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Le processus s'enclenche lorsque l'utilisateur qui, initialement, n'était pas intéressé par l'innovation, commence à se prendre au

jeu et à reprendre le flambeau, apporte les ajustements nécessaires, voire se met à développer sa propre recherche

14 Le résultat de l'appropriation pourrait alors s'apparenter à la traduction d'lm concept théorique en tme série de modalités pratiques applicables dans la classe et différente selon les individus et les établissements.

Le rôle central et fondamental de l'enseignant dans la dynamique d'appropriation et de construction du sens de l'innovation a été démontré. L'intérêt de la prise en compte de la parole de l'enseignant se justifie alors également.

1 .3 LA RÉNOVATION : UN OBJET AUX CONTOURS FLOUS ET MOUVANTS

Il est difficile d' éh1dier des représentations, quel que soit leur objet, sans se demander dans quelle mesure cet objet est perçu ou défini de manière identique par toutes les personnes interrogées. Dans tme approche constructiviste de la pensée, on reconnaîtra cependant qu'en dernière instance, la réalité est une construction subjective. Or, cette subjectivité semble d'autant plus déterminante que l'objet est flou, mouvant ou controversé.

On peut même faire l'hypothèse qu'au-delà d'une certaine

Il Op. Cit. p.24.

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Op. Cit. p.17.

limite, l'objet perçu dépend autant des craintes et des espoirs des acteurs que de ses caractéristiques objectives

Une réforme scolaire est un objet complexe puisqu'elle se compose d'un ensemble de décisions de portée générale, qui annoncent et imposent en même temps des changements de structures, de programmes ou de pratiques.

Même la réforme la plus codifiée demeure abstraite et sujette à interprétation, car les mots ne sont pas les choses et on peut investir h·ès différemment l'idée de cycles d'apprentissage pluriannuels, d'objectifs, d'évaluation formative, d'équipe pédagogique ou de projet d'établissement.

Les réformes portant uniquement sur les contenus ou l'organisation des études font en général l'objet de textes qui s'appuient sur un statut juridique. Sur les pratiques, compte tenu de l'autonomie des enseignants et de l'absurdité qu'il y atu-ait à codifier dans le détail leurs gestes professionnels, la part d'interprétation est plus grande, les textes sont plus incitatifs qu'impératifs.

La rénovation genevoise mêle ces divers genres. Elle se caractérise aussi par deux traits spécifiques :

1) La réforme n'est pas issue d'tm travail de rédaction mené en commission mais d'tm travail d'exploration mené durant cinq ans, sur le terrain, dans 30 écoles (en innovation et en réflexion). La rénovation de l'enseignement primaire genevois a occupé progressivement le paysage, de l'hypothèse d'tme réforme à l'horizon 2000 - en 1994 - à des décisions d'extension en 2000-2001 voire plus tard encore.

2) La stabilisation des contours de la réfom1.e a pris près de deux ans - de 1999 à 2001 - et a suscité beaucoup de remous. Elle donne l'image d'un processus inachevé qui a laissé encore de nombres questions en suspens.

Une définition progressive et controversée

Au moment de la réalisation des entretiens pour cette recherche (mai à juin 2000), la rénovation faisait l'objet d'tme démarche d'exploration depuis plusieurs années. Les écoles en réfonne avaient e>..'Périmenté diverses formules, évalué leurs

dispositifs, progressé vers 1me définition plus claire des grands axes. Elles partageaient la responsabilité de l'innovation avec un cercle d'acteurs particulièrement large.

Ainsi, les associations de parents étaient dès le début parties prenantes, tout comme l'association professionnelle des enseignants (SPG)15, les services de didactique de l'enseignement primaire, la FPSE16, les services de recherche du DIP, la DEP17, etc. Chacun de ces partenaires apportait ses idées, tentait d'infléchir les choix en fonction des attentes du groupe qu'il représentait. Les associations de parents s'intéressaient au rôle qui serait le leur dans l'école de demain, la SPG luttait pour garantir des conditions d'encadrement propices à l'innovation, etc. Chaque partenaire transmettait à ses membres l'avancement de la construction, la commentait, faisait part de ses désirs pour la généralisation.

En 1999, le Groupe de Pilotage proposait en 70 pages 1m projet de réforme explicite et assez complet. Mais ce texte a été mis en concurrence avec d'autres propositions émanant d'un groupe d'experts externes et il n'a pas été suivi par la Direction de l'Enseignement Primaire. Le Groupe de Pilotage a été d'ailleurs dissous en septembre 1999, sans qu'on süt à ce moment ce que le Département ferait de ses propositions. Cette incertitude a empêché, des mois durant, toute définition claire des contours de l'innovation. Les partenaires travaillaient sur de l'hypothétique et ne pouvaient que formtùer des conjechires.

