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Une fois supposée l’existence d’un tel état de matière déconfinée, les questions qui se posent alors sont nombreuses. Quelles sont ses caractéristiques et comment mettre en évi- dence cet état de déconfinement ? Jusqu’à quelle température faut-il chauffer le système pour atteindre le déconfinement ? Quelle est la nature de la transition de phase ? Dans quelles conditions expérimentales se placer pour sa formation ? À supposer que cette ma- tière soit bien formée en laboratoire, est-il certain qu’elle correspond bien à l’état de la ma- tière recherchée ? La liste de questions est vaste et un grand nombre d’entre elles demeure encore aujourd’hui sans réponse ; cependant, la recherche du PQG et la compréhension de ses propriétés ont énormément évolué depuis 1978.

1.3.1 La QCD sur réseau (LQCD pour l’équivalent anglais

“Lattice QCD”)

1.3.1.1 Principe de la LQCD

La QCD, par son traitement perturbatif permet un calcul rigoureux des phénomènes physiques se déroulant entre constituants élémentaires de la matière aux hautes éner- gies ou pour un transfert d’impulsion grand. En revanche, les calculs perturbatifs ne sont plus applicables à plus basse énergie ou à des énergies proches de la constante ΛQCD de

la QCD. Il a fallu trouver une alternative à cette impasse : mettre la QCD sur un ré- seau [Pene 95, Gupt 98, Pier 00]. Il s’agit tout d’abord de formuler la QCD dans un espace- temps discrétisé. Les quarks sont introduits à chacun des nœuds du réseau. Les champs de gluons sont introduits comme variables de lien. La valeur moyenne dans le vide d’un opé- rateur combinant les champs de quarks et de gluons est alors déterminée. En se limitant à un volume fini, l’espace et le temps sont discrétisés puis le formalisme du Lagrangien est utilisé. Les principaux ingrédients de la théorie de la QCD sont conservés (constante de couplage, différentes espèces de quarks). Les sujets physiques importants actuellement étudiés à l’aide de cette méthode sont liés au confinement : la théorie de Yang-Mills, la variation de la constante de couplage avec l’échelle d’interaction, la transition de phase de déconfinement et la brisure de la symétrie chirale, le vide de QCD, les masses,etc.

1.3.1.2 Limitations

Comme tout modèle, la QCD sur réseau a des limitations. Nous n’évoquons que deux d’entre elles :

• La grande limitation de tels calculs est qu’ils nécessitent l’utilisation d’ordinateurs ayant des capacités de calcul phénoménales pour “simuler” les interactions qui se pro- duisent simultanément en chacun des points du réseau et cela sur plusieurs étapes de temps2. Les ordinateurs auxquels ont accès les physiciens dans leur laboratoire

ne permettent pas de tels calculs, il faut donc disposer de machines extrêmement puissantes pour mener à bien ces calculs.

• Le réseau fait une approximation dite “quenched approximation” qui consiste à éli- miner les boucles internes de quarks. Cette approximation peut devenir dangereuse quand les quarks de la mer sont non négligeables mais également au voisinage de la limite chirale.

Ce deuxième point est important dans la mesure où la QCD sur réseau est actuelle- ment utilisée pour essayer de modéliser les phénomènes physiques se produisant à la tran- sition entre la matière qui nous entoure et la matière déconfinée. La QCD est également utilisée pour caractériser la nature de la transition. Quelles que soient ses limitations, il s’agit toutefois du meilleur outil dont dipose la communauté scientifique aujourd’hui pour comprendre ce domaine en énergie de la matière. En perpétuelle amélioration, les calculs récents permettent de tester l’effet du nombre et de la masse des quarks sur la transi- tion [Risc 04], petit à petit les quarks sont de mieux en mieux traités dans le modèle et

2Le cas idéal serait de pouvoir prendre un réseau infiniment grand (pour se rapprocher de la limite ther-

modynamique) et avec un espacement entre ses mailles qui tend vers zéro pour se rapprocher d’un milieu continu. Bien évidemment obtenir ces conditions aujourd’hui est impossible cependant les calculs ne cessent d’être améliorés.

les effets de l’absence ou de la présence de la symétrie chirale sont également testés sur le PQG.

