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B. Résultats pour les temps de latence

6 Discussion et conclusion

6.2 Procédures de lecture

Nos résultats montrent que les 5P lisent mieux et plus rapidement que les 3P, ce qui confirme nos hypothèses. Les deux groupes lisent les mots aussi précisément que les pseudomots, mais plus rapidement. Ensuite, nous avons trouvé un effet de lexicalité marginal pour les 5P, mais pas pour les 3P, en terme de précision. Cela signifie que les 5P ont tendance à mieux lire les mots que les pseudomots. Cela confirme notre hypothèse, qui était que les 5P se seraient constitué un stock orthographique et utiliseraient la voie orthographique, comme l’a montré

l’étude de Sprenger-Charolles et al. (2003). En revanche, le fait que les 3P lisent avec autant de précision les mots et les pseudomots est contraire à ce dont nous nous attendions. Une explication pourrait résider dans le fait que, comme nous l’avons déjà mentionné, les sujets de 3P de notre échantillon ont tendance à mieux lire que ce qui est attendu pour leur âge (c.f.

test l’Alouette). Une autre explication serait que les passations ont été faites en deuxième moitié de l’année, et les enfants semblent se trouver dans une période de transition où ils sont en train de mettre en place leur voie orthographique. Les deux groupes lisent avec plus de précision et une plus grande rapidité les items courts que les items longs. Les mots sont lus plus précisément s’ils sont longs, et les pseudomots plus précisément et rapidement s’ils sont courts. En ce qui concerne les pseudomots, ces résultats confirment nos hypothèses. En effet, les pseudomots étant lus au moyen de la voie phonologique par les deux groupes, plus ils sont longs, plus le nombre de phonèmes à convertir et assembler est grand, plus cela nécessite de temps et augmente le risque de commettre des erreurs. En revanche, en ce qui concerne les mots, il est étonnant que les mots longs soient lus plus précisément que les courts. Lorsqu’on examine ces résultats de manière qualitative, on constate que deux mots courts ont engendré beaucoup plus d’erreurs que tous les autres items, ce qui a pu faire basculer les résultats : il s’agit des mots « faon » et « écho ». Il est possible que ce soit un problème de vocabulaire, ou d’exposition à ces mots à l’écrit insuffisante pour que les enfants les intègrent dans leur lexique. En effet, la fréquence de ces mots a été contrôlée avec comme critère la présence dans les manuels de la première année du primaire. Or ces items sont issus d’EVALEC, qui a été étalonné en France, et les manuels suisses ne sont peut-être pas les mêmes, d’où quelques petites variations possibles dans la fréquence.

6.3 Habiletés morphologiques

Pour les tâches d’habiletés morphologiques, nos résultats confirment nos hypothèses. A la tâche de fluence morphologique, les 5P montrent de meilleurs résultats que les 3P. Cela veut dire que la capacité à activer des items de la même famille augmente. Deux explications sont possibles. La première serait purement morphologique, c’est-à-dire que les enfants de 5P disposeraient de meilleures connaissances des unités morphologiques et auraient compris que les affixes sont des unités répétitives porteuses de sens, ce qui les rendrait capables de transférer des affixes sans forcément connaître le mot. Par exemple, connaissant le mot

« rapidement », ils ajoutent le suffixe –ment au mot « longuement » qu’ils ne connaissaient pas, et cette déduction les amène à une réponse correcte. Les 3P en revanche s’en tiennent

seulement aux mots qu’ils connaissent. La seconde explication serait en lien avec le vocabulaire. Par exemple, pour l’item « blanc », le mot « blanchisserie » est une possibilité de réponse, or, si l’enfant ne connaît pas ce mot, il ne le trouvera pas. Les 5P sont supposés avoir un meilleur niveau de vocabulaire que les 3P, et donc être capables de trouver un plus grand nombre de mots.

A la tâche de détection d’intrus, l’intrus de base a un effet plafond pour les deux niveaux.

Nous n’avons par conséquent pas effectué des comparaisons statistiques. Les enfants se sont certainement beaucoup appuyés sur leurs connaissances sémantiques, sans avoir besoin, dans la plupart des cas, d’effectuer une analyse morphologique. En effet, par exemple pour les items « lavage – laver – laverie - lavande », sachant que la lavande est une plante, alors que les trois autres mots ont un rapport avec l’action de laver, l’enfant est en mesure de donner une réponse correcte sans avoir réalisé que « lavande » n’est pas un mot morphologiquement complexe. Les enfants ont également pu être aidés par la phonologie dans la plupart des cas.

En effet, dans la moitié des séries, les trois mots de la même famille comportent un phonème en commun que l’intrus ne partage pas. Par exemple pour les items « laitage - laiterie – laitier – laideur », les trois premiers ont en commun le son /t/, alors que « laideur » ne contient pas un /t/ mais un /d/. Cette différence auditive peut amener les enfants à la réponse correcte. La tâche d’intrus de suffixe nécessite quant à elle une réelle analyse morphologique. Les 5P réussissent cette tâche significativement mieux que les 3P. Les 5P parviennent à identifier qu’un mot est composé ou non de plusieurs morphèmes, alors que les 3P ne différencient pas le pseudo-suffixe et le suffixe réel. Leur pourcentage de bonnes réponses avoisine le 50%, qui représente le hasard. Ces résultats confirment nos hypothèses.

