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2.3 L’étrange cas de l’étrangeté

2.3.2 Production d’étrangeté dans un gaz de hadrons

Dès lors que les quarks étranges sont créés dans un milieu de quarks déconfiné, la conservation de l’étrangeté ne peut qu’entraîner la production massive de hadrons (mé- sons/baryons) étranges lors de l’hadronisation du système. A priori, compte tenu de ce qui vient d’être énoncé, leur production devrait être nettement accrue par rapport à celle at- tendue dans un gaz de hadrons. Qu’en est-il ? Quels sont les processus qui entrent en jeu pour former des hypérons étranges et multiétranges dans un gaz de hadrons ? Quels en sont les seuils en énergie ? Quel est alors le temps d’équilibration de l’étrangeté ?

Les baryons présents dans un vide “plein”, dans un milieu confiné de quarks et de gluons sont, en plus des nucléons (N), les hypérons Λ et Σ0,± avec un quark étrange, les

Ξ0,±avec deux quarks étranges et les Ω±avec trois quarks étranges. Les masses de chacun de ces baryons augmentent avec le contenu en quarks étranges de chacun d’eux. Les mé- sons stables dans un milieu équivalent regroupent les π0,±et les K0,±contenant un quark

étrange. En plus de ces états stables, des centaines de résonances de masse inférieure à 2 GeV apparaissent également dans le milieu.

2.3.2.1 Mécanismes de production et temps d’équilibration

La production de particules étranges dans un gaz de hadrons a été étudiée par P. Koch, B. Müller et J. Rafelski en 1986 [KMR 86]. La production des baryons multiétranges (Ξ−,

¯

Ξ+, Ωet ¯Ω+) s’est avérée considérablement diminuée dans un gaz de hadrons par rapport

à la production attendue dans un plasma. Il y a deux raisons à cela. (1) Non seulement les seuils en énergies des processus hadroniques susceptibles de former des hadrons étranges sont relativement élevés, mais de plus, (2) les temps d’équilibration de ces productions sont relativement longs par rapport à la durée d’une collision d’ions lourds.

(1) Les processus de base entrant en jeu pour la formation des hadrons étranges sont listés ci dessous :

π + π → K + ¯K (Q = 2mK− 2mπ ' 710 MeV) (2.7)

N + N → N + Λ + K (Q = mΛ+mK− mN' 670 MeV) (2.8)

N + N + N → N + N + Λ + ¯Λ (Q = 2mΛ− mN' 2200 MeV) (2.9)

π +N → K + Λ (Q = mΛ+mK− mπ− mN' 530 MeV) (2.10)

Les seuils de ces réactions sont nettement supérieurs au seuil d’environ 200 MeV pour la formation de paires s¯s dans un plasma. Ces réactions “simples” ne permettent que la formation des mésons et baryons simplement étranges. Il faut considérer que la formation d’un Ξ par exemple va réclamer une réaction supplémentaire entre un Λ formé par les réactions énoncées ci-dessus et un pion du milieu. Cette nouvelle réaction a, elle-même, un seuil en énergie de 560 MeV. À supposer qu’un Ξ soit créé par ces deux réactions en chaîne, une nouvelle réaction du Ξ créé peut avoir lieu et entraîner finalement la formation d’un Ω (réactions 2.11 et 2.12).

π + Λ → K + Ξ (Q = mK+mΞ− mπ− mΛ' 560 MeV) (2.11)

Figure 2.13 – Évolution en fonction du temps de la densité de hadrons étranges dans un gaz de hadrons. Les lignes horizontales représentent les valeurs des densités attendues à l’équilibre. Cesréactions en chaîne montrent clairement que la production d’étrangeté dans un gaz de hadrons n’est pas favorisée et elle l’est d’autant moins que la particule est étrange ou qu’elle contient de l’antimatière.

(2) Les temps d’équilibration des réactions énoncées ci-dessus ont été estimés par P. Koch, B. Müller et J. Rafelski en 1986 [KMR 86]. Les résultats sont représentés sur la figure 2.13. La densité attendue en fonction du temps des différents hadrons étranges est donnée pour une température de T = 160 MeV et pour trois valeurs du potentiel chimique baryonique. Les lignes horizontales donnent les valeurs des densités à l’équilibre. Environ 10−22s soit environ30 fm/c sont nécessaires pour que l’équilibre chimique soit atteint. Ce

temps est largement supérieur à la durée de vie du plasma.