Il en a résulté 1m énorme flou qui constitue 1m terrain propice à

!ri propagation de rumeurs qui provoquent peur, colère ou excès d'optimisme chez les enseignants.

A de tels phénomènes, la Direction de l'Enseignement Primaire et la Présidente du Département de !'Instruction Publique oppose un silence que les enseignants ne comprennent pas car leur position ne leur permet pas d'avoir en mains tous les éléments d'analyse indispensables à la compréhension du problème dans sa globalité. Cette absence d'éléments de réponse n'aide pas les enseignants à s'approprier le changement. Face à un manque de stabilisation institutionnelle des contours de la rénovation, chacun construit et imagine sa réforme selon ses fantasmes. Les rumeurs les plus diverses

1 5 Société Pédagogique Genevoise.

16 Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education.

17 Direction de l'Enseignement Primaire.

nourrissent l'imaginaire des enseignants. Or, les représentations qui se construisent dans l'esprit de chactm ont une importance fondamentale dans l'acceptation ou le rejet d'tm changement venant du haut. L'absence de clarté du cadrage de la rénovation genevoise, même s'il n'est pas volontaire, a favorisé la création d'tm clivage entre les défenseurs du projet et ses opposants.

La réforme envisagée ici se situe donc bien au-delà du flou lié à l'abstraction de tout texte réformateur. Elle participe d'tme dynamique conflich1elle et d'un débat d'autant plus difficile à décoder qu'il n'a pas lieu sur la place publique mais en-deça, dans le registre de la mmeur. Une situation qui a toutefois évolué au cours de l'année 2002, depuis que Martine Bnmschwig Graf, Présidente du DIP, a promis de soumettre son projet à tm débat politique au Grand Conseil.

1 .4 A CHACUN SA RENOVATION

Il serait intéressant de savoir comment les enseignants ont pris connaissance du projet et de ses nombreuses évolutions.

Quels sont les vecteurs d'information qu'ils ont privilégié ? Cette question pourrait dom1er lieu à tme recherche. Cependant, ce n'est pas l'objet du présent travail qui cherche à connaître le point de vue des enseignants et non la genèse de leurs représentations. C'est la raison pour laquelle on a volontairement renoncé à interroger les enseignants sur la provenance des informations dont ils disposaient.

h1utile également de vérifier la fidélité de leurs représentations par rapport aux textes disponibles. Les principes fondamentaux de la rénovation n'ont pas d'avantage été rappelés aux enseignants lors des entretiens. Aunme lechtre préalable des documents officiels n'a été demandée pour permettre de saisir l'interprétation que chanm faisait des directives entre avril et juin 2000, soit 2 mois après la parution du plan-cadre. Notons qu'à ce moment-là, l'entrée en vigueur du plan-cadre était annoncée dès 2001 et qu'il s'agissait donc d'tme échéance rapprochée. Depuis, l'entrée en vigueur de certains éléments a été différée.

On peut cependant émettre l'hypothèse que les informations qui ont permis aux enseignants de s'approprier le

changement et de s'en construire le sens venaient d'horizons très divers.

Setù le texte d'orientation de 1994 a fait l'objet d'une distribution systématique. Le Groupe de Pilotage et la Direction de l'Enseignement Primaire avaient accompagné la diffusion du document de rencontres avec le corps enseignant. Durant l'année scolaire 1994-1995, ils s'étaient rendus dans les écoles et avaient défendu et expliqué le projet, répondu aux questions des enseignants. La presse s'était fait l'écho des changements envisagés, des réactions des différents partenaires, aussi bien de l'association professionnelle, que des parents ou des enseignants.

Ensuite, l'objet « rénovation » a connu des variations, notamment au gré des conflits sociaux qui ont conduit le syndicat des enseignants à se retirer quelque temps du Groupe de Pilotage. Alors que les écoles en exploration continuaient leur travail, leur visibilité fluctuait au point qu'tme partie des enseignants non impliqués dans l'exploration ont pu croire que le DIP avait renoncé à la rénovation sous la pression des circonstances ou faute d'accord sur le pilotage du projet.

On peut imaginer que les articles parus dans la presse ont aidé les enseignants à construire le sens du changement. En effet, la Tribune de Genève a publié de nombreux articles sur la rénovation et suivi de très près les évolutions du projet, profitant même à quelques reprises d'indiscrétions pour annoncer en primeur des décisions de la Présidente du DIP. Il serait cependant réducteur de considérer que le quotidien genevois a constih1é la seule source d'information du corps enseignant dans le processus.