La tâche d’extraction de la base est mieux réussie par les 5P, comme attendu également. Ils parviennent donc mieux à effectuer le découpage morphologique nécessaire à la réussite de cette tâche. La tâche de compréhension de pseudomots suffixés est elle aussi mieux réussie par les 5P, comme attendu également dans nos hypothèses. Les 5P parviennent donc mieux à identifier les propriétés du suffixe, auquel ils attribuent clairement un sens. Chez les 3P, l’attribution d’un sens est moins systématique, même si elle se fait déjà, comme le montre le pourcentage de bonnes réponses plus élevé que le hasard. Nos résultats sur l’ensemble de ces épreuves confirment notre hypothèse selon laquelle les enfants auraient des connaissances morphologiques importantes, et que ces connaissances augmenteraient entre la 3P et la 5P.

Ces résultats vont dans le sens de ceux obtenus par Singson et al. (2000), qui avaient observé

une évolution des connaissances morphologiques entre la 3ème et la 6ème année primaire chez des enfants anglophones. En ce qui concerne les enfants francophones, à notre connaissance il n’existait pas d’étude sur le sujet au dessus de la 3P. Par conséquent, nos résultats apportent de nouvelles informations qui complètent celles déjà existantes, à savoir que les connaissances morphologiques évoluent entre la 1P et la 3P (Colé et al., 2004).

6.4 Traitement morphologique

Le deuxième grand volet de notre recherche concernait traitement morphologique dans la lecture de mots et de pseudomots. Pour la tâche de lecture à haute voix de mots suffixés et pseudo-suffixés, nous nous attendions à de meilleurs résultats en terme précision et de rapidité pour les 5P. Nos résultats montrent que les 5P ont tendance à lire plus rapidement mais pas plus précisément que les 3P. Ceci peut s’expliquer, encore une fois, par le fait que nos sujets de 3P ont tendance à lire mieux que ce qui est attendu pour leur âge, comme l’ont montré les résultats au test l’Alouette. Les deux groupes lisent plus rapidement les mots suffixés que les mots pseudo-suffixés. Ces résultats confirment notre hypothèse. Cela indique que les deux groupes d’enfants effectuent un traitement morphologique pour lire les mots complexes et que ce traitement facilite leur lecture du point de vue de la rapidité. Colé et al.

(2003) avaient observé des résultats similaires chez des enfants francophones de 1ère et 2ème année. Nos résultats montrent que cet effet perdure jusqu’à la 5ème année. Nos résultats diffèrent de ceux de Burani et al. (2008), qui n’avaient pas observé de facilitation chez les enfants avancés en lecture et les adultes, mais seulement chez les jeunes enfants et les dyslexiques. En terme de précision, nos résultats n’ont pas montré de différence entre les mots suffixés et pseudo-suffixés, alors que nous nous attendions également à en observer une, ce qui rejoint cette fois-ci les résultats de Burani et al. (2008) et contredit ceux de Carlisle et Addison-Stone (2003). Ces deux points pourraient trouver une explication dans la nature du système orthographique. Nos sujets ne peuvent peut-être pas être considérés comme des lecteurs aussi experts que ceux de l’étude de Burani et al. (2008), qui apprennent à lire dans un système d’écriture transparent (et atteignent donc plus rapidement le stade de lecteurs-experts) et, qui plus est, ont une année de plus (6P). A l’inverse, nos sujets de 5P se trouvent peut-être à un stade d’apprentissage de la lecture plus avancé que ceux de Carlisle et Addison-Stone (2003), qui apprennent à lire dans le système d’écriture plus opaque qu’est celui de l’anglais. Par ailleurs, le fait que les sujets ayant atteint un certain degré d’expertise en lecture dans l’étude de Burani et al. (2008) ne bénéficient pas du traitement

morphologique pour faciliter leur lecture pourrait peut être s’expliquer par la transparence du système d’écriture qu’utilise la langue italienne. Cette transparence faciliterait en soi la lecture des mots et les sujets italiens ne seraient pas aidés par le traitement morphologique pour les lire. Les sujets francophones bénéficieraient plus de ce traitement, le français étant une langue utilisant très fréquemment des unités morphologiques.

En ce qui concerne la tâche de lecture à haute voix de pseudomots morphologiquement complexes, nos résultats confirment nos hypothèses. Comme attendu, les 5P lisent plus précisément et ont tendance à lire plus rapidement les pseudomots que les 3P. Comme attendu également, les deux groupes lisent mieux et plus rapidement les pseudomots avec racine réelle qu’avec pseudo-racine et avec suffixe réel qu’avec pseudo-suffixe. Ces résultats sont consistants avec ceux de Burani et al. (2002) et Burani et al. (2008). Nous avons observé, plus précisément, qu’une racine réelle dans un mot nouveau rend la lecture des 3P et des 5P plus précise, ceci d’autant plus que le suffixe est réel également. Une racine réelle dans un mot nouveau rend la lecture des 3P également plus rapide, que le suffixe soit réel ou non, et la lecture des 5P plus rapide si le suffixe est aussi réel. Nous pouvons conclure de l’ensemble de ces résultats que les enfants de 3P et de 5P se servent des unités morphologiques pour lire les mots inconnus, et que cela facilite leur lecture.

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