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Section 2 : Les effets du caractère sui generis de la CVR canadienne

B) La Proclamation royale

Le document proposé par la CVR diffère à bien des égards de celui de la CRPA. La recommandation n° 45 prévoit ainsi l’élaboration d’une proclamation royale fondée sur la

Proclamation royale de 1763 et qui comprendrait les éléments suivants :

« i. Répudier les concepts utilisés pour justifier la souveraineté des peuples européens sur les territoires et les peuples autochtones, notamment la doctrine de la découverte et le principe de terra nullius (territoire n’appartenant à personne) ; ii. Adopter et mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation ; iii. Établir des relations qui se rattachent aux traités et qui sont fondées sur les principes de la reconnaissance mutuelle, du respect mutuel et de la responsabilité partagée, et ce, de manière à ce qu’elles soient durables, ou renouveler les relations de ce type déjà nouées ; iv. Concilier les affaires constitutionnelles et juridiques des peuples autochtones et de l’État pour s’assurer que les peuples autochtones sont des partenaires à part entière de la Confédération, ce qui englobe la reconnaissance des lois et des traditions juridiques autochtones et leur intégration dans la négociation et la mise en œuvre des traités, des revendications territoriales et de toute autre entente constructive. »360

La proclamation royale pourrait également comprendre d’autres aspects. Cependant, on remarque l’absence de référence à l’autonomie gouvernementale ou au partage des ressources.

Le droit à l’autodétermination des Autochtones n’est évoqué qu’une seule fois dans les recommandations de la CVR et se rattache uniquement à la sphère religieuse. Il est ainsi demandé aux groupes confessionnels du Canada, dans la recommandation n°48ii), de :

« Respecter le droit à l’autodétermination des peuples autochtones dans les cas d’ordre spirituels, y compris le droit d’élaborer, de mettre en pratique et d’enseigner leurs propres traditions, coutumes et cérémonies religieuses et

358 Id., recommandation n°32, p.4. 359 Id., recommandation n°33, p. 4. 360 Id., recommandation n°45, p. 5.

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spirituelles, conformément à l’article 12 :1 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. »361

Ainsi, de manière ironique, est-il demandé en priorité aux groupes religieux de respecter le droit à l’autodétermination des peuples autochtones alors que la conformité de ce droit pour le gouvernement fédéral n’est indiquée nulle part.

Il est primordial de souligner qu’aucune des 94 recommandations proposées par la CVR ne s’attarde sur les questions d’autonomie gouvernementale ou de partage des ressources comme ce fut le cas dans les rapports antérieurs. Cette absence peut s’expliquer, en partie, par le fait que le mandat délivré à la CVR ne concernait uniquement que l’histoire des pensionnats autochtones. Cependant, lors de l’étude des répercussions et de l’héritage de ces écoles, les commissaires auraient pu envisager d’inclure ces volets dans leur analyse. En effet, le constat sur les séquelles chez les Autochtones demeure le même à travers chaque commission établie par le gouvernement : le taux de pauvreté chez les Autochtones est nettement plus élevé que chez les non-autochtones, davantage d’enfants autochtones que non-autochtones sont envoyés en famille d’accueil et le taux d’incarcération chez les Autochtones est lui aussi plus élevé362.

Récemment, la disparition et l’assassinat de femmes autochtones ainsi que les tentatives de suicides chez les jeunes autochtones dans les communautés s’ajoutent aux problématiques évoquées plus haut.

Les rapports précédant la CVR concluaient déjà qu’une réforme en profondeur s’imposait pour rétablir une relation harmonieuse entre la société canadienne et ses Premières nations. Or, les recommandations de la CVR restent timides et semblent vouloir remédier aux problèmes rencontrés par les peuples autochtones seulement en surface sans vraiment s’attarder aux causes sous-jacentes de ces problèmes.

En dehors du contexte stricto canadien, les recommandations apportées ne sont pas celles attendues d’une commission de vérité en temps normal. En effet, les recommandations proposées par les commissions de vérité s’attardent généralement sur l’établissement de l’État de droit et sur les réformes institutionnelles puisqu’il faut partir du postulat que tout est à

361 Id., recommandation n° 48ii), p. 6.

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rebâtir dans ces nouvelles démocraties comme ce fut le cas pour la CVR sud-africaine363. A contrario, le Canada, possédant déjà toutes les caractéristiques d’un État de droit, n’a bien évidemment pas adopté ce type de recommandations. Le caractère sui generis de la CVR canadienne se traduit donc également à travers ses recommandations.

Si l’on reprend la définition de Hayner, la CVR canadienne remplit toutes les caractéristiques théoriques : elle se concentre sur un fait passé (les pensionnats indiens) ; ses enquêtes concernent plusieurs violations perpétrées sur une période définie (les violences physiques et/ou sexuelles des enfants sur toute la période d’existence des pensionnats) ; la population affectée est au cœur du processus (les anciens pensionnaires) ; elle est temporaire (durée de cinq ans) ; et elle a été officiellement autorisée par l’État (la Convention de règlement fut approuvée par les tribunaux)364. Or, considérant les nombreuses restrictions apportées par son mandat (notamment l’absence d’audiences publiques, de pouvoir de subpoena ou d’autorisation à citer des noms), la CVR canadienne ne ressemble à aucune autre et encore moins à celle d’Afrique du Sud.

Il est important de noter que le contexte d’adoption d’une commission de vérité est primordial puisqu’un contexte propice à sa mise en place assurera une grande partie de son succès et posera également les fondements de la réconciliation éventuelle. La fin du régime d’apartheid marqua le moment opportun pour l’institution d’une CVR, cependant aucun événement de cette ampleur ne se présenta au Canada pour amorcer la création d’un tel instrument si ce n’est les nombreux recours collectifs présentés devant les tribunaux.

Les commissions de vérité furent longtemps employées comme une alternative aux tribunaux dans des États où l’appareil judiciaire présentait des lacunes ce qui n’est pas le cas du Canada où le pouvoir judiciaire constitue la pierre angulaire de l’État de droit. Il est donc surprenant de constater que la Cour suprême fut absente du processus de réconciliation et mise à l’écart au profit d’un mécanisme de justice transitionnelle qui n’a sans doute pas lieu d’exister en l’espèce ouvrant ainsi de nouveau peut-être le débat « justice vs vérité ». Il est désormais temps de s’attarder sur l’absence de la Cour suprême dans le processus de réconciliation.

363 Supra, p. 83 à 86. 364 Supra, p. 56 à 58.

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II. Une Cour suprême absente du processus de réconciliation

La Cour suprême du Canada demeure la gardienne de l’État de droit en protégeant les citoyens contre l’arbitraire exécutif et législatif. Tel qu’analysé dans la partie préliminaire, la Cour suprême, à travers ses décisions, a réitéré à maintes reprises que le Canada est un État fondé sur la primauté du droit. Les citoyens canadiens, et donc les peuples autochtones compris, peuvent donc se tourner vers les tribunaux pour faire valoir leurs droits. Depuis peu, la Cour suprême fait preuve d’évolution en matière de revendications autochtones comme nous allons maintenant le voir.