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5 Pôles épistémologique et théorique

5.7 Enoncé d’une hypothèse forte

Arrivés au terme de cette partie concernant le pôle théorique, la nouvelle hypothèse que nous pouvons formuler grâce à l’apport de Boltanski et Thévenot est la suivante :

L’intervention trouve sa justification dans les mondes civique et de l’inspiration, alors que l’ingénierie trouve sa justification dans les mondes industriel et marchand.

Cette hypothèse forte constituera la clé de voûte de notre travail. Dès lors, il s’agira pour nous de confirmer ou au contraire d’infirmer cette hypothèse, à travers l'analyse des textes professionnels qui constituent notre matériau empirique.

6 Pôle technique

Les pôles épistémologique, théorique et morphologique étant posés, intéressons-nous au pôle technique qui a pour objectif d’exposer le choix des outils privilégiés dans notre recherche (Charmillot & Dayer, Ibid.).

Comme l’expliquent ces deux auteurs, l’entretien constitue le matériau empirique principal de l’approche compréhensive, « dans la mesure où il permet de construire l’activité scientifique à partir des questions que se posent les acteurs en relation avec leurs savoirs concrets, plutôt qu’à partir des questions que le chercheur se pose » (p.

135). Cependant, notre choix s’est porté sur un autre type de données : des articles.

Ceux-ci ont été tirés de la revue Education permanente30. Cette revue, destinée aux professionnels de la formation, a constitué une ressource tout au long de nos études.

De plus, l’ensemble de ces textes a une visée professionnalisante plutôt que purement scientifique. Toutefois, dans ces écrits professionnels, l’articulation entre les pratiques et les aspects théoriques est privilégiée ; c’est pourquoi nous avons jugé intéressant de constituer notre matériau empirique autour de ces textes puisqu’ils présentent, à notre sens, une qualité « théorico-pratique » qui va au-delà de la simple restitution d’actes professionnels relatés.

Néanmoins, analyser des articles « déjà construits » posait la question de notre positionnement de chercheur face à notre objet, ceci afin d’éviter le recours à une méthodologie de type hypothético-déductive. Il nous fallait donc a priori trouver des articles présentant une implication personnelle de l’auteur dans les propos qu’il exposait (par exemple sous la forme d’interviews) pour pouvoir accéder aux systèmes de représentations et de justification. Notre choix s’est donc finalement porté sur le numéro 157 « Où en est l’ingénierie de formation ? » et le numéro 170

« Intervention et savoirs. La pensée au travail». Nous avons sélectionné trois articles dans chaque numéro, rédigés par des auteurs de référence dans le domaine de l’ingénierie et de l’intervention en formation.

En voici un résumé31 :

Revue no 157 : « Où en est l’ingénierie de formation ? »

1. Thierry Ardouin (pp 13 à 25) :

« A partir de l'analyse d'un corpus de textes et de définitions, l’auteur montre comment l'ingénierie de la formation s'est peu à peu imposée et structurée en quatre étapes, à la fois successives et itératives dans un souci de prise en compte de l'environnement : analyser, concevoir, réaliser et évaluer. Au-delà de cette planification-régulation, l'ingénierie de formation s'est aussi diversifiée pour répondre aux besoins des individus, des organisations, du travail et des apprentissages, amenant à parler d'ingénierie de parcours et de       

30Pour un historique de cette revue, voir annexe 1a.

31 Ces résumés sont tirés des deux revues d’Education Permanente citées plus haut. L’intégralité des textes choisis et analysés se trouvent dans les annexes.

professionnalisation, d’ingénierie du plan de formation, d’ingénierie des compétences individuelles et d’ingénierie des compétences collectives. »

2. Alain Meignant (pp 37 à 43) :

« L’ingénierie de formation est née en France dans le contexte très spécifique des années 1960-1970 qui en a marqué les caractéristiques principales.

Aujoud’hui, si l’on n’y prend garde, les aspects novateurs de l’ingénierie de formation pourraient se transformer en une sorte de néo-académisme, d’autant plus dangereux qu’il s’appuie sur la légitimité d’un professionnalisme.

C’est pourquoi il faut éviter de mettre trop en avant le corpus méthodologique propre à l’ingénierie de formation, pour poser en permanence la question de l’efficacité de la formation sur le terrain de sa contribution à la résolution de problèmes se trouvant en dehors du champ de la formation. C’est l’une des vertus de la démarche « compétences » que de poser la question sur d’autres bases et d’offrir un cadre conceptuel et pratique élargi, décloisonnant la formation proprement dite des autres dimensions qui peuvent lui donner son efficacité et posant clairement la question de son opérationnalité en dehors de la situation de formation. »

3. Guy Le Boterf (pp 53-61) :

« Au cours des dernières années, nous avons assisté à un extraordinaire développement des pratiques d'ingénierie de formation, et des références en la matière. Il importe à présent de passer d'une ingénierie séquentielle, ou linéaire, à une ingénierie concourante ou simultanée, dans laquelle interaction, complexité et itérativité deviennent des maîtres mots. Dans cette optique, la référence à la conception de dispositifs industriels est obsolète : l'ingénierie doit être pensée en référence au fonctionnement des systèmes vivants, même s’il faut rester vigilant sur les risques de dérive ».

Revue no 170 : « Intervention et savoirs » 1. Yves Schwartz (pp 13-23) :

« Cette contribution tente d'expliquer en quel sens la réélaboration du concept d'activité conduit à renouveler notre regard sur le rapport entre la construction des savoirs et les expériences de vie, et à poser par là de nouvelles exigences quant à toute forme d' "intervention" des premiers sur les secondes. Une genèse historique de ce déplacement du regard est tentée: de la conjecture très

"théoriciste" des années 1960 à la rencontre de divers chantiers intellectuels et sociaux, propres à favoriser ce déplacement, au nom desquels tout particulièrement l'ergonomie de l'activité. De là vient ce constat que toute vie industrieuse humaine se meut dans un triangle activité-valeur-savoir: quelles formes d'intervention peuvent alors respecter ces tensions et ces dynamiques internes, et déplier leurs potentialités ? A cette fin, le texte évoque brièvement le principe des dispositifs dynamiques à trois pôles et la construction de "groupes de rencontre du travail ».

2. Guy Jobert (pp 25-34) :

« L’auteur montre que la formation des adultes entretient des rapports étroits avec les pratiques d’intervention. Il distingue trois objets de ces interventions sur

lesquels les formateurs ont successivement porté leur attention : l’intervention sur les personnes, sur les structures et sur le travail. »

3. François Hubault (pp 77-85) :

« Penser l’intervention en termes cliniques, c’est inscrire les disciplines qu’elle concerne dans un autre espace épistémologique que celui des sciences appliquées. Le régime de l’évaluation y est très différent, et la méthodologie s’inscrit dans une démarche où la construction de la « présence » est essentielle, et donc aussi l’engagement de la subjectivité de l’intervenant et celle de ses interlocuteurs. Ce faisant, l’intervention entretient un rapport à la connaissance qui oblige à repenser le rapport entre chercheur et consultant ».

Nous émettons toutefois une réserve quant à la couleur « idéologique » de la revue Education permanente32 qui pourrait d’une part avoir des « incidences » sur le choix des auteurs convoqués dans la revue, et d’autre part sur la coloration du regard porté sur les pratiques d’ingénierie et d’intervention. De ce fait, nous sommes conscients que notre analyse pourrait être influencée par cette coloration.