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4. Peptides antimicrobiens procaryotes

4.1.1 Ubiquité de la production de bactériocines

4.1.1.1 Production par les bactéries à Gram positif

Les bactériocines produites par les bactéries à Gram positif forment un groupe très hétérogène de peptides. Les bactériocines produites par des bactéries lactiques, et notamment par les genres Carnobacterium, Enterococcus, Lactobacillus, Lactococcus, Leuconostoc, Pediococcus, et quelques membres du genre Streptococcus, ont suscité un grand intérêt car leurs applications potentielles sont multiples, notamment dans la conservation des aliments ou la

79 médecine vétérinaire ou humaine (Rea et al., 2011). La découverte de nombreuses bactériocines produites par des bactéries lactiques a conduit à proposer plusieurs classifications, dont l'une peut s’appliquer à toutes les bactériocines produites par les bactéries à Gram positif, lactiques ou non (Klaenhammer, 1993). Cette classification reposait sur la répartition des bactériocines en quatre classes en fonction de leurs structures et leurs caractéristiques (Klaenhammer, 1993). Les classifications proposées ultérieurement admettent l’existence des classes I et II, alors que la légitimité des classes III et IV est discutée (Diep et Nes, 2002 ; Cotter et al., 2005 ; Willey et van der Donk, 2007 ; Heng et al., 2007).

Bactériocines de classe I

Les composés qui forment ce groupe sont des peptides dont la masse moléculaire est inférieure à 5 kDa et qui subissent d’importantes modifications post-traductionnelles. Ces modifications conduisent à la présence d’acides aminés inhabituels comme la lanthionine (Lan) et/ou  -méthyl lanthionine (MeLan) ainsi qu’à des résidus déshydratés dans leur séquence (Figure 23). Les résidus Lan et MeLan résultent de la formation d’une liaison thioéther entre le groupement sulphydryl d’une cystéine et la double liaison CC de la didéhydrobutyrine ou de la didéhydroalanine conduisant à la cyclisation du peptide (Figure 23). Les peptides antimicrobiens qui possèdent des résidus Lan et MeLan sont appelés lantibiotiques. Aujourd’hui plus de 30 lantibiotiques sont connus dont la nisine, la subtiline, Pep5, l’épidermine ainsi que des lantibiotiques possédant une structure plus compacte : la mersacidine, la cinnamycine ou encore la mutacine II.

80 Figure 23. Structures des acides aminés modifiés des lantibiotiques et de la nisine.

La didéhydroalanine (rouge) est la structure de base des lanthionines. La didéhydrobuyrine (bleu) est la structure de base des -méthyl lanthionines. La nisine A est un lantibiotique avec un acide aminé lanthionine (rouge), quatre acides aminées β-methyl lanthionine (bleu) et des acides aminés déshydratés ; déhydroalanine (vert) et déhydrobutyrine (violet) (McAuliffe et al., 2001 ; Ortega et al., 2015).

Originellement, la classe I des bactériocines était exclusivement composée des lantibiotiques. Cependant, plusieurs bactériocines subissant d’importantes modifications post-traductionnelles ont récemment été découvertes et bien qu’elles ne possèdent pas de résidus lanthionines, peuvent être associées à cette classe. De ce fait une nouvelle classification de la classe I des bactériocines a été proposée comportant la classe Ia (la plus fournie, comprenant les lantibiotiques) et les classes Ib et Ic, regroupant respectivement les labyrinthopeptines et les sactibiotiques. Les labyrinthopeptines sont des peptides qui ont fait l'objet des modifications post-traductionnelles conduisant à une structure "labyrinthe". Ils sont caractérisés par la présence d’un résidu labionine (Lab) : un acide-aminé carbocyclique modifié post-traductionnellement grâce à la protéine LanKC qui a une double activité de kinase et de cyclisation de la lanthionine (Wang et van der Donk, 2012) (Figure 24).

81 Figure 24. Structure de la labyrinthopeptine A2 contenant des résidus labionine.

La structure de l’acide aminé labionine est représenté en haut. Lab : labionine (Wang et van der Donk, 2012).

Les sactibiotiques forment le troisième groupe des bactériocines produites par les bactéries à Gram positif de classe I. Ce groupe est constitué de la subtilosine A, la thuricine CD, la thurincine H et la propionicine F qui sont des peptides cycliques, fortement modifiés post-traductionnellement, avec une liaison croisée entre les atomes de soufre des résidus cystéines et les carbones  de deux phénylalanines et une thréonine (Figure 25) (Mathur et al., 2015).

Figure 25. Structure de la subtilosine A.

Les acides aminés impliqués dans les liaisons sont entourés en rouge pour les cystéines, bleu pour les phénylalanines et vert pour la thréonine (Kawulka et al., 2004).

Bactériocines de classe II

Les bactériocines de classe II sont des peptides cationiques avec une masse moléculaire inférieure à 5 kDa, résistants à la chaleur et qui ne subissent peu ou pas de modifications post-traductionnelles. Ils sont constitués d’acides aminés standards, qui peuvent néanmoins être

82 associés par des ponts disulfure, ou former des peptides cycliques. Les bactériocines de la classe II sont subdivisées en quatre sous-classes :

- La sous-classe IIa regroupe des bactériocines nommées « pediocin-like ». Les bactériocines qui composent cette sous-classe ont toutes en commun une région très bien conservée, située à l’extrémité N-terminale, qui contient la séquence cationique hydrophobe Y-G-N-G-V-X1-C-X2-K/N-X3-X4-C (avec X correspondant à n’importe quel acide aminé) souvent appelée « boite pédiocine ». Les deux cystéines de cette séquence forment un pont disulfure (Figure 26).