L'association syndicale a également joué un rôle dans la dynamique d'appropriation aussi bien lors des assemblées qu'elle a organisées à l'intention de ses membres que par le biais de !'Educateur, magazine du syndicat romand des enseignants, qui a ouvert ses colonnes à de nombreux auteurs sur divers thèmes en lien avec la rénovation.

La Direction de l'Enseignement Primaire s'est également engagée en organisant des forums, espaces de rencontre et de partage qui permettaient aux enseignants de progresser dans leur appropriation du changement. Les deux premiers forums ont accueilli un nombre important d'enseignants. Les suivants, d'une coloration idéologique plus nettement marquée en faveur

de la rénovation semblent avoir été plus assidûment suivis par les acteurs investis dans le changement. On peut émettre l'hypothèse que le clivage entre les opposants et les défenseurs du projet s'est accentué au fur et à mesure de son avancement et que la population des participants aux forwns a perdu de son hétérogénéité, pour ne compter plus que des adeptes de l'innovation.

Les inspecteurs ont aussi vraisemblablement joué un rôle dans la diffusion des infonnations, notamment en relayant les décisions de la Direction dans les écoles, par l'intermédiaire des maîtres principaux qui, à leur tour et dans des proportions différentes selon les écoles, auront stimulé la connaissance des concepts et animé la réflexion. Les formateurs, enfin, ont, à leur façon, favorisé ou empêché le travail d'appropriation.

Le moins que l'on puisse dire est que l'instihltion scolaire ne parlait pas d'tme seule voix et que, selon qui l'on entendait, la rénovation était en bonne voie ou mort-née, tme révolution ou 1me réformette, un progrès décisif ou 1m désastre, une réponse à de vrais problèmes u 1m égarement dans l'utopie.

Les acteurs de l'exploration, représentés par le GPR18 et le GR119, ont également investi beaucoup d'énergie dans la transmission de leurs expériences par la rédaction de bilans intermédiaires plus ou moins volmnineux. Ces rapports ont été diffusés à tm seul exemplaire dans les écoles. Même si le choix d'tme diffusion en nombre restreint e comprend pour des raisons techniques, on peut supposer que l'information n'a pas atteint les enseignants aussi largement que le texte d'orientation. Il est vrai également que le statut de ces écrits ne justifiait pas tme diffusion exhaustive. En effet, ces travaux étaient des bilans intermédiaires, des propositions dont les contours étaient en mouvance continuelle. L'aspect évolutif a peut-être aussi découragé d'éventuels lecteurs, les opposants au projet s'étant rapidement mis en posture d'attente de décisions plus concrètes. Peut-être une diffusion plus large du rapport final du GPR aurait-elle eu du sens dans LU1e dynamique d'appropriation. En effet, ce texte et les brochures qui le prolongent, même s'ils ne contiennent que des propositions, ont le mérite de br sser lm tableau relativement complet d s

1 8 Groupe de Pilotage de la Rénovation.

expériences qui ont animé les années d'exploration. La lechue de ce document aurait sfüement permis à certains enseignants de se mettre à niveau à l'aube des décisions d'extension.

L'origine bigarrée des informations qtù ont permis l'appropriation de la rénovation par les enseignants n'a pas favorisé une compréhension homogène. Selon leur degré d'implication dans la phase d'exploration, leur insertion dans divers réseaux, leurs lectures, les enseignants primaires savaient parfois beaucoup du processus en cours et de ses tribulations au-delà des informations publiques. D'autres au contraire en ignoraient presque tout. C'est pourquoi les représentations et les niveaux d'appropriation du processus donnent l'image d'tm costume d'Arlequin, comme nous le constaterons dans l'analyse des entretiens.

1 .5 SUR QUOI METTRE L'ACCENT : JUSTIFICATION DES CHOIX THEMATIQUES

Trois thématiques inhérentes au processus de rénovation sont abordées dans cette recherche : le travail en cycles pluriannuels, la gestion collective de l'enseignement et les nouvelles orientations dans le domaine de l'évaluation.

La thématique de la gestion collective s'impose par elle­

même. En effet, son avènement constituerait une véritable révolution copernicienne dans l'organisation du travail de l'enseignant. Ce dernier ne serait olus la fiQUre autocrati<mP oni .l V . - ---.1 - . - . 1

-décide souverainement, du moins en apparence, de l'organisation de la classe, de la gestion de l'enseignement et des évaluations.

Au contraire, la gestion collective introduirait tm processus républicain , les enseignants d'un cycle décidant en collège des choix pédagogiques, des horaires, de la répartition des groupes etc. La figure de l'enseignant comme « maître » de classe vole en éclats, remplacée par celle d'tm groupe de pédagogues avisés qui s'entendent sur les objectifs à atteindre et les moyens d'y parvenir.