1.3.2 La transition vers un plasma

La physique de la “transition de phase” de la matière hadronique à un PQG est de mieux en mieux maîtrisée surtout à potentiel chimique baryonique très proche de zéro. L’apparition de degrés de liberté partoniques dans le milieu devrait se traduire par une nette augmentation de l’entropie du système, de la pression avec une augmentation de la température et par conséquent, un changement de l’équation d’état. Ce sont les calculs de la QCD sur réseau qui permettent de répondre de façon plus claire aujourd’hui sur la nature de la transition. La figure 1.3 illustre la nature de la transition dans l’état actuel des connaissances en représentant la variation de la densité d’énergie en fonction de la température à potentiel chimique nul [Kars 02, KaLa 03]. Sur cette figure, trois cas sont proposés correspondant aux résultats des calculs de la LQCD pour différents nombres de saveurs de quarks. 0 2 4 6 8 10 12 14 16 100 200 300 400 500 600 T [MeV] ε/T4 εSB/T 4 Tc = (173 +/- 15) MeV εc ~ 0.7 GeV/fm3 RHIC LHC SPS 3 flavour 2 flavour ‘‘2+1-flavour’’

Figure 1.3 –Densité d’énergie en fonction de la température prédite par la LQCD pour différentes

saveurs de quarks à µB → 0 [KaLa 03]. Les flèches correspondent à la loi de Stephan-Bolztmann

dans un gaz parfait.

À faible potentiel chimique baryonique (µB), il est admis que la transition est douce

sans aucune singularité. Ce type de transition est appelé crossover et on peut définir une température et une densité critiques3 T

c= 173±15 MeV et (Tc) = 700±200 MeV/fm3dans

le cas où deux saveurs de quark (u, d) sont utilisées. Ces deux quantités seront donc les deux valeurs à dépasser pour atteindre un état de PQG.

3Notons qu’il est très délicat de parler de “température critique” et de “densité critique” quand la transition

est douce. Il s’agit là d’un abus de langage, au même titre qu’utiliser le terme de transition de phase n’est pas

rigoureux pour parler decrossover dans la mesure où ce dernier n’est pas une vraie transition de phase au

sens de la thermodynamique. Dans le cas de la LQCD, la température critique correspond à la température où la densité d’énergie est égale à la moitié de la valeur aux grandes températures. Par la suite, nous utiliserons le terme générique de “transition” pour parler de ce changement d’état doux. Nous continuerons toutefois à utiliser les termes de “température et densité critiques” pour caractériser la transition.

Actuellement, les calculs sur réseau se développent de plus en plus pour étendre leur domaine d’étude à une région où µB n’est plus contraint à la valeur nulle. Même si ces

calculs sont encore discutables en particulier en raison de problèmes de statistique, ils observent toutefois une transition du premier ordre en augmentant la valeur de µB. C’est

ce qui est montré sur la figure 1.4 [FoKa 04].

Cela suggère donc que si sur le domaine de basse température et de grand µB, la tran-

sition est une transition de phase du premier ordre et qu’à très petit µB et grande tem-

pérature, la transition est de type crossover, il doit exister un point où les deux types de transition se rejoignent : le point critique [FoKa 04]. Sa position exacte (voire même son existence) est très incertaine aujourd’hui et peut fortement varier tel que cela est sché- matiquement représenté par une double flèche sur la figure 1.2. Les calculs récents de Z. Fodor et S. D. Katz donnent la position du point critique E à TE = 162±2MeV et µE =

360±40 MeV avec nf = 2+1 comme on peut le voir sur la figure 1.4 [FoKa 04]. Ce point

serait probablement le lieu d’une transition du second ordre [FoKa 04, Step 04] au même titre que le point critique de l’eau. Les liquides possèdent une singularité y compris l’eau. La ligne d’ébullition de l’eau se termine par un point à la pression p=218 atm et T = 374◦C.

Le long de cette ligne, les deux phases (eau et vapeur) coexistent et sont de moins en moins discernables à mesure que l’on s’approche du point critique (la densité de l’eau diminue et celle de la vapeur augmente), résultant en une seule et même phase à ce point et au-delà. Une question majeure qui se pose aujourd’hui concerne le lien qui peut exister entre la

Figure 1.4 –Diagramme des phases de la matière nucléaire. La limite de transition entre un gaz

de hadrons et un PQG est calculée par des calculs de la LQCD à µB6= 0. La limite entre un crossover

et une transition du premier ordre se traduirait par l’existence d’un point critique de second ordre. ligne de transition de phase (entre la matière confinée et la matière déconfinée) et la “li- gne” qui schématiserait la limite de la brisure/restauration de la symétrie chirale. Ces deux lignes sont-elles confondues ? On ne connaît pas la réponse actuellement cependant il sem- blerait qu’elles soient très proches et que l’une devrait entraîner l’autre. Si une transition a lieu vers un déconfinement, cela devrait s’accompagner d’une diminution de la masse des quarks constituants vers leur masse nue et inversement.

