hypothèse forte: il s'agit donc de revenir sur ces deux aspects.

Retour sur l'hypothèse

L'ingénierie tire sa justification de l'ordre industriel et marchand, alors que l'intervention tire sa justification de l'ordre civique et inspiré.

Reprenons chacun des pôles pour discuter de la validation ou non de l'hypothèse qui le concerne:

1. L'ingénierie tire sa justification de l'ordre industriel et marchand.

Le « tableau de pensée » (fig. 5) met en évidence trois mondes prédominants (les monde civique, marchand et industriel).

Si le monde civique semble être à l'origine de la mise en place de démarches d'ingénierie, dans un contexte où le marché de la formation se devait d'être

« moralisé », on observe que le cœur des pratiques d'ingénierie est bel et bien constitué par le couple « monde marchand-monde industriel ».

En effet, les principes supérieurs communs de ces deux mondes (relatifs à la performance pour le monde industriel et à la concurrence, la compétitivité pour le monde marchand) fondent les valeurs qui justifient les pratiques. Dans les discours des auteurs, on peut d'ailleurs relever une présence très importante de mentions faites aux appareillages de l'ingénierie (répertoire des objets et des dispositifs du monde industriel).

L'hypothèse concernant le pôle ingénierie est donc confirmée.

2. L'intervention tire sa justification de l'ordre civique et inspiré.

Le « tableau de pensée » (fig. 6) de l'intervention met lui aussi en évidence trois mondes prédominants (les mondes civique, de l'inspiration et industriel).

On observe que le contexte socio-historique d'émergence de l'intervention clinique (années 1960-1970, « militance réformiste ») constitue le creuset dans lequel se sont fondées les motivations et les valeurs sous-jacentes à ces pratiques. Il faut relever l'articulation étroite que l'on peut observer entre les principes supérieurs communs des mondes de l'inspiration et civique: cette articulation repose sur une relation que nous qualifierons de fondamentale entre les aspects relatifs à la singularité des individus et de leur travail (monde de l'inspiration : jaillissement de l'inspiration) et à la notion de collectif (monde civique : prééminence des collectifs);

cette idée nous paraît être exprimée de manière synthétique par les propos de Jobert (2007): "Stimuler les capacités d'invention collective" (p. 30)

Ainsi, individus et collectifs sont rendus solidaires par un mouvement qui consiste à mettre au profit du collectif les expériences singulières des individus. Ceci semble