2.3.2.2 Des modèles hadroniques en compétition avec le PQG • Les résonances : contributions à ne pas négliger.

Les résonances, aujourd’hui, sont de plus en plus considérées et incluses dans les mo- dèles théoriques. Abondamment présentes dans les collisions d’ions lourds, il semblerait qu’elles aient un rôle décisif dans la production hadronique. Leurs contributions à la pro- duction de hadrons doivent être estimées pour le mieux. En particulier, J. Schaffner-Bielich, nous invite à nous interroger sur le rôle des résonances ∆(1232) ainsi que de ρ sur la pro- duction des hadrons étranges [ScBi 04]. Ces résonances devraient entraîner la production de K et de Λ suivant les réactions :

N + ∆ → N + Λ + K (Q = mΛ+mK− m∆' 380 MeV) (2.13)

La valeur de Q devenant comparable à celle dans un plasma de quarks et de gluons, voire même plus petit ou négative ! Les réactions sont listées ci-dessous.

∆ + ∆ → N + Λ + K (Q = mΛ+mK+mN− 2m∆' 90 MeV) (2.15)

π + ρ → K + ¯K (Q = 2mK− mρ− mπ ' 80 MeV) (2.16)

ρ +N → K + Λ (Q = mΛ+mK− mρ− mπ ' −100 MeV) (2.17)

Ces réactions devraient conduire à une production très importante de hadrons étranges dans un gaz de hadrons. Cependant, leur abondance n’est peut-être pas suffisante pour atteindre les taux obtenus dans un PQG. Ces contributions restent à être estimées.

• Les réactions “multi-body” :

Nous ne faisons qu’évoquer ici ce type de réactions proposées entre autres par C. Grei- ner pour expliquer la production massive d’hypérons antiétranges par des processus phy- siques hadroniques sans exclure la production temporaire d’un PQG. Dans son modèle, il préconise la formation d’antihypérons multiétranges par exemple à partir de réactions faisant intervenir plusieurs mésons simultanément : “I will now support on our recent idea of rapid antihyperon production by multi-mesonic reactions [...]. This idea does rest on the view that before chemical freeze-out already a hadronic system has been establishe- d” [GrLe 00]. Il se fonde, pour cela, sur le fait que l’annihilation des antihypérons sur des baryons doit avoir une section efficace très élevée au même titre que p+p favorisant ainsi des réactions du type : 3π+2K→ ¯Ξ+N. Par ce type de réactions, il pense pouvoir expliquer les taux élevés des antihypérons étranges mesurés issus uniquement de processus hadro- niques. Cette hypothèse reste toutefois à quantifier. De plus, ce modèle ne préconise qu’une surproduction d’antibaryons et pas celle des baryons. C’est certainement une limitation du modèle dans la mesure où les données expérimentales montrent clairement un comporte- ment quasi similaire entre les particules et les antiparticules...ce qui n’est pas le cas dans le cadre de ce modèle.

• Le Dual Parton Model

Nous faisons référence ici à un autre modèle hadronique qui tente d’expliquer les sur- productions de baryons multiétranges observés dans le cadre de collisions Au+Au par rap- port aux plus petits systèmes de type p+p par des processus hadroniques uniquement. L’idée principale de se modèle repose sur deux grandes étapes pour la formation de parti- cule. L’état initial est décrit par un modèle de cordes favorisant la production de hadrons et déterminant ainsi les densités initiales hadroniques par brisure de cordes. Dans l’état final, la production de baryons étrange et multiétranges est nettement favorisée par les proces- sus répertoriés dans les équations 2.18. Ces équations sont nettement favorisées dans le sens gauche → droite du fait de la très forte densité de particules créées par brisure de cordes dans l’état initial.

π + N → K + Λ ; π + Λ → K + Ξ ; π + Ξ → K + Ω (2.18)