1.3.3 La nature du PQG... (s)PQG ?

1.3.3.1 La limite Stephan Boltzmann

Les deux phases coexistantes en QCD sont donc un gaz de hadrons et un plasma de quarks et de gluons. On peut alors s’interroger sur la nature exacte de la phase de PQG. Vers la fin des années 1970, ce plasma était assimilé à un gaz parfait donné par la limite de Stephan Boltzmann. Cette dernière donne la pression suivante pour décrire la pression d’un gaz de pions :

Pπ = − ∂Ωπ ∂V |T,µ= 3 ×  π2 90  × T4 (1.8)

le facteur 3 traduisant l’existence de trois états pour les pions (π± et π0). La pression

équivalente pour un plasma de quarks légers libres et de gluons sans masse qui ne sont plus confinés est plus grande du fait qu’il y a beaucoup plus de degrés de liberté dans le cas où l’on a uniquement deux saveurs de quarks (u et d) :

Pq¯q= 2 × 2 × 3 × 2 × 7 8 ×  π2 90  × T4; Pg = 2 × 8 × π 2 90  × T4 (1.9)

chacun des facteurs numériques représentant pour les paires q ¯q : 2 états d’hélicité, 2 saveurs et 3 couleurs respectivement. Le facteur 7

4 traduit la différence entre les statis-

tiques de Fermi-Dirac et Bose-Einstein. Les facteurs pour les gluons proviennent de leur chiralité (2) et de leurs 8 états de couleurs [Hand 01].

Il est alors intéressant de comparer les prédictions de la QCD sur réseau à cette li- mite “idéale” de Stephan Boltzmann. C’est ce que montrent les figures 1.3 et 1.5, où les calculs de la LQCD à µB = 0 [KaLa 03] sont comparés aux prédictions de la loi de Ste-

phan Boltzmann (les trois flèches sur la figure). On vérifie tout d’abord que Pπ <Pq¯q+ Pg.

La LQCD nous montre ainsi que l’on passe d’un état de gaz de pions à un état composé de quarks, antiquarks et de gluons. Par contre, on constate très clairement que l’état dé- confiné attendu d’après les prédictions de la LQCD est nettement en dessous de la limite Stephan Boltzmann de type “gaz parfait”. Cette observation conduit à la conclusion que l’état formé pour une température au-dessus de Tcn’est pas un fluide parfait

de quarks et de gluons libres et déconfinés mais s’apparenterait davantage à un état de quarks et de gluons qui interagiraient encore fortement. Comme on peut le voir sur cette même figure, au-delà de 5 Tcet plus, l’état de gaz parfait ne devrait pas être

atteint. Il faudrait aller à des températures de l’ordre de 100 Tc pour commencer à s’en

rapprocher.

1.3.3.2 Condensats de quarks

Une autre façon d’étudier la transition vers un PQG est de regarder l’évolution au sein du système des condensats de quarks < ψ ¯ψ >, qui pourraient faire office de paramètres d’ordre pour la transition. Il s’avère que ce condensat de quarks s’approche de zéro alors que la transition se produit vers un état “déconfiné”. Cependant, la QCD sur réseau montre qu’il n’atteint pas la valeur de zéro pour des températures supérieures à Tc(cf. figure 1.6

0 1 2 3 4 5 100 200 300 400 500 600 T [MeV] p/T4 pSB/T4 3 flavour 2+1 flavour 2 flavour pure gauge

Figure 1.5 –Évolution de la pression divisée par T4en fonction de la température pour différentes saveurs de quarks [KaLa 03]. Les flèches représentent la limite Stephan Boltzmann.

gauche). L’interaction entre quarks est donc possible et la symétrie chirale n’est pas tota- lement restaurée. Certains quarks encore massifs (par rapport à leur masse nue) peuvent interagir fortement.

Nous montrons également sur la figure de droite l’évolution séparée des condensats de quarks (<u ¯u>,<d¯d>) et (<s¯s>) en fonction de β [ScBi 04]. β est une constante de couplage utilisée par les calculs de la QCD sur réseau. Un β qui augmente est équivalent à une diminution de la taille de la maille du réseau et à une augmentation de la température. Sur cette figure, on constate nettement les effets de l’augmentation de température, donc du changement d’état de la matière, qui se traduit par les condensats (<u ¯u>,<d¯d>) et (<s¯s>) qui tendent très vite vers de toutes petites valeurs. Notons quec’est également le cas de l’étrangeté. Les condensats (<s¯s>) ne sont pas autant supprimés que les quarks plus légers, cependant, ils sont également concernés par les effets de la restauration de la symétrie chirale. C’est un phénomène que nous allons exploiter au cours de cette thèse dans la mesure où ils peuvent aussi être utilisés pour marquer ce changement de propriété chirale à la transition. Étant donné que l’étrangeté est une quantité qui se conserve, elle doit garder l’information de l’état de haute densité dans lequel les quarks étranges se sont trouvés.