La révolution annoncée dans le domaine de l'évaluation n'est pas moins marquée. L'abolition du système des notes plonge les différenls partenaires (enseignants, parents et élèves) dans lll1 monde d'où les anciens repères ont été débotùonnés

sans que les nouveaux aient encore pu véritablement s'ancrer.

Le langage commtm du vécu n'existe plus. Les références au passé n'ont plus leur raison d'être, tout au moins pour quelques années.

La familiarité avec le système d'évaluation en place permettait à chacun de comprendre le message véhictùé sans qu'il doive faire l'objet d'une explication particulière. Il permettait à l'élève de se sih1er par rapport à tm objectif normalisé, identique pour tous, et donc également par rapport à ses camarades.

Les notes permettaient également des pronostics quant à l'avenir scolaire et social. Il était commtmément reconnu et admis qu'un élève qui obtenait de bonnes notes se préparait tm meilleur avenir que les cancres qui chauffaient les bancs du fond. Même si la vie se chargeait parfois de rappeler aux tms et aux autres que rien n'est jamais joué d'avance.

Avec les nouvelles orientations, tout est à reconstruire.

Chactm doit refaire ou retrouver sa place. Les règles du jeu sont à redéfinir car la société ne saurait exister sans elles. Ce que l'évaluation sans notes perd en tradition et en simplicité, elle devrait toutefois le gagner en valeur pédagogique.

Les enseignants seront les ouvriers de cette reconstruction. Leur point de vue à ce sujet mérite donc qu'on s'y attarde.

Enfin, le travail en cycles d'apprentissage constitue un important changement struchirel dont les effets ne se limitent pas à l'organisation du temps ou des espaces. L'ouverhire des portes des classes et des établissements permet l'envolée vers d'autres horizons pédagogiques et didactiques. Cependant, la liberté peut aussi être source d'angoisses ou d'errements.

Au-delà de la flexibilité et de la liberté que permet l'organisation de l'enseignement en cycles pluriannuels, il se pose aussi des questions de gestion, d'organisation du temps et de l'espace. Cette thématique sera la première à être abordée dans cc travail. En effet, c'est elle qui conditionne les deux autres. La représentation que l'enseignant se fait du cycle révèle des pratiques et des croyances dont les effets vont se faire sentir dans la gestion collective du travail et de l' évaluation.

La question de la différenciation pédagogique compléterait admirablement le tableau. On s'étonnera de ne pas la trouver dans ce travail. C'est tm choix. En effet, la

différenciation, contrairement aux thématiques abordées précédemment, n'apparaît pas dans le contrat des enseignants.

Elle ne constitue pas un mot-clé de la réforme. Dans le plan­

cadre20, aucune référence n'est faite aux orientations didactiques qui devraient sous-tendre une organisation de l'enseignement en cycles pluriannuels. On peut s'en étonner : on a cl1oisi simplement d'en prendre acte.

Enfin., les textes édités à l'usage des enseignants n'abordent que très superficiellement cette problématique. Elle pourrait faire l'objet d'une nouvelle étude dépassant le cadre institutionnel des axes de la rénovation.

1.6 HYPOTHESES DE RECHERCHE

On s'étonnera de ne pas trouver, dans ce travail., la formulation d'hypothèses de recherche. Il ne s'agit pas d'un oubli mais d'un choix qui s'explique de diverses manières.

Tout d'abord, l'absence d'études préalables sur cet objet précis rendait particulièrement délicate la formulation d'hypothèses plausibles et solides.

Ensuite, les prévisions que l'on aurait pu forrmùet n'auraient constitué que des impressions découlant d'une pratique quotidienne ou de représentations personnelles.

Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, on pouvait s'attendre à un rejet de la suppression des notes, à une volonté de maintien du groupe-classe et du statut de généraliste, à une 01ande pem face au Lravail d'équipe, à des réticences dans l'usage de l'évaluation formative, à un rejet de la note globale, à des témoignages de révolte, de découragement ou d'adhésion aveugle, sans pouvoir justifier les raisons de ces attentes.

En formulant des hypothèses, on courait le risque d'influencer l'analyse des points de vue en fonction de représentations personnelles. Il s'agissait aussi d'éviter d'infléchir inconscienunent le cours de l'entretien afin de vérifier ou de contrecarrer les hypothèses préalables de l'auteur.

C'est donc vierge d'a priori et d'hypothèses que les enLTetiens se sont dérmùés. Cela en partie dans l'idée de laisser toute latitude aux enseignants d'exprimer leur approche des concepts de l'innovation.

20 Brunschwig Graf. M. (2000) Plan-cadre, lettre du 26 janvier 2000.