Figure 26. Structure primaire des bactériocines de classe IIa.

Alignement des séquences en acides aminés des précurseurs de bactériocines de classe IIa. Les séquences des bactériocines matures actives sont en gras ; la séquence consensus des bactériocines « pediocin-like » est surlignée en gris et les cystéines en rouge (Desriac et al., 2010 ; Makhloufi et al., 2013).

- La sous-classe IIb regroupe des bactériocines de type « two-peptides ». Ces bactériocines requièrent l’action de deux peptides distincts pour avoir une activité antimicrobienne optimale. En effet, les deux peptides ont, dans une grande majorité des cas (sauf pour la lactacine F et les plantaricines EF et JK (Allison et al., 1994 ; Anderssen et al., 1998)), très peu ou pas du tout d’activité de manière isolée et ont besoin d’interagir physiquement pour former un complexe actif. Alors que la séquence en acides aminés et la structure des deux peptides est variable, un motif commun GXXXG est présent sur les deux

83 peptides (Figure 27). Ce motif est impliqué dans une hélice , structure secondaire via laquelle les deux peptides interagissent. Actuellement, il y a environ 16 bactériocines dans ce groupe, quasiment toutes produites par des bactéries lactiques à l’exception de la bactériocine brochochine C produite par Brochotrix campestris (Rea et al., 2011). Les bactériocines appartenant à ce groupe sont composées (i) soit de peptides de moins de 40 acides aminés, comme c’est le cas pour la plantaricine S (26 et 24 acides aminés pour le premier et le deuxième peptide) ou lactococcine G (39/35 acides aminés) ; (ii) soit de peptides de plus grande taille comme c’est le cas des brochocine C, sakacine T, gassericine T et lactacine F chez lesquelles au moins l’un des deux peptides renferme plus de 50 acides aminés (Figure 27).

Figure 27. Séquence en acides aminés des bactériocines de classe IIb.

Le motif GXXXG caractéristique des bactériocines de classe IIb est surligné en bleu où X représente n’importe quel acide aminé. Les plantaricines S β et NC8 β possèdent respectivement un motif AXXXA et SXXXS au lieu de GXXXG ; ils sont surlignés en vert (Makhloufi, 2011).

- La troisième sous-classe, ou classe IIc regroupe les bactériocines qui subissent des modifications post-traductionnelles liant de façon covalente les extrémités N- et C-terminales, formant ainsi des bactériocines circulaires, via un mécanisme enzymatique encore mal connu à ce jour (Figure 28). La structure circulaire est responsable de la protection de ces bactériocines

84 à l’égard de la protéolyse, en raison de l’absence de site de clivage aux exopeptidases (Maqueda et al., 2008). Aujourd’hui 8 bactériocines circulaires ont été identifiées, en excluant la subtilosine A et la thuricine CD qui, malgré le fait qu’elles soient circulaires, sont considérées comme des bactériocines de classe I en raison des importantes modifications post-traductionnelles qu’elles comportent (Rea et al., 2011). Parmi elles, l’entérocine AS-48, la première et la plus étudiée, produite par Streptococcus faecalis (Gálvez et al., 1986). Toutes les bactériocines de classe IIc sont produites par des bactéries lactiques à l’exception de la circularine A produite par Clostridium beijerinckii et la butyrivibriocine AR10 produite par Butyrivibrio fibrisolvens (Rea et al., 2011).

Figure 28. Structure des bactériocines de classe IIc : l’acidocine B et la carnocycline A.

Les extrémités N- et C- terminales sont liées de façon covalente formant ainsi des bactériocines circulaires (liaison représentée par un trait noire) (Acedo et al., 2015 ; Martin-Visscher et al., 2008).

- Le quatrième sous-classe est la classe IId qui regroupe toutes les bactériocines qui ne sont pas modifiées post-traductionnellement, ni « pediocin-like », à un seul peptide et qui sont linéaires (Rea et al., 2011). Ainsi, ce groupe est très hétérogène et contient des peptides antimicrobiens qui ne possèdent aucun critère leur permettant d’être classés dans l’une des

85 3 sous-classes précédentes. Trente et une bactériocines appartiennent à cette sous-classe, dont la lactococcine A, la première à avoir été isolée et la mieux caractérisée. Elles sont principalement produites par des bactéries lactiques, mais ont aussi été isolées chez Staphylococcus, Weissella sp. ou encore Propionibacterium sp. (Heng et al., 2007 ; Nissen-Meyer et al., 2009).

Bactériocines de classe III et IV

Ces deux classes de bactériocines sont beaucoup moins étudiées que les classes I et II. Contrairement aux bactériocines de classe I et II qui sont des peptides de moins de 5 kDa, les bactériocines des classes III et IV sont, respectivement, des protéines et des complexes protéiques composés d’un ou plusieurs groupes fonctionnels, de nature lipidique ou carbohydrate. Les protéines de classe III sont sensibles à la chaleur et sont souvent associées à une activité enzymatique. En 2005, Paul Cotter a proposé que dans la mesure où les peptides de la classe III sont des enzymes lytiques, ils devraient en fait être considérés comme des bactériolysines, et non comme des bactériocines (Cotter et al., 2005).

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